14. Someone purer

TW : mention de validisme, autismophobie, racisme et psychophobie. 

Je ne précise plus que je ne suis pas autiste parce qu'il semblerait que ce ne soit pas aussi simple. J'ai des traits autistiques (genre toute cette histoire d'anxiété sociale sans aucun traumatisme derrière il se peut que ce soit ça, cette douleur à chaque bruits trop fort, flash de lumière, cette mémoire, ces heures à parler seul∙e, cette tendance à se balancer, cette tendance à ne plus pouvoir parler et cette difficulté énorme à m'adapter... Je vous passe les détails.) Je ne me dirais pas autiste avant d'avoir été diagnostiqué∙e par respect pour le boulot de psy. (même si je n'ai rien contre les personnes qui s'autodiagnostiquent, c'est juste quand ça me concerne moi je ne me sens pas légitime.) Mais ce diagnostique n'est pas près d'arriver. Il faudrait que je retourne voir un psychiatre et j'ai aucune envie qu'on me pose encore des questions sur mes parents et que je réussisse pas à parler pendant vingt séances qui en plus coutent le prix d'une fusée pour Jupiter.  Et puis on est pas près de me diagnostiquer si je ne fais pas les démarches parce que je ne suis pas un petit garçon fort en maths qui aime les trains je suis une personne AFAB adulte qui a des problèmes sensoriels, des stims qui agacent tout le monde et des difficultés sociales depuis toujours mais personne n'a jamais lié ça à de l'autisme. Personne n'a même jamais essayer d'agir. Peut être parce que personne dans mon entourage ne sait totalement ce que c'est, en fait. Ou alors iels préfèrent ignorer les signes, que ce soit de l'autisme ou du fait que dès fois ça va pas.

Donc ne me considérer pas comme autiste ni comme hyper renseigné-e. Juste, garder ça en tête. Dès fois je parle de ce que je vis.  

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Je suis le premier à vous interviewer, vous êtes Pauline Dumot. Danseuse contemporaine. Vous étiez éblouissante hier soir. Pouvez-vous nous raconter votre histoire dans les grandes lignes ?

Les autres doivent partir du principe que comme je ne peux pas parler, je ne peux pas non plus écrire. Merci, ça me touche beaucoup !

Vous n'avez pas précisé que j'étais autiste. Vous pouviez le dire, c'est important pour comprendre. 

J'ai commencé à faire de la danse grâce à mes stims. Lorsque j'étais heureuse, que j'étais triste, que j'étais nostalgique, que j'étais fière ou blessée, je laissais les sensations me traverser, mon corps bouger au rythme de ce que je ressentais. Je me fichais que ce soit beau, que ça aille avec une musique, que ça s'enchaine bien. C'était des moments à moi. Précieux. Des moments durant lesquelles je me sentais parfaitement libre. 

Comme beaucoup de petites filles mes parents m'avait inscrite à un cours de danse quand j'étais enfant. De la danse classique. Mais le justaucorps grattait, il fallait emprisonner mes cheveux dans un chignon et affronter les autres filles. Je ne sais pas bien si elles se moquaient de moi, si c'était dans ma tête, ou si c'était un peu des deux. En tout cas je ne me sentais pas en sécurité. Et puis je trouvais qu'une chorégraphie c'était une censure. Comme si on choisissait de marcher sur un fil au lieu de marcher sur le sol. 

Je voulais et j'ai cherché une danse cathartique. Qu'elle puisse me permettre de bouger jusqu'au bout de mes doigts sans me poser aucune autre question. Celles que je faisait malgré moi m'ont fait comprendre que c'était la chose qui me rendrait la plus épanouie. 

Certain∙es seraient dentistes, historien∙ne ou psychologue. Je serais danseuse. 

Je n'avais toujours aucune envie de vivre Black Swan ou de me plier en quatre pour correspondre au critères élitistes du Bolshoï. Mais le hasard m'a présenté le jazz en premier, la danse contemporaine ensuite. 

Le jazz avait les mouvements les plus fluides, les enchaînements les plus forts. Les danseur∙euses savaient mêler le mouvement et l'immobile, la violence et la douceur. Je pourrais regarder les danseuses en costumes noirs s'envoler pour le reste de ma vie ; mais alors, je ne pourrais pas danser !

Malgré mon amour pour le jazz, ce fut la danse contemporaine qui conquit mon coeur. Nous avions le droit d'y faire ce que nous voulions. Si on voulait danser avec le silence, les cheveux lâchées, sans aucune technique ou nu∙es sur scène - ce que je ne ferai sous aucun prétexte - alors nous pouvions. Si je voulais danser mes stims au lieu d'être handicapée par eux, alors je pouvais. 

Une troupe et une école furent plus dures à trouver. Peu correspondaient à la danseuse que je voulais être. 

Votre autisme a-t-il été handicapant ?

Oui. Il m'arrive encore de le détester, et de me détester par conséquent. Je me dis que je suis incapable de faire ce que d'autres font si facilement. Parfois j'entre dans un studio dans lequel la musique est trop forte, je suis noyée dans la foule des coulisses ou des studios, je me retrouve à devoir faire comprendre que je ne peux pas parler, sans parole, à des personnes que j'admire et très importantes dans le milieu ou les lumières des salles sont trop fortes... Ou je me dis que je ne pourrais jamais gérer une tournée. Trop de changement. Et quand ce n'est pas mon autisme ce sont mes TCA ou mon anxiété sociale qui s'en mêlent. Je me dis que je suis vraiment pas normale... Mais je suis née comme ça, je ne peux pas le changer et plus le temps passe, plus je comprends que les autres non plus ne font aucun efforts pour s'adapter, parfois. Les discriminations n'aident pas du tout. 

Et parfois, c'est un don avant d'être un handicap. Être autiste rime avec un rapport compliqué aux sens. Notre ouïe peut être trop fine, notre proprioception embrouillée - ce n'est pas pratique pour la danse, c'est sûr. Mais j'ai l'impression que parfois cela me permet de sentir les choses encore plus fort. La sensation de ma peau contre l'air, de mon corps emporté par la musique... et puis ma synesthésie ! J'associe mes danses à des univers. C'est une expérience unique et possible juste grâce à ça. 

Vous parliez de discriminations. À quelles discriminations avez-vous fait face dans le milieu de la danse ? 

Dans celui de la danse contemporaine j'ai l'impression que c'est moins présent. La danse classique est assez terrible, sans vouloir m'acharner, et pas que pour les autistes. On n'y accepte pas les danseur∙euses noir∙es par exemple - à part s'iels ont une peau très claire. On dit qu'iels "font tâches". Ce genre de propos est scandaleux n'importe où, pourtant personne ne fais rien. C'est un peu comme avec les TCA. Pleins de danseur∙euses en ont, tout le monde le sait, tout le monde s'en fiche. On ne veut toujours pas de personne grosse dans les compagnies. Et comme partout on y accepte pas non plus celleux qui sont handicapé∙es soit à cause de leurs rapport à la fatigue, de leurs rapport aux autres ou de l'harmonie des spectacles. Un∙e danseur∙euse avec une prothèse aussi ça "fait tâche". On m'a refusée parce que je ne pouvais pas parler, moi. Je ne vois pas en quoi on a besoin de parler pour être danseuse. Je ne peux rien dire, mais j'entends tout. Je peux obéir. Et je peux écrire. 

Qu'auriez-vous à dire à nos lecteurs, autistes ou non ? 

Aux allistes, beaucoup de choses ! À commencer par déconstruire les bases de la psychophobie et du validisme. 

Aux autistes, beaucoup de courage. Comme à de nombreuses autres minorités. J'aimerais vivre dans un monde où je n'aurais pas à changer, le fait est que ce n'est pas possible pour le moment, que je dois m'adapter et que cela demande beaucoup d'efforts. Parfois, je suis très fatiguée. Parfois j'ai envie de laisser tomber et je me sens très seule. Alors oui, beaucoup de courage, de force. Et vous n'êtes pas seul∙e. 

Je change un peu de sujet, pour conclure. J'ai conscience qu'il doit être fatiguant d'être vue comme autiste avant d'être vue comme personne. Alors, quel est votre plus beau souvenir en temps que danseuse ? 

Je n'ai que des beaux souvenirs des moments où je danse ! Mais il y a ma première année au Centre de danse du Marais, quand je faisais du jazz, c'était quelque chose. Les soirs où il n'y avait personne, on acceptait parfois de m'ouvrir une salle. C'était l'hiver, il faisait un peu froid, il faisait nuit. C'était magique. 

Je mettais cette chanson. J'étais fascinée par les premières notes, elle commençait comme avec de petits coups de lumière dans le vide. Je me sentais plongée dans un endroit très beau et très triste à chaque fois que je dansais dessus, mais c'était l'émotion dont j'avais besoin à ce moment là, alors... j'étais en parfaite harmonie avec moi-même. Je ne m'autorisais à n'en profiter que sept fois, sinon j'aurais souhaité que la musique et la danse ne s'arrêtent jamais et il ne fallait pas que j'oublie de dormir.  

Je me suis autorisée à danser sur cette chanson devant un public récemment - j'avais peur que partager cette chanson ne casse la magie. Ça n'a pas été le cas. J'ai dansé avec une amie, je crois que cela a surpassé mes meilleurs moment de danse en solitaire. 

Je ne peux pas parler, vous savez. Enfin, rarement et avec difficulté. Me faire des ami∙es a été un peu difficile mais en trouvant les bonnes j'ai compris que la parole n'était pas le seul moyen de communication existant. 

La danse est une façon tellement plus juste de communiquer. J'ai dansé avec Nora, j'ai eu l'impression de parler une langue secrète que tout le monde pouvait comprendre, d'avoir la conversation la plus touchante qu'on puisse avoir, seulement avec des gestes. J'aime quand je peux tout dire seulement avec des gestes (je ne veux pas dire que je n'aime pas les interviews). Alors mon meilleur moment, sans hésitation : danser avec Nora en criant des choses que tout le monde ressent mais que personne ne peut dire. Devant un public inconnu. C'est pour ce moments que j'ai consacré ma vie à la danse. 

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