Chapitre 83

Après avoir annoncé la bonne nouvelle à Namjoon, qui l'avait serré dans ses bras dans un élan de soulagement, Jungkook avait passé une matinée qui, bien que banale, lui parut radieuse. Même les questions les plus stupides ne l'ennuyaient pas, il prenait le temps de discuter avec les clients du fait de l'affluence modérée, et il lui semblait que jamais il ne s'était tant plu dans son travail – travail qu'il continuerait longtemps d'exercer, quel bonheur !

Sur son nuage, Jungkook salua ses collègues et rentra chez lui, peu inquiet de la douleur qui grimpait peu à peu de son poignet à son coude, preuve qu'il avait trop bougé le bras. Peu importait la douleur, bientôt elle n'existerait plus ! La seule souffrance qu'il ressentirait serait due à son intervention prochaine, et non plus à un bout d'os qui s'amusait à taquiner ses nerfs et ses muscles !

D'une humeur plus enjouée que jamais, il songea même à écrire à Taehyung. Peut-être que si l'auteur apprenait qu'il guérirait, il se montrerait un peu plus enclin à redevenir son ami. Ils ne s'étaient plus parlé, ni en face ni par message, depuis ce funeste dimanche où leur bêtise avait tout gâché. Jungkook, à cette pensée, se rembrunit. Il ne voulait pas se rapprocher quelqu'un qui n'aurait jamais pu accepter son handicap. Taehyung s'avérait très compréhensif vis-à-vis de Yoongi et ses phobies, alors... pourquoi ne supportait-il pas la vision de la main de Jungkook ?

Sans doute ne valait-il pas la peine que le libraire se torture de questions, mais ce dernier ne pouvait pas continuer de se mentir : il l'aimait, et il aurait souhaité que Taehyung l'aime tel qu'il était. Ces mêmes pensées le hantaient depuis des jours...

Dans un soupir, Jungkook déjeuna, profitant de ce moment tranquille pour lire. Son portable vibra alors qu'il terminait tout juste.

Jimin – Yoongi m'a appris que tout allait s'arranger pour toi, et même si je sais pas du tout de quoi il parlait, je voulais juste te dire que je suis sincèrement heureux pour toi ! ^^

Jungkook – Merci. Tu l'as dit à Taehyung ?

Jimin – Au début, je voulais, et puis je me suis dit que ce serait mieux si c'était toi qui lui annonçais la bonne nouvelle, tu penses pas ?

Jungkook – Je sais pas. J'ai pas envie de lui dire.

Jimin – Je suis sûr, pourtant, qu'il serait heureux pour toi, et ce serait un bon moyen d'ouvrir le dialogue.

Jungkook – Belle ouverture de dialogue, effectivement : « salut hyung, maintenant que je ne suis plus aussi hideux à tes yeux, ça te plairait qu'on recommence à discuter ? »

Jimin – Taehyung n'a jamais rejeté qui que ce soit sous prétexte que c'était une personne « hideuse », à moins que ça signifie que t'as tué une adorable petite fille... ou un animal. Ça, effectivement, c'est très moche. Mais si on parle bien de physique, alors je vois vraiment pas de quoi tu parles.

Jungkook – Peu importe.

Jimin – Je comprends que tu veuilles pas m'expliquer exactement ce qui se passe, mais si j'avais au moins le minimum de détails, je pourrais essayer de vous aider.

Jungkook – Mdr et en quel honneur je voudrais de ton aide ?

Jimin – Parce que t'aimes beaucoup Taehyung et que visiblement, tu sais pas pour quelle raison il t'a prétendument rejeté.

Le libraire râla. Il détestait évoquer sa main, il préférait encore la cacher, y compris à la plupart de ses collègues. Pourtant... il ignorait pourquoi, mais il ne se sentait pas tout à fait opposé à l'idée d'en parler à Jimin. Ce dernier, après tout, ne le connaissait qu'à peine, et ils ne se croisaient jamais : il ne risquait pas de le juger, et quand bien même, il suffirait à Jungkook de supprimer son numéro pour oublier le compagnon de Yoongi. D'ailleurs, le réceptionnaire lui avait dit tant de bien de Jimin qu'il l'estimait malgré ses doutes.

Jungkook – Ma main a été écrasée dans un accident de voiture quand j'étais petit. Le sang n'y circulait plus correctement, il a fallu m'amputer de trois phalanges, j'ai des cicatrices dégueulasses, et en les voyant, Taehyung, qui affirmait m'aimer, a tout à coup retourné sa veste. Content ? Le reste, t'as pas besoin de le savoir.

Jimin – Non, c'est pas vrai.

Jungkook – Pardon ?

Jimin – Tae n'a pas retourné sa veste à cause de ta main, tu mens.

Jungkook – Ptdr mais qu'est-ce que t'en sais ?

Jimin – J'en suis sûr. T'as dû dire ou faire quelque chose d'autre, quelque chose de bien plus grave que deux ou trois cicatrices.

Jungkook – J'ai des dettes à cause de cet accident. Si c'est quand je lui ai avoué que j'étais pauvre qu'il a pris peur, c'est encore plus dégueulasse de sa part.

Jimin – Non plus : Tae aurait volontiers proposé de t'aider, à moins qu'il ait eu peur de te contrarier et qu'il ait pas osé. Mais le fait est là : que tu sois riche ou pauvre, c'est pour lui comme si tu portais un pull rouge ou vert, il s'en fout. Surtout que t'y peux rien, il est pas stupide.

Jungkook – Alors je vois pas.

Jimin – Jungkook, je peux te poser une question importante mais très personnelle ?

Jungkook – Comment ça ?

Jimin – Est-ce que tous ces problèmes t'ont déjà amené à avoir des pensées vraiment sombres ?

Jungkook – T'as pas besoin de le savoir.

Jimin – Taehyung peut tout accepter : quelqu'un de différent physiquement, quelqu'un de handicapé, quelqu'un qui a une condition difficile... mais pour une raison qui ne regarde que lui, Taehyung est terrifié par les personnes en dépression sévère. Il refuse d'en côtoyer : il se sent impuissant, et ça le fait paniquer. Jungkook, est-ce que le soir où vous vous êtes engueulés, t'as fait part à Taehyung de ce genre de pensées ?

Le jeune homme déglutit devant ce SMS, stupéfait. Il se rappelait chaque mot, chaque geste.

Jungkook – Oui.

Jimin – Si hyung a bel et bien raison quand il affirme que tout va s'arranger pour toi, alors reviens vers Taehyung, s'il te plaît. Il t'aime, Jungkook. Il a eu peur, mais il a vite su qu'il avait eu tort de s'inquiéter.

Le libraire ne répondit pas, ému. Si Jimin avait réussi à deviner ce détail de leur conversation... il avait peut-être visé juste. Jungkook ignorait pour quel obscur motif Taehyung craignait à ce point les gens désireux d'en finir – même si sa méfiance se justifiait, comment expliquer cette peur viscérale qu'il avait lue dans son regard quand l'écrivain avait appris ses pensées suicidaires ? –, et très vite il songea que cette raison, c'était peut-être l'état dans lequel Taehyung était déjà : la solitude, la peine... Jungkook l'avait rarement vu heureux, sincèrement heureux.

S'il avait souffert ou souffrait encore d'une sévère dépression... alors Jungkook pouvait comprendre qu'il ne souhaite pas rajouter le poids du malheur d'un autre à son propre malheur.

Peut-être devrait-il oser un premier pas vers Taehyung, au moins pour confirmer l'affirmation de Jimin. Ensuite, il aviserait. Pour lors néanmoins, il ne désirait en aucun cas se rappeler cet idiot, il préférait se concentrer sur lui-même et sur la longue convalescence qui l'attendait, ainsi que sur son bien-être qu'il avait trop souvent été contraint de mettre de côté.

À force de se sacrifier, pas étonnant qu'il ait songé à partir.

Décidant donc d'oublier Taehyung pour l'instant, Jungkook se dirigea à la salle de bains pour prendre un antidouleur, et une fois l'heure venue, il quitta son studio, son sac sur l'épaule. Un taxi arriva en même temps que lui au pied de l'immeuble et quand il y grimpa, il se rendit enfin compte que sa vie allait bel et bien changer.

L'émotion et le plaisir lui nouèrent la gorge.

~~~

« Et comment va Jungkook ? Tu m'as pas donné de nouvelles de lui, hier, songea Taehyung en jetant un regard à Yoongi.

— Il va bien, affirma le réceptionnaire en fermant le livre qu'il tenait. Il a l'air de se sentir un peu mieux ces derniers temps. Je crois qu'il t'en veux un peu moins... enfin j'espère. Quoi qu'il en soit, il a l'air mieux.

— Ah ? Tant mieux pour lui, dans ce cas. Je suis heureux qu'il se sente un peu mieux. J'espérais que... que ma réaction aurait pas trop abîmé sa confiance en lui... Je voulais sincèrement pas le blesser.

— Je sais... »

L'écrivain baissa les yeux, l'air coupable, et poussa un soupir. Yoongi garda le silence, conscient que son ami désirait reprendre la parole. Il attendit de longues secondes durant.

« J'imagine qu'il ne veut plus me voir, n'est-ce pas... ?

— J'en suis désolé.

— Je comprends sa décision, t'excuse pas. Mais... tu crois que je pourrais lui envoyer un message ?

— C'est pas le bon moment, je pense qu'il vaut mieux attendre au moins la semaine prochaine.

— La semaine prochaine ?

— Oui, il sera peut-être un peu plus disposé à t'écouter, opina Yoongi.

— D'ailleurs, j'y pense : tu m'as toujours pas dit si tu viendrais dimanche soir pour la finale du prix du roman jeunesse. T'étais dispo à condition de pouvoir rester avec Namjoon un peu à l'écart, c'est toujours bon pour toi ?

— Euh... j-je suis pas sûr, finalement. Je vais sûrement pas pouvoir être là. »

Yoongi parut embarrassé, et il s'en voulait : il avait affirmé en début de semaine qu'il n'avait rien de prévu pour ce dimanche soir et assisterait avec plaisir à sa finale – peu de monde serait présent pour cette cérémonie, dont les résultats importaient avant tout. Or... l'intervention que Jungkook devait subir se déroulerait le même jour, et Yoongi comptait bien rester à ses côtés : il l'accompagnerait à l'hôpital et de l'attendre jusqu'à son réveil. Il ignorait encore à quelle heure son ami serait conduit au bloc, de sorte qu'en dépit de ses doutes, il était presque certain de ne pas venir avec l'auteur à son concours.

Il ne pouvait pas laisser Jungkook seul, pas maintenant, pas alors que son cadet s'impatientait autant qu'il s'inquiétait. Après tout, c'était une opération ratée qui avait amené à ce nouveau problème, et même si Jungkook devait passer sous le scalpel des plus grands spécialistes du pays, Yoongi savait qu'il angoisserait plus que jamais.

Il s'agissait de l'ultime chance du jeune homme de se sortir d'un enfer dans lequel il était plongé depuis trop d'années, et Yoongi était bien décidé à rester à côté pour effectuer ce trajet hors de l'obscurité. Jungkook le soutenait, l'accompagnait quoi qu'il arrive, et Yoongi comptait le lui rendre. Tous deux handicapés par des blessures – visibles ou non – ils se soutiendraient toujours. Il ne doutait pas que son cadet, même une fois guéri, demeurerait prêt à passer du temps avec lui ou le réconforter lors des moments les plus difficiles.

« Hyung...

— Oui ?

— Jungkook et toi, vous êtes vraiment proches, hein ?

— Oui, comme Jimin et toi.

— Mais Jimin et moi, on se connaît depuis l'enfance. Jungkook et toi, ça fait quoi... un an et demi ?

— Deux ans, oui.

— J'admire vraiment votre proximité. Et quand t'as vu sa main...

— J'ai posé la mienne dessus, et pour la première fois depuis des mois j'arrivais à toucher quelqu'un, compléta Yoongi.

— Oh... c'est bien qu'il ait rencontré quelqu'un comme toi. Ça t'a pas gêné plus que ça, en fait ?

— Quand sa manche est tombée et qu'il a compris que j'avais vu sa main, j'ai croisé son regard, et j'y ai lu une douleur pareille à la mienne, celle d'un traumatisme tel qu'il pouvait pas en parler sans craquer. Jungkook, c'était moi, alors j'ai posé ma main sur la sienne sans hésiter.

— Jungkook te rappelait toi-même, c'est ça ?

— Oui.

— Moi, c'est justement parce qu'il m'a rappelé quelqu'un que j'ai pas pu supporter ça. Quand il a tout déballé... je ne le voyais plus... j'en voyais une autre. »

Taehyung se tut, et Yoongi n'osa pas poser la moindre question, car le regard de son cadet s'était fixé sur le mur face à eux. Perdu dans ses souvenirs, l'écrivain paraissait si malheureux que son ami garda le silence. Il le comprenait un peu mieux, désormais.

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