7.10 : Zarko
Le bar démoniaque ressemblait à n'importe quel bar humain, à ceci près qu'il n'accueillait que des démons. À cette heure de la journée pourtant — et en dépit du fait que le soleil n'atteignait jamais ce petit bout d'enfer —, il n'y avait pas grand monde.
Le barman, humanoïde à la peau verte, nettoyait son comptoir et rangeait les verres et les bouteilles qui traînaient. Seules trois tables étaient occupées, et les conversations, à voix basse, meublaient à peine le silence de la salle.
Zarko était le seul à ne pas avoir de compagnons de tablée, ce qui n'était pas pour lui déplaire. D'origine indéterminée, même pour les démons, Zarko se trouvait à mi-chemin entre un guerrier Vengeur et un démon Archeron. Du premier, il avait hérité d'une silhouette humaine à la peau cuivrée, d'une musculature à faire pâlir un body-builder et d'une très bonne adresse au combat. Le second lui avait permis d'acquérir un flair hors du commun... et des oreilles pointues. Les Acherons étaient des démons canins, dont le faciès de chiens avait été épargné à Zarko. Ce qui ne l'empêchait pas de mordre de temps à autre, d'aboyer ou de grogner.
Comme en cet instant où il ressassait de sombres pensées. L'Apocalypse qui s'annonçait foutait ses plans en l'air. Les humains croyaient certainement que tous les démons rêvaient d'envahir la Terre, mais ils se trompaient. Cela n'avait jamais fait partie de ses projets. Il se sentait très bien dans ce petit coin pourri des enfers, où il faisait des affaires très intéressantes. Il y avait toujours un démon pour lui demander de récupérer un esclave, ou une femme infidèle.
Zarko était un chasseur de prime. Et un bon. Et même si son odorat lui permettait de suivre une odeur infime parmi une multitude d'autres sur plusieurs kilomètres, c'était surtout les récepteurs particuliers qui tapissaient sa langue qui changeaient la donne. Il goûtait littéralement les odeurs. Grâce à cela, il pouvait déterminer l'état psychologique de ses proies : la peur avait un goût acide très piquant, tandis que la tristesse rappelait les embruns. L'excitation avait un goût salé et l'envie de sexe se rapprochait du sucré-salé avec une pointe de cannelle.
Zarko était proprement drogué à ces odeurs. Si l'Apocalypse avait lieu, adieu ses contrats. Ses clients ne manqueraient pas de se faire la malle sur Terre, et, soit ils ne s'intéresseraient plus à leurs femmes et maris volages, soient ils trouveraient une meilleure offre.
Pour l'instant, dans le coin, il était le meilleur. Et surtout le seul. Si les portes du monde démoniaque s'ouvraient, il pouvait bien se recycler, car il n'aurait certainement plus de boulot.
Il entoura le verre de ses doigts noueux, et le porta à sa bouche. Le tord-boyaux était dégueulasse, mais au prix où il le payait, il ne pouvait pas demander mieux. Avec une grimace de dégoût, il reposa le verre, les yeux toujours perdus sur la table en lattes de bois mal jointes.
Lorsqu'une senteur pimentée envahit ses narines, il se crispa de la tête aux pieds. L'odeur caractéristique de la colère.
La porte du bar venait à peine de s'ouvrir qu'il était déjà submergé par les effluves que dégageait le nouvel arrivant.
Des ennuis en perspectives, à coup sûr...
Et Zarko avait autre chose à faire de sa journée. Alors qu'il se levait pour débarrasser le plancher, l'odeur le saisit à la gorge comme une poigne étouffante, et lui fit presque monter les larmes aux yeux.
Il avait l'impression d'avoir croqué dans un de ces foutus piments oiseau. Une main, aussi noueuse que la sienne, se posa sur son épaule.
Avec un soupir de lassitude, il se retourna.
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