4. Age of Anxiety I - let's talk about social anxiety
média : Le Cercle des poètes disparus, Peter Weir (1989)
tw : anxiété sociale
« Tu t'es fait des ami∙es ? »
Au début c'était une question de routine. Par sûr que la personne qui la pose en avait vraiment quelque chose à faire. Il était évident que la réponse serait « oui », parce que c'était de ces questions dont la réponse devait être « oui ». Il était évident que l'enfant, ravi∙e d'être pris∙e en compte, s'empresserait d'y répondre sans se demander ce qui se passerait, si un jour la réponse devenait « non ».
Les gens ont toujours une opinion bien tranchée sur ce dont vous avez besoin pour être heureuxse. Iels pensent toustes pareil : 'Faut gagner de l'argent, avoir des potes, une personne avec qui vivre et coucher - du genre et du sexe opposé de préférence -, un toit le plus grand possible. Et puis selon les cultures et les époques y a des variantes, mais les plus déterminé∙es vous listeront jusqu'à une façon de tailler vos sourcils.
Se rendant compte que tout cela ne les as pas rendu∙es plus heureuxses, iels refouleront leurs malheurs et les noieront dans des réunions de famille à la con, des injures à cracher au visage de la première personne venue ou n'importe quoi qui leurs fera oublié à quel point iels se sont gouré quand iels ont confondu bonheur et conformisme.
Alors, est-ce que je me suis fait des ami∙es ? Non.
Parce que toi qui me le demande, t'as un paquet d'ami∙es dont tu connais même plus le nom, que tu vois une fois par an, avec qui tu n'as rien en commun mais avec qui tu reste ami∙es parce vous étiez dans le même club de bridge ou je sais pas. Qui t'ont jamais dit quand iels étaient vraiment joyeuxses ou vraiment tristes. Que t'as jamais pris dans tes bras quand elles fondaient en larmes. Des personnes qui ne te le diront jamais, mais qui se sentent seules et qui ont besoin de quelqu'un à qui parler mais qui ne pensent pas à toi parce que t'es pas la bonne personne. Parce que les personnes qui se conforment à la dictature du bonheur, c'est les mêmes qui jugent ce qui sort des clous et qui défoncent celleux qui n'y entre pas. Alors iel ne te dira pas qu'iel est différent∙e et ne sera jamais ellui-même avec toi. Et tu ne lui dira jamais que t'es différent∙e non plus. T'as des ami∙es pour les autres, pas pour toi.
T'as pas d'ami∙es.
Des ami∙es, si je devais m'en faire, se serait de ces personnes avec qui le temps passe exactement à la bonne vitesse. Avec qui on aime être. Avec qui on peut se permettre de passer par des centaines d'autres émotions que la joie ou la tristesse sans les camoufler d'un sourire. Libre à d'autres d'avoir des critères différents, mais les miens sont posés. Je ne prétendrais pas qu'une connaissance superficielle est un∙e ami∙e, c'est tout.
Est-ce que je me suis fait des ami∙es, alors ? En deux pauvres jours dans une classe où les élèves essayent tellement d'être différent∙es qu'iels finissent par toustes se ressembler ? C'est clair que non. Si de futur précieuses amitiés se terrent par là bas je ne le sais pas encore. C'est le temps qui décide et j'ai pas de troisième oeil.
Est-ce que je me suis fait des potes, alors ?
Oh, c'est ça que tu voulais dire...
Pour moi, c'est pas comme pour les autres. Je suis un peu différent. C'est difficile.
J'aimerai bien. Je vous jure !
Je sais que quand on me voit on me trouve flippant et incapable de m'attacher aux gens dans le genre cailloux-émotionnel. En vrai les trois quart du temps j'ai juste le regard vide parce que je suis crevé.
C'est pas que j'aime pas les gens. Je les aime bien. On peut bien les ranger dans des catégories mais on finit toujours par se rendre compte qu'ils ont un truc en plus. Même les sales con∙nes ont un truc en plus. Ça existe pas, les sales con∙nes, remarquez. Parce que dans les yeux des sales con∙nes, c'est nous les sales con∙nes. Et on a des trucs en communs même avec les sales con∙nes, tout ce qu'iels font peut pas être sale. Des fois on leurs doit carrément la vie.
Le truc avec les gens, c'est qu'ils me font flipper. Des fois c'est quand ils sont tous ensemble que c'est le pire, des fois quand ils sont individuellement en face de moi, mais ils me font flipper tout le temps. J'avais un prof qu'était vraiment un sale con, je pouvais plus respirer à la fin de chacun de ses cours tellement il me faisait flipper.
Le pire ça reste quand même quand les gens ne sont pas des sales con∙nes. Ce qui est pas pratique, parce que la plupart des gens n'en sont pas - il y a peu de sales con∙nes dans l'entourage en général, c'est plutôt les personnes riches et célèbres qui pètent des câbles à cause de la richesse. Avec les gens bien on a peur de décevoir, de pas assez donner en retour, de ne pas être à la hauteur, de baisser dans leurs estime, de se rendre ridicule et des centaines de nuances que la honte possède. Du coup on essaye de faire de notre mieux mais ça s'encre trop fort et on finit par avoir peur de se faire détester du marchand de légumes ou du SDF de l'entrée du supermarché... Faut rien faire de mal. Pour rien faire de mal, vaut mieux pas parler. Mais quand on est obligé∙e de parler on manque d'entrainement et on y arrive pas du tout.
En fait dans notre tête on a comme une saloperie de guide qui surveille nos actions. Il nous empêche de faire à peu près tout s'il y a d'autres personnes dans le processus. Dès fois il oublie de venir, quand on ressent un truc trop fort, et du coup on passe les années suivantes à ce souvenirs de comment c'était le bordel quand il était pas là et à l'implorer de revenir.
Quand je dois faire connaissance avec des gens cette saloperie de guide me dit de ne pas les approcher et d'attendre qu'ils viennent, au cas ou je me ferai jeter - le cauchemar, de se faire jeter. Une fois qu'iels sont venu∙es, s'iels viennent, je dois avoir les réactions les plus appropriées possible pour pas me faire jeter - le problème c'est que j'y arrive jamais et que je m'en rend toujours compte trop tard. C'est vraiment dur. Le pire c'est celleux qui font des blagues ironiques sans mettre le ton et du coup tu tombe dans le panneau et tu te sent stupide. Après 'y a la deuxième rencontre. Je sais jamais si je dois retourner vers elleux. Je le fais pas. S'iels reviennent pas on sera jamais potes parce que j'ai trop peur. Je finirai par faire le premier pas quand je suis sûr que je suis pas un indésirable. Et puis après, si tout ce bordel marche, il y a d'autres rencontres tout aussi difficiles. C'est pour ça que je suis crevé.
Et c'est beaucoup plus que de la timidité.
C'est crevant. Au bout d'un moment je suis trop heureux et je perds le contrôle. Je culpabilise pendant des jours parce que je me souviens plus de ce que j'ai fait mais que je sais que c'était n'importe quoi, mais les autres ça leurs a plu de voir que j'étais « moi-même » et j'essaye de me forcer à être moi-même mais du coup ça marche plus.
Une fois intégré, je flippe à chaque petits trucs pas normal dans la relation.
Si je lui envoie un message je vais avoir l'air collant, non ?
Si je l'invite à aller faire un truc, est ce que je serai capable d'être ce fameux « moi-même »?
Si je lui avoue tel ou tel chose, est-ce qu'iel restera mon ami∙e ?
C'est la saloperie de guide qui choisit la réponse à ma place et je fini par rien faire. Par prudence, mieux vaut rester dans mon lit et regarder une série où des gens beaux et intelligents vivent tout les trucs que je serai jamais capable de vivre.
Par contre quand ces gens beaux et intelligents vivent des trucs honteux je ressens toute leurs honte et c'est une torture à regarder.
« Tu commandes quoi ? me demande quelqu'un au resto ou au café ou dans n'importe quel situation où cette question revient.
Je commande quoi ? Oh merde, tu veux dire que je vais devoir, genre, parler à un être humain que je ne connais pas à propos de nourriture et puis manger ? Devant tout le monde ?
- Eu... pareil que toi. »
Bon. On se concentre. Je veux lire ce livre, il faut que j'aille l'acheter à la librairie ou l'emprunte à la bibliothèque.
Non mais c'est un livre sur la drogue, les gens vont me trouver trop bizarre si je le prends. Ils vont penser que je me drogue alors que très clairement, vu tout les efforts que je fais pour ne pas faire de conneries, c'est pas du tout mon genre d'aller ruiner tout mes efforts en me défonçant. Mais je suis curieux de connaitre les pensés d'une personne qui le vit.
Allés-retour devant la librairie. Ça fait trois fois que je passe, quelqu'un vas finir par se rendre compte de ce que je fais, c'est ridicule. Je peux quand même entrer dans une librairie.
« Bonjour. »
« Oh non, encore ellui. Iel a voulu acheter un livre super bizarre il y a deux ans. » Je crois lire dans les pensés. Un peu prétentieux de penser que les libraires s'en souviennent.
Bon, j'irai dans une autre librairie ou personne ne me connait, la prochaine fois, mais j'ai mon livre en main.
Sauf les fois où je me dégonfle.
« Vous aurez un exposé à faire à l'oral, sur... »
Un exposé ? Un putain d'exposé ? À l'oral ? Devant toute une classe ?
C'est pas juste que j'ai la flemme ou un peu le trac. Je ne peux pas. Même si je le voulais.
Dès fois je ne sais même plus comment parler. Pendant quelque heures les mots refusent de sortir, je hoche la tête et montre du doigt, les lèvres celés sans pouvoir rien dire du tout. Mon corps obéit pas quand mon cerveau dit d'ouvrir la bouche et d'articuler des sons. Iels s'en rendent même pas compte en général. Et ça finit par revenir.
Après il y a toutes les prises de consciences, le soir sous une musique triste. Quand mon cerveau censeur retourne la veste pour me murmurer que je passe à coté de ma vie, qu'à mon âge, je devrai avoir vécu bien plus de choses - après m'avoir empêché de les vivre ! Connard.
À ton âge on doit avoir été à des fêtes, des concerts sans les parents, avoir embrassé quelqu'un, bu de l'alcool et être sorti∙e avec des gens. T'es vraiment pas normal.
Fêtes veut dire non seulement quelqu'un pour vous y inviter mais en plus pièce croulante de monde, de débauche, dans laquelle il faut danser et donc ne pas avoir peur du ridicule et où en plus la musique est trop forte et où il y a de la lumière partout. Je ressemble déjà à un PNJ de jeux vidéo tellement je suis statique dans les repas de famille alors j'imagine même pas une fête. Un concert, c'est à peut près pareil. L'alcool, c'est juste un nid à acte spontané ce qui est une très mauvaise idée quand on culpabilise du moindre de ses mouvements et amoureuxse et baiser veut dire confiance aveugle en quelqu'un ce qui me terrifie. Et puis plus j'y pense, plus je me dis qu'un baiser c'est un échange de salive visqueux et ça donne franchement pas envie.
Du coup à la fois je me sens comme un enfant pour mon manque d'expérience, et d'un autre coté ça me manque pas. Je me dis seulement je pourrai parler à un∙e inconnu∙e sans faire de crise d'angoisse si j'avais plus souvent affronté mes peurs. D'un autre coté, je serai quelqu'un d'autre sans mon anxiété. Mais je serai qui ? Des fois je sais même plus faire le différence entre elle et moi.
Dès fois j'ai juste envie qu'elle me laisse tranquille le temps d'une soirée. Juste une soirée. Vivre normalement le temps d'une soirée. Avoir un souvenir qui en vaille la peine. Autre chose que mes fausses amitiés ou ma solitude.
D'autre fois j'ai envie qu'elle reste pour toujours parce que je suis terrifié.
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