Chapitre 93

Quand Jungkook se réveilla ce jeudi de la mi-juin, il se sentait épuisé, et son bras l'avait arraché à son sommeil du fait des douleurs qui remontaient jusqu'à son épaule. Dans un râle, Jungkook tenta de se redresser, mais toute force le quitta et il préféra demeurer allongé. Un coup d'œil en direction de la fenêtre lui indiqua d'une part que les volets étaient restés ouverts toute la nuit et d'autre part qu'il pleuvrait aujourd'hui – et probablement une bonne partie de la semaine ; l'été approchait, après tout.

La gorge sèche, Jungkook fournit un nouvel effort dans l'espoir de se lever pour boire, mais à peine assis, il fut saisi par un assourdissant mal de crâne qui l'obligea à se rallonger dans un couinement.

« T-Taehyung... »

Son bras le brûlait.

« Taehyung ! »

Il ignorait s'il murmurait ou s'il criait. Le silence en revanche, il en était convaincu, lui hurlait aux oreilles. Il transpirait à grosses gouttes : la panique qui le gagnait lui causait bien plus de douleur que sa blessure. Comprenant tout à coup qu'il devait se calmer et reprendre ses esprits, émerger enfin de sa torpeur, Jungkook inspira profondément, évacua pendant de longues minutes toute trace de stress de son corps, et il se figura ses rayons à la librairie, leur ordre exact, tous les livres dont il se souvenait et leur place.

Se concentrer sur autre chose rendit la souffrance plus tolérable et lui permit de se reconnecter à la réalité. Il rouvrit les yeux, battit des paupières puis poussa un soupir. Le monde s'était tu, paisible, et il se sentait plus serein. Il s'étira, bâilla, et se leva en douceur, sans qu'aucun mal de tête ne lui écrase les tempes. Soulagé, il se dirigea à la cuisine, et puisqu'il était autorisé à se servir, il s'accorda une briquette de lait à la banane – et il remarqua que Taehyung en possédait plein, il ignorait s'il les avait achetées hier ou non.

Un coup d'œil à son portable qu'il avait pris avec lui lui permit de se rendre compte qu'il était à peine sept heures du matin. Le soleil était déjà levé, et en dépit des nuages, Jungkook ne peinait pas à y voir à l'intérieur. L'appartement de Taehyung était doté de nombreuses baies vitrées et de fenêtres qui offraient une importante luminosité, même les jours de mauvais temps.

Jungkook observa autour de lui. Il éprouvait la sensation d'habiter dans un logement composé de pièces de démonstration des grandes enseignes d'ameublement. Taehyung semblait les avoir achetées en l'état. Il n'avait rien enlevé, rien ajouté à cet endroit si parfait qu'il en devenait artificiel. Cette cuisine déplaisait beaucoup à Jungkook...

Il s'en dégageait une froideur glaçante.

Il quitta donc la pièce sans plus tarder pour rejoindre la chambre. Il ignorait si Taehyung était ou non levé, et pour tout dire il s'en moquait. L'écrivain lui avait déjà confié travailler parfois la nuit, si bien qu'il pouvait se coucher au lever du soleil comme à n'importe quelle autre heure. Il vivait au rythme qu'il désirait, au contraire de Jungkook qui, en sportif accompli, préférait un cycle de sommeil régulier et réparateur ainsi qu'une vie stable.

Le sommeil, après tout, était d'une importance cruciale, et il avait lu assez d'articles pour comprendre qu'il ne devait en aucun cas le négliger.

Retourné dans la chambre que lui avait prêtée Taehyung, Jungkook se planta devant ses bibliothèques. Il reconnut un des livres que son aîné avait souhaité lui passer, le jour où il l'avait embrassé. Le libraire, furieux, avait ensuite demandé à Yoongi de les lui rapporter, refusant de les ouvrir. Désormais, il voulait découvrir ce bouquin que son ami lui avait tant vanté.

Après avoir avalé un cachet qui l'attendait sur la table de chevet, il s'assit contre la tête de lit, un oreiller dans son dos et la couverture remontée jusqu'à ses genoux. Il feuilleta le roman, curieux, et lut près d'une heure. Il ne tint guère plus longtemps : son médicament, parce qu'il calmait ses douleurs, avait tendance à le rendre somnolent. Dès lors que son bras ne le tiraillait plus, Jungkook ne désirait plus qu'une chose, en profiter pour s'octroyer quelques minutes ou heures d'un sommeil tout à fait réparateur.

Sans compter qu'il n'avait rien de prévu pour les prochains jours, autant s'assurer de guérir au plus vite.

Ainsi, abandonnant son livre dont il retint la page – il n'avait rien trouvé pour lui servir de marque-page –, il se rallongea dans une position confortable et ferma les yeux.

Après un rêve qu'il oublia aussitôt qu'il ouvrit les paupières, Jungkook laissa la réalité reprendre peu à peu le pas sur les chimères créées par son esprit. Ses sens lui revinrent, et avant la vue ce fut son odorat qui lui signala quelque chose d'inhabituel : une senteur délicate lui chatouillait les narines, mêlée à une autre, plus sucrée. Il se redressa et découvrit, sur la table de chevet la plus proche, un plateau sur lequel se placées non seulement une tasse de thé fumant et une part de brioche aux pépites de chocolat encore chaude, mais aussi un vase transparent, long et fin, dans lequel on avait plongé une rose.

Jungkook rougit jusqu'aux oreilles. De toute évidence, Taehyung était passé juste avant son réveil, peut-être même était-ce le très léger bruit de la porte de chambre se refermant qui avait tiré le cadet de son sommeil. Touché par cette attention appétissante, Jungkook n'hésita pas : il s'assit au bord du lit, attrapa son morceau de brioche, le porta sans attendre à ses lèvres et lâcha un soupir de plaisir : quel délice !

Jungkook l'engloutit en un instant, il n'en laissa pas une miette ! Il saisit ensuite son smartphone, posé en mode avion à côté du plateau. Il tapota l'écran quelques instants, et découvrit alors un message de Taehyung qui lui tira un sourire attendri.

Taehyung – Je t'ai préparé un mini déjeuner. Je me doute que tu préfères manger un truc plein de protéines le matin (j'ai vu que les gars qui faisaient de la musculation comptaient leurs macros, tu le fais ?), mais pour inaugurer cette première journée de colocation, je me suis dit que ça te ferait plaisir. Si y a des trucs que tu veux manger en particulier, un régime que tu suis ou n'importe quoi du genre, hésite pas à me le dire. On fait comme ça t'arrange, tant que ça permet à ce petit bras abîmé de reprendre des forces ! ^3^

Jungkook – Bonjour hyung. Ta surprise m'a régalé, c'était délicieux, merci beaucoup. Je compte pas scrupuleusement mes macros, t'en fais pas. J'essaie juste de manger sain et équilibré. Je te laisse m'épater avec tes talents de cuisinier, je sens qu'on va rire.

Et pour cause : les rares fois où il avait été invité, Taehyung finissait presque toujours par commander à manger, incapable de préparer le moindre plat par lui-même sans provoquer une catastrophe...

Jungkook avait à peine repris son livre une fois son portable posé que ce dernier vibra pour indiquer la réception d'un nouveau SMS.

Taehyung – C'est moi qui vais rire quand t'ouvriras des yeux ronds comme des billes devant le festin que je t'aurais concocté ! ;)

Jungkook – Je demande à voir. Mais dis-moi, t'as peur de moi ? Pourquoi tu continues de m'envoyer des messages pour répondre ?

Taehyung – Je suis au bain, là...

Jungkook – Ah. Quelle salle de bains ?

Taehyung – Parce que tu comptes me rejoindre ?

Jungkook – Non, j'ai juste pas entendu l'eau couler, alors que d'habitude c'est typiquement le genre de bruits qui me réveille.

Taehyung – Ah ok. Bah c'est normal, j'ai pris la salle de bains la plus éloignée de la chambre, pour pas te déranger justement.

Jungkook – Ok.

Taehyung – Donc tu vas vraiment pas me rejoindre ?

Jungkook – Vraiment.

Taehyung – Et moi qui me réjouissais de prendre soin de toi, de te laver le dos et de toucher enfin ces muscles qui me font tant rêver. T- T

Jungkook – Ah parce que mon corps te fait toujours rêver ? -_-

Taehyung – J'en bave, oui ! Et c'est pas ta petite main qui va y changer quoi que ce soit ! ^^

Jungkook – Ridicule.

Taehyung – Mais vrai.

Le libraire ne s'amusa pas à répliquer. Dans un murmure agacé, il reposa son smartphone sur la table de chevet et se concentra de nouveau sur le livre qu'il avait trouvé. Sans surprise venant de ce mordu de culture française, il s'agissait d'un roman de Victor Hugo.

L'homme qui rit.

Bien qu'habitué des textes aux descriptions qui n'en finissaient pas, Jungkook avait toujours eu du mal avec certains auteurs. Il se souvenait avoir abandonné Notre-Dame de Paris à peine quelques paragraphes après le début, lassé par une interminable description de cathédrale. Il s'étonna donc de plonger dans l'intrigue et de se régaler, page après page, de l'histoire de ce garçon qui, marqué par un drame tragique, ressemblait à un monstre aux yeux des autres, alors même que les véritables abominations, c'était ces gens qui le rejetaient et se moquaient de lui du fait de sa blessure.

Il avait déjà lu une centaine de pages du bouquin quand on frappa avec discrétion à la porte.

« Je suis réveillé, hyung, tu peux entrer, » lança-t-il alors qu'il revenait peu à peu à la réalité – quelle drôle de sensation, chaque fois, de quitter un roman !

Taehyung entra, lui adressa un sourire, et ses prunelles s'illuminèrent de bonheur quand il constata qu'en effet, son ami avait savouré son petit cadeau.

« Je suis heureux que ça t'ait plu, affirma-t-il en venant chercher le plateau pour le rapporter à la cuisine. Tu veux autre chose ?

— Si t'as un fruit, je suis preneur : ça fait longtemps que j'en ai pas mangé !

— Avec plaisir, j'ai... oh, mais c'est L'homme qui rit !

— Euh... ouais. Un jour tu m'avais dit qu'il était vraiment bien, alors... j'ai voulu le lire.

— Trop bien ! Quand tu l'auras fini, tu me diras ce que t'en as pensé !

— Ouaip ! »

Taehyung s'apprêtait à quitter la pièce quand il fut stoppé par son cadet.

« Hyung, j'y pense...

— Oui ? l'encouragea-t-il en se retournant pour plonger son regard dans le sien.

— Je... je suis juste curieux : la rose, c'était pour quoi ? »

L'expression de Taehyung s'adoucit, son visage prit même un pli amusé. La naïveté de Jungkook lui plaisait de plus en plus.

« Je te laisse deviner, Kookie. »

L'appelé frémit à ce surnom, mais il n'en laissa rien paraître. Or, une fois la porte fermée, Jungkook ne réussit pas à s'empêcher de sourire, les joues rougies de plaisir. Une rose, la fleur de l'amour... Taehyung s'était toujours montré peu subtil, mais cette fois-ci, ça ne gênait pas Jungkook qui, au contraire, le préférait honnête.

Le libraire remonta la couverture sur ses hanches et rouvrit son roman. Il le dévora jusqu'à l'heure du déjeuner. Occupé à sa lecture, il ne s'était même pas rendu compte du temps qui avançait, si bien que quand Taehyung frappa et entra, il le regarda avec une moue curieuse.

« Je voulais juste savoir si ça te convenait : pour ce midi, j'ai des nouilles avec quelques légumes et du porc.

— Oui, ça me va, opina Jungkook. Merci beaucoup.

— Parfait. Je t'apporte le déjeuner ici ou bien tu veux venir à la cuisine ?

— Je préfère rester ici, répondit Jungkook qui se souvenait que son médecin lui avait déconseillé de quitter le lit s'il n'y était pas contraint.

— Parfait, je t'apporte ça dans vingt minutes !

— Vingt minutes ? Mais... »

Jungkook jeta un œil à son portable, posé à côté de lui en mode avion. Devant sa surprise, Taehyung rit.

« Oui, il est déjà midi et quart. Je me doutais que tu pouvais ne pas voir le temps passer quand t'es concentré sur ta lecture, mais à ce point, je t'avoue que je m'y attendais pas.

— T'imagines pas le nombre de repas que j'ai sautés sans m'en rendre compte, juste parce que je voulais pas lâcher mes bouquins...

— Probablement autant que j'en ai sauté sous prétexte que je voulais pas arrêter d'écrire, devina Taehyung en lui adressant un clin d'œil. Je vais finir de préparer tout ça, je reviens vite.

— Merci beaucoup. »

Une fois seul, Jungkook prit une profonde inspiration en fermant les yeux. Il sourit, le cœur libéré de tous les tourments qu'il avait endurés jusqu'à présent. Taehyung et lui étaient redevenus amis...

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