6.2 : Retour
La soirée était bien avancée et les ombres commençaient à s'allonger autour d'eux. Un silence pesant s'installa, seulement entrecoupé par les bruits de la nature. L'attente dura si longtemps que Xander se demanda s'il devait céder à son loup. Cette fille était dangereuse pour lui. D'une part, parce qu'elle ne connaissait rien au monde dans lequel il vivait, elle aurait eu vite fait de prévenir les autorités, et une chasse à l'homme n'était pas dans ses projets à court terme. D'autre part, car son corps la réclamait bien plus qu'il ne le devrait. Les femelles de son groupe ne lui avaient jamais fait cet effet-là. Peut-être parce qu'elle l'avait libéré.
Il bougea légèrement son pied, les dents du piège autour de sa cheville toujours en mémoire. La jeune femme baissa les yeux, mais heureusement, le pantalon tombait assez bas pour qu'elle ne puisse pas voir les quelques marques qu'il lui restait, les autres ayant cicatrisé pendant la nuit. L'avantage de ne pas être tout à fait humain.
Peut-être était-il attiré par elle parce qu'il avait admiré son courage à faire face à la bête, parce qu'elle avait libéré quelque chose dont elle ne soupçonnait même pas la cruauté. Peut-être simplement car il la trouvait attirante. Il n'avait pas vraiment besoin de raison. Il savait juste qu'il devait se débarrasser d'elle au plus vite. Il échafaudait déjà des plans pour aller vivre ailleurs. Michael l'aiderait-il à trouver une planque plus sûre ?
— Quel est votre nom ?
La question le prit par surprise. Il hésita à répondre, puis à donner un faux nom, mais il savait qu'elle vérifierait sitôt rentrée. Mentir ne jouerait pas en sa faveur.
— Alexander Frost.
Eleanor le toisa de la tête aux pieds, estimant certainement sa taille et son poids pour le rentrer dans la base de recherche des autorités.
Il n'avait rien à se reprocher, aucun casier, aucune arrestation. Par contre, il n'aimait pas que son nom apparaisse dans le système informatique du pays. Qui sait où cela pourrait mener ?
— Pourquoi êtes-vous ici, Monsieur Frost ?
— J'avais besoin de vacances...
La jeune femme aurait souri si elle n'avait pas ressenti une étrange sensation de menace qui émanait de lui. Une aura de danger l'enveloppait.
— Y a-t-il quelque chose d'important que je doive savoir sur vous ?
Je me transforme trois nuits par mois en loup-garou, et j'ai envie de faire de toi ma femelle.
— Rien de significatif.
Il ne lui fit pas remarquer que faire ce genre de réflexion était carrément inconscient. Qui sait ce qui aurait pu arriver s'il avait été un meurtrier ou un violeur ?
Candide, courageuse, et imprudente. Voilà ce qu'était cette femme.
Il croisa les bras sur sa poitrine, et attendit qu'elle se lasse. Elle jeta un dernier coup d'œil à l'intérieur, puis vers le ciel.
Le soleil s'était couché pendant leur face à face, et aucune lune n'était visible derrière les nuages.
Eleanor soupira. Elle aurait dû réfléchir avant de venir ici si tard. Le chemin du retour allait être compliqué, vu que le quad n'avait même pas de phare.
— OK, déclara-t-elle alors, soucieuse. Faites attention. Ce genre de bête peut se révéler très dangereuse.
Tu n'as pas idée, pensa Xander, qui la fixait alors qu'elle se dirigeait vers son engin. Il allait enfin être débarrassé d'elle, l'oublier, et il ferait en sorte de ne plus jamais la revoir.
— Attendez !
Eleanor se retourna, curieuse, et le regarda enfiler une paire de tennis et se diriger vers elle.
— Je vais vous reconduire.
Elle secoua la tête.
— Ce n'est pas nécessaire, j'ai...
— Vous l'avez dit vous-même : cette bête est dangereuse.
Qu'est-ce qu'il foutait, bordel ?!
— Et bien... c'est gentil à vous de vous préoccuper de...
— Je n'ai surtout pas envie d'expliquer aux autorités votre disparition, si cela devait arriver...
OK... au temps pour moi... se dit la jeune femme. Tu imaginais quoi ? Qu'il faisait cela par galanterie ? Ce mec est tout sauf galant...
Il grimpa sur la machine, et lui tendit le casque.
— Ce quad est au Granger, il faut que je...
— Je leur ramènerai.
Un éclair de colère traversa les yeux de la jeune femme.
— Vous coupez toujours la parole aux gens ?
— Quand je veux obtenir ce que je veux, oui...
Ils se jaugèrent un instant, avant qu'Eleanor ne cède. Pas qu'elle considérât qu'il ait raison. Seulement, elle n'y voyait que des avantages : rouler de nuit en pleine forêt sauvage ne l'enchantait pas plus que ça, d'autant plus si elle devait, encore une fois, croiser cette bête. Elle était plutôt rassurée d'être avec lui, au final. Et puis, il y avait ses yeux...
Dès qu'il avait ouvert la porte, elle s'était sentie transpercée par son regard bleu glacier. Au lycée, une de ses amies avait des yeux extrêmement clairs, presque comme lui. Et elle en avait toujours été subjuguée. Elle la scrutait pendant des heures, et observait la lumière jouer dans ses prunelles, influant quelquefois légèrement sur leur couleur. Les yeux de ce type étaient pareils : changeants, et fascinants.
Il n'avait cessé de la fixer, comme s'il s'apprêtait, d'un instant à l'autre, à lui sauter dessus.
Lorsqu'elle grimpa derrière lui, elle sentit son corps se crisper, et hésita à passer les bras autour de sa taille. Elle posa alors simplement les mains sur ses hanches. La machine démarra dans un bruit infernal, et Eleanor sursauta quand il attrapa ses mains pour les croiser avec fermeté sur son ventre. Et elle n'eut d'autre choix que de se coller à lui alors qu'il partait à toute vitesse.
Elle manqua de mourir trois fois de peur. Au moins. Il roulait comme un pilote de course, ses cheveux aux reflets roux plaqués par le vent. Elle ne savait même pas comment il faisait pour y voir clair, alors que la nuit était tombée et qu'aucune lune n'éclairait le chemin. Pourtant, il déviait régulièrement pour éviter les ornières et les souches d'arbres gênant le passage. Les mâchoires crispées, elle resserra sa prise autour de son ventre.
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