Chapitre 77

Plusieurs jours étaient passés, et en ce mercredi chaud mais supportable de juin, Jungkook sortit de la librairie l'estomac noué. Il avait reçu un appel en absence, un appel de Seokjin, son kinésithérapeute. Ils ne se voyaient plus depuis près d'un mois, et le jeune homme savait que son médecin venait aux nouvelles. Malgré tout, il ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter à l'idée qu'il désire peut-être lui annoncer quelque chose de grave.

Seokjin n'avait pas laissé de message vocal, si bien qu'après avoir pris son courage à deux mains, Jungkook se résigna et appuya sur la touche pour contacter son correspondant.

À peine sorti du magasin, il sentit tout à coup un frisson lui caresser la colonne vertébrale en dépit des températures élevées. Son cœur tambourinait contre ses côtes et battait de plus en plus fort à mesure que les sonneries se succédaient.

« Allô ?

— Salut, hyung. T'as essayé d'appeler ? demanda Jungkook d'une voix qu'il cherchait à rendre la plus naturelle possible.

— Oh, Kook ! Oui, pardon ! Je voulais juste savoir comment t'allais. Ça fait un bout de temps et... je m'inquiète, tu comprends ?

— Oui, je suis désolé. »

Bien sûr qu'il comprenait : Seokjin et lui s'étaient beaucoup rapprochés au fil des mois et des ans, et la générosité du jeune kiné avait beaucoup aidé Jungkook qui lui en resterait toujours reconnaissant. Même s'il n'était plus son médecin, Seokjin continuait de se soucier de son cadet.

« Ton bras, ça va ? s'enquit-il donc.

— Je porte toujours pas d'attelle.

— Mais ça va ?

— Tant que je bouge pas, oui.

— Jungkook, je t'en prie, fais cette opération... avec le temps, j'ai peur que ça commence à te faire souffrir même quand tu bougeras pas, c'est risqué ce que tu fais...

— Je t'ai déjà dit que je le ferais pas, la discussion s'arrête là.

— Juste une dernière question, Jungkook : est-ce que tu peux tenir ton portable de la main gauche pour me parler ?

— Pourquoi ?

— C'est juste une question. Est-ce que tu pourrais le faire sans avoir mal ? »

Jungkook laissa un bruyant silence s'étirer de longues secondes durant avant de soupirer.

« Non, pas sans avoir mal. »

Nouveau silence, aussi pesant que le premier.

« Si à la fin de la semaine prochaine, tu ne t'es pas décidé, il ne s'agira plus d'une simple ostéotomie, Jungkook. Les muscles et les nerfs auront subi des dégâts trop importants. »

Le kinésithérapeute lui avait demandé, pourtant, de continuer les étirements et les exercices afin de prendre soin de son bras... mais peu importait, aux yeux de Jungkook : que l'opération ne soit plus possible fin juin ou mi-juin revenait au même, puisqu'il ne comptait pas la subir.

« C'est tout ce que tu voulais me dire ? demanda Jungkook d'un ton en apparence neutre.

— Je ferai ce que je peux pour t'arranger ça, Jungkook, je te le promets. Depuis que t'es parti, j'ai pas arrêté une seconde : j'essaie de passer des coups de fil pour te trouver un hôpital qui accepterait de t'offrir la rééducation et les médicaments, je me renseigne pour savoir combien la mutuelle te rembourserait... je te jure que je te laisse pas tomber. Mais si tu m'avais laissé un peu plus de temps, j'aurais pu...

— C'est pas la peine, le coupa Jungkook avec émotion, c'est déjà vraiment généreux de ta part d'avoir cherché à me soutenir de cette manière, je t'en suis très reconnaissant, mais j'ai pas besoin qu'on me paie tout. Ça ira, je te le promets.

— D'accord... mais toi, tu pourrais me promettre que si je trouve un moyen de t'offrir cette opération et tous les soins qu'elle impliquera, tu l'accepteras et tu feras ton possible pour guérir ?

— Hyung, ça impliquerait que j'arrête de bosser pour au moins trois mois, sans doute plus... Même si une partie de mon salaire me sera versé, je gagnerai moins.

— Et ça vaut vraiment la peine que tu refuses une intervention et des soins offerts ? »

Jungkook voulut se pincer l'arête du nez de sa main gauche, geste qui tenait plus du réflexe qu'autre chose. Il stoppa néanmoins son mouvement à peine commencé quand son avant-bras le rappela à l'ordre, diffusant une douleur horrible jusque dans son coude.

« Si tu trouves quelque chose qui me coûterait rien à part un arrêt de travail temporaire... alors c'est d'accord. Je te promets que je subirai l'intervention.

— C'est tout ce que je voulais savoir : je retourne tout de suite à mes recherches ! Fais-moi confiance, je trouverai ! »

Et Seokjin enchaîna en lui demandant des nouvelles de la librairie, conscient que Jungkook aimait parler de son travail et des derniers romans qu'il avait lus. La conversation s'éternisa, et une fois terminée, elle laissa pour Jungkook place à un silence désespérant, celui de son studio.

Pas de Taehyung bruyant pour lui proposer une promenade entre amis, juste lui et le silence, ce silence qu'il avait jusque-là toujours apprécié mais qui le terrifiait désormais.

Pour Jungkook, le silence était devenu pareil au rugissement de la solitude, et il se hâta de le briser en mettant de la musique sur son smartphone avec un son assez bas pour que ça ne le dérange pas malgré tout. Il ouvrit un livre dont il lut quelques pages, stressé sans savoir pourquoi.

Il mourait d'envie de sortir, incapable de tenir en place sur son lit... mais il n'avait pas envie de sortir seul. Maudit Taehyung, Jungkook se doutait que tôt ou tard, l'enfermement lui pèserait du fait de leurs régulières escapades auxquelles il avait pris goût !

Furieux contre lui-même, Jungkook se força à rester sur son matelas avec son portable et son roman, déterminé à se réhabituer à ne pas bouger. S'il souhaitait sortir, qu'il aille à la salle se muscler, ça l'occuperait de manière utile au moins !

Après une demi-heure de remontrances silencieuses contre lui-même, Jungkook râla et se décida à se rendre à la salle de sport, envoyant au passage un message à Taehyun pour savoir s'il comptait l'y rejoindre. Il prépara ses affaires en quelques instants et fila, abandonnant son livre dont il n'avait lu que quelques misérables paragraphes.

Chaque fois qu'il désirait se vider la tête, rien de mieux qu'un peu d'exercice, même s'il n'effectuait pas de mouvements impliquant les deux bras.

~~~

Taehyung était arrivé chez Jimin le lendemain de sa discussion avec ce dernier, autrement dit il passait son deuxième jour chez son meilleur ami, et Yoongi avait prévu de venir directement lui tenir compagnie après son travail. Ainsi, quand on sonna à quatorze heures, il se hâta d'ouvrir et de faire entrer le réceptionnaire. Yoongi le salua d'un geste de la main, retira ses chaussures et lui tendit un petit sac en papier.

« D-Désolé, j'ai... y avait du monde au magasin, alors... ça m'a pris un peu de temps, mais je voulais pas venir les mains vides.

— Oh, hyung... c'est tellement gentil, merci beaucoup !

— Ouvre. »

Taehyung obéit aussitôt, et son sourire s'élargit quand il découvrit un manuel pour apprendre le français, qui vantait son exhaustivité et les nombreux exercices corrigés qu'il proposait.

« Je sais que t'adores la France et que tu y es déjà allé à plusieurs reprises pour découvrir le pays, alors... c'est cadeau. Je me suis dit que ça t'occuperait un bon moment, c'est pas une langue facile.

— Oui, j'avais déjà essayé de l'apprendre, mais j'avais juste deux ou trois phrases de base, j'ai jamais essayé d'apprendre la grammaire.

— Bah là, tu pourras. »

L'écrivain feuilleta le bouquin.

« Il a l'air vraiment bien... Je te promets que je ferai de mon mieux pour apprendre le français, hyung !

— Je te crois, j'espère que ça te sera utile.

— J'en suis convaincu ! Encore merci !

— Je t'en prie, ça me fait plaisir. Alors, comment tu vas ?

— Un peu mieux...

— Taehyung...

— Je sais que Jungkook est ton meilleur ami, et... il sait que t'es là ?

— Pourquoi il devrait savoir ? demanda Yoongi en se rendant dans le salon avec son ami.

— Je sais pas... et toi, pourquoi t'as proposé de me tenir compagnie ? Je veux dire... j'apprécie sincèrement ton geste, vraiment merci, mais... tu m'en veux pas de... de ce que j'ai dit à Jungkook ?

— Honnêtement, si, je t'en veux. Mais Jimin avait l'air de dire que t'avais tes raisons, alors pour l'instant, je préfère mettre ça de côté pour me concentrer sur l'essentiel : même si t'as mal agi, tu restes quelqu'un que j'apprécie, et tant que j'ignorerai pourquoi t'as répondu ça, je te jugerai pas.

— C'est vrai ?

— Oui. T'as pas de chance, Jungkook est beaucoup moins posé que moi, lui il fonce et, s'il y pense, il se pose des questions après. Il a été abattu que tu le repousses.

— C'est pourtant lui qui n'a eu de cesse de me repousser depuis qu'on se connaît.

— Jungkook peut sembler froid, mais quand il s'attache à quelqu'un, il s'y attache de toute son âme. C'est sûrement ça qui fait de lui un ami si fidèle et si précieux. Il est très attentif à ceux qu'il aime, et quand il veut, il peut témoigner de beaucoup de tact.

— Ça se voit qu'il tient à toi plus qu'à quiconque, approuva Taehyung.

— Il tenait aussi beaucoup à toi, sinon crois-moi, ton avis, il s'en foutrait. Mais là... ton avis comptait. Il n'a révélé sa blessure qu'à très peu de personnes, et seulement des personnes en qui il a toute confiance.

— Il m'a montré sa main sur un coup de tête.

— Il l'aurait pas fait, même sur un coup de tête, s'il avait pas songé à le faire plus tôt. Jungkook déteste montrer ses faiblesses, et tout particulièrement sa main. Il t'estime beaucoup, Taehyung, et il est aussi abattu que toi, je t'assure.

— Je vois...

— Je suis désolé de ce qu'il s'est passé entre vous, et j'entends bien que t'as tes raisons pour avoir réagi de cette manière... mais t'es vraiment sûr qu'il vaut pas mieux avouer à Jungkook que t'as pas répondu ça à cause de sa main ?

— S'il croit que c'est à cause de sa main, il sera en colère contre moi, et ça l'attristera pas bien longtemps qu'on ne soit plus amis. Je préfère ça.

— T'es vraiment sûr ? C'est dommage de le laisser croire ça... et j'ai peur que sa confiance en lui en prenne un coup, admit Yoongi.

— J'en suis désolé, mais ça vaut mieux, et puis... j'ai pas envie qu'il me pose de questions. S'il te plaît, comprends-moi.

— Je te comprends. »

Yoongi non plus n'aimait pas qu'on lui pose des questions à propos de ses phobies, il comprenait qu'il existait des choses que Taehyung ne souhaitait pas avouer.

Les deux garçons, après avoir bu un verre de soda ensemble, se rendirent à la chambre. Taehyung, resté en pyjama, prit place sur une chaise alors que Yoongi s'était installé sur le lit. Une petite boule de fourrure blanche attira aussitôt son attention, et l'écrivain s'en aperçut.

« Hayan... Jimin ne peut plus s'en passer, gloussa-t-il.

— Oh, vraiment ? s'enquit Yoongi en jetant un regard surpris à son ami.

— Oui, je t'assure, mais je pense que tu le savais déjà, non ?

— Jimin m'a dit qu'il ne le quittait plus, mais... ça me fait plaisir d'entendre une confirmation. »

Il saisit le chaton, songeant que son copain l'avait enlacé toute la nuit, et une douce chaleur coula dans ses veines tandis qu'à son tour il étreignait de façon timide le petit animal. Taehyung lui jeta un regard attendri avant de baisser les yeux. Yoongi reposa la peluche et redirigea son attention sur son cadet qui prit la parole en premier.

« Jimin parle beaucoup de toi, affirma-t-il. Il t'aime énormément, tu sais ?

— Oui, moi aussi je l'aime, et... même si je suis pas encore capable de le lui avouer, j'essaie de le lui montrer. Je fais de mon mieux.

— Je le vois : Jimin a les yeux qui brillent quand il pense à toi, et il a un sourire débile, aussi. Il est heureux, et ça me rassure.

— Je ferai en sorte que ça dure, je te le promets. Je veux qu'il soit heureux. »

Taehyung opina, le visage radieux, et les deux garçons décidèrent de lancer un jeu vidéo pour faire passer le temps.

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