Chapitre 49
Jungkook venait de terminer de réceptionner le carton laissé par Jieun et se trouvait à son étage, en train de mettre ses livres en rayon, quand Hoseok revint. Le cadet déglutit, et une fois qu'il l'eut repéré, son aîné le rejoignit.
« En réserve, ordonna-t-il avec froideur, faut qu'on parle. »
Jungkook baissa les yeux et, après avoir posé les livres qu'il tenait de sa main droite, il suivit son aîné. Une fois qu'ils furent isolés, Hoseok croisa les bras contre son torse, mécontent.
« J'espère que t'es fier de toi, Jungkook.
— J'ai jamais voulu ça, se défendit l'autre dans un soupir, je suis désolé.
— Tu veux savoir la vérité ? Depuis que tu lui as fait remarquer qu'elle était pas sérieuse au travail, Jieun se donne corps et âme pour ce métier. De quarante heures par semaine, elle est passée à soixante-dix : tout ce qu'elle pouvait faire en dehors de la librairie, elle le faisait en dehors. Je pense que t'as compris qu'on était en couple, eh bah sache que depuis ta connerie, Jieun passe ses soirées et une partie de ses nuits à travailler. Elle est sur son ordi et s'occupe des commandes que Namjoon arrive pas à gérer, ou bien du site internet. Ça lui demande un temps fou, et si avant elle s'en chargeait en rayon, maintenant elle n'ose plus. Pourquoi ? Parce que tu l'as critiquée sous prétexte qu'elle restait toujours scotchée à son bureau et n'aimait pas mettre en rayon.
« Mais bien sûr qu'elle aime pas mettre en rayon, Kook ! Merde, elle gère un étage à elle seule, et probablement le pire : la jeunesse ! Elle a pas le temps de tout faire, même en se donnant à fond ! Je lui donnais souvent un coup de main, mais depuis un mois elle refusait que je quitte mon rayon, parce qu'elle avait peur de parler avec moi pendant ses heures de travail ! Mais Jungkook, dis-moi, qui est-ce qui passe dix minutes à discuter avec Yoongi au début de chacun de ses services ? C'est pas Jieun, que je sache, et si tu passais ces dix minutes non pas à discuter avec Yoongi mais à mettre un peu de jeunesse en rayon, Jieun aurait pas besoin de se presser autant ! Tu crois peut-être que parce que la littérature te donne peu de travail, c'est aussi le cas de la jeunesse, mais pour cinq caisses de jeunesse que Yoongi remplit, il en remplit à tout casser deux de littérature. Alors tu vas arrêter de faire le con, et quand Jieun reviendra, t'as intérêt à lui présenter tes excuses.
— Je l'ai déjà fait, répondit Jungkook d'une voix éteinte, et je lui ai proposé mon aide, mais elle a refusé.
— Alors ton aide, au lieu de la lui proposer, tu vas la lui imposer. Compris ?
— Oui, hyung.
— Eh... pleure pas, Jungkook, se radoucit Hoseok alors que son cadet avait baissé le visage mais s'était fait trahir par un sanglot bruyant.
— J-Je suis désolé... pourquoi elle m'a rien dit ? S-Si j'avais su... hyung, je te jure q-que je savais pas.
— Je te crois, Kook, mais tu l'as vraiment blessée. Elle adore ce travail, et quand tu lui as dit qu'elle devrait en faire plus... elle aussi, elle a pleuré, ce soir-là, tu sais ?
— Je suis désolé... »
Hoseok enroula les bras autour de son collègue qui ne broncha pas, laissant pour sa part ses sanglots le submerger. Un nœud lui serrait la gorge depuis que Jieun était partie, et ces remontrances de la part de son aîné l'avaient fait craquer. Malgré tout, il se sentit tout de suite plus léger, comme délesté du poids de sa culpabilité : à partir de maintenant, il prêterait plus attention à Jieun et s'assurerait de la soutenir au mieux. Tout avait été dit, tout était derrière eux, et désormais il leur fallait avancer – avancer ensemble.
Hoseok lui caressa le dos de façon affectueuse, et Jungkook essuya les quelques larmes qui lui avaient échappé avant de reculer et de sourire à son ami.
« Je me ferai pardonner, promis, lui assura-t-il. J'ai compris, et je ferai plus attention à Jieun, à l'avenir.
— C'est tout ce que je voulais entendre, Kook. Et à l'avenir, si Jieun a besoin d'aide, elle nous le dira au lieu de chercher à tout gérer elle-même. On a peut-être chacun nos rayons, mais on est une équipe.
— Ouais. »
Jungkook opina, puis une question lui vint.
« Mais... d'ailleurs, pourquoi vous ne nous aviez pas dit que vous étiez ensemble ?
— Oh... bah en fait, on comptait vous le dire, mais on savait pas comment aborder ça, alors en attendant de trouver la bonne occasion... on disait rien.
— Et vous êtes ensemble depuis... ?
— Bientôt deux mois, avoua Hoseok d'un air embarrassé.
— C'est mignon, gloussa Jungkook, je t'avais rarement vu aussi gêné.
— Te moque pas ! » le rabroua Hoseok dans de grands gestes.
Et son cadet s'esclaffa avant d'indiquer qu'il allait retourner à ses mises en rayon. Hoseok approuva d'un hochement de tête, et les deux se chargèrent de ranger tous les livres de Jieun.
Jungkook, allégé du fardeau de la culpabilité, travailla le sourire aux lèvres, et à deux ils parvinrent à vider plusieurs caisses en un temps record, seulement arrêtés par quelques clients qu'ils s'empressèrent de renseigner.
~~~
C'était dimanche, seul jour de repos de Jungkook. Jungkook détestait le dimanche.
Il passa sa matinée à se ronger les sangs, impossible pour lui de se concentrer sur sa lecture, et impossible d'avaler quoi que ce soit. Il marmonna en début d'après-midi un triste « j'ai besoin d'un lait à la banane » avant de devoir partir, et il engloutit une briquette entière. Il se prépara, quitta son petit studio et marcha quelques minutes pour arriver devant le cabinet que Seokjin partageait avec d'autres médecins indépendants.
Il entra, la secrétaire le reconnut et lui enjoignit d'aller directement en salle de consultation : le kinésithérapeute avait terminé son précédent rendez-vous en avance et pouvait se charger de lui dès maintenant. Jungkook la remercia sans conviction et se dirigea vers la pièce indiquée.
Il s'agissait de l'endroit où Seokjin officiait, un bureau de bonne taille dans lequel il avait réussi à aménager un coin pour recevoir ses patients et un pour les examiner, séparés tous deux par un élégant paravent. La décoration demeurait sobre, et l'odeur qui flottait dans l'air, qui avait d'abord écœuré Jungkook, l'effrayait désormais. C'était l'odeur de ses problèmes...
« Bonjour, Kook-ah, comment tu vas ? lança Seokjin quand son cadet entra après avoir frappé à la porte.
— Bonjour, hyung. Ça va, et toi ?
— Je vais bien. Du nouveau au sujet de ton bras ?
— Ça tire quand je soulève des trucs un peu lourds.
— Ça tire plus qu'il y a trois mois ?
— Ouais, avant c'était gênant mais pas douloureux, là c'est juste douloureux.
— Tu permets qu'on fasse quelques exercices ? Tu veux bien retirer ton sweat ?
— Bien sûr. »
Jungkook quitta la chaise sur laquelle il s'était installé, face à son ami, et il retira son haut pour rester en t-shirt à manches courtes. Seokjin, très professionnel, n'attarda pas son regard sur ses blessures ; il l'invita à le suivre jusqu'à la table d'examen. Jungkook obéit avec une moue qui donnait l'impression qu'on lui offrait de prendre place sur l'échafaud. Seokjin pourtant n'avait rien d'un bourreau : d'un naturel enjoué, le jeune homme possédait un visage sublime, des yeux fins et perçants, un nez droit et un sourire charmeur. Sa carrure s'approchait de celle de son cadet, il pratiquait la musculation à un niveau moins avancé, plus pour rester en forme que pour développer son physique.
Une dizaine de minutes plus tard, le regard humide de larmes qu'il retenait, Jungkook coupa court à la séance en refusant de poursuivre les étirements demandés.
« Je n'en peux plus, souffla-t-il en se redressant, ça fait mal, j'ai pas envie de continuer.
— Kook, si tu refuses l'opération, il faut absolument qu'on continue ces exercices, sinon...
— Sinon quoi ? le coupa Jungkook. Sinon je vais souffrir encore plus ? Perdre l'usage de mon bras ? Mais dans tous les cas ça va se finir comme ça, alors pourquoi je me ferais chier ? J'ai compris que c'était perdu d'avance, que j'avais trop fait le con pour qu'on puisse rattraper ça !
— Écoute, c'est pas une cause perdue, mais si tu te convaincs que si, alors ce sera le cas. En travaillant régulièrement, tu pourrais gagner plusieurs mois, et les souffrances ne seront clairement pas les mêmes.
— Je m'en fous, je ne suis plus à ça près. Si je pouvais, je demanderais à ce qu'on m'ampute direct, ça irait plus vite. »
La gorge serrée par ses propres propos, Jungkook retourna à la chaise devant le bureau de son aîné. Il y récupéra son sweat et l'enfila sans laisser paraître la très légère douleur que son mouvement brusque provoqua à son avant-bras gauche.
« Attends, Kook, je suis sûr qu'il y a un moyen pour cette opération, tu peux pas juste refuser, c'est... s'il te plaît...
— J'ai pas le fric, c'est pourtant pas compliqué à comprendre, susurra Jungkook qui risquait de fondre en larmes s'il parlait plus fort. La rééducation, les médicaments, et le fait que je ne bosserai plus pendant au moins un voire trois mois... si je touche pas la totalité de mon salaire, je pourrai pas rembourser la mensualité de mon emprunt, et là ça me foutra dans une merde noire – et pas seulement moi, mes parents aussi. Chaque mois, je le termine avec moins de cinquante-mille wons en poche, j'en suis même déjà venu à jeûner pendant trois jours pour économiser sur la bouffe. Rembourser cette dette... c'est un calvaire. Mais je peux pas laisser mes parents le faire seuls.
— Je comprends... t'oses toujours pas en parler à tes collègues ?
— Seulement à Yoongi.
— Si t'as besoin de soutien, tu pourras toujours venir me voir, tu sais ?
— Oui, hyung, merci.
— Je suis désolé de ce qui t'arrive. Si je pouvais faire quelque chose, je le ferais.
— Je sais. »
Seokjin approcha et enlaça son cadet qui le laissa faire sans broncher, rassuré par cette étreinte fraternelle. Quand il le savait au plus bas et parce qu'ils se connaissaient bien, Seokjin n'hésitait pas à se montrer tactile avec lui. Jungkook ne refusait jamais une marque d'affection de sa part, toujours enclin à se blottir contre lui.
Ils s'écartèrent, et Jungkook soupira.
« Je pense que je ne viendrai plus à partir de maintenant, ça ne sert plus à rien, affirma-t-il sans oser regarder son aîné en face.
— Hein ? M-Mais... non, attends, tu peux pas !
— Ça me fera un peu plus de budget pour la nourriture, et de toute façon je ne vois plus l'intérêt de lutter pour sauver ce qui ne peut pas l'être.
— Jungkook...
— Merci de m'avoir suivi tout ce temps, hyung. Je t'en suis très reconnaissant.
— Je t'offrirai les séances, mais je t'en prie, laisse-moi continuer de suivre l'évolution de ton bras, je m'inquiète beaucoup pour toi, et si quelque chose arrive, au moins on pourra réagir au plus vite pour t'éviter de souffrir. C'est dangereux de...
— Je ne supporte plus de venir ici, craqua finalement Jungkook qui versa ses premières larmes. T'imagines même pas comme je suis anxieux tous les dimanches à l'idée que je vais peut-être apprendre des nouvelles encore pires que la semaine précédente. Même si je le voulais, je pourrais pas revenir la semaine prochaine, c'est devenu comme une phobie : tout ici me terrifie, me répugne, et en arrivant j'ai senti que c'était la dernière fois que je réussirais à franchir cette porte. Je... je suis épuisé par tout ça, je n'ai plus envie de m'infliger ce stress.
— Tu voudrais que je vienne en consultation à domicile ? osa proposer Seokjin en lui caressant les cheveux d'une main tandis que de l'autre il lui tendait un mouchoir. Comme ça tu serais dans un environnement rassurant, et on pourrait continuer de se voir.
— Non, je suis désolé. Je ne veux plus affronter tout ça. Je préfère essayer de ne plus y penser : quitte à souffrir, je préfère ne souffrir que physiquement et l'appréhender de manière plus sereine. Adieu, hyung.
— Au revoir, Kook-ah... et sache que si tu changes d'avis pour l'opération dans les semaines qui viennent, je suis toujours là. T'as juste à téléphoner.
— Merci.
— Prends soin de toi.
— Je ferai de mon mieux. »
Un regard fut échangé, au terme duquel Jungkook quitta la pièce.
Seokjin poussa un soupir et se laissa tomber sur son siège, dépité.
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"C'était dimanche, seul jour de repos de Jungkook. Jungkook détestait le dimanche."
Ces deux phrases forment un chiasme qui emprisonne Jungkook (dimanche - Jungkook - Jungkook - dimanche), ce qui témoigne de la sensation opressante qu'éprouve Jungkook chaque fois qu'il doit se rendre à son rendez-vous médical.
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