Chapitre 81

Deux jours supplémentaires étaient passés, et en ce mercredi soir, Jungkook se sentait si angoissé qu'il en éprouva des douleurs à la poitrine. Seokjin ne lui aurait jamais parlé de l'offre de cette directrice d'hôpital s'il n'existait pas au moins cinquante pour cent de chance pour qu'elle accepte. Or, de peur de recevoir une mauvaise nouvelle, il n'osait pas non plus envoyer un message à son ami.

Donc il attendait.

Il était tard, le soleil venait de se coucher et il faisait les cent pas dans son minuscule studio. Il se rongeait les sangs, et il s'assit sur une chaise environ cinq secondes avant de se redresser. Le bras gauche prisonnier de son attelle, il tenait de sa main libre son smartphone et pianotait à intervalles réguliers pour chercher tout et n'importe quoi sur ses diverses applications. Un nouveau livre à lire sur une plateforme gratuite, ou bien le nombre de pas effectués dans la journée, le site de la librairie, etc. En bref, il tentait de faire passer le temps plus vite jusqu'au moment de se coucher, mais les minutes semblaient refuser de s'écouler, et il n'en pouvait plus !

Est-ce qu'il devrait appeler Yoongi pour tout lui expliquer ? Non, ça risquait de lui porter malheur – Jungkook n'était pas quelqu'un de superstitieux, mais dans une telle situation, pouvait-on le blâmer de se raccrocher au moindre espoir ?

Jungkook poussa un soupir en fermant les yeux. Il devait penser à autre chose, mais comment ?

Il décida de sortir se promener, sur un coup de tête : il lui fallait absolument s'aérer l'esprit, il étouffait ici !

Après avoir vérifié qu'il lui restait assez de batterie pour ne s'inquiéter de rien, le libraire quitta son studio à la hâte. Il fuyait. Que fuyait-il exactement ? Son anxiété, ses craintes, ses tracas : son appartement, c'était toute sa vie, il y passait l'intégralité de son temps. Or, l'extérieur représentait cet ailleurs qu'il n'osait jamais franchir, la limite de son budget comme de son existence.

Et peut-être que l'extérieur, depuis quelques semaines, c'était devenu le lieu mystérieux que Taehyung lui permettait de découvrir. Ainsi, même seul, Jungkook éprouvait l'ardent désir de s'y balader. Pas pour dépenser de l'argent – car il n'avait pas apporté sa carte de crédit –, mais pour se souvenir d'autre chose que de son bras et sa situation minable. Quand il se promenait dans la rue, il se rappelait avant tout ses rendez-vous prétendument amicaux avec Taehyung, et ça le réconfortait. Il ignorait pourquoi, mais ce soir, il avait besoin de ce réconfort.

Peut-être avait-il besoin de Taehyung, tout compte fait. Pour quelle raison ? Il s'était montré si cruel avec lui, pourquoi Jungkook n'arrivait-il plus à l'oublier ? Chaque fois qu'il songeait à son ami, son cœur se serrait, mais pas de colère : de douleur. Il avait appris à apprécier Taehyung, à le considérer comme une personne avec des centres d'intérêt communs aux siens, le seul avec qui parler vraiment de littérature.

Il se sentait triste sans lui, et la présence de Yoongi ne parviendrait pas à apaiser cette mélancolie. La solitude qui le minait... Jungkook soupira : oui, il avait fini par éprouver pour Taehyung plus qu'une simple amitié, si bien que désormais, même Yoongi ne comblerait pas ce vide laissé par l'écrivain dans son cœur.

Comme il aurait aimé que Taehyung ignore sa main, l'enlace et affirme haut et fort qu'il l'aimait malgré tout...

Jungkook, dépité, accéléra le pas, veillant néanmoins à se cantonner aux quartiers qu'il connaissait, de peur de se perdre – cette fois, Taehyung ne viendrait pas le chercher.

À cette pensée, le soir où son aîné l'avait secouru, ramassé au bord de la route pour le ramener chez lui, une douloureuse nostalgie envahit Jungkook. L'auteur, épuisé par sa journée, avait accepté de l'aider. Il l'avait soutenu, était resté avec lui jusqu'à ce qu'il se sente enfin mieux...

Jungkook effaça ce souvenir de son esprit, et après une longue inspiration, il décida d'imaginer à quoi ressemblerait sa vie si l'intervention, pour n'importe quelle raison, n'avait pas lieu. De plus en plus souvent il essayait de se figurer cette existence qui l'attendait, de sorte qu'elle ne lui paraisse pas trop difficile s'il devait l'affronter. Mieux valait prévoir le pire plutôt que de se contenter de rêver du meilleur.

Les minutes passant, Jungkook s'arrêta près d'un café dans lequel il s'était déjà rendu avec Taehyung. Il esquissa un sourire qu'il chassa au plus vite, et il reprit son chemin.

Les gens qu'il croisait lui jetaient parfois un coup d'œil appuyé, intrigués par l'attelle qu'il portait, mais il s'en moquait. Il savait que la différence attirait la curiosité, mais pas nécessairement l'hostilité. Sa mère le lui avait appris, et elle était mieux placée que lui pour l'affirmer : quand elle était encore en fauteuil roulant, combien de regards avait-elle reçues sur sa jambe amputée !

Pourtant, pour elle comme pour Jungkook, le regard le plus difficile à supporter resterait pour toujours leur propre regard.

En vérifiant son portable, Jungkook s'aperçut que vingt-et-une heures approchaient. Il s'apprêtait à ranger son téléphone dans sa poche quand un SMS le fit vibrer entre ses mains.

Inconnu – Salut, Jungkook, c'est Jimin, l'ami de Taehyung ! J'espère que tu vas bien. :)

Jungkook – Oui, pourquoi ?

Jimin – Juste pour savoir. Je sais que Taehyung demande parfois de tes nouvelles à Yoongi, alors je me suis dit que je pouvais aussi bien prendre ces nouvelles à la source.

Jungkook – Il demande de mes nouvelles à hyung ?

Jimin – C'est bien ce que j'ai écrit, oui. :3

Jungkook – Pourquoi ?

Jimin – Faut croire qu'il continue de s'inquiéter pour toi.

Jungkook – Ah parce qu'il s'inquiète pour moi ? Il avait pas l'air de beaucoup s'inquiéter, la semaine dernière, pourtant.

Jimin – Détrompe-toi, sinon je lui aurais pas proposé de venir habiter chez moi. Votre dispute le ronge, encore aujourd'hui il a passé sa journée à se lamenter et à écrire son roman sordide.

Jungkook – Il va pas si mal, te fous pas de ma gueule.

Jimin – Qu'est-ce que t'en sais ? Tu lui as parlé récemment ?

Jungkook – Non, mais s'il ne m'aime plus, je vois pas pourquoi il se lamenterait au sujet de notre dispute.

Jimin – Bien vu.

Jungkook – Ah, tu vois, on est d'accord.

Jimin – Mais ta conclusion est la mauvaise : effectivement, s'il ne t'aimait plus, il ne serait pas si abattu par votre dispute. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas abattu... mais bel et bien qu'il t'aime encore.

Jungkook – Il a pourtant affirmé l'inverse, et crois-moi que son regard trahissait qu'il s'agissait bien de la vérité.

Jungkook tapa ce message avec un agacement tel qu'il dut se calmer de peur d'abîmer son écran. Comment Jimin, qui ignorait pourtant ce qui était advenu (à moins que Taehyung lui ait raconté toute l'histoire, auquel cas Jungkook jurait qu'il était un homme mort), osait-il le juger ?

Jimin – Il s'en veut beaucoup, mais ce que tu as dit et la façon dont tu l'as dit l'ont beaucoup déstabilisé. Il était perdu, et il regrette.

Jungkook – Pourquoi tu me dis tout ça ?

Jimin – Parce que vous avez tous les deux eu des torts dans cette histoire, je sais que depuis le début votre amitié est houleuse... mais je sais aussi qu'elle est sincère, et ce serait dommage de la gâcher comme ça.

Jungkook – Est-ce que t'es au courant de ce qui s'est passé ?

Jimin – Pas tout. Il a refusé de me donner certains détails.

Jungkook – C'est lui qui a tout gâché comme un grand. J'ai pensé pouvoir lui faire confiance, je lui ai laissé une chance, et il a préféré me faire bien comprendre que ce qu'il prétendait ressentir pour moi, c'était que des conneries, juste des belles paroles pour m'amadouer. C'est pas quelqu'un de bien.

Jimin – Tae a ses raisons, je t'assure que si tu lui reposais la question aujourd'hui, sa réponse serait différente.

Jungkook – Et alors ? La mienne ne changerait pas : je ne veux plus le revoir.

Jimin – T'en es vraiment sûr ?

Le libraire poussa un soupir et leva les yeux sur le ciel nocturne. Il ferma les paupières, ignora le bruit et le mouvement autour de lui. En était-il vraiment sûr ? Non, évidemment.

Jungkook – Peu importe, de toute façon ça sert à rien de discuter, je vois même pas pourquoi je m'embête à te répondre. J'ai rien contre toi, Jimin, mais essaie pas d'arranger ce qui ne peut pas l'être.

Jimin – Si, ça peut être arrangé, il suffit de le vouloir. Et si t'as pas répondu à ma précédente question, ça veut peut-être dire que justement tu voudrais que ça s'arrange. Mais laisse-moi deviner : t'as peur, tu te sens trahi et tu sais que t'auras du mal à lui accorder ta confiance à nouveau, c'est ça ?

Jungkook – Je peux être sûr que tu lui répéteras rien ?

Jimin – Si t'y tiens, cette conversation restera entre nous, et il saura juste que tu vas bien.

Jungkook – Je commençais à l'apprécier. À l'apprécier plus que comme un simple ami. J'espérais qu'en apprenant tout sur moi, il me prouverait que ce qu'il ressentait pour moi était sincère.

Jimin – Et s'il t'avait donné la réponse que t'attendais, qu'est-ce qui se serait passé ?

Jungkook – Je sais pas exactement. Peut-être que je lui aurais avoué ce que je commençais à éprouver, ou peut-être que je l'aurais gardé pour moi encore quelques jours ou semaines. Je peux pas savoir.

Jimin – Et si maintenant il venait t'affirmer avec une sincérité criante tout ce qu'il ressentait pour toi ?

Jungkook – Essaie pas, j'ai vraiment pas envie de le voir.

Jimin – T'en as pas envie, ou bien t'en as peur ?

Jungkook – Peut-être un peu des deux. Je préfère l'éviter, pour le moment.

Jimin – Je vois. Merci pour ton temps et ton honnêteté. Taehyung arrête pas de me parler de ça, alors je voulais essayer de te comprendre. Je m'inquiète beaucoup pour lui, et savoir que tu ne le hais pas me rassure. J'espère qu'avec le temps, les blessures cicatriseront. Pardonne ma curiosité, et passe une bonne soirée. ^^

Jungkook – Merci, à toi aussi.

Le libraire poussa un soupir et rangea son portable dans sa poche. Il fit la moue et, après une hésitation, il décida de rentrer. Sa marche l'avait fatigué, au moins une fois chez lui il ne tournerait pas en rond dans son minuscule intérieur. Sans doute se doucherait-il avant de se coucher, dans l'espoir que la journée du lendemain lui apporte des nouvelles un peu meilleures.

Tout au long de son trajet, Jungkook ne cessa de songer à sa conversation avec Jimin. Que ce dernier l'ait contacté pour évoquer Taehyung le surprenait. Pourquoi éprouvait-il la sensation que tout le monde attendait qu'ils se réconcilient ? Il pensait trop à lui, ça en devenait insupportable ! Pourquoi refusait-il de quitter son esprit, bon sang !

La sonnerie de son portable s'éleva, et Jungkook râla. Il ignorait s'il s'agissait de Jimin ou, pire, de Taehyung, mais dans tous les cas il ne souhaitait pas leur parler. Les messages lui avaient suffi, il ne comptait pas s'étendre sur le sujet. Il avait tout dit à Jimin aussi bien qu'à l'écrivain.

Il sortit son smartphone de son jean, et son cœur bondit dans sa poitrine au point qu'il crut qu'il allait la percer pour s'en échapper. Le nom de Seokjin s'afficha. Dans un geste tremblant, le libraire décrocha et porta son appareil à son oreille.

« A-Allô ? balbutia-t-il. Hyung ?

— Bonsoir Jungkook, tu vas bien ?

— Oui, oui. Et toi ?

— Ça va. Je pense que tu sais à quel sujet je t'appelle. Alors je vais pas épiloguer, je sais à quel point t'es anxieux. Jungkook, la directrice de la clinique la plus huppée de Corée du Sud, avec les meilleurs spécialistes de la main et du bras, a accepté de financer non seulement ton opération, mais aussi les soins qui suivront. Je l'ai eue au téléphone cet après-midi, et elle vient de me contacter pour m'indiquer que la date de l'intervention a été fixée à dimanche. Dès demain, t'as un rendez-vous à l'hôpital pour remplir des papiers. Tu dois y être à quatorze heures.

— Tu... je vais...

— C'est fini, Jungkook. Ton bras va enfin guérir. »

Jungkookdemeura immobile, incapable d'y croire.

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