20 - Héléna: dans l'antre du serpent

            Héléna resta bouche bée après les propos de l'ambassadeur. Elle, servir de vitrine ? Elle tenta de se ressaisir rapidement. La vitrine ne devait pas rester sans voix, sinon cela la rendrait moins séduisante.

     — Non, monsieur l'ambassadeur, finit-elle par articuler. Tant que je peux être utile à mon pays...

     L'homme voulait l'utiliser comme « First lady » honoraire parce qu'elle était jeune et savait faire une révérence. A quoi tenait la diplomatie, franchement ?

     En tout cas, cela signifiait qu'il n'y avait pas de piège à l'horizon.

     La voiture passa un contrôle devant un garde et entra lentement dans la cour d'une jolie résidence de type colonial, souvenir de la présence britannique du XVIIIe siècle.

     — Le Ministère de l'intérieur, annonça Blanchard.

     Un homme en livrée ouvrit la portière pour l'ambassadeur. Héléna n'attendit pas qu'il fasse le tour et descendit seule. Elle était déjà très impressionnée, et elle n'était pas encore à l'intérieur. Elle s'obligea à respirer lentement.

     Ils furent reçus tout de suite par Sidek. Héléna se rappela ce que Hugo soupçonnait et dut faire un effort pour lui sourire. Elle esquissa une révérence mais descendit moins bas que pour les souverains. Il ne fallait pas exagérer.

     Sidek engagea la conversation avec l'ambassadeur, lui demanda où en était la coopération culturelle sur l'exposition au Musée des arts premiers à Paris, et Héléna n'écoutait que d'une oreille. Elle en profitait pour regarder autour d'elle. Elle était entrée au Quai d'Orsay une fois, et c'était le second Ministère où elle mettait les pieds. Puis elle fut ramenée brutalement sur terre quand Sidek se tourna vers elle.

     — Je suis enchanté de votre présence, mademoiselle. J'ai insisté auprès de votre ambassadeur pour que vous l'accompagniez. Bienvenue au palais.

     — Merci, Votre Excellence.

     Un joli sourire accompagna cette phrase. Cela ne lui coûtait rien, et cela ne l'empêchait pas d'être en alerte. Pourquoi Sidek voudrait-il la voir ?

     — Vous rendez toujours visite à votre compatriote, ce malheureux garçon coupable de trafic, n'est-ce pas ?

     — En effet, Votre Excellence.

     Son cœur se mit à battre tellement fort qu'elle était sûre que Sidek pouvait l'entendre. Voilà donc le cœur du problème. Elle se força à ne pas réagir au mot "coupable". La présomption d'innocence n'existait pas ici, visiblement.

     — Comment va-t-il ?

     — Il est très abattu, dit-elle prudemment.

     — Vous a-t-il dit comment il avait eu accès à la drogue trouvée sur lui ?

     Héléna ouvrit la bouche, la referma. Elle réfléchissait à toute allure. Sidek voulait des informations et savoir si Mathis l'avait impliqué.

     — Non, il ne m'a rien dit. Je ne lui ai pas demandé non plus. J'aurai l'impression de remuer le couteau dans la plaie.

     — Il ne vous a pas dit qu'il était innocent ? Après tout, c'est ce qu'il a déclaré à son avocat.

     Héléna songea qu'elle comprenait où voulait en venir le Ministre. Elle devait se montrer très circonspecte dans ses paroles.

     — Il ne m'a pas dit qu'il était innocent, ni coupable d'ailleurs.

     — Il paraît qu'il déclare avoir été piégé. Vous n'avez pas d'informations à ce sujet ?

     Héléna joua la stupéfaction, en ouvrant de grands yeux.

     — Pas du tout, Votre Excellence.

     — Il en a peut-être parlé à sa mère ?

      Héléna devait absolument éloigner la mère de Mathis des griffes de ce personnage.

     — Je suis persuadée qu'elle me l'aurait dit si c'était le cas, affirma-t-elle. Elle me dit tout.

     Sidek fit un bruit de gorge que l'on pouvait traduire par ce qu'on voulait. Cependant l'interrogatoire n'était pas terminé.

     — Votre supérieur s'appelle Hugo Fohl, je crois ?

     — Oui, Votre Excellence.

      — Il a rendu visite plusieurs fois à votre compatriote.

     — Oui, c'est le chef du service juridique, indiqua placidement Héléna.

     — Il ne vous a rien dit sur la teneur de ces entretiens ?

     — Si, il m'a répété ce que Mathis lui racontait sur la prison, sur son état de santé, des choses comme ça...

     Sidek la regarda comme un serpent prêt à fondre sur sa proie. Héléna se concentrait pour garder un visage impassible et pour surtout, surtout, ne pas rougir. N'avoir l'air de rien, n'avoir l'air que d'une ignorante...

     Blanchard intervint.

     — Vous savez, Fohl est un employé bien mystérieux, Votre Excellence. Il n'est pas du genre à partager ses informations.

     Héléna aurait voulu lui intimer l'ordre de se taire, mais ne pouvait pas. Elle resta paralysée sur place.

     — Ah oui ? releva Sidek, visiblement intéressé.

     — Là, il est en déplacement dans le Nord et n'a donné aucun motif...

     — Dans le Nord, ah tiens, dit Sidek avec une grimace.

    Héléna sentait son cœur battre la chamade. Le désastre se précisait. Elle vit Sidek froncer les sourcils et murmurer, pour lui-même. Il dit quelque chose en malais, et elle put comprendre : « aller à Padang... nord ». Le reste lui échappa.

     — Entre nous, Votre Excellence, continuait Blanchard d'un ton badin, j'ai toujours pensé que Fohl était plus porté sur le renseignement que...

      — Pardon, je ne me sens pas bien, coupa Héléna.

     Elle vacilla sur ses jambes et s'effondra sur elle-même en se tenant la tête. Blanchard s'interrompit et se pencha vers elle.

     — Mademoiselle ? Mademoiselle ?

     Héléna gardait les yeux fermés. Sidek appela à l'aide, alors que Blanchard lui tenait le bras.

     Ce fut un branle-bas général pendant plusieurs minutes. Quelqu'un posa un linge frais sur son front, quelqu'un la fit relever et l'entraîna jusqu'à un siège où elle se laissa choir sans ouvrir les yeux.

     Elle prolongea sa comédie quelques minutes encore avant de prendre un air égaré en battant des cils.

     — Pardon...je..., balbutia-t-elle.

     Blanchard lui tapotait la main avec soulagement.

     — Ce n'est rien, ma petite. Un simple malaise vagal. Entre la chaleur extérieure et la climatisation intérieure, cela se produit parfois. Je vais vous faire ramener chez vous.

     — Merci, monsieur l'ambassadeur. Je suis vraiment désolée...

     — Ce n'est rien du tout. Vous avez besoin de repos.

     Sidek se tenait en retrait et les regardait tous les deux.

     — Je suis rassuré de voir que ça va mieux. Monsieur l'ambassadeur, pourrais-je vous dire un mot ?

     Héléna s'accrocha à la main de Blanchard.

     — Monsieur, ne me laissez pas toute seule !

     Blanchard lui retapota la main.

     — Je ne vous laisse pas. Je vais vous reconduire. Je suis navré, Votre Excellence, mais ma petite compatriote a besoin de soins. Je reviendrai vous voir un autre jour. Nous fixerons un autre rendez-vous, n'est-ce pas ?

     — Certainement, dit Sidek avec un air contrarié.

     Blanchard ramena Héléna à la voiture en la tenant par le coude et il donna au chauffeur l'adresse de la jeune fille, tout en demeurant avec elle jusqu'à la porte de son immeuble. Il la laissa sur le conseil de prendre un jour de congé et de ne revenir que le surlendemain à l'ambassade. Héléna eut des remords d'avoir joué la comédie, alors qu'il s'était montré si gentil.

     A la guerre comme à la guerre, cependant.

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