Chapitre 87
Jungkook sortit de sa torpeur après un long moment, et Yoongi l'informa qu'il était vingt heures passées. Surpris de trouver son ami encore dans sa chambre, le libraire prit une moue anxieuse.
« Hyung, tu peux rester ici jusqu'à quelle heure ?
— Je peux rester autant que tu resteras.
— Mais... cette nuit...
— Je reste aussi. J'ai le droit.
— Oh c'est vrai ? Merci !
— Me remercie pas, c'est normal. D'ailleurs... je me doute que t'as pas envie de le savoir, mais t'es libraire, alors c'est normal de te tenir au courant des actualités littéraires : le prix du roman jeunesse coréen a été annoncé. Taehyung a gagné, ça s'est joué à une voix. Il est allé fêter ça au restaurant avec Jimin et toute l'équipe de la librairie.
— J'en suis heureux pour lui. »
Son ton glacial pourtant traduisait son ironie.
« Je maintiens que derrière son air taquin et parfois un peu idiot, c'est quelqu'un qui a du cœur.
— Un cœur qui, de toute évidence, ne bat plus pour moi.
— T'aurais aimé le contraire ?
— Je sais pas.
— Jungkook...
— Quoi ?
— Est-ce que si la réponse de Taehyung t'a autant vexé... c'était parce que tu commençais à t'attacher à lui ?
— On était de bons potes.
— Tu sais ce que je veux dire, lui reprocha Yoongi dans un soupir. Sois honnête.
— Je sais pas exactement... mais je crois que oui. »
Sa phrase tint en un murmure, néanmoins elle retentit en Yoongi de manière indescriptible. Lui qui avait pensé Jungkook capable d'aimer uniquement une fille, aujourd'hui pourtant il ne s'étonnait pas de l'entendre lui avouer son affection pour un garçon. Il poussa un profond soupir.
« Je comprends qu'il ait pu collectionner les gaffes depuis votre rencontre, mais... je sais pas, il agit toujours avec de bonnes intentions, jamais il ne souhaiterait te blesser. Peut-être que... s'il a réagi de cette manière, c'était non pas pour te blesser, mais pour éviter d'être lui-même blessé.
— Et la façon dont il me traitait avant ça, genre morceau de viande ? Il avait de bonnes intentions ?
— Non, mais il n'en avait pas non plus de mauvaises. Il a juste pas réfléchi. Je sais, c'est pas une excuse pour lui pardonner, mais c'est au moins une excuse pour lui laisser une chance de se faire pardonner. Le mal, le véritable mal, c'est celui qui est fait de manière volontaire. Je sais pas si tu connais bien Taehyung, mais il est beaucoup plus fragile et vulnérable que ce que tu sembles croire. Tae manque cruellement d'affection, il n'a plus eu de relations stables depuis un moment et...
— Bah y a peut-être une raison à l'instabilité de ses relations, répliqua Jungkook avec amertume.
— Oui : ses copains se barraient après quelques semaines, le temps que Tae leur offre des cadeaux assez chers pour que ça ait valu le coup de coucher avec lui. Tu veux que je te dise ? Y en a même un qui a essayé de le faire chanter en menaçant de dévoiler son homosexualité au grand public.
— T'es sérieux ? M-Mais... qu'est-ce qu'il a fait ?
— Tae ? Rien, il a payé. Jimin en revanche s'est vite aperçu qu'il allait très mal, et il lui a fait cracher le morceau.
— Et ensuite ?
— Le connard qui l'emmerdait a fini avec le nez en sang et des dents en moins. On n'a jamais retrouvé son agresseur, mais il lui a éclaté son portable au sol. Plus aucune photo, il n'avait pas de sauvegardes externes – un vrai con, jusqu'au bout.
— Oh... c'est Jimin qui l'a défoncé, c'est ça ?
— Je vais sûrement pas approuver, il ne ferait pas de mal à une mouche, répliqua Yoongi.
— Hyung, si la mouche en question approchait, je suis sûr qu'il serait capable de la couper en deux avec un sabre juste pour éviter qu'elle te touche.
— Hum... je peux pas nier. Quoi qu'il en soit, Taehyung n'ose plus approcher les gars en boîte de nuit, à part pour quelques heures. Il ne les revoit jamais, ça lui fait bien trop peur. Alors... oui, Tae a du mal avec les relations, mais il a vite compris ses erreurs, et il s'en veut encore aujourd'hui, j'en suis sûr. C'est pas un mauvais garçon, mais il a besoin qu'on lui montre la bonne voie.
— Tu voudrais que je lui laisse une chance ? s'étonna Jungkook.
— Non, pas spécialement, je voudrais juste que toi, tu ne t'empêches pas de lui en laisser une si tu le désires – et je sais qu'au fond, t'aimerais. Obéis à ton cœur plutôt que de ruminer ta colère. Taehyung n'attend qu'une chose : te revoir.
— T'es chiant...
— Ça veut dire quoi ?
— Que je sais pas ce que je veux, râla Jungkook en mordant une bouchée de son kimbap.
— C'est déjà mieux que la dernière fois, tu ne voulais plus du tout le voir, avant. »
L'autre haussa les épaules, et il continua son déjeuner, une moue boudeuse au visage. Yoongi et Jimin n'avaient pas cessé de trouver des excuses à Taehyung, de chercher à expliquer son comportement... et peut-être que si Jungkook se sentait las de ces tentatives, il désirait en tout cas entendre à présent les justifications de l'écrivain. Il était devenu curieux...
Les garçons ne poursuivirent pas leur conversation : Jungkook décida d'appeler ses parents peu après, et Yoongi et lui profitèrent de leur soirée d'abord pour leur raconter les évènements récents puis pour bavarder entre eux de tout et n'importe quoi – et surtout de la relation de Jimin et Yoongi.
Le dîner fut apporté au patient, quant à son ami, il se rendit à la cafétéria pour s'acheter quelque chose. Ils se régalèrent tous deux, ravis de la qualité du repas fourni. Le temps passa vite jusqu'à ce que Jungkook se sente somnolent. Il avait, une heure plus tôt, demandé de quoi taire ses douleurs dans l'avant-bras, devenues insoutenables, et il désirait désormais dormir.
« Alors... tu vas rester, hyung ? demanda-t-il d'une petite voix à son aîné.
— C'est prévu, oui.
— Est-ce que... on a le droit de dormir ensemble ?
— Ça, je pense pas. Mais je dormirai tout près, sur le fauteuil.
— Ça va pas être désagréable ?
— Mais non, t'en fais pas. Il est confortable. Je veux rester avec toi, cette nuit, mon Kook-ah.
— Merci beaucoup.
— Et toi, t'es bien installé, t'as besoin de quelque chose ? »
Allongé sur son flanc droit, Jungkook nia d'un signe de tête, et il laissa ses paupières se fermer seule. Yoongi, assis tout près, tendit la main pour la passer avec affection dans ses cheveux, et très vite ces gestes eurent raison de lui. Il s'assoupit.
Le réceptionnaire envoya d'abord un message à Taehyung pour le féliciter puis le rassurer quant à l'état de Jungkook, puis il éteignit son smartphone et le posa à côté de lui. Enfin, apaisé de constater que son ami se portait bien et avait réussi à affronter cette dure journée, il se perdit à son tour dans une agréable torpeur, le visage enfoncé entre ses bras eux-mêmes appuyés sur le lit de Jungkook.
~~~
« Maman ! »
Ce cri strident arracha Yoongi à son sommeil dans un sursaut. Il se redressa immédiatement, le cœur battant, pour découvrir Jungkook assis sur son lit, dans l'obscurité, à tourner la tête de façon paniquée.
« Maman ! Maman ! hurla-t-il alors que s'entendait son désespoir dans sa voix.
— Jungkook, qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta Yoongi en lui attrapant la main droite. Eh, Jungkook, tout va bien, calme-toi.
— Je veux voir ma maman, je vous en supplie, craqua-t-il dans un sanglot.
— Elle est pas là, elle dort, c'est la nuit, tenta encore Yoongi en quittant son siège. Jungkook, c'était juste un cauchemar, rendors-toi. »
Mais son cadet continua de supplier, d'appeler sa mère, et Yoongi, incapable de le calmer en lui parlant – car Jungkook n'écoutait rien, il ne l'entendait pas –, il finit par l'enlacer avec force, terrifié de la puissance de cette peur qui s'était emparée de son ami.
« C'est Yoongi, Kook-ah. Ta mère est à Busan, elle va bien, elle dort. On lui a parlé hier soir, tu te souviens ? Calme-toi, je t'en prie. Tout va bien, c'était un cauchemar.
— Hyung ? »
Yoongi poussa un soupir de soulagement, ému par la brutalité de cet instant pourtant bref. Il prit une longue inspiration sans s'écarter de son meilleur ami, qui l'enlaça de son bras droit et se blottit soudain contre lui sans s'inquiéter de la transpiration qui couvrait sa peau.
« Hyung, mon dieu... j'ai eu tellement peur... pardon... »
Jungkook tremblait, et ses sanglots ne s'étaient pas calmés. Yoongi ne put retenir une larme fugitive qui, en glissant sur sa joue, lui sembla éloigner avec elle la panique qu'il avait éprouvée devant le réveil de Jungkook. Il serra ce dernier contre lui, cherchant à lui transmettre le plus d'amour possible afin d'apaiser sa terreur, et les minutes passèrent, silencieuses.
Jungkook, que la seule odeur ténue de Yoongi rassurait, sentit les battements furieux de son cœur se tranquilliser, ses sanglots aussi. Il renifla, essuya ses larmes d'un revers de la manche et ne s'écarta de son aîné que pour se moucher.
« Ça va mieux ? s'enquit Yoongi en lui caressant le bras.
— Oui... désolé, je... j'ai fait un cauchemar.
— Je sais. C'est rien.
— Hyung... c'était exactement comme ce jour-là... y avait du sang partout, et j'avais tellement peur qu'elle... qu'elle n'ouvre plus jamais les yeux. »
Yoongi prit le visage de son ami en coupe pour effacer les deux larmes qui lui avaient échappé à ces mots.
« Mais c'était juste un mauvais rêve. Ici, tout le monde va bien. Et toi, tu vas même encore mieux, maintenant.
— Je t'en supplie, je veux rester dans tes bras, je veux pas dormir seul...
— Je pense pas pouvoir dormir sur ton lit, Kook. S'il se passe quoi que ce soit, ça pourrait gêner. »
Les deux garçons, s'ils ne se voyaient pas du fait de la pénombre, distinguaient néanmoins les silhouettes qui les entouraient, et la lune leur permettait de les reconnaître. Jungkook demeura immobile, Yoongi indécis. Puis le libraire bougea. Il s'installa au bord de son lit, attrapa sa couverture et incita d'un geste son ami à se rasseoir sur le fauteuil. Jungkook ensuite se leva puis, un pas plus tard, se plaça à califourchon sur les cuisses de son aîné, face à lui qui l'enlaça dans un soupir.
« Toi, quand t'as une idée en tête, lui reprocha Yoongi avec douceur.
— Je vais forcément bien dormir contre toi, » sourit Jungkook.
Et l'autre n'eut pas la force de l'obliger à s'en aller. Si Jungkook, ainsi positionné, pouvait trouver un sommeil paisible et réparateur, alors Yoongi ne souhaitait pas le contraindre à retourner sur ce lit qui lui rappelait des souvenirs tels qu'il en cauchemardait. Le réceptionnaire donc prit la couverture apportée par son ami et l'étendit sur son dos pour lui éviter d'attraper froid. Il le saucissonna presque dedans, veillant à ne pas frôler son bras souffrant, et il l'étreignit de nouveau. Jungkook, la tête sur son épaule, poussa un soupir de bonheur, et il se détendit tout à fait quand Yoongi en profita pour lui caresser le dos et la nuque en dépit de l'épaisse couette autour de Jungkook.
« T'es bien, comme ça ?
— Oui, merci d'être resté cette nuit. Heureusement que t'étais là.
— Oublie ça, c'est fini, Kook.
— J'arrive pas à oublier...
— Rendors-toi, je reste là... de toute façon je risque pas de m'en aller, t'es trop lourd.
— Tu me le dis si mon poids coupe la circulation sanguine de tes jambes, se moqua Jungkook.
— T'inquiète, je survivrai.
— Merci pour tout, Yoongi-hyung. »
Et sur ces mots, Jungkook lui embrassa le cou dans un geste aérien, d'une délicatesse telle que Yoongi le perçut comme une caresse. L'aîné pour sa part perdit sa main dans les cheveux de son cadet, qui s'endormit contre lui de longues minutes plus tard.
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