21. Dans un autre univers (🦉?)

Média : Oui c'est moi qui traficoté ça. Oui je m'ennuyais (beaucoup).

Tw : mention de troubles alimentaires, dépression et transphobie

C'est (presque?) autobiographique. Toutes mes excuses à n'importe quel membre de ma famille qui tomberait sur ça par un hasard absolu du destin. Vous me croyez si je vous jure qu'en vrai je vous aime bien ? (Sauf les cousins harceleurs, vous je vous emmerde).

C'est la belle nuit de Noël. Fête de famille qui n'est pas vraiment une fête, avec des gens qui n'ont pas grand chose d'une famille. Des oncles et tantes avec qui je n'ai jamais eu de vraie conversation, des cousins qui m'ont harcelé pendant mon enfance, d'autres avec qui je n'ai rien en commun. Ils doivent se demander ce que je peux bien foutre ici. Entre les hommes, droitards ou macronistes, biberonnés au Rêve Américain, qui citent Elon Musk comme une référence en matière et réussite, et les femmes qui me regardent de haut parce que mes ongles et mes cheveux sont courts... j'ai envie de m'enfuir. 

Je suis une anomalie. La créature queer et malade mentale de la famille. (Pour être juste : ma soeur a eu une phase antisociale, mon frère vit dans une forêt, mon autre frère à coupé les ponts avec ce coté de la famille et ma cousine est aussi LGBTQIA+ et autiste que moi, mais aucun∙es d'entre elleux n'est présent∙e ce soir). 

Ce soir, les filles sont toutes magnifiques, épousant leurs féminité et parfaites en société. Moi je suis pas très beau, je porte un t-shirt de geek et j'ai de l'anxiété sociale. Je n'ose même pas imaginer ce qu'ils disent de moi dans mon dos. Ce n'est pas que "je ne suis pas comme les autres filles". Juste que je ne suis pas une fille. Je le sais à l'intérieur et eux ne me perçoivent pas comme tel non plus. Pas tout à fait. Ils pensent que je suis une lesbienne depuis que je me suis coupé les cheveux. Monique Wittig disait que les lesbiennes n'étaient pas des femmes, dans le sens rôle social, parce qu'elles ne correspondent pas à ce que la société attend d'elle en tant que femme en ne sortant pas avec des hommes. Je crois que je comprends cette citation maintenant. L'information de ma sexualité a eu l'air de passer (pour tout le monde sauf pour ma grand-mère qui me demande encore si j'ai un copain). On l'accepte plutôt bien, on pense a genrer au féminin la personne quand on me parle de mon futur. Le reste du temps on ne m'en parle pas. C'est plutôt une bonne façon de traiter l'information, je trouve. Dommage que je ne sois pas lesbienne. 

Mon oncle anime la conversation d'un coté de la table, ma tante se lève toute les dix minutes pour faire le service de l'autre. Il se donne en spectacle, elle s'efface derrière lui. C'est le cas de presque toutes les femmes de la famille. Ils ne font pas ça consciemment, mais il faut de la place pour tout les caractères alors, on fait briller les hommes. J'imagine que ça ne les dérange pas. 

Mon autre tante me demande un peu si ça va, j'oublie de lui retourner la question, alors elle parle à ma cousine de sa nouvelle teinture. Mon autre cousine reste muette et joue avec sa nourriture. Je crois qu'elle a des troubles alimentaires, si j'avais le courage je lui en parlerai, je connais ça. On a presque tous ce problème de ce coté de la famille. 

J'écoute la conversation de ma mère et d'un autre de mes oncles. J'aime bien cette histoire là. Lui parle de cinéma ou de culture native-américaine à qui veut l'entendre. Je me demande s'il se questionne sur le colonialisme américain de temps en temps ou s'il se contente d'être fan de westerns. Il dit que Ridley Scott est un visionnaire, je pense à Prometheus mais je ne proteste pas. S'il y a une chose que j'ai retenu du débat politique que j'ai eu avec mon cousin deux ans plus tôt, c'est qu'il vaut mieux que je ferme ma gueule. C'est pas comme si j'allais faire changer d'avis qui que ce soit de toutes façons. Pourtant c'est une conversation dans laquelle je peux m'intégrer. Le cinéma, c'est neutre. Pas féminin, pas masculin. L'une des rares conversations de la table dans laquelle je pourrais me glisser. Le reste est toujours soit trop l'un, soit trop l'autre. Mais quand le genre n'est pas le problème c'est l'anxiété sociale qui frappe. 

J'écoute juste, je regarde ma tranche de saumon. Ils sont content de me proposer une option végétarienne pour les fêtes, je n'ose pas rappeler que le poisson est un animal, je ne mange déjà pas la moitié du repas, je vais pas en plus passer pour un capricieux. 

Au bout de la table, ma grand-mère a recommencé à parler de l'Algérie. Elle est un chouïa révisionniste quant à la guerre. Ça me fatigue. J'ai entendu ses histoires cent fois, je sors mon téléphone sous la table. 

Le truc, c'est que sur mon téléphone non plus il n'y a pas grand chose à faire. Instagram m'éblouit d'images colorées en tout genre, des dessins, de slogans politiques ou de photos de la vie d'une personne que j'aime bien mais qui ne me connais pas. 

Un fanart me montre le dernier Noël des Maraudeurs chez les Potter. Ils ont de grand sourires, ces personnages imaginaires dans leurs monde magique, le coeur débordant le joie et d'espoir. Ils s'aiment, ils sont aimés, ils sont ensembles, heureux, amoureux. Moi je suis seul. Je n'ai pas d'amis, ma famille n'en aurait pas grand chose à faire si je me volatilisais pour m'importer dans cet autre univers pour toujours. En plus je suis sûr que même si je le pouvais, les Maraudeurs ne m'aimeraient même pas. Je ne suis pas si différent de Rogue, après tout. Un genre d'incel incapable de se satisfaire des choses qu'il a, rêvant d'un truc qu'il aura jamais. 

Mais je rêvasse quand même, parce que c'est ce qu'il me reste. Un autre monde où on m'aime, où on m'aide, où je suis un vrai garçon avec une famille qui n'essaye pas de me changer et des amis. Un∙e amoureux∙se, même. Un monde où je peux tomber amoureux. Ça à l'air d'être un sentiment tellement beau. Un monde où je suis un sorcier, sinon, même si je n'ai pas l'amour. Avec des sortilèges, des potions ou des créatures magiques, je n'aurais pas autant de mal à savoir ce que je veux faire de ma vie. 

On m'interpelle : « Deadname, tu re-veux quelque chose ? ». Je souris, dis « Non merci », je me souviens de l'endroit où je suis. Je pose mon téléphone et recommence mon écoute. On parle des personnes trans. Je prends sur moi. 

Mes parents se moquent. Ils rient à gorge déployé à l'idée que quelqu'un que tout le monde considère comme un garçon porte des vêtements attribués aux filles ou utilise en douce un autre prénom à l'école. Ils ne savent pas que j'utilise en douce un autre prénom à l'école. 

Ma mère, qui pourtant s'est dite si touchée par Girl, qui a accepté sans souci le changement de prénom d'un de ses élèves, continue de rire aux larmes. Mon père s'enfonce dans cette plaisanterie qui pour moi à des allures tragiques. Je me souviens qu'il avait refusé d'entendre parler de non-binarité sous prétexte qu'il était « trop vieux pour ses conneries ». Je me souviens de la façon dont ma mère a parlé de sa collège trans comme d'une bête de foire. Eux ne voient pas que je ris pas, ou s'ils le voient ils pensent que je n'ai aucun humour. Ils ne savent pas que leurs rires me font l'effet de coups de couteaux, que c'est de moi qu'ils rient. De moi et de la seule chose qui a de l'importance pour moi désormais. Ils rient de mon secret, de mon espoir, de la seule alternative à la fin que j'ai. Je me lève pour ça le matin, je respire de nouveau grâce à ça : l'idée que je ne suis un garçon, que j'ai envie de vivre comme tel. Je ne parle pas d'opérations, d'une vie centrée autour de ça... je parle juste d'une vie paisible avec un autre prénom, d'autre pronoms, peut-être plus de testostérone et moins de seins. Peu importe. Ce que je sais c'est que cette autre vie sera la même, sauf que je pourrais faire tout ce que je réserve pour le jour où je serais moi-même. Parler de Prometheus, manger, retourner la question à ma tante, arrêter de lire des fanfictions et écrire mon histoire à la place, cesser de rêver être un sorcier pour être au moins heureux d'être en vie. Pas une personne différente, juste la personne que je rêve de devenir. Je sais qu'on me prends pour un fou, qu'on prendra mon corps pour celui d'un monstre, mais ils ne comprennent pas que c'est ça ou la mort. Comment pourrais-je faire ça si j'ai perdu ma famille, en plus ? 

Je commence à me dire que la vie c'est ça : perdre petit-à-petit le peu de chose que tu avais. Tu nais avec une famille qui a l'air cool, on te promet une vie grandiose, un prince charmant, un métier d'avenir et des enfants. En réalité tu comprends en grandissant que ta famille est bourrée de défauts, que ta vie est une poussière parmi tant d'autre, que le prince ne viendra pas, que le travail est fait pour te tuer à petit feu et qu'avec tout ça, tu veux pas infliger ce truc à des gosses alors t'en aura pas. À la fin tu meurs seul dans l'indifférence générale. En marge de la société. 

J'ai essayé de m'intégrer, je vous jure. De faire la fille. Féminine, belle, aimable, serviable et polie. Ils m'aimaient tellement comme ça. Quand j'étais encore plus anorexique, dépressif, quand mon envie de sauter d'une fenêtre crevait le plafond et que je m'endormais n'importe où, fatigué d'avoir refoulé ce que j'étais pendant toute la soirée. 

Je me demande parfois, si c'est normal que ça me demande autant d'efforts ou si tout le monde le fait mais que je suis juste trop faible pour tenir. Peut-être que toute la famille se fait chier ici, peut-être qu'ils rêvaient de leurs Maraudeurs, eux aussi. 

À l'arrière de la voiture, j'y pense encore. La nuit, au creux de mes draps, je verse enfin les larmes qui se formaient depuis le début. Je m'endors en rêvant que je suis un sorcier, mais au réveil, je suis de retour dans cet univers. 


Un peu méta tout ça. 

J'espère que vous allez bien (je fais un peu que vent ici mais je ne vous demande jamais). Plein de courage pour les fêtes (si vous les fêtez, ça va de soit), prenez soins de vous. 

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