Chapitre 70

Assis côte à côte sur le canapé, Jungkook et Taehyung discutaient en sirotant leur boisson, se relevant parfois pour aller prendre de quoi grignoter. L'aîné expliquait à son ami le déroulement des concours littéraires auxquels il avait participé, et son cadet l'écoutait, suspendu à ses lèvres. Il s'émerveillait de chaque détail, posait plein de questions et se montrait plus attentif encore que Jimin à ce que Taehyung racontait. Passionné par tout ce qui touchait à l'univers du livre, Jungkook se régalait des différentes anecdotes que lui servait l'auteur, et le temps passa vite.

Pour ne rien rater des résultats, Taehyung avait allumé sa télévision et y avait connecté son smartphone pour que son écran plat diffuse la retransmission en direct de l'annonce des finalistes. Il avait baissé le son en attendant le moment qui les intéressait.

Vingt heures approchaient quand Taehyung remonta le volume, et Jungkook dirigea de manière automatique son attention sur la vidéo.

« Ah, c'est pour bientôt ?

— Je crois. Du moins normalement.

— Stressé ?

— T'imagines même pas. »

Taehyung jurerait que son cœur cherchait à s'échapper de sa poitrine. L'anxiété qui se mêlait à son excitation lui brûlait le thorax et lui donnait plus chaud encore qu'une étreinte de Jungkook. Il ne tenait pas en place, tout son corps paraissait soudain pris de tics qui ne se manifestaient que dans de tels cas : il se rongeait un ongle, bougeait une jambe ou un pied de façon frénétique, et il ne cessait de jeter de petits regards à l'écran.

Amusé de voir un garçon qu'il jugeait si talentueux s'inquiéter, Jungkook posa la main sur son genou qui tremblait.

« De toute façon, Tae, je te rappelle que tu n'as plus rien à prouver à qui que ce soit. Les avis sur ton premier roman sont unanimes, les ventes sont excellentes et en toute honnêteté, t'as vraiment géré. Que tu sois finaliste ou non, t'as déjà tout gagné. »

Taehyung déglutit, son regard soucieux plongé dans celui, rassurant, de son invité qui, pour appuyer sa paume sur sa jambe, s'était avancé. Taehyung eut beau se raisonner mille fois en l'espace d'une seconde, il brûlait désormais non d'anxiété, mais de désir. Les jolies lèvres de Jungkook paraissaient le supplier de les dévorer, et il résistait de son mieux, conscient que Jungkook ne souhaitait rien de tout ça.

Ainsi, l'écrivain se contenta d'un sourire reconnaissant et recula, geste qui permit à son cadet de se rendre compte qu'il s'était un peu trop rapproché, et que ça mettait son ami dans une situation inconfortable.

Leur concentration de nouveau dirigée sur la cérémonie, ils se turent en entendant que les finalistes du grand prix du roman jeunesse allaient être dévoilés. Par un réflexe qui traduisit toute son anxiété, Taehyung attrapa la main de Jungkook qui se félicita de s'être placé à sa gauche : s'il s'était assis de l'autre côté... non, il préférait ne pas y penser.

Jungkook entremêla ses doigts aux siens dans un geste de soutien, et le premier nom fut annoncé. Taehyung se tendit. Un deuxième nom, et Taehyung se mordilla la lèvre. Cinq auteurs seraient finalistes. Il lui restait trois chances.

Un nom supplémentaire fut prononcé par la présentatrice, et Taehyung prit une longue inspiration tremblante. Puis...

« Kim Taehyung, avec son roman... »

Jungkook n'entendit même pas la suite : son aîné bondit du canapé en poussant un cri de surprise. L'écrivain se tourna vers son ami, le visage sidéré.

« Félicitations, hyung, t'es en finale, gloussa Jungkook.

— Je suis... je... oh putain... Oh putain ! Jungkook, je suis en finale ! Je suis en finale ! J'ai une chance de gagner le grand prix ! Je peux gagner, je peux gagner ! »

Jungkook était à peine debout que Taehyung sauta dans ses bras et le serra contre lui si fort que son cadet crut étouffer. Il l'étreignit pourtant lui aussi, touché de le voir si heureux. Taehyung trépignait de joie, et quand ils s'écartèrent, son regard brillait d'un tel bonheur que Jungkook lui adressa un large sourire à son tour.

« Bravo, tu peux être fier de toi ! T'es vraiment un auteur de génie ! »

Et les prunelles de Taehyung s'illuminèrent d'un sentiment indescriptible que Jungkook ne reconnut pas mais qui mêlait son affection et son émotion à ces mots : pour lui qui aimait Jungkook, l'entendre louer ainsi son travail, sa précieuse œuvre, ça comptait plus que tout. L'avis de ceux à qui il tenait valait mille fois celui d'inconnus, ou bien celui d'un quelconque jury, même qualifié.

« Merci beaucoup, Kookie.

— Je t'en prie. Maintenant, tu n'as plus qu'à gagner ce prix ! On croit tous en toi, hyung, tu peux le faire ! »

Et la sincérité qui imprégnait son timbre délicat retourna l'estomac de Taehyung.

« J'espère sincèrement gagner, et on sera bientôt fixés : les résultats, c'est dans deux semaines, le douze juin. Y aura une vraie cérémonie cette fois, et les finalistes ont le droit d'amener cinq proches. Jimin, Yoongi, Namjoon et Jieun sont ceux que je compte inviter d'office, et... je me disais que tu pourrais être mon cinquième proche. J'aimerais beaucoup que tu sois à mes côtés, que je gagne ou non. Si je suis entouré de vous tous... ouais, j'aurais déjà tout gagné. J'en suis convaincu.

— Une vraie remise de prix littéraire ? Je vais pouvoir assister à... à une vraie remise de prix ?

— Je serais honoré que tu viennes, Kookie. Y aura beaucoup d'auteurs de jeunesse, je suis sûr que tu seras dans ton élément. Et si tu veux, je pourrai te passer un costume. Des habits cintrés mettraient ton corps en valeur, tu serais absolument magnifique, j'en suis convaincu.

— Oh, y a... un truc un peu comme un dress code ?

— Pas vraiment, mais disons qu'il faut être habillé de manière élégante. Chemise, cravate, ce genre de trucs.

— Ah...

— Ça te pose un problème ? »

Jungkook mentirait en niant. Bien sûr que ça lui posait un problème : un habit cintré et élégant, c'était forcément un habit qui ne cacherait pas ses doigts ! Les manches d'une chemise n'avaient rien à voir avec celles d'un sweatshirt !

Dépité à l'idée que sa main allait de nouveau le priver de quelque chose de fantastique, Jungkook sentit son visage se décomposer peu à peu. Or, de peur d'attiser la curiosité de son ami, il préféra mentir.

« C'est pas mon style, mais c'est pas grave. Juste... je viens de me rappeler que dans deux semaines justement, mes parents ont dit qu'ils venaient à Séoul, alors on avait prévu de passer la soirée ensemble et... tu sais, ça fait tellement longtemps que je les ai pas vus. C'est une occasion qui se représentera pas avant des mois, peut-être même pas avant chuseok, voire l'année prochaine. Je peux pas rater ça, je suis vraiment désolé.

— Oh... je comprends. Et... o-ouais, t'as bien raison de profiter de ta famille.

— Hyung, ça va ? »

Sa voix tremblait.

« Oui, oui, t'inquiète. Je suis heureux pour toi, Jungkook. Je suis heureux que tu puisses les revoir, tu le mérites. Profites-en à fond.

— Tu peux compter sur moi. »

Jungkook ne reconnaissait plus son aîné, qui paraissait avoir revêtu un masque tout à coup. Ses prunelles lumineuses s'étaient ternies, et son ton d'habitude si assuré se fissurait, comme brisé à la manière d'un cœur réduit en morceaux. Une courte hésitation plus tard, Jungkook étreignit Taehyung qui posa le front contre son épaule.

« Je regarderai la cérémonie, hyung, je te le promets. Si tu veux inviter une cinquième personne, propose à Hoseok. Je suis sûr qu'il sera enchanté de t'accompagner.

— C'est toi que j'aurais voulu à mes côtés, Kookie...

— On se connaissait à peine y a un mois, on commençait tout juste à s'entendre. Hoseok, tu le connais depuis des années. Rate pas cette occasion de passer un moment avec lui. Et puis... avec son caractère, je suis convaincu qu'il fera de ta cérémonie une véritable fête !

— J'adore Hoseok... mais ce sera pas pareil sans toi.

— Je suis convaincu que c'est faux. Tu t'amuseras beaucoup, et je t'enverrai des messages tout au long de la soirée pour te prouver que j'en rate pas une miette, je te le promets.

— Tu comprends pas...

— Comment ça ?

— Jungkook, tu... t'es bien plus qu'un simple ami ou une vague connaissance. Hoseok, je lui ai parlé à plusieurs reprises, il est déjà venu dîner ici et je doute pas que ce soit un mec formidable, mais... c'est toi que je veux à mes côtés parce que je sais à quel point la littérature te passionne. Je comprends que tu veuilles voir tes parents, c'est pas un souci, mais je voudrais juste que tu comprennes que... t'es mignon, t'es même carrément beau. Au début, oui, je regardais surtout ça, et puis j'ai vu la passion dans tes gestes à la librairie, et ça m'a intrigué, j'ai voulu apprendre à te connaître, et chaque fois que je t'ai approché, même quand tu me dégageais à coup de répliques acerbes, je passais un moment excellent en ta compagnie.

« J'aime quand on parle littérature pendant des heures, j'aime quand tes yeux brillent de mille feux parce que tu vois une grande bibliothèque remplie de bouquins, j'aime quand tu me sors de nulle part des anecdotes incroyables, j'aime quand tu me parles de ce métier qui te plaît tant. Kookie, tu comprends pas que... on se connaît depuis un mois et demi, mais je me sens avec toi comme je m'étais rarement senti avec un autre. Je me régale de la moindre seconde passée à tes côtés, j'ai la sensation qu'on se connaît depuis des lustres, ou bien qu'on se connaît depuis peu mais qu'auprès de toi, je perds la notion du temps. Quoi qu'il en soit, tu me fascines, tu m'intrigues, et... tu me plais.

« Je te voulais pas à mes côtés à cette cérémonie parce que t'es rien de plus qu'un bon pote. Je te voulais à mes côtés parce que la littérature, c'est comme notre truc, tu comprends ? Un monde dans lequel on n'entre que tous les deux dès lors qu'on en discute, et ça, c'est magique. Être avec toi, c'est magique.

« T'es magnifique, à l'intérieur comme à l'extérieur et... je voulais que tu saches que je te ferai rien si tu m'y autorises pas – je commettrai pas deux fois la même erreur –, mais... je voulais juste en venir là : Jeon Jungkook, t'es un libraire incroyable, un garçon grincheux mais ultra attachant et... il fallait juste que ça sorte un jour ou l'autre. Je... ce que je ressens pour toi, c'est... enfin... j-je t'aime, Jungkook. »

Aussi confus que honteux, l'écrivain baissa les yeux, quant à Jungkook, il écarquilla les siens au point qu'il crut qu'ils comptaient s'échapper de leurs orbites. Taehyung venait-il bien de lui déclarer sa flamme pendant de longues minutes qu'il avait passées à enchaîner des phrases sans grande cohérence ?

Le cœur du libraire s'emballa, il ignorait quoi répondre – devait-il répondre, même ? – et se sentait désemparé ! Qu'attendait-il de lui ? Espérait-il des sentiments réciproques ou bien s'était-il préparé à l'éventualité la plus probable ?

« T-Taehyung, c'est... c'est ridicule, voyons, je... j'aime même pas les garçons.

— Je suis stupide d'y avoir cru, hein ? D'avoir imaginé que ça pourrait fonctionner entre nous, tôt ou tard. Ça doit être ça, le problème des écrivains : certains rêvent un peu trop, et le retour sur Terre fait plus mal que prévu. T'en fais pas, je me doutais bien que tu rejetterais mes sentiments, mais... je crois qu'ils me pesaient trop pour que je les taise plus longtemps. J'adore passer du temps avec toi, mais... ce que j'éprouve pour toi, dans ces moments-là, ça m'étouffe. Au moins, maintenant, tu sais tout. Ça vaut sans doute mieux que de continuer de te le cacher, au moins j'ai pu être honnête avec toi comme tu l'as été depuis le départ avec moi – un peu trop honnête, parfois, d'ailleurs –, » termina-t-il avec un maigre sourire.

Jungkook s'en voulut immédiatement de ce qu'il dissimulait depuis leur rencontre à Taehyung, mais il ne regrettait pas d'avoir tu ses blessures. Et il ne regretta pas non plus lorsqu'il reprit en s'inclinant.

« T'es un super ami, hyung, et j'espère qu'on pourra le rester. Je vais m'en aller, tu dois être fatigué. Encore bravo pour cette première victoire, je croise les doigts pour la finale, t'as tout mon soutien. Bonne soirée, à bientôt.

— Jungkook... »

Mais déjà le cadet rejoignait l'entrée. Il enfila ses chaussures en un temps record et s'en alla sans même un regard pour son aîné. Ce dernier, pour qui ces minutes paraissaient s'être déroulées en quelques secondes, sentit soudain son cœur hurler après avoir battu si vite, et lorsqu'il comprit que son ami s'était enfui, avait refusé son invitation et ses sentiments, une vive douleur s'empara de sa poitrine.

Son visage se décomposa, et ses yeux brillèrent de nouveau, mais de larmes.

Il s'effondra, anéanti.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top