Les Aléas de D. Mashara - J'ai essayé
- Paola, j'aimerais me confier, j'aimerais pouvoir me libérer autrement que par mon frère...
- Oh, trésor, raconte-moi tout. Je suis là, je t'écoute mon coeur...
Alors voilà, tu sais, je frôle bientôt la majorité maintenant. Mais tu sais, avant le lycée, je n'étais pas... Je n'étais aussi souriante, aussi optimiste, et je n'avais pas cette place de « défenseuse de la justice » que les gens me donnent.
Je n'en ai parlé à personne, mise-à-part à Amir, mon frère, celui à qui je dis tout, celui pour qui je n'ai aucun secret. Tu sais à quel point nos événements passés nous ont rapprochés et nous ont fait devenir fusionnels. Bref, nous avions une petite sœur, Mina.
Enfin, notre demi-sœur pour être exact.
Elle était magnifique. Ses boucles dorées étincelaient son teint de lait et ses yeux d'ambre la rendaient irrésistible. Dès le landau, dès nos premiers regards, j'étais persuadée que j'allais l'aimer, peut-être même plus que moi. Je savais que mon devoir était de la protéger de tous les dangers du monde. Du moins, d'essayer de la protéger au maximum.
A contrario d'Amir, Mina et moi avions eu une connexion, je l'avais toujours considérée comme ma petite sœur... et je reste convaincue que je l'aurais aimée bien plus que n'importe quelle sœur de sang.
En somme, cette petite boule d'énergie et de malice était un investissement à plein temps. Nous formions un sacré trio, une belle équipe de choc avec Amir ; même si nous lui menions la vie dure !
En réalité, cette petite Mina était arrivée à point nommé, elle avait embelli ma vie. Je n'allais plus être la seule fille ! Après, je restais la grande sœur, Amir ayant un an de moins que moi et Mina en ayant quatre.
Nous étions tout le temps ensemble, toujours à préparer des stratagèmes et autres plans pour faire des bêtises. Je te jure, de vraies chipies ultra complices !
Elle avait un réel impact hyper positif sur moi : Pétillante, toujours souriante, elle adorait la vie et elle avait une force d'esprit qui m'impressionnait. En effet, jamais elle ne fuyait face à la difficulté, elle croyait toujours en nous et en tout ce qu'elle entreprenait. En outre, Mina avait toujours le mot ou la bêtise pour nous faire sourire et retirer toute grisaille de nos esprits. Une perle, un rayon de soleil, cette fille !
Les années passaient, nous grandissions et tout allait pour le mieux.
Comme je suis l'aînée, j'avais été la première à rejoindre la cour des grands, à braver l'épreuve du changement, celle de la 6ème.
Toutefois, j'étais restée proche de ma fratrie, en l'occurrence ma sœur. Amir était beaucoup plus débrouillard, disons qu'il vivait sa vie et continuait de rayonner ; donc avant nos évènements tragiques, nous avions toujours vécu avec une certaine distance.
Par exemple, j'adorais aller au parc, comme lorsque j'étais une petite enfant. Nous avions un arbre que l'on adorait plus particulièrement : Un grand sapin, avec de grandes branches, auquel nous pouvions monter tout en haut et qui pouvaient nous couvrir et ainsi nous masquer des regards indiscrets. Même encore aujourd'hui, j'aime y retourner, je trouve cet endroit apaisant et ressourçant.
Cependant, le changement corporel lié à mon âge se faisait ressentir, alors j'avais de plus en plus le besoin de me retrouver seule. Je me plaignais souvent d'un manque d'intimité, mais je persistais à dormir avec Mina, comme nous partagions la même chambre - et que nous ne pouvions pas faire autrement.
Ah, et tu sais, si je ne parle que rarement de mon père, ce n'est pas pour rien. Avec Amir, notre père, nous le voyions assez peu. Pour être honnête, nous ne le voyions que durant les vacances d'été, puisqu'il est parti vivre dans une autre région. Il avait fondé une famille avec sa nouvelle femme et leur triplet. Deux garçons, une fille. C'est notamment cet éloignement géographique et le manque de contact réciproque qui a engendré la perte progressive et presque totale du lien paternel.
Mais bref, ce n'est pas de lui que j'ai envie de parler...
Malencontreusement, un drame causa la rupture brutale du cordon ombilical entre ma sœur et moi : Durant l'année de 5ème, ma mère et mon beau-père - donc son père - ont décidé de se séparer.
Elle n'était là qu'une semaine sur deux désormais. Notre chambre était bien vide désormais, malgré que mon manque d'intimité était à demi-comblé. Mais voilà, l'ennui m'avait très vite rongé, ayant à moitié perdue la personne avec qui je partageais tout !
Je n'ai jamais donné pareille confiance à quelqu'un d'autre. Elle était vraiment spéciale, Mina.
Mais, pour positiver, je réitère, j'avais désormais ma propre chambre, collée à celle d'Amir. Je pouvais l'entendre beugler lorsqu'il rageait sur un jeu ou lorsque la connexion buggait !
En attendant, la vie poursuivait son cours, comme si de rien n'était, chacun arpentant son propre chemin.
Néanmoins, le quotidien s'était dégradé, et j'avais assisté à son déclin, parfaitement impuissante... Non, inutile. J'avais été inutile.
Plus les semaines passaient, plus les semaines d'absence passaient plus j'avais peur de la retrouver. A chaque fois que je retrouvais Mina, les cernes sous ses yeux s'élargissaient, et elle développait une certaine « phobie du lundi ». Oui, elle craignait de repartir. Mais repartir où ? A l'école ? Quelqu'un s'en prenait-il à elle ?
Je lui demandais souvent si cela allait mais évidemment, elle me répondait toujours que c'était OK. Mais dorénavant, je réalise qu'elle était ingénieuse en plus d'être forte mentalement, elle savait détourner l'attention. Mina n'aimait pas parler des choses négatives, surtout les siennes, et, même, elle aimait rarement se la raconter.
Malgré avoir instauré un climat de confiance en lui rappelant que j'étais sœur et que je ne la jugerais jamais, tout en étant une force de conseils, Mina avait toujours su me rassurer et me dire que je me faisais des idées. Mais, je ne me rappelais pas être aussi stressée pour des contrôles en 5ème. Toujours est-il que sa « phobie du lundi » était persistante et de plus en plus forte alors notre mère lui donnait des médicaments anxiolytiques aux plantes pour l'aider à dormir.
J'avais également assisté à son renfermement progressif. Elle mettait des vêtements longs, même lorsqu'il faisait chaud prétextant qu'elle avait froid. La connaissant, aussi bonne vivante et solaire, elle se disait toujours être née avec un radiateur au fond d'elle !
Je pouvais comprendre son besoin d'intimité, de se cacher. Ce n'était pas toujours facile d'accepter les changements de son corps, la poitrine qui pousse, la pilosité, l'acné... ou encore les menstruations. Je reconnaissais avoir eu une période de pudeur, que j'avais toujours un peu à cette époque de la 3ème, mais à son stade, jamais. On aurait dit une pudeur développée à l'extrême.
En outre, elle mangeait de moins en moins. C'était moi qui la forçait à manger toujours un peu plus que sa petite dose.
Je n'en pouvais plus de voir la perte de son sourire, de l'enterrement de sa joie de vivre, l'annihilation de son énergie légendaire... alors, j'avais craqué. J'avais pleuré, beaucoup pleuré. Mina, avec sa douceur habituelle, m'avait alors demandé ce qui n'allait pas.
Je lui avais répondu : « Toi, je ne comprends pas pourquoi tu ne vas pas bien. Pourquoi ne veux-tu pas m'en parler ? »
Mais, elle avait osé me dire que tout allait bien et que je me faisais des idées. Elle m'avait consolée durant des heures, affligeant sans cesse une culpabilité toujours plus importante sur mon instinct. Ma petite sœur avait voulu tromper mon instinct, le faire passer comme défaillant. Et... je l'avais crue. J'avais cru qu'elle allait bien, que ce n'était pas grave. Que ce n'était qu'une stressée de la vie, une stressée des cours, qu'elle était devenue une frileuse et... qu'elle essuyait une déception amoureuse à cause d'un « connard ». Je connaissais ce garçon, et je ne le pensais pas capable de lui faire du mal, bien trop droit dans ses pompes... Mais voilà, en pleine détresse, on se rassure avec n'importe quoi pour dédramatiser une situation critique. Le mensonge est magnifique, hein, tu ne trouves pas ? Il embellit la réalité, et peut permettre de s'en détacher complètement jusqu'à embrasser le ridicule.
Mais, je ne pouvais me voiler la face lorsque début janvier, Mina s'était ramenée le Lundi soir avec un cocard immense sur l'œil gauche ! Un bel oeil au beurre noir, je te jure !
Cette fois-ci, j'avais explosé, ne pouvant laisser passer ça.
- Mina, qu'est-ce qui s'est passé ? Qui a osé s'en prendre à toi ?! m'écriai-je en une surprise théâtrale.
- Je... non rien, opina-t-elle, l'air parfaitement détaché.
Je regrette beaucoup aujourd'hui mais je m'étais avancée vers elle et l'avais secouée un peu brutalement tellement j'étais désespérée.
- Pardon ?! Cette fois-ci tu ne pourras pas me mentir ! Il s'est passé quelque chose, on t'a frappée. Qui ? Qui à fait ça ? Dis-moi !
- Rien de grave, c'est réglé... T'inquiète pas pour moi.
Elle me fixait de son regard vide d'expression. Elle ne devait pas saisir le degré d'importance de la situation.
- Bah bien sûr que si je m'inquiète. Quelqu'un ou une bande s'en est pris à ma sœur ! C'était à l'école, mon ange ? On t'insulte, on te chahute, on te frappe, à l'école ?
Cette fois-ci, une étincelle de vivacité traversa son regard au travers du mien, se mettant à luire.
- Je m'en doutais. Dis-moi, qui s'en prend à toi, ma chérie ? Ils ne s'en tireront pas comme ça.
Elle ne répondit pas, s'accrocha à moi et éclata en un fleuve de larmes dans mes bras. Je savais que j'aurais dû faire confiance à mon instinct.
J'avais serré mon étreinte, lui déposant des bisous et des caresses d'amour pour la réconforter, et je lui avais murmuré à l'oreille : « Ne t'en fais pas, c'est bientôt fini. Je sais qui sont les gens potentiellement derrière tout ça. Ils ne t'embêteront plus. »
Mon instinct m'avait également poussé à retrousser l'une de ses manches où j'avais découvert ses cicatrices. Horizontales au bras, lisses, nettes. Des lames y avaient tracé leur chemin. J'avais tout de suite compris, alors j'avais ajouté vivement : « Je ne dirai rien. Mais, tu ne fais plus ça, d'accord ? Tout va rentrer dans l'ordre, je te le promets. »
Elle avait opiné la tête avec un léger sourire. Un triste sourire qui en disait tellement, mais que je n'avais su le décrypter que trop tardivement...
Dès que mon emploi du temps me le permit, rappelle-toi que j'avais le brevet aussi, j'avais débarqué à l'accueil péri-scolaire, ou plus communément l'A.P.S, afin de chercher les potentiels harceleurs de ma petite sœur. Sans surprise, ils se disaient coupables, ces derniers de la classe qui passaient leur temps à se moquer d'elle et de sa supériorité intellectuelle. Alors, je leur en avais touché deux mots.
Le plus brave m'avait encoché, avec cet air dédaigneux si habituel pour eux : « Pas de souci, par contre, on a rien à voir avec ça. Dès que la Directrice nous a rappelé à l'ordre en Novembre, on l'a plus calculé du tout. »
La situation ne s'était d'ailleurs pas arrangée, et n'avait même fait qu'empirer. Mina se refermait de plus en plus et devenait de plus en plus agressive. Amir avait préféré s'effacer, et Maman avait préféré rester auprès d'elle sans pour autant lui parler de ce qui la tracassait et traversait à ce point.
Quant à moi, j'avais tout fait pour l'aider, tout fait pour qu'elle parle, mais... elle n'avait jamais daigné me répondre. Parfois, elle restait silencieuse. Mais la plupart du temps, elle s'énervait, balançait des trucs de partout, dès que j'osais aborder le sujet. Ses émotions étaient beaucoup plus fortes et intenses. Elle pleurait beaucoup dans notre chambre, et moi aussi. Notre chambre était désormais notre endroit de recueillement, une éternelle cérémonie mortuaire où plus aucun oiseau ne chantait.
Mina se braquait et je ne pouvais rien y faire. Si j'avais été prévenu de la situation, il était sûr que j'aurais utilisé des moyens beaucoup plus radicaux. Mais j'ai compris bien trop tard que mon instinct avait raison, et que ce n'était pas qu'une histoire d'harcèlement scolaire... mais quelque chose de bien plus grand encore.
La situation s'était particulièrement dégradée durant le mois de Janvier. Tout s'était passé très vite. Et fatiguée et sévèrement attristée par la décomposition de Mina, la rayonnante devenue morbide, j'avais décidé de parler à son père lors d'une semaine où elle n'était pas là.
Je l'avais appelé, j'avais prétexté vouloir des nouvelles même si je les voyais dans quelques jours. Nous discutions tranquillement lorsque soudainement, j'avais entendu un cri féminin suraigu. Il m'avait assuré que c'était un film, un film d'horreur tournait en fond soit-disant.
Nonobstant, une fois que j'avais voulu traiter du cas de Mina, celui-ci avait tout d'abord fait style de ne pas comprendre ce dont je parlais. Je lui avais vite rafraîchi la mémoire comme visiblement, elle était bien courte. Le cocard, c'était il y avait moins de 14 jours, ainsi que les autres blessures que j'avais découvertes sur son corps - sans parler de l'auto-mutilation, j'avais promis de garder le secret.
Je l'avais senti blêmir à travers le téléphone. Il avait bredouillé quelques phrases très brouillon.
Ensuite, j'avais entendu la grosse voix désagréable de sa nouvelle femme, hargneuse et irrespectueuse, auquel il était entièrement languis et il avait raccroché. Ou en vue de l'éloignement de sa voix, c'était comme si on lui avait retiré des mains.
Puis nous avons continué la conversation par S.M.S.
Il m'avait avoué qu'il l'avait remarqué. En même temps, c'était tellement visible. La même chose pour les changements d'humeur et de caractère. Mais... qu'il ne comptait pas y faire grand-chose comme « cela va passer » ou « C'est bientôt la fin de l'année» ou « Ma fille est plus forte que ça ». J'avais essayé de lui faire comprendre que justement sa fille n'était plus forte, qu'elle était épuisée, et qu'elle voulait que tout s'arrête. Mais non, monsieur n'avait rien voulu entendre de plus, clôturant la conversation avec un « Ne t'occupe pas de problèmes d'adultes, je vais voir ce que je peux faire. Je m'en occupe, ne t'en fais pas. Occupe toi de ton brevet ». Je ne sais pas pourquoi, mais je ne le croyais pas du tout...
C'était doucement drôle à quel point Mina était super heureuse de venir à la maison le lundi soir. Cette joie, ce soulagement, malgré qu'elle soit comme morte à l'intérieur le reste du temps, cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Même si en vrai, la période haute était passée et elle était devenue presque normale avec nous. Mais en réalité, elle profitait du répit, de ses derniers moments de bonheur...
Je me rappelle d'une fois où elle m'avait sorti, un soir où j'avais encore voulu déceler le vrai du faux : « De toute façon, tu peux pas comprendre. Essaye pas de m'aider, tu peux pas m'aider. Personne ne le peut. » Elle souriait en disant cela.
Tout comme elle m'avait souri en disant « C'est bientôt terminé » durant ce mardi avant d'aller à l'école de cette triste première semaine de Février.
Avec joie, le lendemain, jour sans école, Maman avait répondu positivement à sa demande de sortie. Mina avait invité ses meilleurs amis à la piscine et ils avaient terminé leur journée au parc. Un superbe moment, et Mina avait été super ouverte et enjouée, avaient-ils assuré à l'unanimité.
Ce Jeudi suivant, Mina avait été rayonnante comme jamais elle ne l'avait été depuis très longtemps. Elle avait bien mangé, nous avions bien sympathisé et Maman l'avait emmenée à l'école. Sur la route du collège, je ne comprenais pas pourquoi, mais une larme était descendue sur ma joue. Ce n'était pas comme d'habitude, quelque chose clochait.
Lorsque Mina m'avait dit « au revoir », elle m'avait sauté au cou comme à chaque fois par le passé, et nous nous étions embrassées, et... elle m'avait sorti une phrase troublante : « Grande sœur, t'es la personne la plus gentille que je connaisse, je t'aime, merci infiniment pour tous tes efforts. Au revoir, et s'il-te-plaît, profite de ta vie au lieu de toujours vouloir préserver la mienne. Je... je suis grande maintenant. » En repensant à cette phrase, je m'étais remise à pleurer de plus belle - ce qui n'était guère différent qu'actuellement en racontant cet événement.
Ensuite, sans attendre, j'avais appelé Amir. 2 fois au cas où il n'entendrait pas. Et je lui avais demandé comment elle lui avait dit « au revoir ».
- Tu trouves pas qu'elle a été différente ce matin ?
- Un peu, si, me confirma-t-il, suspicieux. Habituellement, elle me dit « au revoir » avec un signe de la main avec un petit « A plus ! » mais là, elle m'a enlacé et m'a dit « Je t'aime ».
- Ça craint, beaucoup. Elle ne nous dit jamais qu'elle nous aime, ou du moins, uniquement lors de moments symboliques, avais-je lâché, soucieuse, avant de clôturer. Attends, j'essaye de joindre Maman et je t'en dis plus.
Donc, j'avais appelé notre mère, mais elle n'avait pas trouvé que Mina était différente. Elle avait toujours enlacé et embrassé Maman en lui disant qu'elle l'aime.
Alors, j'avais envoyé un S.M.S au père de Mina, tout en me dirigeant vers l'école - tant pis je louperai ma matinée. Il m'avait intimement mis sur la voie, ne lui ayant pas laissé le choix. Il m'avait avoué qu'elle lui avait envoyé un S.M.S où elle lui disait au revoir et qu'elle l'aimait même... « si [il] n'[a] pas essayé de [l]'aider quand elle [lui] faisait subir l'enfer. »
Je m'étais déchaînée en l'appelant, et il avait eu la bonne réponse de me dire « Oui, bah, parfois la mère de Théodore est assez violente... » et j'avais répondu en voyant Mina dans le parc juste à côté, le nôtre : « Oui bah c'est sa faute si Mina est au fond du gouffre. Si on la perd, tu t'en prendra qu'à toi. »
J'avais alors couru jusqu'au parc, ce parc me faisant remonter tant de bons souvenirs. Sans surprise, j'avais rapidement identifié Mina sous notre repère secret, le sapin qui nous dissimule à travers son feuillage touffu.
J'avais relevé délicatement des branches fines aux extrémités afin d'entrer dans le périmètre du tronc. Et là, à cet instant précis... ma vie s'était arrêtée.
Je l'avais vue, là, par terre. Oui, ma petite sœur était là, mais elle ne répondait pas à mes appels, à mes cris de détresse. Elle ne bougeait pas, il n'y avait pas de mouvement au niveau de sa poitrine. Le corps de ma petite sœur gisait sans vie sur le sol.
J'avais prévenu les autres, et j'avais bondi sur elle. Je l'avais pris dans mes bras, mais non, il n'y avait rien à faire. La vie avait évacué son corps, Mina était morte. C'est en voyant la boîte de cachetons dans ses mains que je compris comment elle avait procédé.
J'avais également aperçu un compas, ayant permis de graver dans le tronc ces mots :« Pas ta faute Sis' ».
Et je m'étais effondrée, vidant toutes les larmes de mon corps ce jour-là, et je ne l'avais pas lâchée tant que l'ambulancier ne me l'avait arrachée des mains.
Toutefois, j'étais encore suffisamment forte car ils avaient conservé l'espoir de la sauver, qu'il n'était pas trop tard. Alors, j'avais foudroyé mon ex-beau-père et j'avais tout expliqué à Amir et Maman. Grâce à une vidéo et le témoignage de Théodore, ex-victime de sa mère, gardant tout de même des cicatrices de ses blessures, Maman a attaqué la tueuse de Mina en justice. Elle n'avait rien lâché, et avait tout fait pour défendre le pauvre Théodore pour que plus jamais il ne subisse les colères de sa mère et que justice nous soit rendue... lui soit rendue.
En effet, avant que Mina ne devienne son nouveau souffre-douleur, Théodore subissait aussi les coups, mais là-bas, ils subissaient tous sa terreur. Ils étaient tous terrifiés par elle. Le père de Mina, tant bien même que cela soit mon ancien beau-père, me dégoûtait : Il préférait défendre la femme auquel il était fou amoureux en minimisant les faits, incapable de comprendre la gravité de ses actes.
Alors, la mère de Théodore a été incarcérée après son procès et son enfant a été adopté par Maman. Nous n'avons plus jamais revu le père de Mina ni sa compagne.
Et moi... j'avais appris le décès de Mina, l'incapacité du corps médical pour la sauver comme justement il était trop tard.
Alors, j'avais sombré. Malgré le petit mot que j'ai découvert le soir même sous mon oreiller « Pardonne-toi, ne sois pas désolée. Ce n'est pas ta faute » , je ne pouvais m'empêcher de culpabiliser. Si, je n'avais rien vu, je n'avais rien fait, je n'avais pas aidé ma petite soeur. Je l'avais laissée tomber au moment où elle avait le plus besoin de moi.
Je me suis trompée, je n'ai rien vu, et je n'ai pas pu l'aider. Et ça, je m'en voudrais toujours.
Alors, j'ai sombré. Je n'arrivais plus à sourire, je n'arrivais plus à me lever, ne voulais plus voir personne. Je n'arrivais plus à subir mon quotidien, alors je me suis terrée dans l'obscurité de ma couverture. Je ne voulais que rester dans ma zone vitale, ma chambre.
En effet, je suis tombée en dépression sévère pendant un an. Enfin, plus exactement jusqu'à la fin de l'année scolaire.
Evidemment, cela reste la pire période de ma vie. Une période où je ne pensais pas pouvoir rejoindre la lumière, pensant être condamnée éternellement aux ténèbres. Mais, c'est grâce à Amir qui a toujours été avec moi que j'ai finalement réussi à m'en sortir.
Ou aussi grâce à la rentrée des classes, souvent le changement, ça ne fait pas de mal. Et j'avais besoin de me reprendre en main. Alors, la rentrée des classes, soutenue par mon frère adoré, j'ai signé mon nouveau départ.
Je suis retourné en cours, j'ai repris peu à peu contact avec la réalité. Je n'avais plus d'amis mais qu'importe, mon frère était là pour m'aider à m'en sortir. Désormais, il était avec moi et dans la même classe.
Et c'est ainsi que peu à peu, je suis devenue la nouvelle Déborah.
Elle est principalement née en 2nde. Je dois purger ma culpabilité, je dois me racheter de mon crime face à mon inaction face à la disparition de ma petite soeur ; alors, pour ma rédemption, j'ai décidé de voir la vie du bon côté, d'être sûre pour ne plus jamais me tromper, et d'empêcher le plus possible les suicides des adolescents. En clair, j'ai décidé de profiter de la vie tout en portant mes valeurs et mes couleurs, allant du côté des justes et des plus démunis... pour ne plus jamais que quiconque n'ai à souffrir et pour ne plus jamais me sentir impuissante.
- Wow, quelle histoire ! Quelle belle leçon sur la vie ! s'exclama Paola, elle-même rayonnante depuis qu'elle avait rencontré la jeune femme.
- Oui, ça fait mal mais on fait avec. La vie vaut la peine d'être vécue, il y a des choses merveilleuses à vivre dans cette vie, dans ce monde, souffla notre protagoniste, radieuse.
Elles s'embrassèrent avec passion, un couple de larmes et de sourires, une main sur le pendentif contenant un portrait de Mina ainsi que le mot qu'elle lui avait laissé.
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