Jungkook avait passé son dimanche à se reposer, lisant parfois et s'accordant une sieste en milieu d'après-midi. Ainsi, en se levant lundi matin, il se sentait plein d'énergie. Il se rendit au travail où, une fois auprès de Yoongi dans la réserve de la librairie, il n'osa pas parler de la nouvelle apportée la veille par Seokjin : si l'opération se confirmait, il contacterait aussitôt son meilleur ami pour le prévenir. Or, pour l'instant, il préférait ne pas évoquer le sujet. Une désillusion le blesserait d'autant plus s'il devait la répéter.

Jungkook, tout au long de la journée, ne parvint pas à empêcher de réguliers regards à son smartphone, dans l'attente d'un SMS ou d'un appel de Seokjin. Rien. En rentrant chez lui, il enfila son attelle dans une grimace de douleur et s'installa dans son lit, son téléphone à portée de main. Mort d'anxiété autant que d'impatience, il n'arrivait pas à se concentrer sur le roman qu'il lisait, si bien qu'il l'abandonna.

Pourvu que Seokjin obtienne rapidement une réponse, qu'elle soit positive ou non...

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Yoongi, une fois sorti de la librairie, se dirigea sans hésiter chez Jimin. Il sonna, et Taehyung lui ouvrit. L'écrivain lui adressa un salut poli et l'invita à entrer, le remerciant au passage de s'être donné la peine de passer. Le réceptionnaire en effet lui rendait visite presque tous les jours jusqu'à l'arrivée de Jimin, qu'il attendait devant son immeuble pour discuter. Ce petit rituel comblait son cœur de bonheur, et même s'il n'osait toujours pas lui avouer son amour, Yoongi espérait que son copain avait compris ses sentiments.

Les deux garçons bavardèrent un peu et prirent un en-cas sucré pour patienter jusqu'au dîner, après quoi ils vaquèrent à leurs propres occupations : Yoongi se rendit dans la pièce préférée de Jimin pour y lire des romans qu'il ne connaissait pas encore, et Taehyung s'installa près de lui pour travailler son français, enthousiasmé à l'idée de maîtriser tôt ou tard les bases de la langue de Molière.

Les minutes défilèrent, paisibles, jusqu'à ce que l'écrivain lève le nez de son manuel.

« Hyung... ?

— Oui ?

— Dis, comment ça avance... avec Jimin ?

— Comment ça ?

— Vous êtes toujours ensemble ?

— Bien sûr, pourquoi ? Il croit le contraire ? s'inquiéta Yoongi en refermant son livre.

— Non, non, j'ai pas dit ça. D'ailleurs j'ai pas osé lui poser la question. Juste... je m'étonnais de ne plus vous voir sortir ensemble ou quoi que ce soit. Tu pars avant qu'il arrive, tu fais tout pour ne pas le croiser... comme si vous vous étiez disputés.

— Oh... non, je te rassure, on est toujours ensemble, c'est simplement que... je préfère prendre mes précautions, tu comprends ? Jimin est très tactile, et il a peur de me toucher autant que j'ai peur qu'il me touche. Alors en attendant de trouver une autre solution, on se tient juste à bonne distance.

— Ah ? Il s'est passé quelque chose ?

— Rien de bien grave, t'en fais pas. On a juste préféré s'organiser comme ça.

— Mais... t'aimes toujours Jimin, hein ? osa Taehyung d'une voix hésitante.

— Plus encore qu'avant, même, approuva Yoongi dans le regard de qui se mit à briller son affection. Jimin est un garçon formidable, aussi gentil que beau et talentueux. J'arrive toujours pas à croire qu'il s'intéresse à moi.

— Et pourquoi pas ? Toi aussi t'es un garçon formidable, aussi gentil que beau et talentueux.

— Je suis loin d'avoir un physique aussi sportif que le sien, et c'est quelqu'un de brillant, lui. Et puis il est normal avec les autres.

— Et pas toi ?

— Je peux même pas me promener dans un magasin un jour d'affluence.

— Ça t'empêche pas d'être quelqu'un de gentil, protecteur, et qui se montre toujours adorable avec les autres. Y a des gens, ils ont beau ne pas être agoraphobes, ils supportent pas d'être dans ce genre d'espaces.

— Oui, mais... ça m'est déjà arrivé, par le passé, de me réveiller avec une vraie peur au ventre, au point que ça faisait vraiment mal physiquement, tu vois ? Ça m'est arrivé, par le passé, de découvrir que mon anxiété était telle que des plaques d'eczéma se formaient dans mon cou et jusque sur mes épaules. Parfois aussi ça me provoquait... des ballonnements douloureux. Depuis un peu plus d'un an, ça va mieux, mais... tu comprends pourquoi j'ai peur de pas être à la hauteur.

— Non.

— T'es con ou tu le fais exprès ? râla Yoongi.

— Je suis sérieux. Tout ce que tu viens de me décrire, c'est du passé. Te laisse pas ronger par ça si tu veux aller de l'avant, et même si ça devait se reproduire, en quoi ça dérangerait Jimin ? Il serait le premier à t'apporter des comprimés pour tes maux de ventre et de la pommade pour ton eczéma. Il mettra toujours tout en œuvre pour que t'ailles mieux, mais il sait que tu guériras pas par miracle, et il t'aime tel que t'es : un garçon mignon, attendrissant, timide mais profondément gentil, passionné par ce qui le passionne, patient et intelligent.

— Tu crois vraiment que ça gênerait pas Jimin de me voir plié en deux avec des plaques rouges dégueulasses sur le haut du corps ? rétorqua Yoongi.

— Tout ce qui le gênerait, c'est l'idée que tu souffres, et il ne s'inquièterait de rien d'autre que de ta santé. Il t'aime du plus profond de son cœur, crois-moi.

— J'aimerais vraiment te croire, je sais pas pourquoi j'y arrive pas.

— Si Jimin arrivait un jour plié en deux et des marques d'eczéma sur le haut du corps, tu l'aimerais toujours ?

— Bien sûr !

— Pourquoi ?

— Parce qu'il... parce qu'il y pourrait rien, répondit Yoongi d'un ton plus calme. Et parce que c'est pas ça qui m'empêcherait de l'aimer. Je sais qu'une fois traités correctement, les symptômes peuvent partir vite.

— Jimin n'a jamais vécu ce que t'as vécu, mais il peut comprendre malgré tout, et tu l'as dit, c'est un garçon formidable : il sait que c'est difficile pour toi, alors il ne compte pas t'imposer ses désirs. Il veut juste ton bonheur, et il est comblé de savoir que tu l'apprécies assez pour sortir avec lui, passer du temps avec lui en visio et discuter si souvent avec lui.

— Il t'a dit pour les visios ?

— Oui, au début ça m'a inquiété pour vous... mais maintenant je comprends mieux, et je suis heureux que vous ayez trouvé un moyen de vous voir en toute sérénité et en toute sécurité.

— J'aimerais sincèrement réussir à le prendre dans mes bras, tu sais ? Mais... le seul fait d'y penser me fait tellement peur...

— Alors ne le fais pas pour l'instant, mais ne rejette pas non plus totalement l'idée : un jour, quand tu iras mieux, tu réussiras peut-être à lui offrir une étreinte, et ce jour-là, je pense que vous serez aussi émus l'un que l'autre.

— J'espère surtout que ce jour-là, j'aurai encore l'occasion de le prendre dans mes bras, soupira Yoongi.

— Comment ça ?

— J'ai bien compris qu'il m'aimait... mais je peux pas m'empêcher de penser que tôt ou tard, cette situation le dérangera, et alors il préfèrera me quitter.

— Oh hyung...

— Je sais ce que tu vas dire, Tae, et crois bien que j'essaie de me raisonner, mais... je peux pas m'en empêcher. Comment Jimin, le mec le plus câlin qui existe, pourra se contenter d'une peluche encore des mois voire des années ? Et si je n'arrive jamais à le toucher ?

— Il te quittera pas pour ça.

— Mais est-ce que je pourrai quand même le rendre heureux ? Ça m'inquiète beaucoup. Je veux dire... il prend toujours Hayan dans ses bras, ça montre bien qu'il voudrait qu'on puisse s'étreindre... alors que c'est pas possible.

— Il adore Hayan, mais ça veut pas dire que tu peux pas le rendre heureux. Je te l'ai dit, Jimin a besoin d'affection, mais il existe de nombreux moyens de la lui montrer sans le toucher. Cette seule peluche le prouve : t'as su toucher son cœur sans même le frôler. »

Yoongi poussa un soupir. Ça, il le savait, mais... est-ce que pour autant ça suffirait ? Les mots, les petites attentions, les cadeaux... il restait convaincu que tôt ou tard, Jimin désirerait plus sans bien sûr oser le réclamer, et alors que se passerait-il ? Essaierait-il de lui en parler pour qu'ils trouvent une solution ensemble, ou bien préfèrerait-il s'éloigner de lui pour s'éloigner de la tentation ?

« Jimin t'aime de tout son cœur, conclut Taehyung, et t'auras beau chercher tous les arguments possibles pour lui trouver un défaut, t'y parviendras pas. Il continuera de t'aimer, moi j'en suis sûr.

— Mais je finirai par le blesser.

— L'amour vainc tout.

— Si seulement... »

Pour une fois, Taehyung ne répliqua pas. Oui, si seulement...

L'image d'un Jungkook heureux et rieur lui vint à l'esprit en même temps qu'une triste nostalgie qu'il s'efforça de mettre de côté pour se concentrer sur Yoongi.

« En tout cas, je vous souhaite tous le bonheur que vous méritez : vous formez un très beau couple tous les deux, j'espère sincèrement que tout continuera sur cette voie-là.

— Merci beaucoup. Et... je te souhaite aussi de trouver la personne qui te comblera.

— Encore faudrait-il que j'arrive à la combler en retour...

— Si tu l'aimes, je n'en doute pas.

— Comment va Jungkook ? s'enquit l'écrivain.

— Ce matin il avait l'air radieux. Il s'est bien reposé dimanche, il pétait la forme.

— Je suis heureux d'apprendre qu'il se porte bien.

— Qu'est-ce que t'attends de lui, exactement ? demanda Yoongi. T'as affirmé ne plus vouloir sortir avec lui, mais... est-ce que c'est vraiment le cas ?

— Quand bien même je le voudrais, je ne pourrais pas décider de quelque chose que seul mon cœur contrôle.

— T'aurais pu dire « je l'aime toujours » au lieu de disserter, se moqua Yoongi d'un ton taquin avant de reprendre d'une voix plus posée. Je suis sûr qu'une fois sa colère apaisée et ses soucis... un peu moins présents, disons, il sera disposé à parler avec toi. Je pense qu'une conversation s'impose.

— Je ne veux pas avoir à lui expliquer tout ça.

— J'ai pas dit que tu devrais tout lui expliquer. Excuse-toi, laisse parler ton cœur, prouve-lui juste que tu tiens bel et bien à lui, contrairement à ce que t'as insinué la semaine dernière.

— Il voudra en savoir plus.

— Jungkook plus que quiconque n'insistera jamais pour savoir quelque chose que tu ne souhaites pas lui dire. Il sait le poids des aveux.

— Sa main... ?

— À part ses parents et son kiné, presque personne n'est au courant. À la librairie, il n'y a que Namjoon et moi.

— Même pas Jieun ou Hoseok ?

— Non, même pas. Mais... peut-être bientôt.

— Ah ?

— Le jour où il se pointera avec une attelle qui lui immobilisera tout le bras, il ne pourra plus rien cacher, et j'ai vraiment peur de voir ce jour arriver plus vite que prévu...

— C'est à ses côtés que tu devrais être, pas aux miens, souffla Taehyung. Il a besoin de ton soutien.

— Il m'appelle dès qu'il en a besoin, je lui fais confiance sur ce point : tant qu'il ne me téléphone pas, c'est pour une bonne raison, alors je dois pas m'inquiéter pour lui. »

Taehyung s'apprêtait à répliquer quand la vibration du portable de Yoongi le coupa. Il y posa les yeux, comme son aîné.

« Jimin va pas tarder, je vais devoir te laisser.

— Oui... passe une bonne soirée, hyung, merci d'être venu. »

Comme à son habitude, donc, quelques minutes après, Yoongi se trouvait en bas de l'immeuble, son sac sur l'épaule, et attendait avec impatience l'arrivée de son compagnon. Ces petits moments qu'ils s'accordaient le stressaient toujours, mais bien moins que la semaine précédente. Ainsi, quand il reconnut la voiture de son copain, il sentit son cœur bondir de joie, et il baissa les yeux, presque honteux de ses sentiments.

Jimin le rejoignit quelques secondes plus tard, et après avoir pris des nouvelles et l'avoir interrogé quant à l'état de Taehyung, il lui adressa un sourire enjoué.

« Merci de m'avoir attendu, hyung, je suis toujours aussi heureux de te voir. »

Yoongi esquissa un sourire timide.

« Je suis encore plus heureux quand je vois ce sourire, murmura Jimin – pas assez bas cependant pour que Yoongi ne l'entende pas.

— Moi aussi je suis heureux de te voir.

— Putain j'ai juste envie de passer des heures à te regarder, que tu sois en train de lire ou de dormir.

— Ce serait embarrassant, répliqua Yoongi avec un rictus mal assuré en se frottant la nuque.

— Oui, ce serait embarrassant... »

Mais il l'aimait si fort !

« Passe une bonne soirée, déclara donc Jimin pour libérer son aîné de sa gêne.

— Merci, toi aussi. À bientôt.

— À bientôt, petit elfe. Je t'aime. »

Le visage rouge d'embarras, Yoongi ne perdit pas un instant de plus pour s'incliner et filer.