Chapitre 40

Samedi était passé trop vite, et déjà Jungkook ouvrait les yeux sur un dimanche ensoleillé. Une corde invisible lui nouait la gorge. Il avait rendez-vous avec Seokjin en début d'après-midi. L'épuisement l'abattait et il peina à sortir de son lit, le corps plus lourd que le fardeau qu'il portait chaque jour. Il se frotta de façon délicate l'avant-bras gauche, soucieux, et poussa un soupir. Il ne souhaitait en aucun cas écouter les atroces nouvelles que lui réservait Seokjin, il voulait rester sous sa couette et ne plus jamais le voir – il n'avait rien contre lui, mais il n'en pouvait plus de ses recommandations qui ne fonctionnaient pas, suivies de diagnostics effrayants. Perdre l'usage de son bras. La souffrance, et puis plus rien. Handicapé à vie.

Ce matin-là, au petit déjeuner, Jungkook se contenta d'une tasse de thé qu'il sirota devant une vidéo YouTube. Il lut, se balada sur internet, joua sur son portable, mais rien ne l'intéressait plus d'une demi-heure tant le stress le rongeait. Il sortit se promener un peu, et à midi, il retourna chez lui pour se préparer à la va-vite un plat basique qui ne lui procurait aucun plaisir gustatif. Toujours le même plat pour faire des économies.

Il se rendit plus tard d'un pas morose au cabinet de celui qui, avec les années, était devenu son ami. Kim Seokjin. En vérité, quand Jungkook était arrivé à Séoul, il avait tout de suite commencé à chercher un kinésithérapeute qui accepterait de le suivre sans demander trop cher pour chaque séance. Il n'en avait trouvé qu'un dont le tarif entre dans ses moyens, et pour cause : Seokjin venait juste d'obtenir son diplôme à l'époque, et s'il voulait accueillir au plus vite une clientèle régulière, il savait qu'il ne pouvait pas réclamer autant que quelqu'un avec des dizaines d'années d'expérience. Jungkook s'était donc tourné vers lui, et il ne l'avait jamais regretté – d'autant plus que si depuis le médecin avait augmenté ses honoraires, il avait conservé pour lui son prix d'origine.

Seokjin avait acquis toute la confiance du jeune homme, il avait après tout réussi à repérer son cal vicieux quelques mois plus tôt. Sans ça, Jungkook aurait continué d'attribuer ses douleurs occasionnelles à de mauvais mouvements au cours de ses séances de musculation.

Jungkook en effet avait, avec les années, senti des brûlures lui piquer l'avant-bras à l'endroit de son ancienne fracture. Son précédent kiné, parce qu'il s'agissait de souffrances peu dérangeantes et qui apparaissaient à peine quelques fois par an, n'avait pas jugé utile de lui faire passer des examens : il se contentait de lui montrer des exercices pour travailler de manière plus saine son avant-bras. Or, avec son métier à la librairie, Jungkook s'était mis à soulever des charges plus légères (ses piles de livres) mais pendant des heures, si bien que la douleur s'était accentuée.

Ainsi, au début de cette année, Seokjin lui avait prescrit une radio qui avait révélé que lorsqu'il avait été opéré après sa fracture, Jungkook avait subi une intervention qui n'avait pas replacé l'os tout à fait correctement. Les deux parties avaient tenté de se ressouder malgré tout, si bien qu'il s'était formé entre elles un cal vicieux invisible à l'œil nu. Indolore pendant des années, il entraînait néanmoins d'une fragilité de son avant-bras dont il n'avait pas eu conscience jusque-là.

L'os mal remis frottait le muscle et les nerfs, ce qui amenait à ces crispations et ces souffrances parfois à peine supportables. Seokjin maintenait qu'une opération pourrait permettre de briser le cal et reconstituer un os sain, mais rien n'assurait que son muscle et ses nerfs guériraient de ces années difficiles.

Plus qu'un simple kiné, Seokjin était devenu pour lui un véritable soutien moral.

Jungkook poussa la porte du centre de soin où travaillait son ami. La secrétaire le connaissait bien, de sorte qu'elle lui offrit un regard affectueux et lui indiqua que le médecin arriverait très bientôt. Jungkook l'en remercia et alla s'asseoir, un livre entre les mains. Peu de temps après, Seokjin se présenta devant lui en lui adressant son sourire le plus radieux, et il l'invita à le suivre. Il savait à quel point Jungkook détestait les hôpitaux, il savait à quel point le jeune homme détestait l'atmosphère qui régnait dans les lieux de santé, si bien qu'il tentait de compenser avec son simple sourire.

Les deux garçons quittèrent la salle d'attente et traversèrent un couloir qui les mena sur une large pièce, le cabinet du kinésithérapeute. Tous deux se dirigèrent au bureau derrière lequel s'installa Seokjin, Jungkook face à lui. Ce dernier abandonna sa veste et tous deux discutèrent :

« Comment tu vas ? s'enquit Seokjin. Quoi de neuf à la librairie ?

— Rien de bien spécial, songea Jungkook. On a un peu moins de boulot en ce moment, alors c'est tranquille. Je suis à jour dans tout, ça change des fêtes de fin d'année.

— Tu m'étonnes ! rit Seokjin. En décembre, t'arrivais avec des cernes de dingues, c'était impressionnant !

— Ouais, on faisait tous des heures supplémentaires, c'était pas tenable, sinon.

— Je me souviens. Ton bras, ça va ?

— Moyen...

— Tu fais attention au boulot ?

— Oui, j'évite de soulever des piles de livres.

— Et ça fait quand même mal ? s'inquiéta Seokjin.

— Un peu, oui.

— Pas étonnant. Dans tous les cas, il suffit que tu bouges le bras pour que le muscle frotte contre le cal qui s'est formé. Ça va sérieusement t'abîmer... T'as réfléchi à l'opération que je t'ai proposée ?

— Oui.

— Et... ?

— Et c'est non, je peux pas, déclara Jungkook d'un ton dénué d'émotions.

— Kook, t'es vraiment sûr ? Il est encore temps, et dans tous les cas, même si c'est pas réussi, ça améliorera de beaucoup ta condition. Même si le muscle est abîmé de manière irrémédiable, tu pourras sans problème soulever tes piles de livres.

— Mais j'ai pas l'argent.

— Je pourrais essayer de parler à celle qui gère la clinique qui dispose des équipements de rééducation adaptés : je la connais un peu, et si elle savait ce qui t'arrivait, elle pourrait peut-être accepter de t'offrir les séances de rééducation.

— Ça fait beaucoup de conditionnel et de peut-être. Et les antidouleurs, les médicaments... j'ai pas la force de me lancer là-dedans. Je veux finir de rembourser mes dettes et passer à autre chose une bonne fois pour toutes.

— Je peux pas te forcer, soupira Seokjin, mais ta décision m'attriste beaucoup... J'aurais voulu pouvoir faire plus pour toi.

— T'as déjà fait beaucoup, hyung, » répondit Jungkook en le couvant d'un regard bienveillant.

Son aîné lui rendit son sourire et quitta sa chaise, imité par Jungkook à qui il demanda de retirer son haut et de s'installer sur la table d'examen. Son patient obéit : il enleva son sweat pour rester en t-shirt à manches courtes et s'assit. Sur son bras courait une longue cicatrice à peine visible, et sa main mutilée fut dévoilée. Seokjin n'y prêtait pas attention, habitué depuis bien longtemps, et il entama avec son cadet quelques exercices qui lui servaient à évaluer sa mobilité puis à l'aider à apaiser les douleurs qui se manifestaient parfois de manière spontanée. Il arrivait de plus en plus souvent qu'une légère brûlure dérange Jungkook alors qu'il n'avait rien soulevé de lourd.

Au terme de leur heure hebdomadaire, Jungkook régla son ami en le remerciant, et il partit la gorge nouée par l'angoisse et la peine. À peine sorti, il tira son portable de sa poche et sélectionna le contact de Yoongi. Il éprouvait le besoin d'entendre sa voix réconfortante lui assurer que tout irait bien... même s'il s'agissait d'un mensonge.

« Allô ? Jungkook, tout va bien ? s'inquiéta son ami en décrochant.

— Hyung, comment ça va, toi ?

— Comme un dimanche, j'imagine : ça va un peu mieux, je me sens prêt à affronter une nouvelle semaine. Et toi ? »

Heureux d'apprendre que les séances de Yoongi chez son psychologue l'aidaient à retrouver la paix, Jungkook sentit sa propre douleur s'effacer un peu.

« Ça a été. Jin a été super gentil, comme d'habitude.

— T'as le droit d'être malheureux, tu sais...

— J'ai juste... peur, murmura Jungkook.

— C'est normal d'avoir peur.

— Est-ce que je peux venir chez toi ? osa son cadet d'une voix timide.

— Ce soir si tu veux. Pour l'instant, je suis pas chez moi.

— Oh, je vois. Ce soir, ça me va. Merci, hyung.

— Tu pourras toujours compter sur moi, n'en doute pas.

— J'en doute pas.

— À ce soir, mon Kook-ah.

— À ce soir. »

Le cœur un peu plus léger, déjà en chemin pour rentrer chez lui, Jungkook raccrocha dans un soupir et tenta de retrouver un visage impassible. Il mit ses écouteurs et choisit un bon rap pour se redonner du courage. Il serra les poings et avança plus vite.

~~~

Après son rendez-vous chez le psychologue, alors qu'il rentrait d'un pas apaisé aux alentours de midi, Yoongi reçut un SMS. Il crut d'abord avoir affaire à Jungkook avant de s'apercevoir qu'il s'agissait en vérité d'un message de Jimin. Ça le surprit tant qu'il l'ouvrit la main tremblante.

Jimin – Salut, hyung ! J'ai une journée de libre, et comme je sais que c'est ton cas aussi, je me demandais si ça te dirait de venir chez moi : entre ma collection que je voudrais te montrer, les films qu'on pourrait regarder ensemble, et tous les livres dont il faut absolument qu'on discute, je suis sûr qu'on va bien s'amuser ! ^^

Une étrange chaleur se diffusa dans le corps de Yoongi qui sentit son cœur bondir. Jimin lui plaisait, la question ne se posait plus. De même, aucun doute quant au fait qu'en dépit de son attirance réciproque pour ce garçon incroyable, il n'oserait jamais sortir avec lui. Et... l'idée de se retrouver avec lui dans son appartement, seul avec lui, le stressait.

Yoongi – Est-ce que tu voudrais pas plutôt venir chez moi ?

Il fallut à son cadet quelques instants pour répondre, preuve de son hésitation.

Jimin – En fait, je suis courbaturé comme pas possible (j'y suis allé un peu fort ces dernières semaines pour la représentation de l'autre fois... j'ai les jambes foutues et pour tout te dire, je me sens même pas capable de troquer mon jogging contre un jean. Mais c'est rien ! Je garde les biscuits pour une autre fois, ça presse pas. :3

Yoongi – Ah merde, et t'as essayé les étirements ?

Jimin – Je douille quand je fais le moindre pas, donc j'essaie surtout de pas bouger. XD Mais ça va, t'inquiète pas pour moi, j'ai l'habitude. C'est ça de faire un sport de haut niveau, on appelle ça les risques du métier, mdr ! La prochaine fois en revanche, je serai ravi de venir chez toi !

Yoongi ne répondit pas. Il se mordait la lèvre de manière inconsciente, le regard fuyant sans même savoir ce qu'il fuyait – peut-être ses propres peurs. Après tout, à peine une semaine auparavant, Jimin l'avait tiré d'un bien mauvais pas tout en respectant son angoisse du contact. Il avait passé des heures à son chevet, l'avait rassuré, et n'avait pas insisté pour comprendre l'origine de sa phobie. Il l'avait complimenté, et... et Yoongi souhaitait lui rendre toute cette gentillesse à son égard. Il pouvait bien lui accorder ce petit effort. Il avait confiance en lui, même s'ils ne se connaissaient pas encore très bien.

Yoongi – Je veux bien venir chez toi, alors. Par contre j'ai pas ton adresse, tu pourras me l'envoyer ?

Jimin – Tu sais, j'ai bien saisi pourquoi tu préférais qu'on aille chez toi. T'es vraiment sûr ? Te sens pas obligé, hein, on pourra se voir une autre fois, je t'assure. Je veux pas que tu viennes chez moi si c'est pour te sentir mal à l'aise. ♥

Yoongi – Ton message me conforte dans mon choix : je sais que j'ai rien à craindre avec toi, Jimin. Merci de ta patience, mais moi aussi j'ai vraiment envie qu'on se voie aujourd'hui, alors ça ira. :)

Jimin – Oh, trop bien ! Je t'envoie tout de suite l'adresse ! Tu veux venir à quelle heure ? On fera selon ce qui t'arrange, promis !

Yoongi – Vers 14h, ça te va ?

Jimin – L'idéal pour discuter un peu et se mettre ensuite un film : ça me va carrément, j'ai hâte ! À tout à l'heure ! ^^

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