43 - La loi des séries

Paris, samedi 20 janvier 2024, 16 h 45.

POV Andréas.

Cela fait une semaine que Carmen et Amine ont fait leur mise au point devant les portes de l'académie. Carmen n'a jamais été du genre à se soucier des commérages, encore moins à accorder de l'importance à ce que les autres pensent d'elle. Pourtant, ce fameux baiser a marqué les esprits. Que ce soit dans les couloirs, en classe ou même dans les ateliers de sections stylisme, tout le monde y va de son petit commentaire. Mais bon Carmen, reste Carmen, elle s'en fiche royalement. Alors, je ne dirai qu'une chose. « Carmen, reine des scandales et des cœurs enflammés, longue vie à la reine ! »

Aujourd'hui, mademoiselle joue les amoureuses au parc du Luxembourg avec son homme, et perso je n'ai aucune envie de tenir la chandelle. Alors, direction le Vintage Mélodie pour tuer le temps, et pourquoi pas, dénicher une petite pépite pour l'examen de l'année prochaine. En passant le pas de la porte, l'odeur du vinyle et du bois verni m'enveloppe, familière et réconfortante. Je traîne entre les bacs de disques, feuilletant distraitement des pochettes aux couleurs fanées par le temps. Saul, derrière son comptoir, classe des cassettes dans des boîtes étiquetées à la main.

— T'as trouvé quelque chose, petit ? Me demande-t-il sans lever les yeux.

— Pas vraiment, je regarde juste. Répond Andréas en haussant les épaules.

Saul laisse échapper un léger rire, comme s'il devinait que je suis là pour autre chose qu'une simple envie de musique. Il dépose sa pile de cassettes et me regarde bras croisés.

— Vas-y, crache le morceau ! Où est passée ton ombre à talons ? T'as fini par t'en débarrasser, lance-t-il hilare.

— Sérieux Saul, t'es vache ! Carmen est adorable.

— Sympa, oui. Même si, parfois, je me demande si elle ne souffre pas de diarrhée verbale, ajoute-t-il en riant de plus belle. Jamais-vu quelqu'un parler autant !

— N'importe quoi ! Et puis c'est quoi cette expression ? 

— Ha ha ! On en apprend tous les jours, n'est-ce pas ? Bon, à part ça, tu te rappelles que je t'avais parlé du fils de ma sœur, Stanislas ?

— Oui, je m'en souviens.

— Eh bien, il monte à Paris pour les prochaines vacances, en février, je crois. Il va pieuter chez moi.

Je lève les yeux de la pochette que j'examine depuis déjà deux minutes, un album des années 80, un truc carrément kitsch avec une femme à la coiffure improbable, desireless , même le nom de l'album est chelou.

— Ah oui, vraiment ? Et ?

Saul ajuste ses lunettes avant de reprendre.

— Je me demandais, si tu pourrais lui faire visiter un peu le coin. Il ne connaît personne ici, et je me disais que tu pourrais l'aider à se sentir à l'aise.

— Moi ? Andréas arque un sourcil, l'air sceptique.

— Bah oui toi ! Vous avez à peu près le même âge.

Je repose le disque dans le bac et réfléchis. Je préfère éviter de m'impliquer avec des inconnus. J'ai suffisamment de problèmes comme ça. Mais Saul est trop sympa, pour que je lui dise non.

— Je suppose que je peux essayer, finit-il par répondre.

Saul sourit largement, visiblement soulagé. Toujours derrière son comptoir, il observe discrètement Andréas.

— Tu sais, Stan est un bon garçon, reprend-t-il, avec une nonchalance un peu trop étudiée. Plutôt calme ça, c'est sûr, mais il a de l'humour. Et il joue même un peu de guitare, il se débrouille plutôt bien.

— Alors, comme ça, il est musicien ? L'interrogea Andréas, intrigué par monologue de Saul sur son neveu.

— On va dire amateur passionné, répond-il avec un sourire en coin. Je suis certain que vous vous entendriez très bien.

Je plisse les yeux et le fixe à nouveau d'un air soupçonneux. Il y a quelque chose dans le ton de Saul qui cloche.

— Dis-moi, t'es pas encore en train d'essayer de me caser avec ton neveu ? Demande-t-il, mi-amusé, mi-sérieux.

Saul explose de rire.

— Mais pas du tout, qu'est-ce que tu vas t'imaginer là ? Je veux juste qu'il se sente bien accueilli. Mais... si jamais le courant passe, eh bien, je ne dirais pas non, admet-il avec un clin d'œil.

Je secoue la tête, incrédule.

— Tu sais que c'est un peu gros ton histoire, là ?

— Je suis un oncle prévenant, c'est tout. C'est permis, non ?

Andréas croise les bras, l'air d'être dans une réflexion intense, puis finit par lâcher dans un soupir.

— Bon, ok, je vais le rencontrer, mais pas de plan foireux, hein ? Une visite de Paris... Rien de plus. Et puis tout à fait entre nous, je ne suis pas vraiment le boyfriend idéal en ce moment. Trop de bordel à gérer dans ma tête.

— Évidemment, rien de plus, répète-t-il d'un air innocent.

POV Saul.

On peut toujours espérer que ce « rien de plus » évolue en « quelque chose de spécial ». Après tout, Stan pourrait se révéler être exactement ce dont Andréas a besoin.

Tout à coup, Andréas semble réaliser quelque chose et sort de sa réflexion.

— hé merde ! J'ai complètement oublié, j'ai une course à faire avant le couvre-feu. Faut que je file, bonne soirée !

Andréas me salue d'un geste de la main avant de se diriger vers la sortie du magasin.

— Ok, bye ! Ah au fait, j'enverrais ton numéro à Stanislas, histoire que vous fassiez connaissance avant son arriver. Lui lança Saul tandis qu'il franchit la porte.

POV Andréas.

Je suis trop pressé pour prendre le temps de lui répondre et il le sait parfaitement bien, c'est pour ça qu'il en profite. J'ai comme une vague impression de me faire avoir.

En sortant, l'air glacial me fouette le visage. Je fourre mes mains dans les poches de mon manteau, et je marche d'un pas rapide pour être sûr de rentrer à l'heure. Il est 17 h 45, Carmen ne devrait pas tarder à terminer son rendez-vous. Je bifurque en direction de la pharmacie. Mon mollet gauche me tiraille depuis quelques jours, une gêne persistante que je ne peux plus ignorer. Et je vois bien que Naël se sent démuni, car il ne peut pas évidemment pas me faire de massage, mais une crème décontractante et les petites mains de Carmen devraient suffire.

Alors que je traverse une rue tranquille, tout bascule. Une ombre surgit derrière moi, rapide, brutale, implacable. Avant que je ne puisse comprendre quoi que ce soit, une main m'agrippe, et une autre tire violemment sur la sangle de mon sac à dos. Déséquilibré, je trébuche et tombe presqu'à genoux. Le choc, la violence, la surprise... Tout se mélange dans un tourbillon d'adrénaline. Le voleur disparaît en courant avec mon sac sous le bras, me laissant figé sur le trottoir, incapable de bouger. Ma respiration s'accélère, la panique monte, écrasante. Mes mains tremblent, je sens mon cœur prêt à sortir de ma poitrine. J'ai l'impression désagréable d'être à nouveau dans cette ruelle sordide où l'on m'a retrouvé à moitié mort. J'entends Saul crier derrière moi. En pleine pause clope, il a assisté à toute la scène. Malheureusement trop loin pour pouvoir intervenir. Je le vois courir vers moi, mais s'arrête net à quelques pas , les mains levées, l'air impuissant. Dieu merci, il s'est souvenu à temps de ne pas me toucher.

— Andy ! Ça va ? T'es blessé ? Réponds-moi, gamin.

Je hoche la tête sans répondre, incapable d'émettre un son. Saul trépigne, impuissant. Des curieux se rapprochent, cherchant à voir et à comprendre ce qu'il s'est passé. C'est alors que je vois Carmen, qui tente de se frayer un chemin dans l'attroupement, le visage marqué par l'inquiétude. Mon pendentif a dû déclencher une alerte sur son téléphone et elle s'est précipitée. Je suis partagé entre remords et gratitude. Combien de temps va-t-elle encore supporter tout cela ?

— Andy ! Dit-elle en s'agenouillant près de moi. Je suis là, respire doucement d'accord ?

Elle pose une main légère sur mon bras, un geste doux et calculé pour ne pas me brusquer. Inspiration, expiration, inspiration... Je tente de rester concentré sur le rythme de ma respiration.

—Rentrons, continue Carmen d'une voix douce. Allez, debout, je vais t'aider.

J'arrive tant bien que mal à me relever, soutenue par mon amie, et nous prenons la direction de l'académie.

POV inconnu.

Quand le gamin lui a arraché son sac, Andréas a eu une réaction surprenante. Il était figé, tétanisé, cherchant son souffle comme s'il était en train de se noyer. C'est la première fois que je le vois réagir comme ça. C'était... Fascinant, Complétement dingue. Je comprends qu'un vol à l'arraché puisse déstabiliser, mais là... Il y avait de la terreur dans son regard. J'ai dû me retenir de ne pas courir vers lui pour le réconforter, et lui venir en aide. Je dois admettre que c'est moi ai payé ce gosse pour qu'il vole le sac. Je savais qu'Andréas aurait son téléphone à l'intérieur, et j'avais vu juste. En quelques manipulations rapides, j'ai cloné son appareil au mien. Ce téléphone, c'est ma clé pour rester près de lui, pour savoir quand et comment provoquer une « rencontre ».

POV Carmen.

Aux portes de l'académie, une voix nous interpelle.

— Attendez !

C'est Saul, trottinant maladroitement vers nous, tenant le sac d'Andréas à la main.

— Regardez ce que j'ai trouvé devant ma boutique ! Le môme a dû prendre peur lorsque tout le monde s'est précipité. Dit-il, essoufflé.

— merci, dit-elle en récupérant le sac.

— prends soin de toi, petit. Ajoute Saul d'une voix chaleureuse avant de repartir.

Dans un couloir un peu plus loin...

POV Naël

Je fais un saut à l'infirmerie, et je rentre. La journée a été longue et j'ai hâte de prendre une douche. J'espère trouver une crème, une huile chauffante... N'importe quoi. Ça commence à devenir très pénible pour moi de voir Andréas souffrir à chaque séance et surtout de ne rien pouvoir faire. Impossible avec sa phobie à la con ! C'est vraiment frustrant. Je lui ai pourtant proposé de rencontrer une collègue, mais il a refusé net. Il m'a fait comprendre qu'il se débrouillerait. Ce qu'il peut être têtu comme mec, c'est exaspérant. Mignon certes, mais exaspérant. Quand j'arrive, je vois Carmen faisant les cent pas devant la porte de l'infirmerie, l'air épuisé.

— Bonjour, Mademoiselle Chaos ! Tout va bien ? T'attends ton tour ? lui lança Naël sur le ton de la plaisanterie.

— Non, j'attends Andy, répond-elle visiblement agacée.

— Il va bien ? Qu'est-ce qu'il a ? dit-il inquiet.

On a ça en commun elle et moi, ce besoin pathologique de vouloir protéger Andréas, qui a un don extraordinaire pour se mettre dans toutes les embrouilles possibles.

— Disons que, cette fois, superman n'était pas là pour le sauver. Répond-elle avec un sourire fatigué avant de me raconter ce qui s'est passé.

— D'abord, l'horreur de Barcelone et maintenant ça. C'est la deuxième fois depuis qu'on est à Paris. Soit il a vraiment la poisse, soit... dit-elle en laissant sa phrase en suspens.

—Soit quoi ? Insiste Naël.

— Rien, laisse tomber. Me répond-elle en se mordillant les lèvres. Bon, tu m'excuses, je vais tenter de rentrer pour voir comment il va.

J'ai l'impression qu'elle regrette d'avoir parlé de Barcelone. Va falloir que je creuse cette histoire. À quoi pouvait-elle penser ? Qu'a-t-il bien pu se passer à Barcelone ? J'irai voir le docteur, je pourrais peut-être jeter un coup d'œil à son dossier médical. J'y trouverais peut-être des infos.

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