Dimanche 8 Novembre

Cher Journal ;

J'ai fait un rêve, enfin plus précisément, j'ai fait deux rêves, mais il faudra que je revienne là-dessus plus tard.

Déjà, j'ai parlé de Loyd à Sam. Enfin.
C'est ma meilleure amie, on habite à 200 mètres à peine l'une de l'autre, mais on se voit et on se parle tous les trente-six du mois.
Je lui ai dit que j'avais flashé sur un gars de mon lycée, sans pour autant donner plus de détails, et j'ai ajouté qu'il faudrait quand même qu'on pense à se capter avant la fin des vacances.
Résultat, demain c'est la rentrée et on ne s'est pas vues une seule fois.

Demain c'est la rentrée...

Faut dire que c'est passé super vite aussi.
J'ai à peine eu le temps de faire mes devoirs.
Déjà j'étais soulée, et en plus j'avais trop de mal à me concentrer avec tout ce bruit...

Loyd et moi on s'est pas revus depuis Halloween sinon. Ses parents étaient rentrés, moi j'évitais de trop sortir pour que les miens ne pètent pas un plomb à me reprocher de sortir de tout le temps et de ne jamais travailler, et on avait tous les deux nos vies chacun de notre côté de toute façon.

Par contre, on continue de se parler tous les jours plusieurs fois par jour, ça c'est certain.

Un soir, il m'a envoyé le lien d'une musique qui est dans le film qu'on a vu ensemble, RockNRolla.
La chanson s'appelle Rock'n'roll Queen, et elle est géniale. Du genre qui met la pêche même quand t'as pas trop la forme. Je l'écoute en boucle depuis quelques jours, et forcément j'ai focalisé sur les paroles, parce que j'ai encore eu l'impression que Loyd essayait de m'envoyer un message. C'est sûrement ma parano qui parle.

You are the Sun, you are the only one. My heart is blue, my heart is blue for you. Be my, be my, be my little rock'n'roll queen.

Je veux bien être sa rock'n'roll queen quand il veut hein.

C'est horrible dans un sens parce que : je sens vraiment que je développe des sentiments pour lui, sentiments que j'aurais du mal à expliquer d'ailleurs, mais je les réfrène, je lutte contre eux, je tente de les cacher à tout prix...

Et cette nuit, il y eu a ce foutu rêve qui est venu me perturber comme c'est pas permis.

D'abord, je vais te raconter mon premier rêve, celui que j'avais fait quelques mois plus tôt, mais que j'avais pas notifié, et qui m'est revenu tout d'un coup dans la face comme ça, comme un souvenir, juste histoire de dire « eh coucou je suis là, souviens-toi de moi, tu verras, c'est important. »

Oui parce que, je fais des rêves tellement détaillés et tellement réels que j'arrive à m'en souvenir même des années après. Ça m'a beaucoup porté préjudice d'ailleurs, vu que des fois j'ai carrément du mal à faire la différence entre ce dont j'ai rêvé et ce qu'il s'est réellement passé. C'est particulièrement déroutant.

Enfin, il y a de ça quelques mois, c'est à dire bien avant mon entrée en au lycée, ma rencontre avec Loyd et quoi que ce soit, j'ai fait un rêve.
Dans ce rêve, je me trouvais dans mon lycée actuel.
Jusque là, rien d'anormal, j'avais déjà été faire des cours de sport dans le gymnase, normal que je connaisse les lieux.
Mais dans mon rêve, je m'en souviens parfaitement, je venais pas pour faire un cours de sport ni rien de ce genre.
À vrai dire, je sais pas trop ce que je foutais là, mais je me souviens que l'intérieur du lycée était plongée dans une douce lumière floue, un peu comme si le soleil d'un matin d'été avait envahi tout le rez-de-chaussée, c'était à la fois déstabilisant et agréable. Ça avait un caractère irréel, comme si en rêvant, je sentais que j'étais dans un rêve.
J'étais rentrée par la porte qui est du côté de la cathédrale, autrement dit la porte qui sert habituellement de sortie, et j'avais longé le petit couloir qui dessert la permanence, l'infirmerie, le bureau de vie scolaire, le foyer, la machine à café, les toilettes, et ce qu'ils appellent l'aquarium pour enfin arriver au centre névralgique du lycée, l'endroit où se trouvent les casiers, la plupart des salles de cours, et la double porte qui donne sur les escaliers qui mènent aux premier et deuxième étage.
Au bout de ce centre névralgique se trouve un porte qui est, en théorie, la porte d'entrée principale.
C'est par-là que la plupart d'entre nous rentrons tous les matins, puisqu'elle donne sur la cour qui elle-même donne sur un joli portail rouge foncé, ouvert de 7h00 à 8h environ.

Bref, j'étais rentrée dans le lycée et j'avançais, baignée par cette lumière douce et agréable mais qui me donnait la drôle de sensation d'être perdue, et autour de moi, il y avait des couples.
Des couples. Partout.
En train de se câliner, de se galocher... J'étais seule au milieu de tout ce beau monde qui ne faisait plus attention aux alentours. J'ai avancé jusqu'aux casiers, et, arrivée à ce niveau-là, je me suis de nouveau retrouvée confrontée à des couples.

J'avais l'impression de ne pas exister, d'être invisible ; pourtant, en face de moi, arrivant par l'entrée principale, il y avait un garçon qui marchait dans ma direction.
Il était seul, comme moi, semblait également perdu, et il marchait vers moi comme s'il me cherchait.
Je n'ai pas distingué son visage parce que ses traits étaient envahis par la lumière, je me souviens juste qu'il n'était pas très grand et qu'il était brun.

Je crois que ce garçon, c'était Loyd.

Le plus bizarre, c'est que je me souviens des sensations que j'ai éprouvé dans mon rêve.
Je me souviens qu'à partir de l'instant où j'ai vu ce garçon apparaître dans la lumière, j'ai ressenti du soulagement, je me sentais parfaitement bien, j'avais fait abstraction du malaise d'avoir plein de couples autour de moi. C'était comme si le voir lui s'apparentait à une évidence : tout le monde avait trouvé quelqu'un, et la personne qui devait me compléter était enfin là pour me rejoindre.

Peut-être que mon esprit associe le garçon de ce rêve à Loyd parce qu'on s'est rapprochés récemment, mais il y a quelque chose en moi qui ne peut pas s'empêcher de se dire que c'est bel et bien lui, que c'est sa personnification.
Est-ce que ça veut dire que ce rêve est prémonitoire ?

En tout cas, une chose est sûre, c'est que je l'ai vraiment fait avant la rentrée en Seconde.
J'ai retrouvé un dessin que j'avais fait pour illustrer ce fameux rêve, bon un dessin moche, certes, mais qui résume plutôt bien les choses.
Il est daté du 15 Juin.

Le deuxième rêve que j'ai fait date de cette nuit.
Beaucoup plus récent, et pourtant, beaucoup moins de détails.
Pour la faire simple, je vais résumer en cinq mots : j'ai rêvé que j'embrassais Loyd.

Enfin, je sais pas trop si c'est lui ou moi qui a embrassé l'autre, je sais même plus comment on en est arrivés là, mais ce matin je me suis réveillée avec une espèce de gêne incompréhensible.

Du coup aujourd'hui, quand Loyd est venu me parler sur MSN, j'étais plus froide et plus distante que d'habitude.
Il l'a remarqué, et il m'a demandé ce qui n'allait pas.
J'ai fini par cracher le morceau, enfin, à moitié.

« J'ai fait un rêve bizarre. » j'ai écrit.
« T'as rêvé de quoi ? »
« De qui, plutôt... »
« T'as rêvé de moi ??? »
Plein de smileys qui sourient jusqu'aux oreilles ont accompagné sa question. Mais comment il a deviné bon sang ?
« Oui », j'ai répondu en rougissant comme une écrevisse trop cuite derrière mon écran.
Heureusement qu'on était pas l'un en face de l'autre, j'aurais pas eu l'air fine...
« On faisait quoi ? » qu'il a demandé, toujours avec plein de smileys très souriants.
« ... »
Très explicite comme réponse, on est d'accord. Pourtant je pense que ça a suffit à lui faire comprendre.
J'ai stressé comme une dingue quand j'ai vu le « Loyd est en train d'écrire... » s'afficher en bas de l'écran et rester bloqué pendant trois heures.

Enfin, ça a duré trente secondes à deux minutes grand max, et je savais pas très bien pourquoi je stressais.

« Et donc ? » a finalement envoyé Loyd, sans smileys cette fois.
Et donc ? Je m'attendais à autre chose. Je sais pas quoi, mais autre chose.
« Bah je sais pas, c'est bizarre c'est tout. » j'ai tenté d'expliquer.
« C'est juste un rêve tu sais, c'est pas grave »
Oui voilà, c'est juste un rêve.
À ce moment précis je me suis sentie un peu triste, je savais toujours pas d'où ça venait.
« Aucune chance que ça arrive irl, c'est vrai » j'ai répondu avec un petit smiley qui rigole, histoire de dédramatiser la situation.
Il a juste répondu « ahah », également avec un petit smiley mort de rire, puis il a enchainé sur une toute autre conversation.

On a parlé musique, comme d'habitude, et j'ai estimé que c'était à mon tour de lui envoyer une chanson.
J'ai choisi Alien, du dernier album de Tokio Hotel, parce que c'est l'une des chansons que j'écoute le plus, et que certaines paroles me font penser à ce que je ressens. Des fois qu'on communique par paroles de chansons...

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La réaction de Loyd a été sans appel :
« Ah, c'est de l'allemand...
Ah ! C'est Tokio Hotel ! Non mais ne me dis pas que t'écoutes ce truc... »
J'ai souri derrière mon écran et on a commencé à débattre du groupe.
« Tu pourras dire tout ce que tu veux, mais n'empêche que grâce à eux, ma moyenne en allemand à augmenté de six points. Et j'aime bien ce qu'ils font. » j'ai expliqué.
Loyd a protesté :
« Mais leur paroles sont vides de sens, c'est juste l'histoire d'un ado pré pubère qui s'invente des problèmes, et même musicalement, écoute du Marylin Manson c'est tellement plus profond... »
Il a voulu m'envoyer les paroles de mOBSCENE, mais il a galéré à cause de son correcteur orthographique automatique qui n'arrêtait pas de corriger le mot.
J'ai rigolé avant de répondre :
« Mais j'écoute du Marylin Manson aussi, ça ne m'empêche pas d'aimer les deux. Puis je sais dire plein de trucs en allemand grâce à TH. »
« Moi je sais compter jusqu'à dix grâce à Rammstein. Je sais dire d'autres truc un peu aussi. »
Il m'a récité les chiffres de 1 à 9 et a fini par « aus » J'ai pas pu m'empêcher d'exploser de rire derrière mon écran.
« C'est quoi qu'il dit déjà, c'est auf ou aus ? » il a demandé.
« "Aus" ça ne veut pas dire dix, chou, dix ça se dit "zehn". Sinon j'aime beaucoup Rammstein aussi. Tu sais dire quoi d'autre ? »
Il m'a balancé des mots classiques, du style guten tag, auf wiedersehen, danke, bitte schön, ich mag Shokolade...
« C'est tout ? » j'ai dit avec un petit smiley pour me moquer de lui.
Et puis, pour le narguer encore plus étant donné qu'il n'aime pas ça, j'ai enchainé sur la chanson Geisterfahrer en balançant les paroles du refrain :

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« Küss mich jetzt im Gegenlicht, wie'n Geisterfahrer suche ich dich. Die Nacht ist kalt, ich fahr allein, wie'n Geisterfahrer um endlich bei dir zu sein. »

C'est à ce moment là que je me suis rendue compte que la musique me parlait.
Parce que concrètement, tout ça, ça veut dire « embrasse-moi maintenant dans le contre-jour, comme un cavalier fantôme je te cherche. La nuit est froide, je conduis seul, comme un cavalier fantôme, pour enfin être près de toi. »

C'est pas comme si le contre-jour, le coup du je te cherche et même de la nuit qui est froide ne correspondaient pas parfaitement à mon rêve potentiellement prémonitoire, non non...

Quand Loyd a vu que la phrase commençait par « küss mich », il a stoppé d'énumérer tous les mots qu'il savait dire en allemand et il a écrit :
« Qui c'est qui t'embrasse ??? »
J'ai failli répondre « toi, dans mes rêves », mais j'ai pas eu l'audace.
Alors j'ai tout simplement écrit :
« Excellente question. »

Puis la conversation s'est épuisée et il s'est fait tard.
J'avais presque oublié que c'était la rentrée demain...
J'ai hâte de le voir, mais je suis aussi pleine d'appréhensions. Comment est-ce qu'il va se comporter devant les autres ? Est-ce qu'on sera aussi proches ? Est-ce qu'il va assumer tous les moments qu'on a passé ensemble ? Est-ce que moi je vais assumer ?
J'ai si hâte, et à la fois je stresse tellement.
Surtout que, au moment où Loyd m'a annoncé qu'il était tard et qu'il était temps qu'il aille se coucher, et par conséquent moi aussi, il m'a écrit :
« À demain »
Smiley qui sourit, classique. J'ai répondu :
« À demain. Bonne nuit » avec un petit symbole en forme de bisou.
Je m'attendais à un « bonne nuit » tout simple de sa part, mais il a dit :
« Bonne nuit mon ange. »
Mon cœur a fondu à ce moment précis je crois.
C'est la première fois qu'il m'appelle par un surnom aussi mignon et aussi affectueux je crois. Il y a eu des « chaton », « mon cœur », et même des « chéri », mais jusqu'à maintenant, ça avait toujours revêtu une dimension amicale, si je puis dire. Alors ma réaction a été sans appel :
« Ooooh, "mon ange" c'est trop mignon, j'adore ! »
« Je trouvais que ça te correspondait plutôt bien » a répondu Loyd.
« Ça te correspond bien aussi je trouve »
« Disons que ça nous correspond bien alors. Ça pourrait être notre surnom officiel du coup ? »
J'ai souri comme une niaise en lisant le terme « surnom officiel ». Heureusement que c'était derrière un écran, parce que j'avais vraiment l'air bête.
« J'approuve cette idée à 100% » j'ai fini par répondre, et il a été temps pour lui comme pour moi d'aller vraiment dormir.