Chapitre 69
Jungkook éprouvait la sensation que sa semaine avait été longue, beaucoup plus longue que les autres – sans doute parce qu'il s'impatientait à l'idée de cette soirée chez Taehyung. Ainsi, en arrivant ce samedi matin à la librairie, il se rendit en réserve. Yoongi y travaillait, le visage fermé. Son cadet s'annonça avec son pas lourd et posa la main sur son épaule après avoir croisé son regard.
« Salut, hyung, ça va ?
— Et toi ?
— Ça va. C'est encore Jimin ?
— Hein ?
— T'as l'air de mauvaise humeur, ou du moins soucieux. Il s'est encore passé quelque chose ? »
Bien sûr que Jungkook savait ce qui s'était passé mercredi soir : à peine Jimin parti de chez son aîné que ce dernier avait téléphoné à son meilleur ami pour lui résumer la situation et en discuter avec lui.
« Il m'a toujours pas envoyé un seul message, avoua Yoongi dans un murmure. Ça lui ressemble pas.
— Il doit s'en vouloir, tu devrais peut-être faire le premier pas, suggéra Jungkook.
— Mais je sais pas si je veux vraiment le faire, ce premier pas...
— T'as peur, c'est ça ?
— Bien sûr, soupira Yoongi. Il aurait pu me toucher, et même lui s'inquiète à l'idée de recommencer. Comment tu veux que je flippe pas ? Il a explicitement avoué qu'il est pas sûr de réussir à se retenir.
— Se retenir de te prendre la main, précisa Jungkook. C'est un peu ambigu, comme tu l'as dit.
— T'es bête, sourit enfin le réceptionnaire. Mais... si même en lui donnant l'autorisation de me toucher, je sais que je me sentirais mal après, qu'est-ce qui se passerait s'il agissait sans mon consentement... ? Merde, j'ai tellement peur...
— Tu l'aimes, hein ?
— Bien sûr, sinon je l'aurais quitté dès mercredi soir. Mais... c'est pas parce que je l'aime que l'idée qu'il me touche ne me dégoûte pas et ne m'effraie pas. Kook-ah, je suis terrifié, et... je sais même pas si j'ai envie de le revoir pour le moment.
— Ah ? »
Jungkook afficha une expression inquiète : il savait que ce couple avec Jimin n'augurait rien de bon, mais lui aussi avait voulu y croire, et les sentiments de Yoongi étaient une telle évidence qu'il avait espéré que tout se déroule au mieux. L'entendre avouer ce poids qui l'écrasait le peinait.
« Vous avez pourtant dîné ensemble malgré tout, non ? osa Jungkook.
— Oui, sur le coup je pensais plus à lui qu'à moi, j'ai vu que ça l'avait vraiment mis très mal et je voulais le rassurer avant tout. Mais maintenant que je réfléchis, je me rends compte que ça aurait pu être... vraiment grave, tu comprends ?
— Oui, je sais. C'est bien que t'aies pu te poser pour y réfléchir, et maintenant que tu sais ce que ton cerveau veut, tu peux me dire ce que ton cœur désire ? »
Yoongi resta muet, pour la simple et bonne raison qu'il n'avait aucune réponse à apporter. Dans ce genre de cas, il réfléchissait, il ne remettait jamais ses sentiments en question – ils pouvaient parfois s'avérer si traîtres ! Il avait préféré se laisser aller avec Sungyeol, et aujourd'hui encore il s'en voulait. Si de nouveau il agissait ainsi avec Jimin... non, inenvisageable ! Il s'y refusait !
« Mon cœur me dit trop de choses confuses, c'est peut-être pour ça que j'ai fait des erreurs par sa faute.
— Sungyeol ?
— Entre autres.
— C'est lui qui a fait une erreur, hyung, lui rappela Jungkook en se plantant devant lui avec un air sévère. Tu lui avais explicitement dit que tu n'étais pas sûr, que t'en avais pas envie, et il a insisté jusqu'à ce que tu craques. Tu lui as pas donné ton consentement, c'était pas un consentement, ça. Ton cœur ne t'a pas trompé, pas plus que quand t'as craqué sous la pression que tu te mettais. T'étais même pas majeur, ton entourage aurait dû comprendre que tu pouvais pas vivre avec un fardeau pareil. L'excellence, c'est un cadeau empoisonné.
— Mon frère a pu le supporter, et aujourd'hui nos parents sont fiers de lui, de lui seul.
— Bah moi je suis fier de toi à leur place.
— Kook-ah...
— Écouter ton cœur, c'est pas forcément refuser d'écouter ta tête. C'est juste nuancer. T'es terrifié à l'idée que Jimin recommence, parce que ça pourrait provoquer une crise grave, mais... est-ce que tu crois sérieusement que Jimin osera de nouveau s'approcher à moins de deux mètres de toi après ça ? Il a aussi besoin de s'habituer à cette situation, et si vous restez vigilants tous les deux, ça peut fonctionner. Tu l'as prouvé mercredi : t'as retiré ta main avant même qu'il la frôle. J'essaie pas de te dire de lui accorder une seconde chance, j'essaie pas non plus de te dire que tu devrais le quitter. J'essaie de faire en sorte que t'aies toutes les cartes en main pour faire le bon choix.
— Et d'après toi, c'est quoi, le bon choix ?
— Celui qui te rendra sincèrement heureux, hyung. Et ça, je peux pas en décider à ta place. »
Sur ces mots, Jungkook se pencha pour abandonner un petit baiser sur la pommette de son ami, et il s'en alla en rayon.
Yoongi resta seul. Le choix qui le rendrait heureux...
Il ne s'imaginait pas heureux sans Jimin. Mais il ne s'imaginait pas serein avec lui, pas pour le moment. Peut-être dans quelques jours, mais pas maintenant. Peut-être pourrait-il... le contacter ce soir, pour bavarder sans craindre le moindre toucher ? Oui, ils riraient ensemble, discuteraient jusqu'à s'endormir, et se rapprocheraient sans se frôler. Ils pourraient aussi se mettre en appel vidéo, pour se voir !
Yoongi décida, le sourire aux lèvres, d'envoyer un message à son bien-aimé dès lors qu'il quitterait le travail, avec l'espoir qu'ils puissent se téléphoner le soir même ou le lendemain.
Jungkook, qui avait compris que ses mots avaient permis à Yoongi de se poser les bonnes questions, se sentait plus détendu en rejoignant son rayon... état qui ne dura pas, puisqu'aussitôt il remarqua une pile un peu de travers.
La journée allait être longue, heureusement que la perspective de dîner avec Taehyung lui remontait un peu le moral et l'incitait à s'occuper le plus possible afin que les heures défilent plus vite...
Pendant sa pause déjeuner, alors que Jungkook mangeait en feuilletant son roman, il entendit la porte s'ouvrir. Il leva les yeux et adressa un sourire à son patron.
« Salut, comment tu vas ? s'enquit-il.
— Bien, et toi ?
— Bien. Pas trop occupé ? Tu t'en sors ?
— Je survis, sourit Namjoon. Je fais très attention quand je commande les nouveautés, si ça peut te rassurer.
— Bon, alors tout va bien, je te fais confiance. Tu voulais quelque chose ?
— Me reposer quelques instants... et savoir comment va mon libraire.
— Bien, je te l'ai dit.
— Jungkook... je passe parfois en rayon, tu sais ? Ton bras pend, tu l'utilises de moins en moins. Si c'était juste ça, je m'inquièterais pas : tu m'as dit que ça devait arriver. Mais... ce qui m'inquiète, c'est que j'ai la sensation que... tes yeux ne brillent plus de la même manière.
— C'est ridicule, j'aime toujours autant mon métier, hyung.
— Je sais, je dis pas le contraire... je dis juste que ça se voit que quelque chose ne va pas. Jungkook, te sens pas obligé de répondre, mais... est-ce que ton bras te fait mal même quand tu portes rien de lourd ?
— J'espérais que ça se remarquerait pas...
— Ça se remarque pas facilement, disons qu'on voit de la peine dans ton regard chaque fois que tu mets tes livres en rayon un à un, par exemple. Et comme je te connais, j'ai deviné. C'est en train de devenir si grave que ça ?
— Le jour où ce ne sera plus supportable, je viendrai avec une attelle. T'as pas à t'inquiéter.
— Je ne m'inquiète pas pour mon libraire, je sais qu'il sera toujours performant... mais je m'inquiète pour le garçon que t'es, Jungkook. Je vois que tes livres sont toujours mis en rayon à l'heure, mais j'ai la sensation que ce geste que tu ne peux plus faire comme avant te fait mal, et pas au bras, mais au cœur.
— C'est le temps de m'habituer, j'imagine.
— Si t'as besoin de quoi que ce soit, hésite pas, d'accord ?
— Oui, hyung, merci beaucoup. »
Namjoon lui adressa un sourire encourageant et retourna à son bureau pendant que le cadet reprenait sa place en rayon, l'esprit empli d'interrogations auxquelles il n'était pas convaincu de vouloir répondre pour l'instant.
Il aimait son métier plus que tout au monde.
~~~
Sorti à dix-neuf heures précises, Jungkook trouva son ami devant la librairie, sa voiture stationnée quelques mètres plus loin. Taehyung sirotait un soda, le regard rivé sur son smartphone. Il était vêtu d'une jolie chemise et d'un élégant pantalon, tous deux noirs et accordés avec ses chaussures en cuir de la même couleur. Bien coiffé, maquillé de manière discrète mais envoûtante, il leva les yeux en entendant qu'on approchait et il adressa un sourire radieux à son cadet.
« Bonjour mon Kookie, comment tu vas ?
— Bien et toi ? Tu m'avais pas dit que je devais m'habiller comme pour assister à une cérémonie, ricana Jungkook.
— Oui, je sais, mais toi t'es plus beau au naturel !
— M-Mais toi aussi, ça te va bien, le naturel.
— Oui je sais, mais je voulais te l'entendre dire. Je suis heureux, la soirée commence vraiment très bien !
— Pff, crétin... Et du coup, pourquoi cet accoutrement ?
— Je sais pas, j'avais envie de me croire à une vraie cérémonie, me demande pas pourquoi. C'est mon délire perso, comme les gens qui mettent des pulls de Noël pour Noël, même quand ils le fêtent seuls : un délire perso.
— Mais t'es pas seul, ce soir. »
Taehyung parut se figer, comme surpris de la réplique de son ami qui l'observait désormais en silence.
« Oui, mais tu comprends l'idée, c'était juste pour faire genre, prétexta Taehyung dans un haussement d'épaules désinvolte. Allez, viens, j'ai préparé plein de trucs, comme à une vraie réception ! »
Il retourna d'un pas rapide à sa voiture, suivi par Jungkook qui monta auprès de lui, sur le siège passager. Tout agité par son impatience, l'auteur remua les mains devant lui pour se calmer et s'assurer de conduire de manière sûre. Enfin apaisé, il démarra sous le regard rieur de son ami qui n'osa néanmoins aucun commentaire. Jungkook observa les rues qui défilaient, serein, et tenta de contenir son malaise quand il remarqua qu'ils entraient dans les beaux quartiers, là où vivait Taehyung.
Les mots de Yoongi lui revinrent à l'esprit, et Jungkook s'en voulut aussitôt de songer que oui, l'écrivain possédait largement de quoi lui permettre de subir cette opération qui devenait chaque jour plus urgente. Jungkook cependant ne s'imaginait pas un instant quémander le moindre won, cette seule idée l'horripilait.
Sa moue ronchonne disparut quand Taehyung prit la parole pour lui demander comment s'était déroulée sa journée. Jungkook répondit d'un ton détendu, et même si Taehyung perçut son embarras, il ne posa aucune question : son cadet avait montré à plusieurs reprises qu'il n'aimait pas venir chez lui, si bien que cette réaction ne le surprenait pas. Il espérait en revanche que son agitation s'apaiserait, afin qu'ils passent tous deux une agréable soirée.
Ils descendirent du véhicule sans cesser leur conversation, et Taehyung ouvrit puis grimpa dans l'ascenseur, son ami à ses côtés. Enfin chez l'auteur, Jungkook se déchaussa et se redressa. L'aîné l'invita à se diriger au salon, il s'exécuta. Il y découvrit, impressionné, un assortiment de mignardises sucrées et salées disposées sur la table, sans doute par des professionnels peu avant le départ de Taehyung. Deux coupes s'y trouvaient aussi, ainsi qu'une bouteille de champagne et... une briquette de lait à la banane. Jungkook éclata de rire.
« C'est quoi, ça, hyung ?
— Tu veux du champagne ?
— Non, merci, répliqua Jungkook avec un rictus amusé.
— Bah voilà, t'as ta boisson et moi la mienne.
— Je dois mettre le lait à la banane dans la coupe aussi, ou bien c'était juste pour la blague ?
— Juste pour la blague, je te rassure.
— Merci beaucoup, ça a vraiment l'air bon.
— J'espère que ça le sera ! La cérémonie commence à la demie, et les finalistes pour le grand prix seront annoncés à vingt heures, alors on a encore un peu de temps à tuer. Si on trinquait à ma participation ? Comme ça, on pourra fêter quelque chose avant même l'annonce des résultats, et si je suis pas finaliste, on aura quand même une bonne raison de faire la fête !
— Ça m'a l'air d'être une bonne idée, » approuva Jungkook.
Il se sentait bien maintenant que Taehyung savait comment le mettre à l'aise. Il était convaincu de passer une soirée mémorable !
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