2. Nox
média : moi (parce que je suis polyvalent et que je rentabilise mes trucs d'art plastiques)
Je dois synthétiser des années de troubles alimentaires en quelques mots. 4000 mots, mais c'est pas suffisant. C'est tellement peu de choses en comparaison de tout ce qui traverse notre cerveau pendant notre maladie. C'est pas exhaustif (si vous voulez quelque chose de plus complet, je vous conseille le compte parlonstca sur instagram ou les vidéos de Et si c'était faux sur youtube, ce sont les rares sources qui parle bien de tca sans virer dans l'idéalisation.) En ce qui me concerne, j'en ai déjà bien trop (mal) parlé avant. Je veux offrir ce que j'espère être une autre vision de l'anorexie. La montrer sous son vrai jour et pas comme on l'imagine : une maladie mortelle et gravissime dans laquelle il ne faut jamais essayer de plonger et pas une réponse à la détresse. Pas un idéal.
tw : anorexie, boulimie, santé mentale, grossophobie
« On ne t'as pas beaucoup entendu. Tu veux partager ton vécu avec nous ?
Super. Tout le monde me fixe. Je jette un coup d'oeil au cercle de chaises en plastique, en particulier celle où ma psychologue est installée. Je ne sais pas pourquoi j'ai payé cette thérapie de groupe, je suis clairement pas du genre à déballer ma vie devant une salle d'inconnu∙es.
- Bah oui, qu'est-ce que tu en penses ? fait mine de s'intéresser Lola.
Elle m'a dans son viseur depuis que je l'ai rabrouée une fois où elle parlait du poids et des troubles alimentaires. Parce que Lola, c'est une de ces rares anorexiques qui a le corps qui nous inspire. Je la déteste. Elle, me déteste parce que j'ai justement le corps que les anorexiques veulent fuir.
- Tu veux savoir, ce que je pense ? je finis pas céder. Je pense que t'es qu'une connasse de pourrie gâtée, qui a besoin de se sentir aimée mais qui n'a rien à offrir d'intéressant d'autre qu'une maladie mentale. Alors, tu te dis que tu serais une bonne héroïne de film, avec tes cigarettes qui vont te moisir les poumons, ton cerveau que tu tords dans tout les sens pour qu'il ai l'air malade... Ou bien ton corps de squelette dont tu taillades et tords les entrailles dans tout les sens pour qu'il soit autre chose que magnifique !
Parce que tu es chanceuse. Tu es riche, tu es blanche, tu as des parents qui s'aiment et qui t'aiment et tu es putain de magnifique, mais c'est pas assez, t'es comme les autres et tu veux ce que t'as pas, alors tu veux être triste.
Alors t'arrive ici, tu joues les putains de rebelles en te disant que ça te fait mouiller cette d'expérience d'être la reine des taré∙es ! Tu te dis que ça va être vraiment bon d'être dans une thérapie de groupe, tu t'appropries l'endroit, wow. Mais tu comprends pas que si on est là c'est pour guérir, par pour que des ados en manque de sensation fortes se branlent sur nos vie.
Tu comprends pas qu'être malade c'est pas cool, tendance, beau. Tu comprends pas... Tu comprends rien ! Tu comprends pas un quart de l'enfer que c'est de vivre avec cette putain de maladie ! Tu fais semblant !
On est pas juste des sac d'os, des gens qui mangent ou pas ou des d'obèses. On a des trous dans l'estomac, des cheveux et des dents qui tombent, on a vu nos ami∙es crever, on fait des crises d'angoisses et des malaises tout les jours et on cherche un moyen de nous sortir de ce putain de cauchemar, alors que toi tu cherches juste à y entrer. »
J'ai crié ces mots comme j'ai jamais crié. Fait la grimace la plus tordue possible pour cracher mes insultes encore plus fort. Je veux juste lui faire du mal, la détruire avec des phrases cinglantes, la tuer si possible. Je veux qu'après avoir avoué tout le bordel que je refoule depuis que je la connais, son coeur se brise d'une façon irréparable et qu'elle ne puisse plus jamais vivre sans mes insultes qui cognent dans sa tête.
Mais son visage pale et fin aux cernes prononcés reste de marbre. Son corps squelettique, ses membres-brindilles dont je suis si jaloux∙se ne s'effondrent pas sous le poids de mes paroles. La haine que je nourris à son égard gonfle. Comment peut-elle être aussi forte ? Et comment, face à ce monologue dans lequel j'ai mis mon coeur et mon sang peut-elle seulement me regarder dans les yeux et répondre... :
« Tu ne me connais pas. »
? ... Avant de tourner les talons et t'attraper un manteau dans lequel elle enveloppe sa silhouette svelte puis de sortir avec grâce et élégance.
Mon corps trop gros s'effondre sous le poids de la honte. Car tout le monde me regarde encore et qu'elle m'a abattux en cinq mots. Je me terre dans le silence - j'aurai dû y rester. Mon coeur cède à ses fissures pour se briser, irréparable. Les insultes cognent dans ma tête. Je la déteste tellement. Elle est tellement plus malade que moi, son corps à elle est maigre et pâle, détruit et mutilé comme le mien devrait l'être.
On essaye de me relever mais je suis trop lourd et n'en ai aucune envie. Je n'aime pas être aussi dramatique. La façon dont iels me regardent comme on regarde un fou.
Dans un endroit comme celui-ci, on pourrait penser que les jugements comme ceux-là seraient bannis, mais comme partout, mêmes celleux qui les subissent répètent les schémas de domination de l'endroit qu'iels fuient.
Nox débarque dans mon crâne, comme un acouphène à l'oreille, pour me chuchoter bien fort que je ne mérite pas d'être ici, parce que je ne suis pas assez mince, pas assez triste, pas assez malade. Trop chanceux, trop dramatique, juste quelqu'un∙e qui voulait avoir quelque chose d'intéressant à raconter et qui a fait exprès de tomber malade. Mais s'iel me connait, Nox ne peut pas dire ça...
✗
Aux alentours de mon entrée au collège, je n'avais pas d'ami∙es pour boire ou fumer.
Pour faire le délinquant, j'allais acheter des livres en cachette.
C'était même pas des livres interdits, je ne les volais même pas, mais j'en camouflais la couverture. Depuis la seconde où je les tendait au libraire jusqu'à leurs rangement sur mon étagère - en passant par les heures à les malmener dans mon cartable et à les lire assis sur n'importe quel sol, je gardais ces livres juste pour moi. Mes trésors.
Je m'interdisait les lectures qui menaçaient de me trahir. Rien qui fasse parler. Pour Orange mécanique, Lolita ou L'Attrape-cœur, il faudrait attendre. Mais ce bouquin là n'avait ni guns, ni pédocriminel∙les sur sa quatrième de couverture. Et pas de sales histoires autour. Juste des couleurs vives dehors, du noir et du blanc dedans.
Il incarnait un mot que j'avais déjà croisé sans le regarder mais qui m'avait toujours attiré. (C'était peut-être prémonitoire.) "ANOREXIE".
Les pages n'étaient pas particulièrement nombreuses, l'écriture pas particulièrement bonne ou mauvaise. Rien qui laisse présager un bouquin qui puisse changer une vie. Pourtant en le fermant j'avais eu un déclic.
C'est ça qu'il me faut.
J'avais onze ans.
Sur internet, j'ai découvert des millions de pages consacrées à ça. Nous lisions et écrivions les histoires des parfait∙es anorexiques : Ados perfectionnistes voulant maigrir, arrêtant de manger, s'évanouissant puis débarquant à l'hôpital. On leurs donnait quelque mois à vivre, la peau sur les os. Puis, par la force de leurs volonté, iels renaissaient magnifié∙es par leurs épreuve. Nous étions pleins à vouloir cette vie. Nous admirions encore plus celleux qui mourraient. Nous étions pleins à vouloir cette mort.
Les artistes, qui croyaient faire de la prévention, nous donnaient de la matière pour notre culte. Une photo de corps déshumanisé par la maladie devenait une inspiration. Un film, un livre = un code de conduite. Des chansons = un moyen pour que la voix qui nous ordonnait de maigrir ne nous quitte jamais. Des nuits et des jours à tout faire pour nous approcher de notre nouvelle divinité.
Les filles l'ont appelée Ana, Les gars l'ont appelé Rex. Pour moi, c'était Nox.
Et j'ai tout lu, tout vu, tout écouté et tout expérimenté jusqu'à m'arracher le coeur et le cerveau pour mettre celui de Nox à la place. Pour penser comme ellui. Que son reflet apparaisse dans la glace à ma place. Et que je n'arrive plus à dissocier nos deux personnalités, que je sois incapable de retrouver cellui que j'étais avant Nox.
Je ne voulais pas seulement être maigre, je voulais me prouver que je pouvais réussir quelque chose. Je voulais contrôler ma nourriture pour contrôler ma vie. Me sentir vivant. Avoir l'impression que j'étais utile. Et surtout faire ouvrir les yeux aux autres, leurs montrer des conséquences physique du teenage angst qui me bouffait à l'intérieur.
Je me demande combien d'entre nous parvinrent à vivre ça pour de vrai et combien d'entre nous finirent comme moi.
Je me demande si nous avions conscience que notre terreur de l'obésité était ce qui nous faisait nous en rapprocher.
En faisant des régimes nous déréglons notre intuition alimentaire et prenons du poids. Ce qui provoque l'obésité, c'est souvent ces fameux troubles alimentaires que nous rêvons d'avoir.
Je ne parle pas seulement des gens comme moi, qui on fait de ces maladies leurs inspiration, mais de la société toute entière. Car à différent degré, pour tout le monde, l'anorexie est un idéal.
Vous n'êtes pas d'accord, parce que vous imaginez que ce mot désigne une personne squelettique qui ne mange rien. Mais votre définition est fausse : Être anorexique c'est avoir une maladie mentale qui vous pousse à faire chacun de vos choix de vie - jusqu'au putain de savon que vous utiliser - en fonction de ce qui vous fera maigrir ou non. C'est un régime qui contamine votre façon d'être. Un régime qui marche, l'apogée des régimes. N'en avez vous vous-même jamais rêvé ? Ou n'avez vous jamais entendu quelqu'un vous en venter les mérites ?
Aujourd'hui je maudis celleux qui le font. Iels prétendent qu'il suffit de manger sainement et de faire du sport pour perdre du poids. Des abruti∙es hypocrites qui l'ouvre sans rien y connaitre.
Les gens ignorent toujours l'aspect psychologique. Dans tout les domaines. Comme si nous n'étions qu'un corps et que ce qui arrivait dans notre cerveau n'était pas réel ou n'avait aucune importance.
Vous ne vous rendez pas compte à quel point la façon dont on a grandit peut nous transformer. Le pouvoir que nos pré-jugés ont sur nous, même quand on a cru les déconstruire. Quand la petite fille parfaite chute dans l'anorexie, on a de la peine pour elle. Et aussi beaucoup d'admiration. Être arrivée à ce niveau d'autodestruction est très particulier : pas des autodestruction qui effraient ou dégoutent, plutôt l'apogée d'une dévotion à l'art de se contrôler. Cet art qu'on apprend aux filles depuis toujours. Mais quand une personne comme moi tombe dans l'anorexie on voit la maladie mentale telle qu'elle est vraiment. Et on aime les maladies mentales que quand elles sont spectaculaires. On a pas envie d'entendre l'histoire de l'ado marginal∙e qui se noie dans une mer de dépression passive en pensant à son corps gras et encombrant dont iel ne se débarrasse même pas à la fin. Cellui qui bouffe trop pour oublier et qui, faute de se faire tuer par Nox, se tuera ellui-même. Brisé∙e de ne pas être cette fille parfaite dont iel s'inspire.
Et on osera pas le dire, mais on pensera qu'iel l'a mérité.
Quand on a une maladie mentale les autres passent plus de temps à vérifier qu'on ne ment pas qu'à nous aider. Quand il nous arrive quelque chose iels ne cherchent pas des dégâts mentaux, mais les dégâts physiques. Et certains concepts comme l'amnésie post-traumatique ou la tétanie leurs sont totalement étranger.
Iels s'imaginent que la volonté fait le travail, qu'avec ça on peut décider ce que notre corps et notre esprit font, mais iels saisissent jamais que les choses ne dépendent pas de nous. Que je ne peux pas manger, tout comme un∙e alcoolique ne peut pas s'arrêter de boire, tout comme un∙e junkie ne peut pas arrêter la drogue... parce que ces maladies sont les conséquences d'un même symptôme : notre cerveau va mal, notre vie va mal, nous sommes cassé∙es, nous trouvons quelque chose pour nous recoller par nous même au lieu de comprendre ce qui nous a cassé et comment on pourrait faire en sorte que cette chose arrête de nous faire du mal.
Et quand nous cherchons de l'aide, on nous colle des étiquettes qui nous stigmatisent : "anorexique", "dépressif∙ve", "suicidaire", "alcoolique", "boulimique"... et nous finissions par les considerer comme des part de notre personnalité et oublier leurs but initial.
Et plus le temps passe, plus nous errons dans des recoins sombres sans aucun espoir de nous en sortir parce que ça fait trop longtemps, que tout le monde a arrêter de nous aimer, que tout le monde croit que c'est de notre faute parce qu'iels ne comprennent pas que ce qui est facile pour elleux n'est pas facile pour nous. Que notre cerveau n'est pas comme le leurs, que notre vie n'est pas comme la leur. Que nous sommes malades comme les n'importe quel∙les autres malades. Ce n'est pas différent parce que c'est dans la tête. Et que nous souffrons encore plus que notre entourage ne souffre à cause de nous, qu'on déteste les rendre tristes mais qu'on ne l'a pas choisi.
Je sais que j'ai choisit de suivre ce que ce foutu bouquin me disait, quand j'avais onze ans. J'ai désiré être là où j'en suis. Mais ça ne serait pas arrivé si on ne m'avait pas traité de "gros" depuis mon enfance.
Si un poids trop élevé pouvait être réglée par un régime et un abonnement à la salle de sport ça se saurait, vous ne croyez pas ? Internet regorge d'histoires comme ça, des personnes admirables, qui par la force de la volonté on réussit à passer d'une obésité morbide à une taille mannequin en quelques mois. On ne nous dit pas comment iels ont surmonté leurs faim, comment iels on réussit à stopper les crises d'hyperphagie ou comment iels s'y sont pris pour faire du sport pendant leurs stade d'obésité alors qu'iels devaient porter l'équivalent de plus de vingt bouteilles d'eau sur le dos. On ne nous parle jamais des sentiments et les doutes de celleux qui ont accomplit ces "exploits". J'aimerais bien les connaitre pourtant. Ont-iels aussi un noeud de pensées désordonnés ? Un regard vide ? Une voix qui leurs a dit comment faire ? Entendent-iels Nox ?
Sont-iels plus heureux∙ses maintenant ? Ou sont-iels au fond du gouffre, à ne plus rien oser avaler de peur de redevenir comme avant ? Ressentent-elles tout les jours la pression de ne pas redevenir ce qu'iels étaient par peur de ne plus être aimé∙e ?
Nox m'a rendu en colère, triste, jaloux. Mais putain, j'ai jamais été heureux.
Je me sens désolé pour ces personnes, je voudrais qu'elles sachent que je suis avec elles si leurs perte de poids spectaculaire est en réalité leurs anorexie qui est en train de gagner. Je voudrais qu'on arrête de les féliciter d'avoir perdu du poids. Je voudrais que quelqu'un leurs dise qu'être gros ou pas ça ne change rien au fait qu'on mérite aussi de vivre, que s'iels ont maigri pour de mauvaises raisons ce n'est pas plus positif pour leurs santé que d'être obèse. Qu'être gros c'est peut-être pas l'idéal, mais qu'on peut vivre avec. Que le fait que ça puisse avoir des conséquences sur la santé n'est pas une excuse à toutes les moqueries, les refus d'emploi, les conseils non-solidités ou les réunions de famille uniquement organisée pour nous dire de faire un régime. Comme si on avait jamais essayé.
Que cette maladie, c'est le résultat d'une histoire : celle du contrôle du corps (de la femme, surtout. Des autres, un peu), de la grossophobie, de la psychophobie et de la diet culture. Que les fast food et la sédentarité ne sont pas les premier∙es coupables, quoi que les documentaires moralisateurs en disent.
J'aurai aimé qu'on m'apprennent tout ça avant que je ne me persuade que la seule solution à mes problèmes était de tomber dans l'anorexie. Mais personne ne l'a fait.
Et la mèche s'est allumée.
Mais la bombe n'a jamais explosé.
J'ai tout fait pour étouffer ce que mon nouveau mode de vie avait fait de moi. Au début pour continuer encore plus longtemps, puis par honte et puis par habitude.
Je démentais à chaque fois que mes parents avaient un doute tout en exhibant mes cicatrices et en me disant que quelqu'un∙e finirait bien par intervenir. Ce qui n'est jamais arrivé.
« C'est quoi ton plat préféré ? » me demandaient-iels à la place.
Rien. Parce que je ne prend pas de plaisir à manger. Chacune de mes bouchées de nourriture est accompagné de culpabilité et de colère contre moi même.
« Pourquoi tu manges pas ? »
« T'as jamais faim ? »
Tout le temps, je passe ma vie à manger, il ne se passe pas une heure sans que je ne pense à la nourriture. Je mange tout, sauf ce qu'il y a dans mon assiette. Devant les autres je trie, je coupe et je touille pour qu'on ne me voie pas comme un ogre qui se bâfre. Mais, seul face aux aliments, je recommence à m'empiffrer. Ça fait du bien de manger. Et puis la culpabilité revient. Je dois remédier à ça. Réparer l'erreur d'avoir répondu à l'un de mes besoins vitaux. Je me souviens de celleux qui m'ont un jour dit que j'étais gros, du résultat qui clignote sur la balance... Toutes les raisons remontent à la surface. Je voudrais que quelqu'un voit quelque chose. Est ce qu'iels font exprès de ne rien voir ou est ce qu'iels sont vraiment hyper con∙nes ? Oui je fais ça pour me rendre interessante, parce que c'est insupportable d'appeler à l'aide et de n'avoir jamais de réponse ! Mais en même temps je voudrais aussi être maigre au point d'être invisible.
Parfois, j'ai cru que j'allais être aidéx.
La fois ou maman à trouvé mon journal ou la fois où celle a qui j'ai dit que je n'avais pas faim ne m'a pas cru. Enfin, quelqu'un arrêtait de croire en mes mensonges.
« Tu devrais manger. Je sais pas pourquoi tu manges pas, si tu es triste ou quoi que ce soit... Mais sauter des repas ça arrangera rien. » a-t-elle dit.
Elle avait compris. En quelques secondes elle avait compris le problème, elle savait parfaitement ce qui ce passait dans ma tête, elle savait parfaitement pourquoi je ne mangeais pas, et elle avait l'air de savoir très bien de quoi elle parlait. Cette fille avait remarquée en quelques secondes ce que mes proches n'avaient jamais remarqué en 4 ans. J'ai mangé un peu de mon plat en son honneur. Mais la voix a fait du reste de ma journée un enfer et je n'ai plus jamais revu la gentille fille.
J'aurai voulu que quelqu'un, sans me juger, sans me forcer à manger, vienne me voir et me propose de me confier à ellui.
Vous savez tout ces petits signes qui vous indiquent qu'il se passe quelque chose de bizarre sous votre nez ? Du genre un couple trop fusionnel ou une fille trop heureuse. Ces signes là quand on est en face, on sent qu'ils cachent quelque chose, on sent qu'il y a un truc qui cloche dans ce comportement. Et quand on découvre que le couple était une relation toxique et que la fille était suicidaire, nos neurones se connectent et tout d'un coup on se rend compte à quel point on a été aveugle. Et le pire dans tout ça. C'est qu'on y peut rien. Parce qu'on est naïf∙ve et qu'on n'ose pas imaginer des truc pareils. On ne comprend tout ça que lorsqu'il est trop tard et que le mal est fait. Lorsque le problème à eu le temps de devenir un ouragan qui a détruit une personne. Je pense que c'est ça qui ce passe dans ma tête, très souvent, lorsque je ne veux pas admettre que quelqu'un que je connais à un très gros problème. Et je pense que c'est aussi ce qui ce passait dans le cerveau des autres, lorsqu'iels voyaient comment je mangeais. Après tout, moi non plus je n'ai pas réagit en en voyant d'autres arrêter de manger. Quand iels me remarquaient, dans leurs têtes, un doute qui apparaissait, des questions qui se posaient : « Il est peut être anorexique ? Je devrais lui en parler ? ». Mais une autre partie de leurs cerveaux se chargeait de trouver des excuses: « Il ne peux pas être anorexique, il n'est même pas mince ! Je ne vais pas lui en parler, je suis sûr∙e qu'il n'y a aucun problème. Le monde a assez de problème comme ça, pas besoin d'en voir là où il n'y en a pas. ». Quand tu découvres que tes suspicions étaient vraies, tu te sent bête. Si seulement on avait assez de courage pour proposer de l'aide. Il y a des tabous qui détruisent des vies.
Faites le, s'il vous plait. Si l'un∙e de vos proches a un rapport bizarre à la nourriture ou à son corps, dites lui que vous êtes là et que vous pouvez l'aider, je vous en prie. Ne prêtez pas attention à son poids, ça ne veut rien dire. Entendez nos cris, tendez nous la main, qu'on soit mince ou pas.
Comme je ne l'étais pas, tout ce que j'ai eu était de l'indifférence, ou pire, tout des remarques qui m'enfonçaient encore plus.
Un jour nous étions serré∙es dans un ascenseur. J'ai lu à voix haute qu'il pouvait porter jusqu'à 750kg. Mon frère m'a regardé et m'a dit simplement avec un grand sourire : « 750 kg c'est ton poids. » J'étais paralysé. Presque envie de tout lui déballer. J'avais envie de lui raconter tout ce que je me faisais pour avoir mal. De quel droit, putain ? De quel droit il se permettait de me dire un truc pareil ? Je ne représente donc rien à ses yeux ? Je suis fragile et il le sait. Il m'a déjà vu pleurer à cause de mon poids. Il savait le mal que me faisait ce genre de remarque. C'était quoi, le but ? Il pensait peut-être que j'allais trouver ça drôle ? Il n'avait toujours pas compris ce qui m'arrivait ? Il ne le suspectait tellement pas qu'il pensait pouvoir m'enfoncer ? J'étais malade ! Une maladie mentale ! Et il partageait une maison avec moi ! Il savait bien ce qui se passait ! Il devait bien avoir vu quelque chose, en quatre ans ! Mais il avait décidé que j'étais grosse et flemmarde. Et ce ne fut ni la première ni la dernière fois que j'espérais de l'aide et que j'obtenais des coups de couteaux.
Un jour mon frère et ma soeur m'ont pris à part pour me dire comment je devais m'y prendre pour perdre du poids. Ça a duré jusqu'à tard le soir, à écouter leurs histoires de régime et de musculation, leurs jugements sur la façon dont je mangeais. Comme s'iels savaient. Iels se prenaient comme exemple, ce qui avait marché sur elleux...
Je voulais que quelqu'un me sorte de là. J'ai sangloté comme jamais, fondu en larmes, protesté faiblement pour ne pas me trahir. J'aurai voulu qu'iels sachent, qu'iels vivent un jour dans ma peau et iels n'aurait plus jamais osé me donner de conseil sur ma façon de m'alimenter alors que je pensais :
« Tout le monde me prend pour un con, un flemmard, un incapable... et iels ont raisons. Je ne sais rien faire, et même si je savais, il y aurait toujours des meilleur∙es que moi. Je n'arrête pas de faire comprendre aux gens que je suis mal, mais quand c'est eux qui sont mal je suis incapable de les aider. Je ne fais que pourrir la vie des autres et me placer en victime. Ma vie était destinée à être parfaite, si j'avais su me battre elle l'aurait était. Mais comme je ne sais que me lamenter sur mon sort, ma vie ne ressemble plus à rien. Pourquoi ne suis-je pas mince ? Pourquoi les gens ne m'aiment-ils pas ? Pourquoi ? Pourquoi ! Je suis détestable et destructeurx. Tout m'échappe. Mon poids m'échappe. Je n'arrête plus de grossir et les personnes que j'aime me quittent. Je voudrais qu'elles lisent ça et qu'elles me prennent dans les bras. J'en ai tellement marre de faire semblant. J'en ai tellement marre de ma vie. »
Dans une autre réalité, ce soir là, j'aurai crié : « Je suis anorexique depuis six ans ! Vous n'avez pas idée de ce que c'est alors fermez vos gueules et emmenez moi à l'hôpital ! »
Mais j'avais gardé le secret pendant tellement longtemps... et puis iels ne m'auraient pas cru. J'étais trop gros. Je les ai juste laissé parlé et j'ai continuer à pleurer. Mes larmes essayant vainement de céder, d'avouer le secret pendu à mes lèvres, sans qu'elles ne soient prises au sérieux.
Vous n'avez pas besoin de me faire la morale, vous savez, Nox s'en charge déjà pour vous.
✗
Je n'ai rien dit de tout ça aux membres de la thérapie de groupe. J'y ai seulement pensé durant tout le trajet de RER qui séparait mon appartement de la maison de mes parents. Quelque jours plus tard.
Par où commencer ? Comment tourner les phrases pour ne pas leurs faire de peine ? Ne pas leurs faire comprendre que c'est sous leurs toit que j'ai décidé d'arrêter de manger, que tout ça c'était aussi un peu de leurs faute...
« Quelle est la chose la plus courageuse que tu n'es jamais faite ?
- Demander de l'aide. »
Je suis piégé entre tout déballer et tout refouler.
On nous dit toujours que c'est la solution. Suicidaire, anorexique ou harcelé∙e. « La solution c'est d'en parler. »
Mais êtes-vous vraiment capable de nous écouter ? Quand on en parle, on espère de l'aide. On espère que vous nous direz que vous êtes là pour nous, que vous pouvez tout entendre et qu'on pourra tout vous raconter du début à la fin. On espère que vous écouterez enfin ce qu'on essaye de vous dire à travers notre maladie. Que vous ne nous jugerez pas.
Vous nous jugez toujours.
En parler ? Pour qu'on me force à manger sans comprendre que le problème n'est pas là ? Pour qu'on m'envoie dans un hôpital psychiatrique où l'on sait mieux écraser les gens que de les soigner ? Pour que je goûte aux psychophobies, aux remarques des psys subversives en théorie, blessantes et à coté de la plaque en réalité ?
Je ne peux pas en parler. Pour la même raison que je ne peux pas m'arrêter.
Si vous voulez améliorer la vie des personnes anorexiques : écoutez-nous. Vous nous détruisez en croyant tout savoir. Un jeune intermittent ne me soignera pas. Un coach de développement personnel ne me soignera pas. Et non, être vegan n'aggravera pas les choses. Non, les docteurs n'ont pas la science infuse.
Si vous voulez qu'on arrête de tomber dedans arrêtez vos putains de films de prévention qui ne font que nous tigger, que nous tirer vers le bas. Prévenez la diet culture, la grossophobie, le patriarcat, les traumas de l'enfance. C'est à cause d'eux que les troubles alimentaires existent.
J'ai menti, je ne l'ai pas dit à mes parents. Je n'ai pas eu le courage. J'écris ici à la place.
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