6.5 : Effluves
Eleanor perçut un infime changement chez l'homme et tourna la tête pour l'observer.
Elle ne voyait de lui que son profil, à moitié dissimulé dans la nuit. La lueur intermittente des réverbères qu'ils croisaient éclairait ses traits durs et lisses. Elle n'aurait pas pu dire qu'il était beau ; son visage était trop anguleux. Il avait des pommettes saillantes et une mâchoire marquée, dont la courbe lui donnait l'air d'avoir toujours les dents serrées. Ses yeux étaient plissés, méfiants. Si ce n'était leur couleur singulière, elle ne se serait jamais retournée sur lui. Elle n'avait pas vraiment pris le temps de réfléchir à la situation, accrochée derrière lui, à prier pour ne pas avoir d'accident. Mais maintenant qu'ils étaient là, elle se demandait pourquoi il prenait la peine de la raccompagner, alors qu'il semblait pressé de se débarrasser d'elle à peine une heure auparavant. Arrivée devant la porte de l'immeuble, elle hésita.
— Heu... merci, lança-t-elle embarrassée.
Xander hocha la tête sans la regarder. Il paraissait préoccupé et n'arrêtait pas de jeter des coups d'œil inquiets autour de lui.
Elle observa les alentours, mais ne vit rien de suspect. De l'autre côté de la rue, six personnes faisaient la queue pour acheter des sandwichs, aucun ne semblait faire attention à eux.
Le lycan huma l'air. À l'odeur sucrée de la jeune femme se mêlait un autre effluve qui lui donna la chair de poule. Celui d'un mâle en rut.
Son corps entier se crispa, son cœur accéléra ses battements, pompant son sang et gorgeant ses muscles. L'animal en lui rua, prêt à se battre pour la fille.
Merde !
Il secoua la tête pour éclaircir ses pensées.
Elle n'était pas sa femelle. Elle pouvait se taper qui elle voulait. Mais rien qu'à l'imaginer avec un autre, une colère irrationnelle s'empara de lui.
Il regarda autour de lui. Il sentait le mâle tout proche. Il avait son odeur sur la langue, piquante et acidulée. Il dégageait des phéromones puissantes qui indiquaient à toutes les femelles non loin qu'il était prêt à s'accoupler. Qu'elles soient humaines ou non. Mais ces substances mettaient aussi en garde les autres mâles : un loup-garou en rut était un animal impitoyable, prêt à tuer pour satisfaire ses besoins. Il n'était pas rare que des mâles s'entretuent pendant ces périodes-là.
Et ce soir, l'avertissement lui était particulièrement destiné.
Il entendit vaguement Eleanor le remercier, alors qu'il cherchait autour de lui son concurrent. Parce qu'il était maintenant hors de question de lui abandonner la jeune femme. La fièvre s'était déjà emparée de lui. Son bas-ventre le tiraillait comme si on lui fouaillait les entrailles avec un couteau.
Putain, il s'était foutu dans un sacré merdier !
Il devait choisir entre laisser la jeune femme, tout en sachant pertinemment que l'autre mâle finirait par la prendre — ce que son loup empêcherait à coup sûr — ou s'occuper d'elle lui-même. À ses risques et périls.
Parce que les conséquences seraient désastreuses, et il sentait qu'il allait s'en mordre les doigts.
Eleanor se racla la gorge, le ramenant à la réalité. Il braqua son regard sibérien sur elle.
Elle le fixait, perplexe, certainement troublée par ses yeux qu'il avait appris à utiliser comme une arme.
Avant même que son cerveau ait décidé quoi que ce soit, son corps s'était penché vers elle et il frôla ses lèvres.
Juste une fois. Juste pour éloigner l'autre loup. Pour la protéger.
Tu parles d'une excuse bidon...
Il l'embrassait parce qu'il la voulait. Cette pensée l'effleurait à peine qu'il saisissait son visage à deux mains pour forcer le barrage de ses lèvres. Il avait faim d'elle, il voulait la goûter.
Elle portait son odeur sans s'en rendre compte. L'effluve, subtil, mais bien discernable pour les autres lycans, était déjà un avertissement en soi. Mais il désirait plus. Il voulait éloigner l'autre mâle définitivement.
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