VII.

            Cela faisait presque dix ans maintenant que je ne l'avais pas vu. Et pourtant, je me souvenais de lui car il avait été mon premier ami et qu'il avait marqué ma vie d'une façon si particulière. Lui aussi se souvenais de moi. Je l'avais vu dans sont regard. Ou bien il se rappelait juste avoir entendu mon nom mais rien de plus.

Il fallait que je lui parle.

Les choses arrivaient pour une raison. J'en avais toujours été persuadé, mais aujourd'hui plus qu'à chaque instant. Qui avait déjà recroisé son ami d'enfance dans une école plus que prestigieuse ? Personne. A part nous.

— Votre première semaine sera particulière, commença la directrice une fois que chacun des élèves fut présentés. Vous recevrez un emploi du temps provisoire ne comportant que le tronc commun et votre temps libre devra être consacré aux découvertes des spécialités que vous choisirez à la fin de cette semaine. Les uniformes ne seront pas obligatoires au cas où il y aurait quelques retouches à faire, mais notez tout de même que vous ne serez pas accepté en classe sans le reste de l'année.

Elle marqua une pause et j'hochai la tête comme si elle ne s'adressait qu'à moi. L'impatience s'était emparée de mon corps et je n'avais qu'une envie : me lever et parler à Edmond. Cette idée ne pourrait pas partir tant que je n'aurai pas la certitude qu'il se souvienne de moi.

— Bien. Maintenant que nous avons terminé cette partie, nous allons passer à la visite de l'école. Je vous conseille de prendre la carte qui vous a été donnée pour mieux vous repérer.

Je me levai dès qu'elle eu fini de parler. Elle n'allait pas nous empêcher de discuter, elle qui voulait la solidarité entre les élèves.

— Ça va ?

Gaïa me toisait d'un air curieux alors que nous suivions la directrice hors de la salle de classe.

— Je te raconte après !

Je m'éclipsai vers le fond du rang où se trouvait Edmond et son frère. Eugène, si je me souvenais bien. Ils discutaient avec deux autres garçons qui devaient être leurs colocataires. Quand j'arrivai, tous me prenaient de haut. Était-ce parce que je m'étais ridiculisée devant la classe tout à l'heure ? Ne considéraient-ils pas l'écriture comme un art ? Était-ce de la faute d'Edmond qui leur avait raconté des choses sur moi ? Leur avait-il dit avoir croisé le regard d'une fille bizarre ? J'eu soudainement envie de rebrousser chemin. Mais maintenant qu'ils m'avaient vu, je ne pouvais plus reculer au risque de paraître encore plus étrange. Je feignis de ne pas voir leur air hautain pour parler.

— ...

Parler... Mais dire quoi au juste ? Maintenant que j'étais plantée devant eux et que je leur barrais le passage, aucun son ne parvenait à quitter ma bouche.

— Tout va bien ?

C'était Edmond qui s'inquiétait. Ou Eugène. Mince ils se ressemblaient tellement. Leurs regards et leurs habits n'étaient pas les mêmes, évidement. Mais ils avaient changé depuis leurs neuf ans et je n'arrivais plus à savoir qui était qui.

— Hum... Oui, pardon. Je ne sais pas si vous vous en souvenez mais on était dans la même école primaire.

La directrice les interpella. Ils étaient restés devant la porte de la salle de classe alors que le reste du groupe quittait déjà le couloir. Esmée pressa alors le pas, suivit des deux frères. Leurs amis restaient en retraits.

— Ha ! Tu avais raison Edmond ! s'exclama celui qui lui avait parlé.

— Evidemment. On s'est marié dans la cour de récréation quand même.

Je pouffai. Une vague de soulagement remplit mon corps tout entier. Pendant des années je m'étais demandé pourquoi il était parti et ce qu'il était devenu. Ces questions avaient tellement envahi mon esprit qu'elles avaient fini par disparaître et avec, la plupart de mes souvenirs avec lui.

Je le pris par le bras pour aller un peu plus en avant, assez loin de ses amis mais pas trop proche du reste de la classe. Je le détaillai. Son regard semblait plus sombre que dix ans auparavant. J'imaginais que c'était normal. L'innocence s'en allait avec l'âge. Il s'habillait mieux aussi. En même temps, on imaginait mal un petit garçon s'habiller en old money avec si peu de couleurs. Je cherchai un moyen de la différencier de son frère. Une fois les uniformes enfilées, son style vestimentaire ne serait plus d'aucune aide.

Je me retournai vers les trois garçons au fond. Eugène était bien plus énergique. Et ses cheveux bruns étaient attachés en petite queue de cheval.

— Tu comptes me parler ou bien tu cherchais juste quelqu'un qui tienne ton bras ?

Son sarcasme aussi était une nouvelle chose. Je m'excusai rapidement avant de prendre la parole.

— Tu as tellement changé ! Enfin... C'est normal après tout... Mais bon, ça fait bizarre. Pour être honnête, je ne t'avais même pas reconnu au début.

Edmond sourit pour la première fois.

— J'espère bien que j'ai changé... Moi aussi j'ai eu du mal à te reconnaître. C'est quand tu t'es présentée que j'ai eu le déclic.

Je hochai la tête. C'était pareil pour moi.

— Mais dis-moi... Pourquoi es-tu parti du jour au lendemain ?

Ma vue s'embruma et je baissai les yeux. J'avais l'impression d'être redevenue cette fillette abandonnée par son meilleur ami. Je me sentais idiote de ressentir la même douleur après toute ce temps passé.

— Ce devait être temporaire à la base... La mère de mon père avait passé l'arme à gauche, si tu vois ce que je veux dire. On est parti voir mon grand père pendant les vacances et au final on n'est jamais partis. Je t'avais envoyé des lettres, tu sais. Tu ne les as pas lues ?

Quoi ?

— Quelles lettres ?

Edmond se stoppa quelques instants. Il ouvrit la bouche et la referma. Nous allions entrer dans une salle et elle demandait le silence.

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