46 - Une bouteille à la mer

Paris, Appartement de Naël, vendredi 26 janvier 2024, 21 h 00.

Naël est assis à même le sol dans son salon, un espace aux murs épurés et décoré de quelques toiles abstraites. Autour de lui, un amas désordonné de polycopiés. Il tient une feuille entre ses mains, préoccupé, s'attardant sur les détails écrits en petits caractères. Il tourne le papier dans tous les sens, cherchant à assimiler ce qu'il est en train de lire. Il avait réussi à faire une copie du dossier médical d'Andréas du discrètement avant de quitter l'académie. Il avait été incapable de repousser plus longtemps cette curiosité qui le ronge, il devait comprendre.

POV Naël

— Impensable... Murmure-t-il pour lui-même, une ride profonde barrant son front.

Le contenu de ce dossier semble contredire tout ce que j'ai observé chez Andréas. Aucun organe vital n'a été touché, une donnée qui devrait me rassurer, mais c'était tout l'inverse. Les nombreuses cicatrices visibles sur son corps racontent une autre histoire. Comment expliquer une telle incohérence ? Il semble évident que je ne parviendrais pas à éclaircir cette énigme tout seul. Un grondement sourd venant de mon ventre, brise le fil de mes pensées. Je pousse un soupir, fatigué.

— Ok, pause bouffe!

Je me redresse tout en m'étirant pour chasser la tension de mes épaules, j'attrape un élastique qui traine sur la table basse, attache mes cheveux en chignon et me diriger vers la cuisine. En ouvrant le placard, je tombe sur des paquets de ramen instantanés. Parfait, simple, rapide, et sans prise de tête, exactement ce qu'il me faut. Je mets une casserole d'eau sur le feu, attendant qu'elle commence à frémir. Je profite de ces quelques minutes pour sortir mon téléphone et tapote rapidement un message.

Naël [Appelle-moi dès que possible. Besoin d'infos ou d'un coup de pouce de l'Ordre.]

J'envoie le message sans hésitation, puis repose le téléphone sur le plan de travail. Pendant que l'eau chauffe, je fais défiler ma playlist et lance une musique en fond. Les premières notes adoucissent l'atmosphère, mais mon esprit reste en vrac. Quand l'eau commence à bouillir, je verse les nouilles et les remue doucement avec des baguettes. Le bruit des bulles couvre légèrement la musique, mais je reste concentré sur ma tâche.

https://youtu.be/Oa_RSwwpPaA

(Musique : Beautiful things, Benson Boone)

C'est alors que je perçois un mouvement léger, presque imperceptible, provenant de la terrasse. Je me fige immédiatement, tendu, les yeux fixés sur la porte-fenêtre. Si c'est encore Zaz qui débarque sans prévenir, je le fais passer par-dessus la rambarde à coup de pied au cul !

À ce qu'il paraît, t'as besoin de moi ?

La voix familière me fait sursauter. Je me retourne brusquement, et vois apparaitre une silhouette élancée qui s'avance tranquillement, passant par la porte-fenêtre entrouverte. Gabi, vêtue de blanc comme à son habitude, hausse les épaules, ses cheveux courts et rebelles encadrant son visage moqueur. Je pousse un grognement, incapable de cacher mon agacement.

— Putain, sérieux, vous allez tous me faire le coup de passer par la terrasse, ou quoi ? Heureusement que je n'ai pas de vis-à-vis, sinon je vais finir par avoir des soucis avec mes voisins. Vu que vous n'êtes pas vraiment discrets, tous tant que vous êtes !

—Tous qui ? Tu parles de Zaz et sa bande ? Réplique-t-elle avec un sourire en coin.

Je grimace et détourne les yeux.

— Mouais... Laisse tomber.

Gabi s'approche, ses bottes martelant a peine le sol.

— Pourquoi est-ce que tu continues à traîner avec lui, hein ? T'es pas déjà assez dans la merde par sa faute ?

— Ah ! Non, pas ce soir ! Je commence à en avoir ma claque de devoir me justifier auprès de vous deux. Je ne ferai pas de choix, ok ? Je vous aime tous les deux, c'est clair ? dit-il en se massant les tempes.

Gabi me dévisage un instant, son expression dorénavant plus dure.

— Oui, mais le mérite-t-il, ton amour ? J'espère que tu ne lui as pas parlé de notre accord ?

— Non, même s'il se doute qu'il se passe quelque chose, et que ça te concerne.

— Je te rappelle que, même en période de trêve, je suis toujours sur le terrain et ma mission reste la même. Votre situation est loin d'être enviable. Je t'ai donné une chance, à toi uniquement, de pouvoir te rattraper. Il n'y en aura pas d'autres.

Le silence tombe un instant, seulement troublé par le crépitement de l'eau bouillante sur la cuisinière. 

— Je sais, t'inquiète. Je fais de mon mieux... ,ajoute Naël en baissant la tête, sa voix se faisant plus douce.

Je relève les yeux vers elle, esquissant un sourire forcé.

— D'ailleurs, j'ai justement besoin de toi pour ça. Un coup de fil aurait suffi, mais bon, vu que t'es là... Un ramen ?

Gabi eut un léger rire.

— Pourquoi, pas ? Dit-elle avant de continuer. Tu sais que je ne suis pas fan de la technologie. J'ai trouvé ça plus simple de venir, et plus rapide.

Elle s'installe à la table de la cuisine tandis que Naël lui tend un bol. Ils échangèrent un regard complice, même l'atmosphère reste lourde. Gabi mastique tranquillement ses nouilles, tout en fixant Naël. Elle n'est pas du genre à précipiter les choses, mais elle peut sentir son agitation. Il jouait avec ses baguettes dans son bol, hésitant à trouver les bons mots.

— C'est sérieux, hein ? Dit-elle en rompant le silence.

Naël lève enfin les yeux vers elle.

— Plus que sérieux

Il pose son bol et attrapa une pile de feuilles sur le sol, les déposant sur la table. Il joue nerveusement avec le coin d'une feuille devant lui, ses yeux fixés sur Gabi qui continue de manger, imperturbable.

— Écoute, tu m'as dit qu'il avait besoin de moi, mais tu n'as pas été très bavarde sur les détails, lance-t-il d'un ton qui trahit sa frustration.

— Il est clairement mal en point, c'est sûr. Enfin, un peu moins maintenant, physiquement du moins. Mais dans sa tête, c'est autre chose... Il doit y avoir un sacré bordel là-dedans. Il flippe à mort, il est tout le temps sur le qui-vive ou sur la défensive. Et je ne parle même pas de son problème de contact !

Gabi pose ses baguettes sur la table avec un soupir.

— Tu m'as appelé pour te plaindre ? Ou tu veux vraiment que je t'aide ?

Naël se redresse, serrant les dents.

— Ok, j'ai compris. Mais donne-moi un coup de main, au moins ! Ou donne-moi accès aux infos de l'Ordre. Je ne peux pas l'aider si je ne comprends pas ce qu'il a vécu.

Gabi éclate de rire, mais ce n'est pas un rire chaleureux.

— L'accès à la base de données ? T'es sérieux ?

Elle croise les bras et plante son regard dans le sien.

— Écoute-moi bien. Je ne peux pas tout te dire, et tu sais pourquoi. Dis-moi ce que tu sais déjà, et je verrai ce que je peux lâcher comme info. Mais en ce qui concerne la base de données de l'ordre, tu oublies ça de suite. Tu n'en fais pas partie, Naël. Tu bosses en sous-marin pour moi, et c'est tout.

Naël soupire bruyamment et lève les mains en signe de reddition.

— Très bien, je ferais avec ce que tu veux bien me donner. Mais tu te rends compte que je travaille à l'aveugle, là ?

Il se rassit, passant une main dans ses cheveux.

— Bon... Voilà ce que je sais. Je pense que son histoire d'accident de voiture, c'est des conneries.

Gabi reste silencieuse, attendant qu'il développe.

— J'ai vu son corps.

Elle réagit du coin de l'œil, mais il lève immédiatement une main.

— Par accident, Gabi, par accident

Elle fait une moue dubitative sans rien ajouter, et il continue.

— Bref, j'ai pu constater un nombre de cicatrices absolument dingue. Et crois-moi que vu notre... Passif... Je peux t'assurer que ça n'a rien à voir avec un accident de bagnole.

Il s'interrompt, cherchant ses mots.

— Je pense que ça s'est passé à Barcelone. Mais c'est tout ce que j'ai. Il refuse de m'en parler.

Gabi se laisse aller contre le dossier de sa chaise, pensive.

— Eh bien, en fait, tu en sais déjà beaucoup plus que je ne l'aurais cru.

Naël est surpris, mais ne dit rien.

— Il a bien été agressé, reprend-elle. Mais on n'en sait pas beaucoup plus. Il souffre d'une sorte d'amnésie partielle. Il n'a pas été capable d'identifier son agresseur, et on ignore les circonstances exactes. L'enquête est toujours en cours, là-bas, à Barcelone.

— Et c'est tout ? Vous n'avez rien de plus, dit Naël perplexe.

Gabi secoue la tête.

— Rien

Naël fixe Gabi, ses poings se crispant sur le bord de la table.

— Tu rigoles, là ? Crache-t-il.

— Et t'as demandé plus d'infos à tu sais qui ?

Gabi fronce légèrement les sourcils, mais son ton reste calme, presque détaché.

— Naël, j'étais censé l'attribuer à quelqu'un de l'ordre.

Elle l'observe attentivement, comme pour s'assurer qu'il comprenait bien la portée de ses mots.

— Et pourtant, j'ai préféré te mettre sur le coup.

Il ouvre la bouche pour répliquer, mais elle lève la main pour le couper.

—Tu sais très bien qu'il sait tout, toujours. Crois-moi, il est au courant que je t'ai mis dans la boucle. Et franchement, je ne pense pas que tu obtiendras plus d'aide de sa part.

Naël recule légèrement, son souffle court.

— Sérieusement ? Alors, quoi ? Il reste là, à contempler tout ça de loin, sans rien faire ?

Gabi hausse les épaules, un sourire sans joie étirant ses lèvres.

— Sois déjà content de ne pas te retrouver dans une cellule pour ce que tu as fait... Et qu'il te laisse, plus ou moins, faire tes preuves.

Naël se passa une main sur le visage, exaspéré.

— Faire mes preuves ? Tu te rends compte de ce que tu dis ? On parle d'un gamin traumatisé qui est probablement en danger de mort, et on me balance dans cette histoire avec des infos au compte-gouttes !

Gabi le fixe un instant, son visage impassible. Puis elle se penche légèrement en avant, les coudes sur la table.

—Naël, tu crois que c'est une faveur que je t'ai fait ? Non, c'est un test.

—Un test ?

Naël laisse échapper un rire amer.

— Et qu'est-ce que tu espères prouver exactement ? Que je vais me planter ?

Elle secoue la tête, son expression redevenant sérieuse.

— J'espère que tu pourras lui prouver que tu en vaux la peine, que tu es encore capable d'agir sans te laisser dévorer par ta culpabilité ou tes instincts. Que tu es encore capable de protéger quelqu'un d'autre que toi-même. Et surtout, que tu puisses rentrer à la maison.

Les mots de la jeune femme le frappent de plein fouet, il détourne alors le regard, incapable de répondre immédiatement.

— Andreas est un cas compliqué, Naël. Mais il n'est pas question que de lui. Ça te concerne toi aussi, et ce que tu vas faire à partir de maintenant.

Un silence pesant s'installe entre eux.

Seule la musique douce en arrière-plan emplissait l'espace.

Naël finit par briser le silence.

— Très bien... Si c'est un test, alors je ferai de mon mieux pour le réussir. Mais il va falloir me donner plus que ça, Gabi. Je t'en prie, si Andréas est vraiment en danger, je ne me peux pas me permettre d'être aveugle. Aide-moi.

Elle l'observe longuement, puis finit par soupirer.

—D'accord. Je vais voir ce que je peux faire pour te donner un peu plus d'infos. Mais ne te fais pas trop d'espoirs. Certaines portes te resteront fermées.

Naël hoche la tête, les mâchoires serrées.

— C'est tout ce que je demande.

Gabi plisse les yeux, intriguée. Une petite étincelle vient de passer dans les yeux de Naël, quelque chose qu'il n'a pas su dissimuler. Elle se redresse légèrement, laissant tomber son masque d'impassibilité.

— Merde... Murmure-t-elle, ses lèvres se tordant en un sourire mi-moqueur, mi-sérieux.

— Tu tiens à lui, c'est ça ?

Naël relève brusquement la tête, visiblement pris au dépourvu.

— Hein ? Fait-il, trop vite, trop défensif.

Mais Gabi n'a pas besoin de confirmation. Elle pointe un doigt accusateur dans sa direction, son sourire s'élargissant.

— C'est pour ça toute cette colère, toute cette insistance. Tu tiens à lui. Cette situation te ronge parce que tu n'arrives pas à le protéger comme tu voudrais.

Naël fuit son regard, cherchant quelque chose, n'importe quoi, sur quoi fixer son attention. Ses mains se crispèrent sur ses genoux, mais il garde le silence.

—Oh, allez, Naël, ne fait pas genre, reprend-elle avec une légèreté feinte. C'est flagrant. Et honnêtement ? Je comprends. Il a quelque chose, ce gamin. Une sorte d'innocence cabossée qui donne envie de le protéger.

Naël se redresse, visiblement irrité.

— Ce n'est pas ça, Gabi, dit-il enfin, sa voix plus grave qu'il ne l'aurait voulu.

— Ah non ? alors explique-moi, Monsieur le chevalier servant

Il inspire profondément, tentant de garder son calme.

— Il a traversé l'enfer. Et il se bat encore pour ne pas sombrer. Personne ne mérite ça.

Elle me dévisage en silence, pas entièrement convaincue.

— Mouais. J'entends ce que tu me dis, mais je vois ce que tu ne dis pas.

— Arrête avec ça, lâche-t-il agacé.

Gabi croise les bras, un air amusé sur le visage.

— Ok, d'accord. Je te laisse tranquille. Mais si tu tiens autant à lui, alors tu ferais mieux de t'assurer qu'il ne termine pas comme ....

Elle s'arrête brusquement, mordant sa lèvre, comme si elle venait de dépasser une limite.

— Comme quoi ? Demande Naël, en se redressant.

Gabi secoue la tête, refusant d'en dire plus.

— Rien. Fais juste attention, Naël. Les gens comme nous n'ont pas le luxe de s'attacher sans conséquences.

Le silence retombe entre eux, lourd et chargé de non-dits. Naël soupire, puis se lève et va ouvrir un tiroir au fond de la pièce. Ses doigts tâtonnent un instant avant de trouver ce qu'il cherche. Un vieux paquet de cigarettes, planqué là depuis des années. Il l'observe, hésitant, puis en sors une et l'allume. La fumée s'élève doucement dans l'air.

— Je ferais ce que j'ai à faire, dis-je doucement en relâchant un nuage de fumée. Peu importe ce que ça me coûte.

Gabi le fixe, son expression oscillante entre exaspération et inquiétude. Elle croise les bras, mais ne dit rien tout de suite. Puis, après une brève hésitation, elle finit par hocher la tête, le sérieux de ses mots tranchant l'air.

— Très bien, alors. Mais souviens-toi, Naël. Ce gamin a déjà assez de cicatrices. N'en deviens pas une de plus.

Je serre la cigarette entre mes doigts, son papier se froissant légèrement sous la pression. Ses mots me frappent en plein cœur.

Je la vois se diriger vers la terrasse, son pas assuré et silencieux. Je baisse les yeux une seconde, cherchant quelque chose à dire, un dernier mot, une réponse... Mais quand je les relève, elle est déjà partie.

Le silence revient, je suis à nouveau seul au milieu de mon salon, avec cette cigarette qui se consume lentement entre les doigts.

Une seule pensée me traverse l'esprit.

— Andréas... Que vais-je bien pouvoir faire de toi ? 

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