Chapitre 61
Jungkook n'en revenait pas : après leur petite pause goûter, Taehyung et lui avaient enchaîné les attractions, mais jamais de sensations trop fortes - car le ventre plein, l'idée leur paraissait horrible. Et qu'est-ce qu'ils s'étaient amusés ! Même s'ils se trouvaient désormais sur le parking, prêts à remonter en voiture, Jungkook sentait encore son cœur battre la chamade, comme pendant tout ce long moment passé dans cet endroit coloré et féérique ! Ils avaient pris ensemble de nombreuses photos, des selfies en pagaille, et Jungkook en avait envoyé plusieurs à sa mère.
Il souhaitait qu'elle comprenne de cette façon qu'il était heureux, et qu'elle n'avait pas à s'inquiéter pour lui. Quand il lui avait annoncé, quelques semaines plus tôt, qu'il ne comptait pas subir l'opération recommandée par Seokjin, elle avait insisté pour entamer les démarches afin de vendre la maison familiale et lui offrir enfin ce dont il avait tant besoin. Mais Jungkook avait menti, prétendant qu'il était de toute façon trop tard, et qu'il se sentait plus serein maintenant. Ainsi, dès qu'il en avait l'occasion, il cherchait à lui prouver que tout se passait à merveille dans sa vie.
C'était pour la bonne cause, il ne s'en voulait pas de lui dissimuler la vérité.
« C'était vraiment trop génial ! s'émerveilla Jungkook une fois la portière fermée et Taehyung installé à ses côtés. Merci beaucoup, j'ai passé un super moment !
- Tu veux venir boire un truc à la maison pour terminer la journée ? proposa l'autre en démarrant.
- Euh... c'est gentil, mais... je préfèrerais rentrer. Il se fait tard.
- Oui, c'est vrai... d'accord, je te ramène.
- Merci. »
Un sourire fut échangé. Le portable de Jungkook affichait à peine vingt heures dix, mais il désirait se coucher tôt, même s'il ne travaillait que l'après-midi le lendemain... et il souhaitait surtout éviter de se retrouver seul avec Taehyung chez ce dernier. Le souvenir du baiser qu'il lui avait volé le hantait encore, et à la simple idée que l'auteur pose de nouveau ses lèvres sur les siennes, ses mains puissantes sur lui... Jungkook se sentait nauséeux, et son cœur s'emballait.
Jungkook secoua la tête pour en chasser ces souvenirs écœurants. Il se moquait bien d'aimer une fille ou un garçon, mais qu'une personne, peu importait son sexe, l'embrasse sans son consentement, ça, il en était hors de question.
Euh... est-ce qu'il s'en moquait d'aimer une fille ou un garçon ? Si cette pensée lui était venue si naturellement, alors sans doute s'en moquait-il bel et bien. Il tenta de se figurer un couple avec une femme. Un baiser, des mots doux. Bof, il ne ressentit rien de spécial. Puis il imagina ce baiser et ces mots doux échangés avec un homme. Même indifférence.
Peut-être un jour éprouverait-il quelque chose en songeant à des relations avec quelqu'un - quelqu'un qui l'attendrirait autant qu'il l'exciterait. Or, ses soucis d'argent l'obnubilaient au point que l'amour ne comptait pas parmi ses priorités.
Le trajet passa plus vite que le précédent aux yeux de Jungkook qui fut tiré de ses pensées quand Taehyung stoppa la voiture devant le bâtiment de son cadet. La nuit était tombée, et les deux garçons échangèrent un regard.
« Bon... bah à plus, du coup, sourit l'aîné en dépit de l'étincelle dépitée qui brillait dans ses prunelles.
- Ouais... passe une bonne soirée, et merci encore pour aujourd'hui, c'était vraiment cool.
- C'est moi qui devrais te remercier d'avoir proposé de passer du temps avec moi. Je t'en suis très reconnaissant, Jungkook. »
Le jeune homme lui adressa un regard touché, et ils décidèrent d'échanger une brève étreinte avant que Jungkook ne descende. Après un dernier signe de la main, Taehyung s'en alla. Immédiatement, il se sentit vide. La présence du libraire lui offrait ce qui ressemblait à un nouveau souffle de vie, il lui insufflait un bonheur qu'il n'avait plus connu depuis bien trop longtemps. Le cœur lourd, il rentra chez lui et, à peine sa porte franchie, il sortit son portable de sa poche. Ses doigts tapèrent seuls un SMS, comme guidés par un besoin viscéral.
Taehyung - Dis, tu voudrais passer la nuit à la maison ?
Baekhyun - Pour discuter ou baiser ?
Taehyung - Je sais pas encore, mais peut-être plutôt pour discuter. Ça te va ?
Baekhyun - Dans les deux cas, ça m'allait. Je suis chez moi, je me prépare et j'arrive, tu peux me renvoyer ton adresse.
L'écrivain la lui envoya.
Baekhyun - Parfait. J'en aurai probablement pour vingt minutes, je fais vite, à toute.
Taehyung - Merci, à toute.
En attendant, l'auteur se rendit à sa cuisine. Il avait laissé les volets ouverts, et il n'alluma pas la lampe. Les lampadaires et la lune lui servaient un éclairage suffisant pour se repérer dans la pièce et attraper un verre qu'il remplit d'un peu d'eau. Il but en silence. Jimin l'avait incité à ne jamais garder de bouteilles d'alcool chez lui, de sorte qu'il ne puisse pas se saouler sur un simple coup de tête. Avec les mois, il s'était détaché de la boisson, et quand son envie devenait trop forte, il préférait ne pas abîmer son corps avec des litres de soju : il s'en autorisait juste un fond, dans un bar, et noyait l'essentiel de son chagrin dans des nuits d'ébats avec de beaux inconnus.
Il avait promis à Jimin, et il tenait toujours ses promesses. Or, rester confronté en permanence à la réalité le brisait, et si son meilleur ami avait pu demeurer à ses côtés pendant de longues années, désormais il devait s'occuper de son club. Taehyung se sentait plus isolé que jamais, plus détruit que jamais.
Et puis il avait rencontré Jungkook, il avait retrouvé avec lui le plaisir de lire, et ces romans que le libraire lui conseillait s'étaient transformés en un paradis artificiel de substitution : il s'oubliait, il oubliait le monde, et il éprouvait la sensation de devenir quelqu'un d'autre. Les efforts fournis par son imagination pour recréer un véritable film à partir des mots lui prenaient toute son attention.
Jungkook lui avait permis de trouver une nouvelle manière d'être heureux, et ses journées, qui jusqu'à présent se résumaient à écrire, se perdre sur internet et pleurer, incluaient désormais une longue séance de lecture. Quand il refermait son livre, il ne se sentait pas plus épanoui qu'en l'ouvrant, mais pendant tout le temps qu'il avait passé concentré sur le texte, il avait souri sans même s'en rendre compte. Son cœur lui avait paru délesté d'un fardeau qui n'existait plus dans cet univers qu'il découvrait. Le bonheur dans ce qu'il avait de plus pur.
Ce jour-là, avec Jungkook, il avait vécu de délicieux moments, et à présent, dans sa cuisine, il ignorait ce qu'il souhaitait faire avec Baekhyun : lui raconter à quel point il se réjouissait auprès de celui qu'il chérissait, ou bien coucher avec lui pour oublier la frustration sexuelle qui le dévorait, lui qui avait toujours eu pour habitude d'obtenir les hommes qu'il désirait.
Quand Baekhyun sonna, il lui ouvrit sans hésiter. Il alluma la lampe du couloir et tenta de forcer un sourire pour ne pas lui paraître d'emblée trop désespéré. L'autre néanmoins ne fut pas dupe.
« Longue journée ? s'enquit-il en le voyant.
- On peut dire ça, approuva l'écrivain. Et toi, ça va ?
- Ouais.
- T'étais pas en boîte ?
- J'étais fatigué, j'avais pas le courage de bouger.
- Alors pourquoi avoir accepté de venir ?
- J'avais pas le courage de bouger en sachant que je repars pas toujours avec un mec. J'avais pas envie de me préparer, aller en boîte et tout le reste si c'était pour pas trouver un mec qui me plaise... mais si un mec qui me plaît veut me voir, je dis pas non. Ça va mieux, toi, du coup, avec celui qui te plaît ?
- On est redevenus amis... et il me plaît de plus en plus chaque jour, soupira Taehyung en regardant Baekhyun se redresser une fois ses chaussures enlevées et la porte fermée.
- Et tu préfères me raconter pourquoi ce soir précisément tu m'as demandé de venir, ou bien tu voudrais qu'on termine ce qu'on avait commencé la dernière fois.
- Je sais toujours pas. Tu veux boire un truc ?
- T'as du soju ?
- J'ai pas d'alcool ici, sauf quand je prévois un dîner.
- Un coca ?
- Je vais te chercher ça. Va te poser sur le lit, on sera bien.
- D'acc. »
Baekhyun, qui se souvenait du chemin, se rendit à la chambre de son hôte. Il y observa, émerveillé, ce qui s'y trouvait, et s'assit sur le lit. Vêtu d'un banal t-shirt noir rentré dans son jean, il était sublime... mais le regard de Taehyung sur lui ne lui avait pas paru empli d'un quelconque désir - dommage, lui en revanche aurait bien apprécié passer une nuit agitée avec ce magnifique jeune homme !
Taehyung revint et lui tendit son verre de soda, que son invité but d'un trait. Ils s'installèrent l'un à côté de l'autre, tous deux en tailleur sur le large matelas.
« J'ai pas dormi ici, cette nuit, avoua Taehyung après de longues secondes d'un lourd silence. J'étais... chez lui. »
Et de cette façon, il raconta ses dernières vingt-quatre heures à Baekhyun qui l'écouta, respectueux, jusqu'à la fin de son récit. Il en avait entre temps profité pour demander son âge à l'écrivain, apprenant donc que Taehyung était plus jeune que lui.
« Voilà tout, conclut son cadet dans un soupir. J'arrive pas à m'enlever ce garçon de la tête, et... merde, je l'aime, mais y a un truc qui me fait peur chez lui, ce truc dans son regard, quand on lui offre ne serait-ce qu'une boisson, ou quand il voit ma bagnole hors de prix. J'ose pas lui demander avec insistance pourquoi il a des problèmes d'argent, mais je vois bien que ça le bouffe et... merde, je voudrais pouvoir l'aider ! Sauf que je sais bien à quel point on peut vouloir garder ce genre de trucs pour soi ! Alors je fais rien, je laisse couler... et si au début il me paraissait de plus en plus tendu, là j'ai l'impression que ça va mieux, mais... ça l'a pas quitté pour autant. Je sais pas quoi faire, et j'ai aucun droit de faire quoi que ce soit, de toute façon. Il veut pas qu'on se mêle de ses affaires, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Il m'aime pas comme je l'aime, il m'aimera jamais, et j'aurais peur qu'il se méprenne sur mes intentions si j'essayais de l'aider. Il me fascine, je l'aime si fort - plus fort encore que quand je lui ai volé ce baiser à la con, et... putain, ce baiser, j'arrête pas d'y repenser ! C'était tellement bon, t'as pas idée !
- Je veux bien te croire... Quant à l'aider, je comprends que ça te démange, et tu devrais peut-être lui en parler. Comme ça, s'il accepte, c'est réglé, et s'il refuse, au moins tu pourras te dire que t'as fait ce qu'il fallait en tant qu'ami.
- Je sais qu'il refusera, il supporte déjà mal que je lui offre un thé glacé, alors l'aider avec des problèmes qui ont l'air aussi importants... c'est mort.
- Ah... pas faux. »
De nouveau le silence. Désormais allongé, Taehyung tourna la tête en percevant du mouvement. Baekhyun, jusque-là assis à jouer avec un pan du drap, s'était placé à quatre pattes et approchait. Il s'installa sur son bassin, appuyant de manière intentionnelle ses fesses sur son sexe qu'il sentait à travers son pantalon. Un sourire malicieux au visage, il s'abaissa dans l'espoir de poser ses lèvres sur les siennes.
Taehyung se détourna.
« Tu veux pas ? demanda Baekhyun d'une voix qui ne dénotait non pas de la déception mais de la crainte - la crainte de l'avoir vexé à agir ainsi.
- Je sais pas... juste... je veux pas que tu m'embrasses sur la bouche.
- Donc... je peux poser ma bouche ailleurs ?
- Si tu veux.
- Et j'ai le droit, de bouger un peu, comme ça ? »
Il se mit à onduler du bassin. Taehyung prit une profonde inspiration et acquiesça, son regard plongé dans le sien.
« Plutôt au-dessus ou en dessous ? s'enquit l'aîné.
- Je m'en fous, répondit l'écrivain. Fais-moi juste jouir.
- À vos ordres ! »
Et son enthousiasme tira un faible sourire à son cadet, qui le laissa lui embrasser et mordiller la nuque pendant qu'il poursuivait ses mouvements de hanches. Taehyung posa les mains sur ses fesses pour les malaxer à travers son jean, et Baekhyun en frémit de désir, tout à coup brûlant.
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Petite parenthèse, pour finir. Au chapitre précédent, Jungkook évoque un jour où des gens se sont amusés à cacher des livres. Et comme vous l'avez deviné, oui, ça m'est déjà arrivé. Un matin, mon collègue du rayon sciences humaines vient me voir et me dit qu'une de ses piles de livres a disparu, envolée, alors qu'il se souvient l'avoir vue hier et que les livres sont toujours en stock. Il me demande si je l'ai déplacée, mais j'en avais pas le souvenir. On demande à notre collègue de jeunesse, puis à celle qui s'occupe des mangas. Rien.
On passe une demie heure à chercher partout, mais rien. Finalement, on demande aux agents de sécurité de la galerie commerciale de nous aider : ma collègue de jeunesse pose la main là où se trouvait la pile et demande s'ils voient l'endroit sur leurs caméras (l'une d'elle pointe justement sur le rayon sciences humaines). Le gars confirme, il va remonter les bandes de la veille, depuis le départ de celui qui gère les sciences humaines jusqu'à la fermeture du magasin.
Environ une heure plus tard, la nouvelle tombe : hier soir, pendant que mes collègues étaient occupés à changer un podium, trois personnes, environ la trentaine, ont pris la pile. Ils ont profité de l'absence des libraires dans les rayons pour prendre un tabouret et cacher les livres au-dessus de trois étagères différentes.
Voilà...
Et une autre fois aussi, une de mes collègues m'a dit que des gens avaient caché les livres de Zemmour sous des étagères.
On peut ne pas être d'accord, mais de là à être aussi abruti, moi ça me dépasse...
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