XI
Une petite fille se tenait sur le bois de la scène. Elle n'était pas plus jeune, juste particulièrement petite. Morot avait demandé un volontaire sans préciser pourquoi. Après plusieurs longues minutes ou tout le monde s'efforçait de fixer le sol, elle avait finalement levé la main. Astrid m'expliqua par la suite qu'elle était comédienne. Elle pensait qu'elle aurait été plus à l'aise. Désormais, elle paraissait regretter son choix.
— Well... Quel est ton nom, young girl ?
Un frisson de gêne parcourut mon corps face à ce mélange d'anglais et de français. Et cette étrange appellation ne me mettait pas à l'aise non plus. La fille non plus n'en menait pas large.
— Hum... Daisy.
Le professeur ne pouvait s'empêcher de tourner en rond dans la classe. J'avais envie de lui faire un croche-pied.
— Daisy, reprit-il avait un accent british trop forcé. Tu vas te présenter.
Les épaules de ladite « Daisy » se détendirent. Nous nous étions tous attendu à une consigne rocambolesque, mais c'était plutôt simple finalement. C'était juste un peu répétitif puisque nous l'avions fait ce matin.
— Alors ! Je suis Daisy et...
Le professeur la coupa de « no, no, no » beaucoup trop expressifs. Lui qui avait fini par se poser tout au fond de la salle vint se juste devant la scène.
— Je ne veux pas que tu t'exprimes avec les mots. Vois-tu, le langage est une barrière à notre propre personnalité. Ils nous emprisonnent dans des cases, ils nous contraignent à la bassesse de l'esprit, ils ne sont que l'ersatz de l'expression de nos sentiments.
Il y eu un petit silence tandis que nous méditions sur le sens de ces paroles.
— Comment je fais du coup ?
La pauvre était complètement perdue.
— Comme tu veux, fis Morot d'un sourire sournois. Du moment que tu n'utilises pas les mots, bien entendu.
J'échangeai un regard avec Gaïa. Nous qui n'étions déjà pas très à l'aise à l'idée de nous présenter face à la classe étions désormais terrifiées. Malgré tout, l'absurdité de la situation me donnait plus envie de rire qu'autre chose.
Daisy, elle, ne rigolait pas. Son visage s'était décomposé. Puis elle tomba au sol dans un vacarme. Le bruit résonna dans toute la salle. Nous échangions quelques regards, paniqués. Le professeur ne faisait rien. Il avait repris sa place au fond de la classe.
Une main se leva en l'air, puis une deuxième. Finalement, sa tête se releva. Son expression était totalement différente. Ses traits nous présentaient une histoire dramatique. Elle présenta une série de mouvements trop maladroits pour être une danse. Selon moi, ils étaient presque superfétatoires. Les émotions peintes sur son visage nous racontaient une histoire à elle seule.
Au bout de quelques secondes, elle ferma les paupières et relâcha les épaules. Elle ne dégageait plus aucuns sentiments. Ce ne fut que lorsque de timides applaudissement apparurent qu'elle s'autorisa à ouvrir les yeux et sourire.
Il était hors de questions que je passe après cette prestation.
— Bravo !
Morot sortit de son silence pour la féliciter. Il avait presque les larmes aux yeux.
— C'était magnifique, c'était bouleversant. Voilà ce que j'attends de vous, guys !
Il risquait d'être déçu si jamais j'avais le malheur de monter sur cette scène. Je ne savais pas bouger mon corps. Ce n'était pas seulement de la honte, comme allais-je bien pouvoir me présenter ?
Mon angoisse grandit tandis que les élèves défilaient. Ils n'étaient pas comme Gaïa, qui paraissaient flotter dans les airs le temps de sa courte chorégraphie. Cependant, eux n'étaient pas ridicules. Ils n'étaient pas comme moi qui avait l'air d'un pingouin.
La solution de vînt plus tard. Presque trop tard, puisqu'il ne restait plus que moi et Eugène. Tout le monde était passé excepté nous. Mais il y avait eu cette élève, chanteuse d'opéra. Elle n'avait pas utilisé son corps mais sa voix.
Une fois sur scène, je criai.
◈ ◈ ◈
J'avais la tête enfouie dans mon oreiller. Il restait un peu de temps avant mon rendez-vous. Finalement, il arrivait au bon moment. Ce cours était horrible et l'idée d'entrer à nouveau dans cette salle de théâtre me donnait des maux de ventre. J'avais donc décidé d'attendre patiemment dans ma chambre pour me remettre de mes émotions.
Malheureusement, ma chambre était aussi celle de Gaïa. Par conséquent, rien ne pouvait l'empêcher d'inviter des gens. Et ce fut donc ainsi qu'Anaël, Astrid et elle se retrouvèrent autour de mon lit. Tous me rappelaient la décision stupide que j'avais prise, celle de hurler au lieu de danser comme tout le monde.
— T'inquiète, souffla le garçon. Ce n'est que le début de l'année, personne ne se souviendra de ton visage.
J'étais surtout persuadé qu'ils me voyaient désormais comme « la meuf qui braillait ».
— Et puis, poursuit-il, dit toi qu'au moins tu ne pourras pas faire pire. Tu pourras aller à tes oraux en étant détendue.
Les deux filles pouffèrent. Anaël n'était pas spécialement doué pour réconforter, mais au moins il essayait.
— Et puis c'est la faute de Morot aussi, enchaîna Gaïa. Tu as vu la gueule de sa consigne ? Pour moi ça allait car je suis danseuse. Mais pour les autres, c'était terrible.
— Moi je pense que les autres étaient surtout surpris. Peut-être même admiratifs, car tu ne t'es distinguée. Et de toute façon, on s'est presque tous ridiculisés.
J'espérai qu'Astrid avait raison. Finalement, je me redressai. Ce qui était fait était fait et se lamenter sur mon sort ne servait à rien de toute façon. Je remerciais chaleureusement mes amis et rejoins le cabinet quelques minutes plus tard.
J'attendis patiemment sur l'une des petites chaises à l'entrée. Il y avait un tableau en face de moi. Les ruines d'une civilisation anciennes dans une forêt sombre. Seuls quelques rayons traversaient la canopée et se reflétaient dans les flaques d'eau. Les traits étaient si fins et précis que j'entendais presque le chant des oiseaux. Je humais presque l'odeur sucrée des pêches bien mûres tombées dans l'herbe fraîche. L'air frais me fit presque frissonner.
Mais ce n'était plus le tableau. La porte du cabinet s'était ouverte.
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J'ai pensé à Moon Palace à la fin, tuez-moi
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