— Élie, il faut que tu passes voir les Granger avant de partir !

Eleanor soupira et essaya de défroisser la chemise grise réglementaire des gardes forestiers.

Elle était revenue au petit matin — saine et sauve — pour devoir rempiler sur une nouvelle journée de travail. Elle avait à peine eu le temps de rentrer, de se doucher, avant d'aller voir son supérieur, Jasper Coyle, pour lui parler du loup.

Bien sûr, il ne l'avait pas vraiment crû lorsqu'elle lui avait dit qu'il était énorme. « Aussi gros qu'un tigre », avait-elle dit exactement.

Jasp avait passé les pouces dans les passants de son pantalon, s'était laissé aller en arrière sur son fauteuil, et lui avait lancé un regard mi-paternel, mi-macho qui signifiait : « pauvre petite demoiselle qui a eu peur du grand méchant loup ».

Il faudrait qu'elle ait une discussion avec lui, un de ces jours, sur sa manière de traiter les gens. Elle n'était pas spécialement féministe, mais ce n'était pas la première fois qu'on la traitait de pauvre petite chose trop femme pour comprendre.

Pour ce coup-là, elle avait préféré abandonner. Elle était trop crevée pour se battre avec lui.

Et puis, elle était rentrée vivante. Alors qu'elle avait crû sa dernière heure arriver, le loup l'avait seulement surplombée, puis avait frotté sa tête contre elle. Partout. Il avait frotté tellement fort qu'il l'avait fait rouler plusieurs fois.

La jeune femme avait pris cela pour un remerciement.

— OK, Jasp, j'y vais ! lança-t-elle avec un soupir.

L'air frais de cette fin de journée lui fit du bien. Elle savoura ce moment quelques secondes avant d'enfoncer son chapeau sur la tête. Les Granger habitaient à une demi-heure du centre-ville, elle ne serait pas rentrée avant la nuit.