Chapitre 64

Dix ans plus tôt...

Une nuit blanche supplémentaire. Yoongi poussa un soupir de dépit, un soupir tremblant qui traduisait sa détresse. Les examens de fin d'année arrivaient, ceux qui lui permettraient d'obtenir son diplôme et d'intégrer l'université de ses rêves. Il étudiait d'arrache-pied, aidé par ses parents, intransigeants, qui mettaient tout en œuvre pour lui offrir un environnement de travail favorable, silencieux. Ils ne cessaient de lui demander comment ses révisions avançaient, et quand chacun avait un peu de temps, ils l'interrogeaient sur un point particulier du programme pour s'assurer de ses connaissances.

Ils voulaient bien faire. Ils pensaient bien faire. Sans doute même faisaient-ils bien... mais Yoongi étouffait. Une seule erreur et il voyait le regard de ses proches se voiler de déception et d'inquiétude. Son frère aîné avait réussi cet examen haut la main, à présent il poursuivait des études prestigieuses dans une université tout aussi prestigieuse, et les parents de Yoongi espéraient bien que le cadet se débrouillerait mieux encore que le plus vieux : toute sa vie, Yoongi avait en effet décroché de meilleures notes que son frère, et ce dans toutes les matières. Aucune crainte à avoir dans ce cas, n'est-ce pas ?

Or, les parents des jeunes gens n'avaient pas pris un paramètre en compte : Yoongi était beaucoup plus sensible que son aîné, bien moins solide que lui. Son frère, avec ses capacités moyennes, s'était tué à la tâche, se poussant sans cesse à bout. Il avait réussi avec un travail acharné, il avait réussi du fait de son inarrêtable volonté. Il était doué d'un mental à toute épreuve, celui d'un véritable combattant, quand Yoongi pour sa part cédait au moindre stress. Un rien le paralysait, et... plus que jamais, ce minuscule défaut risquait de bouleverser sa vie.

Yoongi révisait sans arrêt, mais une voix en lui murmurait que le jour de l'examen, il deviendrait inapte à répondre même à une question digne d'un élève de six ans.

Ce matin-là, donc, après sa nuit blanche, épuisé et les nerfs à vif, Yoongi craqua une fois de plus. Il s'allongea sur son lit, plongea le visage dans l'oreiller et pleura. Il éprouvait la sensation de se tuer à petit feu, de mourir sous la pression qu'il s'infligeait. Il désirait plus que tout rendre sa famille fière, mais... il n'y arriverait pas ! Il ne supportait pas que tout le monde compte sur lui, ça l'effrayait !

Le cœur lourd, il serra sa couette contre lui en se recroquevillant dessous, et il attrapa un mouchoir sur sa table de chevet. Il en usait un bon paquet par jour en ce moment. Désespéré, il se sentait perdu : toute sa vie il avait travaillé pour ces études dont il rêvait, dont son père et sa mère rêvaient pour lui... or, à présent, plus rien ne le faisait rêver, si ce n'était de rester roulé en boule sur son lit jusqu'à ce que tous ses ennuis se soient envolés.

Il savait que ses parents l'entendaient parfois sangloter – ils dormaient dans la chambre à côté de la sienne, ils l'entendaient forcément – mais jamais ils n'étaient venus en discuter avec lui. L'excellence requérait des sacrifices, et il semblait normal à sa famille qu'il ait besoin d'évacuer seul le surplus de frustration que réviser sans cesse pouvait engendrer.

Ils se trompaient. Leur fils avait avant tout besoin d'eux à ses côtés, et pas pour lui faire réciter ses leçons : Yoongi avait besoin d'eux pour le réconforter, le prendre dans leur bras comme à ses cinq ans, quand il s'était écorché le genou et était allé pleurer dans l'étreinte de sa maman. Il voulait qu'elle le serre fort contre lui, il voulait oublier ses larmes en se laissant bercer tant par ses gestes que par son parfum. Il voulait que son père appuie une main protectrice sur son épaule en lui affirmant que tout irait bien et qu'ils pourraient aller discuter entre hommes dans le jardin pour penser à autre chose, ne serait-ce que cinq minutes.

Rien.

Yoongi ne possédait qu'une seule échappatoire : son compagnon. Sungyeol avait son âge, ils étaient dans la même classe et se connaissaient depuis plusieurs années. Tombés amoureux, ils avaient longtemps craint de l'admettre avant d'oser en parler. Il s'était passé des mois, mais enfin ils avaient trouvé le courage d'aborder le sujet sensible, et Sungyeol lui avait posé la question : se sentait-il capable d'aimer un homme ? De sortir avec un homme ? Quand Yoongi avait opiné, son ami lui avait avoué ses sentiments, et tous deux avaient décidé de se mettre en couple. Discrets devant leurs camarades, les jeunes gens l'étaient moins chez l'un ou chez l'autre. Une chance : les parents de Sungyeol, comme ceux de Yoongi, les laissaient se fréquenter. Ils n'avaient vu aucun problème à l'affection éprouvée par leur fils pour un garçon, ce qui avait comblé de bonheur les deux adolescents.

Ils s'aimaient depuis sept mois à présent, et Yoongi se réjouissait que ce jour-là soit un dimanche : Sungyeol passerait dans l'après-midi pour lui tenir compagnie. Enfin il respirerait et pourrait confier ses craintes à son copain ! Certes, il les lui avait déjà avouées, mais chaque fois écouter les conseils et les encouragements de son compagnon lui remontait le moral et lui donnait un peu plus de forces.

Épuisé, Yoongi s'accorda quelques heures de sommeil. Il se coucha une fois ses larmes essuyées et tenta de se consoler en songeant à ce moment dont il profiterait avec l'homme de sa vie, celui qu'il chérissait depuis des années et qui le chérissait en retour.

Comme il se sentait bien, avec lui...

Les paupières de Yoongi se fermèrent seules pour ne se rouvrir qu'à l'heure du déjeuner. Il descendit de sa chambre pour se rendre à la cuisine, et ses parents comprirent à son visage qu'il avait encore passé des heures difficiles, plongé dans ses révisions. Ils admiraient son courage autant qu'ils s'en inquiétaient. Plus d'une fois ils en avaient discuté, et chaque fois ils en avaient conclu qu'ils devaient soutenir Yoongi sans pour autant le déranger trop souvent à lui poser des questions personnelles : ils savaient leur fils très secret, ils savaient qu'il n'appréciait pas exprimer ses émotions devant eux. Mieux valait donc qu'ils évitent de le confronter, ils préféraient attendre que lui-même vienne leur parler quand il s'en sentirait prêt. Depuis qu'ils avaient déménagé à Séoul deux ans plus tôt, Yoongi s'était beaucoup renfermé.

« Tiens, mon chéri, on t'a préparé ton plat préféré : bœuf mariné avec un peu de riz. »

Yoongi adressa à sa mère un sourire fatigué et la remercia d'un murmure à peine audible. Ils mangèrent dans le plus parfait silence, à trois puisque le frère aîné possédait un petit appartement étudiant près de son université.

« On va aller se promener en ville cet après-midi, indiqua son père. Vous voudrez venir avec nous, Sungyeol et toi ?

— C'est gentil, mais j'ai pas très envie de sortir, je pense qu'on restera ici devant un film, affirma Yoongi d'une voix éteinte.

— Tu veux qu'on te rapporte quelque chose ? s'enquit sa mère. J'ai vu un magasin qui vend de jolis objets, ça irait bien dans ta chambre, je pense.

— Bof, ça me dit rien pour l'instant, mais merci.

— D'accord. Si tu changes d'avis, n'hésite pas. »

Il acquiesça et quitta la table peu après. Une larme lui échappa sans qu'il sache pourquoi, alors qu'il regagnait sa chambre.

Il se sentait vide, il lui semblait que la vie qu'il s'apprêtait à embrasser ne lui apporterait jamais le bonheur. Après ces examens, à l'université, ses études lui plairaient-elles ? Il en était convaincu avant, toutefois, il doutait maintenant. Le travail ne lui paraissait plus épanouissant, c'était devenu une corvée de laquelle il se forçait à s'acquitter.

Épuisé, il ne remarquait pas que jour après jour, il agissait sur son moral comme sur un élastique qu'il étirait : un jour il cèderait, et pourrait-il se reconstruire alors ?

Yoongi relut ses cours avec un air absent jusqu'à l'arrivée de Sungyeol, qui concordait avec le départ de ses parents. Laissés seuls dans la maison, les garçons grimpèrent dans la chambre. Sungyeol poussa un soupir.

« Encore les révisions ? demanda-t-il d'un ton anxieux.

— Ouais, souffla Yoongi. Comment t'as su ?

— J'ai même pas eu droit à un bisou pour me dire bonjour, tenta de plaisanter son copain avec un sourire qui paraissait plus peiné qu'il ne l'aurait voulu.

— Oh... c'est vrai, pardon.

— T'excuse pas, mon amour. »

Yoongi se pressa d'aller embrasser son compagnon, toujours heureux de pouvoir s'accorder de tels moments avec lui. Sungyeol le serra fort contre lui dans l'espoir de lui témoigner son soutien, et son copain ferma les yeux pour s'oublier un peu dans cette étreinte amoureuse.

« Tu vas bien ? l'interrogea à son tour Yoongi. Tes révisions se passent bien ?

— Ouais, tranquilles. Moi je vise pas très haut, tu sais, alors y a pas de pression.

— T'es quelqu'un de vraiment courageux quand même.

— Toi aussi. Et en plus t'es super intelligent.

— Dis pas ça, je vais me sentir encore plus mal si je foire.

— Tu vas pas foirer, tu seras le meilleur de la promo, même, j'en suis sûr. Faut juste que tu te détendes un peu et tout se passera bien.

— Mais je sais pas comment me détendre, Sun, j'ai vraiment tout essayé, soupira-t-il. J'ai même tenté le yoga – et sur ton conseil, je te rappelle.

— C'est vrai... Bah je sais pas, t'as essayé la méditation ?

— Avec toi, le mois dernier, opina Yoongi désespéré.

— Ah... oui, c'est vrai. Euh... un bisou ?

— Ça y changera rien, mais je dis pas non, » approuva Yoongi dans un gloussement.

Son copain lui offrit un sourire lumineux – et comme Yoongi aimait le voir sourire ainsi ! Tous deux désormais assis sur le lit de la chambre, ils s'enlacèrent et partagèrent un baiser délicat. Il ne s'agissait que de leurs lèvres appuyées sur celles de l'autre, et ils s'en délectaient. Yoongi oubliait tout quand son compagnon l'embrassait de cette manière, et une chaleur délicieuse courait dans ses veines, au lieu du stress généré par ses révisions intensives.

Sur un petit nuage, Yoongi se laissa faire quand son copain l'incita à entrouvrir la bouche, et l'échange s'approfondit. Ils se caressèrent avec tendresse les bras, le torse, le dos.

« Je t'aime, souffla Yoongi.

— Moi aussi. »

Ils s'étreignirent plus fort, Sungyeol glissa les mains sous le haut de son bien-aimé, lui cajolant le dos à même la peau. Yoongi en frissonna, et les baisers remontèrent pour passer de ses lèvres à sa tempe.

« Je viens de penser à un truc pour te détendre, mon amour...

— A-Ah bon ? Quoi ?

— Ça te dirait pas qu'on... qu'on essaie de... »

Et tandis qu'il parlait, ses doigts sous son t-shirt descendirent jusqu'à titiller sa ceinture. Yoongi en sursauta de surprise.

« T-Tu voudrais... qu'on... qu'on fasse l'amour ? demanda-t-il d'un ton intimidé.

— Ça te plairait pas ? Depuis le temps qu'on se contente de s'embrasser, ça pourrait peut-être... nous faire du bien à tous les deux, non ?

— Euh... j-je sais pas trop. J'ai pas vraiment envie...

— T'as peur ?

— Un peu, oui.

— Je serai doux, je t'assure. J'ai... déjà eu l'occasion de me renseigner. C'était juste sur internet, mais je ferai de mon mieux pour que t'éprouves aucune douleur, je t'assure.

— Tu t'es renseigné ?

— Euh... oui. Ça t'ennuie ? s'inquiéta Sungyeol. J'espérais qu'un jour, toi et moi, enfin... on aille plus loin, tu comprends ? Et je sens bien qu'en ce moment, tu te sens pas bien. Alors je me disais que je pourrais être au-dessus, comme ça, toi, t'as juste à t'allonger et à profiter, moi je m'occupe de tout. De toi. »

Sungyeol lui caressa la joue en plongeant un regard affectueux dans le sien, plus timoré. Yoongi baissa les yeux.

« J'ai pas très envie, notre relation me plaît bien comme ça.

— Je t'ai dit que je ferai attention, et je t'assure que si t'as mal, on arrête.

— Je sais pas trop...

— Je t'aime, et je voudrais te le montrer de cette façon. Je suis convaincu que ça te ferait du bien avant cet examen.

— Tu penses ?

— Il paraît qu'un orgasme, c'est super bon contre le stress.

— Ah...

— De toute façon, l'idée ce serait d'y aller peu à peu, alors on pourrait commencer par... par juste se caresser, enlever un ou deux vêtements, et ensuite tu vois si tu veux aller plus loin ou non, t'en dis quoi ?

— Je sais pas trop...

— T'as pas aimé ma main dans ton dos ? Tu voudrais pas qu'elle descende... juste un peu plus bas ? Tu m'aimes, non ?

— Bien sûr.

— Alors fais-moi confiance, mon amour. Je vais m'occuper de toi. »





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Et comme d'habitude, pas d'inquiétudes : je ne compte pas décrire la scène qui suit au prochain chapitre.

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