1 - Just Arrived
J'étais comme entourée de nuages. Entourée d'une mer aux teintes brumeuses qui découlait d'une imagination dont j'étais dépourvue. J'inspirai profondément et caressai de la main cette douceur opaque. Mes doigts glissèrent sur l'air aussi légèrement que si j'avais été une plume. Comment étais-je arrivée là ?
Lassée de ce paysage monotone, je laissai mes pieds épouser le sol duveteux. Il n'y avait rien à voir, pas plus qu'à entendre. J'avançai probablement vers un ailleurs incertain, mais c'était à mon goût ce que j'avais de mieux à faire pour tromper l'ennui.
Un homme. Je devais rêver. Alors que je relevai la tête, j'aperçu une forme se détacher de l'horizon. La personne était vêtue de blanc. Et après réflexion, je remarquai que c'était également mon cas. Quand avais-je pris la peine de me changer ? Je me concentrai mais mon cerveau était aussi brumeux que cet autre monde dans lequel j'évoluai. Intérieurement, je priai pour qu'il se retourne. Que cette personne croise mon regard et que je puisse y lire des explications. Ca faisait trop longtemps que j'étais coincée dans ce paysage de coton et je commençai sérieusement à suffoquer.
– Suivant !
Hébétée, je me retournai. Rien. Personne. La voix était sortie de nul part. L'homme que j'avais aperçu était en train de disparaître. Et ce n'était pas une blague : son corps se dématérialisait ! Sans écouter la petite voix qui me susurrait que ce n'était pas possible, je me précipitai vers lui pour le retenir. J'avais des questions ! Je ne savais pas bien encore lesquelles, mais j'étais certaine qu'il avait des choses à m'apprendre.
– Ah, la voilà ! chantonna la voix.
L'homme en question avait tant retenu mon attention que je n'avais pas aperçu les trois personnes qui venaient de faire leur apparition de l'autre côté. Le premier ressemblait à mon grand-père. Le dos vouté, une barbe grisonnante et des rides si marquées qu'elles sillonnaient son visage du front au menton. Il n'avait pas l'air en forme, et je me demandais quelle raison avait pu le pousser hors de son lit.
Le second était un petit jeune. Enfin « petit » était une façon de parler. On devait bien avoir le même âge, lui et moi. Juste qu'avec sa peau de bébé, ses cheveux blonds peignés en arrière et les fossettes qui marquaient ses joues d'une touche charmante, il avait l'air plus jeune qu'il ne l'était probablement.
Le dernier, ou plutôt la dernière, était la plus belle femme que je n'avais jamais vue de ma vie. Elle possédait une sorte d'aura qui attirait les regards et, en la voyant, je me doutais des ravages qu'elle devait provoquer parmi ses homonymes masculins. Ses longs cheveux blonds cascadaient jusqu'à sa taille et je pensais à ces créatures de rêves, presque inhumaines, représentées dans les contes pour enfants avec la nette impression de me retrouver face à l'une d'elle.
– Bien, avança le vieil homme en claquant des doigts. Commençons.
Une chaise apparut pour que je puisse m'asseoir. Enfin, c'était beaucoup dire, pensai-je en voyant les nuages se condenser à hauteur de mes genoux pour former ce qui me permettrait de poser mes fesses.
Le vieil homme claqua une nouvelle fois des doigts, et je vis, à ma grande stupéfaction, un tribunal nuageux se former devant moi. Claquer les doigts pour manipuler la matière à sa guise, c'était pratique. Dommage que je n'y avais pas songé plus tôt... Attendez, j'avais bien dit « tribunal » ?
J'observai, ou plutôt détaillai, les trois visages qui me dévisageaient gravement, et déglutis avec difficulté.
– Etna, Etat de New-York, dix-sept ans, morte dans un accident de voiture, annonça le vieil homme.
– Morte ? m'entendis-je murmurer.
Je sursautai alors qu'un visage apparaissait sur ma gauche. Je ne l'avais pas vu arriver, celui-là. Un second suivit, puis d'un troisième. Et bientôt, ce ne fut non pas une cinquantaine, mais bien une centaine de personnes, toutes sorties de nulle part, qui nous observaient en silence, le visage placide, nullement attendri par la situation.
– Morte, répétai-je, comme pour m'en convaincre. Comment est-ce possible ?
– C'est ce que j'aimerais également comprendre, marmonna le vieil homme d'une voix qui se voulait contenue mais de laquelle s'échappaient d'infimes tremblements. Qui était responsable d'elle ?
La tension grimpa d'un cran, chacun s'évertua à admirer proprement ses chaussures. Brusquement, il n'y avait plus personne pour lui répondre. Tout comme il n'y avait personne pour répondre à mon désarroi. Que faisais-je là ? Comment pouvais-je être morte tout en étant pleinement consciente de la scène qui se déroulait à cet instant ? Il devait y avoir erreur.
Le vieux s'agita, impatient sur son fauteuil cotonneux. Les épaules recroquevillées, la face misérablement assortie au blanc immaculé de mes habits, je ressentis plus que je n'entendis la fureur qui bouillait en lui et décidai de ne pas intervenir. Instinct de survie, pour ainsi dire, bien qu'apparemment ces propos ne m'étaient plus appropriés.
– Qui est responsable ? beugla-t-il.
A cet instant, j'étais certaine que les tremblements que j'avais perçu dans sa voix n'étaient en rien dû à son grand âge. Si l'on omettait les crevasses qui le faisaient tenir davantage de l'épave que de l'humain, ce vieux était en pleine forme !
Son regard parcourut la foule avant de rencontrer mon regard. Je baissai immédiatement les yeux, éhontée des pensées qui m'avaient effleurées l'esprit.
« Je t'entends penser » résonna une voix dans mon esprit.
– C'est impossible ! m'exclamai-je, outrée, en me redressant.
– Assieds-toi.
Mes lèvres se pincèrent malgré moi. Je restai débout, silencieuse, refusant d'obéir. Pour qui me prenait-on ?
– Je suis morte ? ricanai-je, suffisante. Alors qu'est-ce que je fous à me pavaner sur un putin de nuage ?
– Assied-toi, répéta le vieux, d'une voix fatiguée.
– Vous savez quoi ? Je n'ai pas envie de me rasseoir, donc faudra vous y faire. Vous pensez qu'il vous suffit de donner des ordres pour qu'on vous obéisse ? Eh bien vous vous mettez...
– Assis !
Une forte pression me prit à l'estomac et je me retrouvai assise sur mon pouf duveteux sans avoir esquissé le moindre geste.
– Bien. Pas d'explications, je vois... dit-il en lorgnant les spectateurs venus observer. Sarah, apportez-moi le registre des pairs, s'il vous plaît. Nous allons régler cette affaire tout de suite.
Un murmure de protestation s'éleva. La jeune femme que j'avais distinguée à sa droite leva les yeux au ciel et pointa son index sur la droite, là-même où apparut, comme par mystère, un énorme livre relié en cuir. Elle le souleva à bout de bras, comme s'il avait été aussi léger qu'une plume et le tendit en souriant au vieux schnock qui se tenait à côté d'elle.
– Je te remercie, balbutia-t-il.
Les lèvres tendues, le vieux souffla sur les pages qui défilèrent à une vitesse incroyable avant de se figer à la moitié du livre.
Pratique.
– Etna, Etna, marmonna-t-il en descendant la liste du doigt.
Je l'observai, curieuse de ce qu'il allait trouver.
– Ah, c'est ici ! Etrange... Oui, comme c'est étrange, répéta-t-il pour lui-même en fronçant les sourcils. Il faudrait que je consulte le livre noir. Quand a-t-il été mis à jour pour la dernière fois ?
– Il y a environ un mois, répondit le jeune homme à sa gauche.
– Hmm... Je crois qu'on n'a pas le choix.
– Vous n'y pensez pas ! s'offusqua Sarah. C'est insensé !
Un brouhaha s'éleva de la foule qui observait. Je ne comprenais pas ce qui était sur le point de se produire, mais au vu de leurs protestations, je me doutais que cela ne leur plaisait pas.
– Taisez-vous ! aboya le vieil homme entre ses rides. Ce n'est pas à vous de décider. Que vous le vouliez ou non, il en sera ainsi. Amenez-là à Rosario.
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