VI.

Nous sortîmes de notre chambre en même temps qu'un petit groupe d'étudiants. L'un des majordomes attendit que nous soyons une petite dizaine pour nous mener à notre salle de cours. Je me demandais s'ils allaient rester toute l'année. Les étudiants supérieurs n'en avaient pas besoin, alors ils étaient spécialement là pour nous. Pour l'instant, ils nous étaient absolument nécessaire. J'étais incapable de me repérer dans cet immense château. C'était Poudlard sans magie ni escaliers qui bougent.

La salle de classe était un mélange entre l'ancienneté et la nouveauté. Deux rangées de pupitre en bois occupaient la moitié de l'espace, mais il y avait tout de même des radiateurs et un vidéoprojecteur. Astrid et Anael s'installèrent au premier rang et nous nous asseyons juste derrière. Il y avait des petits prospectus sur nos tables. Je dépliai le mien. C'était une carte du château. Génial. Je balayais la salle du regard. Nous étions presque tous là.

Mon regard s'arrêta sur deux garçons. J'avais d'abord cru voir double. J'avais oublié l'effet de voir des vrais jumeaux. C'était vraiment perturbant. L'un d'eux avait senti de regard que je leur portai et se tourna vers moi. Il fronça les sourcils quand il m'aperçue et je me retournai immédiatement comme si de rien était. Il m'avait fait une drôle d'impression. C'était comme si je l'avais déjà croisé. Il me faudrait lui jeter un coup d'œil pour en être certaine, mais je ne pouvais plus : une femme venait de faire son entrée dans la pièce. Son autorité naturelle fit disparaître les quelques chuchotements qui comblaient le vide. Ses talons frappaient le sol à travers le silence de la classe. Elle portait un long manteau malgré la température ambiante de la pièce et ses cheveux étaient coiffés en un chignon strict. Pas de doutes possibles, il s'agissait d'Adeline Mountbatten. La directrice de l'école.

— Vous apprendrez, nous dit-elle, que lorsqu'un professeur entre, la politesse exige que l'on se lève en marque de respect.

On entendit les pieds des chaises crisser sur le sol et les étudiants se lever. Je déglutis difficilement. Nous commencions tous l'année difficilement bien. J'espérais que Mme Mountbatten ne nous en tiendrait pas rigueur. Je plantai mon regard sur ses chaussures de peur de croiser ses yeux.

— Vous pouvez vous asseoir.

Nous nous exécutâmes. La directrice arborait maintenant un sourire chaleureux. Sa démonstration d'autorité avait fait son effet et elle paraissait à présent bien plus gentille.

— Je suis donc Adeline Mountbatten, directrice d'Ange de Vallier. Nous avons beaucoup à faire ce matin alors je vous laisserai compléter ma présentation ce soir à l'aide des nombreux documentaires réalisés sur ma personne.

Comme si nous en avions besoin. Je donnerai ma main à couper que chaque élève ici avait regardé chacun des reportages sur cette école, ses professeurs et bien évidemment sa directrice. Elle avait commencé à danser avant même de savoir parler. Elle avait été chanteuse et comédienne. Elle avait écrit une dizaine de livres dont la moitié étaient des best sellers. Elle avait été élève ici. Mais maintenant que l'arthrose et la presbyphonie l'avaient rattrapée, elle veillait à ce que la relève soit à sa hauteur.

— Vous allez passer vos trois prochaines années ensembles, poursuit la directrice. Et malgré la compétition, chaque promotion a su montrer une solidarité sans pareille. Et puisque la solidarité commence par la connaissance des uns et des autres, voilà comment nous allons procéder : je vous appellerai par ordre alphabétique. Lorsque votre tour viendra, vous vous présenterez avant de déposer votre téléphone portable dans le bac et de récupérer le lot d'uniforme à votre nom.

Mon pied s'agita sous ta table tendis que j'échangeai un regard angoissé avec ma voisine. L'idée de se présenter devant la classe était prévisible mais pas moins pénible. Surtout que je risquai de passer première avec Cumel comme nom de famille. La poisse.

— Je ne comprends pas pourquoi tout le monde stress pour un truc qu'un fait tous les jours, remarqua Astrid alors qu'Anael lui partageait ses angoisses. C'est juste parler, quoi.

J'aurais aimé partager son point de vue. D'autant plus que c'était toujours plus facile quand on pouvait prendre exemple sur les autres. Chose que je ne pourrais certainement pas faire.

— L'élève qui ouvrira le bal est... Esmée Cumel.

J'avais eu raison. Malheureusement. Il fallait que j'écoute Astrid : après tout, il fallait juste que je parle. Je le faisais tous les jours. La seule différence était le nombre de personne qui m'écoutait.

Je me levai et me plaçai à côté de la directrice. Tous les yeux étaient rivés vers moi comme s'ils n'appartenaient qu'à une seule et même personne.

— Bonjour, commençai-je. Donc je suis Esmée Cumel et je suis ici en tant qu'écrivaine.

Ils attendaient certainement plus que ça. Surtout le garçon de tout à l'heure. Ses yeux étaient ronds comme des billes et il chuchota quelque chose à son frère. Que pouvais-je dire sur moi sans pour autant raconter ma vie ?

— Je vis dans le sud de la France. J'aime lire et me balader. Je n'aime pas la nourriture anglaise et les endroits bondés. Et... Et le reste vous le découvrez en me parlant.

La plupart me firent des sourires d'encouragement que je leur rendis. Je posai mon téléphone dans le bac avant de chercher un sac à mon nom. Je le saisis et il tomba de ma main au moment où je le soulevai.

— C'est lourd ! pestai-je.

La classe pouffa et je rougis d'embarrassement.

— Oui, fit la directrice avec humour. Il y a là de quoi remplir votre garde-robe !

Je portais le sac jusqu'à ma table et repris place. Les autres s'enchaînèrent et je n'écoutais pas vraiment. Jusqu'au moment où le tour du garçon arriva. Il avait attisé ma curiosité.

— Alors moi c'est Edmond Jones...

Mes oreilles sifflèrent et soudainement plus aucun son ne m'atteignit. Ce prénom m'avait projeté dix ans en arrière dans l'école primaire de mon petit village. Jamais je n'aurais imaginé l'entendre à nouveau. Je l'avais oublié.

Edmond Jones.

Il était assis à côté de moi. Nous avions appris à lire ensemble.

Edmond Jones.

Il avait un frère jumeau. Parfois, ils s'amusaient à échanger leur place. C'était bien pratique quand l'un maîtrisait mieux les mathématiques que l'autre.

Edmond Jones.

On s'était marié dans la cour de récréation. On avait divorcé au bout de deux semaines car j'avais eu une meilleure note que lui au calcul mental. Il m'avait offert cinq livres de Max et Lili pour mes sept ans. Je lui avais donné un collier d'amitié dont nous avions partagé chaque moitié.

Edmond Jones.

Lui et son frère étaient partis du jour au lendemain. Je n'avais plus jamais eu de nouvelles de lui. Chaque vacance j'avais demandé de le voir. Chaque fois on m'avait répondu que ce seraient les prochaines. Chaque fois, c'étaient des mensonges.

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