10. Le Terrier du Lièvre Noir

Joyeux Halloween !

média : The Owl house  :'Thanks to them'  3x01, Dana Terrace (2022)

tw : anxiété sociale, mention de maltraitance, transphobie et homophobie, sous entendu sexuel, harcèlement, mention de mort mais ce n'est pas un chapitre très lourd malgré tout.

Tout les magasins ont revêtus un déguisement d'Halloween. De la pharmacie, qui se contente d'une ribambelle de fantômes en papier, jusqu'à la boulange qui en a fait son nouveau fond de commerce : Il y a un génie de la créativité tapis dans leurs cuisine qui attend cette fête pour resurgir chaque année avec de nouveaux designs de friandises et gâteaux en forme de cerveaux, squelettes, citrouilles ou chapeaux de sorcier∙es. 

« Ces anglo-saxons sont vraiment partout, soupire un homme d'un certain âge depuis le terrain de pétanque, personne ne se souciait d'Halloween à mon époque. »

Robin n'est pas totalement en désaccord avec le vieil homme. Le capitalisme américain n'est pas l'avenir qui le fait rêver pour la France non plus... mais il aime trop Halloween pour se soucier du caractère politique de la chose. Aujourd'hui il a envie de passer la meilleure soirée possible sans se prendre la tête.

Il ouvre la fermeture de sa doudoune, ajuste son bonnet sur lequel est épinglé un badge bleu, rose et blanc puis pousse la porte du Terrier du Lièvre Noir.

Il s'agit d'une boutique un peu à l'écart des autres qui n'a pas attendu Halloween pour avoir l'air d'être tenue par une sorcière. On ne voit personne y entrer, des chats y traînent parfois, on peut y trouver tout un tas de fioles et de racines. Il est tenu par une femme aux cheveux pleins de feuilles mortes et de branchages qui porte toujours des robes longues. La plupart des gens diraient qu'elle est bizarre, mais Robin se dit souvent que trouver les gens bizarre c'est une conséquence du validisme. Les personnalités atypiques en question sont souvent autistes, en fait. Il n'en a parlé à personne, mais il pense que sa thèse se tient. 

« Bonjour mademoiselle ! »

Robbie se raidit. Son regard croise celui de la vendeuse et il y a un moment de flottement durant lequel iels se toisèrent. 

« Excuse-moi, se corrige-t-elle en jetant un regard à son badge, je peux faire quelque chose pour toi, bonhomme ? »

Il sourit, bien qu'un peu vexé que ce soit son badge qui indique son genre et pas son passing, mais oublie vite tout ça pour désigner la boite à musique qu'il convoite depuis plusieurs semaines. 

Il a patienté depuis de nombreux samedis pour récolter la somme nécessaire avec son argent de poche. Il avait peur que l'objet ait disparu quand il aurait enfin de quoi l'acheter. Cette boite a l'air tellement cool ! Il a hâte de la montrer aux autres. Et il est sûr que ce n'est pas une boite à musique ordinaire. 

« Tu veux l'acheter ? Elle coute quinze euros. »

Il hoche la tête, sort de sa poche un billet de vingt qu'il tend par dessus le comptoir. La femme saisit la boite et la monnaie à rendre. Elle propose un sac, il secoue la tête de gauche à droite et sourit de nouveau en guise de remerciement quand il a enfin la boite en main. 

Il la contemple sur tout le chemin du retour, songeant qu'il aurait peut-être du accepter le sac au vu de comment l'artefact s'agite dans le panier de son vélo. Trop tard. 

Il s'arrête devant sa petite maison, gare la bicyclette dans le garage, enlève son badge pour le mettre dans sa poche et crie un « Coucou ! » sonore à destination de son grand frère et de sa mère qui doivent être à l'étage. 

Il pose la boite dans sa chambre, préférant qu'elle ne se voit pas trop, et va s'appuyer devant la porte entrouverte de la pièce où sa mère pianote rapidement sur les touches de son ordinateur. 

« C'était bien ? 

Elle parle du cours de céramique où Robin se rend tout les samedi matins, juste après la psychologue. Parce que la psychologue, elle, on en parle jamais. 

- J'ai émaillé ma citrouille, Thomas a dit qu'il pourrait la cuire pour la prochaine fois. 

- Super. Et tu t'es fait des amies ?

Au mois d'octobre, il est un peu bête de poser encore cette question. La réponse est toujours "non". Il n'a même pas réussit à parler aux autres élèves.

- Je dors chez Redouane, ce soir. rappelle-t-il. 

Halloween oblige, lui et ses amis se sont donnés rendez-vous chez Red pour regarder des films d'horreurs et faire la tournée de bonbons. Sa mère fait mine de sourire. Elle préférerait sans doute qu'il soit dans une bande de filles... même si lui ne saisit pas trop la différence. 

Mais au moins, pour une fois, il a des amis. 

- Je t'accompagnerai à six heures. 

- Oh... je pensais que je pourrais y aller à vélo ? suggère l'adolescent. Je suis grande, maintenant !

En réalité il n'aime pas du tout mêler ami∙es et famille étant donné qu'il n'est pas du tout la même personne à l'école et à la maison. 

- Tu vas rouler trente minutes dans la nuit ? Et sans casque ? questionne la mère, septique. 

Et avec des écouteurs en plus. Ajoute-t-il dans sa tête. Il meurt d'envie de ré-écouter le dernier single de girl in red.

- ... oui ? 

- Mets la dynamo, soupire la femme en se levant et en lui claquant un baiser sur le front. Et ton gilet jaune. »

Robin se demande ce qui est le plus honteux entre pédaler dans les rues en costume de loup-garou ou pédaler dans les rues avec un gilet jaune. Il finit par opter pour la deuxième option, se disant que s'il se concentre sur la musique son anxiété ne fera pas des siennes. Il a raison, puisque le trajet jusqu'à l'appartement de la famille de Red se passe sans encombre. L'ambiance d'Halloween, la musique et l'odeur de la nuit son bien trop agréables pour le laisser paniquer. 

Charlie est déjà là. Il se précipite dans les escaliers pour dire bonjour au nouvel arrivant quand il l'entend entrer. C'est le plus petit de la bande, aussi bien en âge qu'en taille. Quand ils se sont rencontrés on le traitait de petit gros et on collait des chewing-gums dans ses longs cheveux blonds. Mais maintenant qu'ils sont amis avec Tim et Red, ça n'arrive plus. 

La mère de Red crie un "bonjour" auquel Robin répond par un signe de main. Il n'a même pas le temps de se montrer plus poli que Charlie lui a déjà attrapé la main pour l'entrainer jusqu'à la chambre de leurs ami. 

Red est le plus grand de la bande en taille, ce qui n'aide pas la dysphorie de Robin, mais c'est aussi le plus soucieux des autres. Il passe le plus clair de son temps à déconner mais sait reconnaitre quand une situation est sérieuse et s'y adapter. 

« Salut mec ! s'exclame-t-il en voyant Robin entrer. Je t'en supplie, mange des smarties, il faut qu'on finisse le paquet ce soir si on ne veut pas que mes darons les trouvent. 

Le nouveau venu sourit et attrape le petit sachet que l'autre lui tend en hochant la tête pour remercier son ami. 

- Tu ne sais pas quand Tim arrive, par hasard ? demande Charlie.

Robin réfléchit à comment expliquer qu'il était supposé arriver avant lui avec des gestes puis finit par se dire que ce n'est pas important et hausse les épaules à la place.

- Bon, la grande question, c'est ce qu'on regarde comme film après la tournée de bonbecs ? J'ai fait une liste avec trente-et-un films et je sais pas quoi choisir entre ceux qui se passent à Halloween ou les films d'horreurs, ceux que j'ai déjà vus ou ceux qui j'ai envie de découvrir. Si on fait une nuit blanche on peut en regarder trois. J'ai pas mis Harry Potter exprès pour nous défaire de la dépendance à J.K-la-TERF mais j'ai Paranorman, the Craft le remake et l'original, Ginger Snaps, à peu près toutes les adaptations de Stephen King, Esther 1 et 2, Hocus Pocus 1 et 2.... »

Il est interrompu par des bruits au Rez-de-Chaussé qui indiquent que le dernier membre du groupe a débarqué. Charlie se lève de nouveau pour aller le saluer et cette fois les deux autres suivent. 

Tim est le plus beau de la bande. Il est tout juste un peu moins grand que Red, a de longs cheveux noirs, des bracelets de forces et vestes en cuir qu'il doit voler quelque part. Il n'a pas été bousillé par la puberté ni pour le poids, ni pour les dents, ni pour l'acné, ce qui est quand même une sacrée chance. Beaucoup s'accordent à dire qu'il est né sous une bonne étoile car en plus de sa beauté, il est riche - les deux sont sans doute un peu liés - mais ses amis savent qu'ils n'ont pas à envier sa vie malgré tout. Le peu de fois où ils ont croisé sa mère sont encore gravées dans leurs mémoires. C'est une femme revêche et stricte qui ne sait pas montrer d'amour et n'hésite pas à frapper, priver de nourriture et engueuler son fils. 

Raison pour laquelle ils n'ont pas fêté Halloween chez lui. Ils ne l'ont pas fait chez Charlie non plus parce que ces parents travaillent de nuit, pas chez Robin pour éviter d'avoir à le mégenrer et l'appeler par son prénom de naissance toute la soirée. Red a fini par négocier avec sa mère bien qu'il ai affirmé que "essayer de fêter Halloween avec des parents musulmans, c'est impossible". Ils découvriraient plus tard qu'il avait dut promettre de deux fois plus de corvées pendant toutes les vacances pour obtenir cette soirée. 

Un loup garou, un fantôme, un diable et un squelette armé d'un sac monoprix - faute de récipient en citrouille - s'aventurent dans les rues de la ville vers dix-neuf heures. Ils n'ont pas pour objectif premier de récolter des bonbons. Ils projettent plutôt d'aller taguer les tunnels près du chemin de fer. Les pots de peintures sont rangés dans le sac de Robin, juste à coté de la boite à musique, ils n'ont pas trouvé de bombes.

Ce n'est pas une grande ville, on croise souvent un visage connu quand on s'y balade, et en arrivant aux alentours du cinéma ils comprennent que leurs classe s'est organisé un truc. Ils n'ont bien sûr pas étés invités et, bien sûr, il fallait qu'ils atterrissent pile à l'endroit où leur ennemi pourrait ruiner la meilleure soirée de l'année. 

Ils baissent la tête en passant devant la foule de camarades qui fait la queue dehors. Ils ne répondent même pas au salut de main que leurs font quelque élèves. Ils tracent. 

Mais une grande silhouette leur barre le passage. 

Robin, qui n'est déjà pas très grand, se sent toujours petit comme une fourmi quand il est face à Antonin. C'est un garçon de leurs classe avec une voix qui porte bien et qui aime bien s'en prendre à plus petit que lui. Il est surement considéré comme beau par les gens ordinaires qui aiment les physiques ordinaires, ce qui explique pourquoi n'importe qui peut le suivre dans ses délires. Iels ne doivent pas avoir conscience du mal qu'iels font en riant aux railleries d'Antonin. Si Robin n'avait pas comprit qu'il était homophobe et transphobe dès leurs première rencontre il l'aurait peut-être suivi aussi, après tout. Mais le hasard a fait que la première fois qu'ils s'étaient vus Antonin disait des choses insultantes à propos de la longueur des cheveux de Tim et de sa présumée homosexualité. 

Ensuite il s'était acharné sur Robin. Il s'appliquait à se tromper de pronoms à chaque fois qu'il s'adressait à lui. Et cela n'était pas pour arranger le fait que l'anxiété de Robin l'empêchait de parler avec toutes les personnes qui n'était pas sa famille. Il pouvait à peine glisser quelque mots à ses amis, alors face à une brute d'école, il se retrouvait réduit au silence. Complètement muet. Et terrifié. 

« Alors ma jolie, t'en a trois pour toi ce soir. dit-il en s'approchant de Robin qui recule instinctivement vers Tim et à qui Red prend la main. 

- Laisse-le tranquille. Exige ce dernier en ponctuant ses paroles avec son regard le plus dur. 

- Ton genre c'est plus les losers, mais tu sais, moi je suis là. (Il mime un acte sexuel avec sa bouche et ses doigts et Robin se déteste de se sentir reculer encore plus.)

- Tu sais, draguer à ce point un mec, c'est un peu gay. intervient Tim.

- Ouais, si c'était un vrai mec. rigole l'autre. 

- T'es tellement cliché, c'est triste à voir. »

Ils ne disent rien de plus car Red a eu le temps de sortir un pot de peinture rose, de l'ouvrir et de le balancer à la figure d'Antonin. Ils ont à peine d'occasion de savourer leurs petite victoire qu'ils doivent se mettre à courir pour échapper à la furie qu'ils viennent de créer. 

Enfin arrivés à la lisière du bois qui longe le chemin de fer ils décident de s'arrêter. On ne les suivra pas ici. Qu'iels l'avouent ou pas, la plupart des gens ont peur du noir. 

« Ça va, tu n'as rien ? » se soucie Tim en regardant Robin. 

Il remercie le ciel que personne ne puisse voir à quel point il rougit dans le noir puis secoue la tête.

Il lève l'index pour indiquer aux autres d'attendre pendant qu'il fouille dans son sac à la recherche de la boite. Une fois qu'il la sort, il n'a pas besoin d'expliquer, ses amis sont déjà fascinés. Vous comprendriez, si vous pouviez la voir. 

- Faites gaffe en l'ouvrant, qu'on se retrouve pas sur une île de grenouilles... plaisante Tim qui ne reçoit aucune réaction. 

- Je suis sûr que c'est une boite à voeux, dit Red en faisant tourner l'objet entre ces doigts. Il sort du petit tiroir de bois un papier vierge. On écrit notre voeux sur le papier, on le met dans le tiroir et on fait tourner la manivelle. Une fois que la musique est finie le voeux est exaucé. 

- Rhaa n'importe quoi, soupire Charlie en levant les yeux au ciel. 

- Tsss tsss tsss, pas de "n'importe quoi" le soir d'Halloween ! » s'écrie Tim faussement outré. 

« Je souhaite qu'Antonin nous foute la paix. » Écrit Robin sur le bout d'un papier déchiré (le genre de truc dont il s'est dit qu'il "le jetterai plus tard") avant de le faire lire aux autres. Tous approuvent avec fermeté. 

Robin s'agenouille sur les feuilles mortes, la boite à musique en équilibre sur la souche d'un arbre, range le papier dans le tiroir et fait tourner la petite manivelle de métal. Le crâne qui trône devant le miroir cassé tourne à l'intérieur de la boite. Une mélodie inconnue s'élève dans le silence de la nuit. Les garçons restent silencieux, happés par la musique.

La matin d'après ils sont éparpillés dans différent coins de la chambre de Red. Celui-ci a regagné son lit et Charlie dort juste à coté de lui, dans un matelas gonflable. Tim et Robin, eux, ce sont endormis sur la pile de coussin qui a servit de canapé quinze minutes après avoir commencé leurs troisième film d'horreur. 

Ils sont tous réveillés en sursaut par la mère de Red qui ouvre avec énergie la porte de la chambre. 

« Les enfants, vos parents ont appelés, ils veulent que vous rentriez tous chez vous. s'écrie-t-elle.  Vous avez quinze minutes pour vous préparer. Robin, Charles, je vous dépose. Et Timothé, je n'apprécie pas vraiment que tu n'es pas prévenu ta mère que tu dormais ici. 

Celui-ci grogne en passant une main sur son front. 

Robin, assez réveillé pour comprendre qu'il se passe quelque chose de grave mais pas encore assez pour laisser son angoisse le dévorer s'écrit - de sa voix enrouée d'être trop peu utilisée :

- Qu'est-ce qui se passe ? 

On le dévisage un peu, comme à chacune de ces rares interventions vocales, mais la mère de Red ne s'en préoccupe pas :

- Un de vos camarades à été retrouvé mort dans la forêt. annonce-t-elle d'une voix blanche. Antonin Leroux. »

Quand la voiture passe devant la rue isolé du centre ville pour monter la pente qui ramène à la maison de Robin, celui-ci tapote l'épaule de Charlie et lui désigne du doigt un espace vide. Car le Terrier du Lièvre Noir à disparu. Un mur blanc un peu vieilli se tient à la place. Comme si la boutique n'avait jamais existé. 

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