Chapitre 38

Lorsque Jungkook arriva au premier étage, plein de choses auraient pu le frapper : les mille et une couleurs des mangas et manhwas, le café planté en plein milieu de la librairie et où Yeonjun s'affairait, ou bien la petite fille qui boudait parce qu'elle désirait monter en jeunesse alors que sa mère préférait les livres d'histoire.

Or, ce qui le frappa, ce fut Hoseok. Hoseok... qui ne souriait pas. Son regard ne pétillait pas d'entrain, il gardait le visage fermé. Jungkook ne le voyait dans cet état-là que lorsque quelque chose de très grave advenait, si bien qu'un poids monstre alourdit tout à coup ses épaules. Qu'avait-il bien pu se passer ?

Anxieux, Jungkook approcha et posa la main droite sur son bras pour attirer son attention alors que son aîné paraissait perdu dans ses pensées.

« Hyung ? Tout va bien ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Oh, Kook-ah... ça va, et toi ?

— Ça va, merci. Yoongi-hyung m'a dit que tu voulais me parler...

— Ouais. En fait, je voulais juste savoir si t'avais rien remarqué de différent ces temps-ci à la librairie... je veux dire... t'as pas l'impression que Jieun a changé ?

— Qu'elle a changé ? Je sais pas trop... elle met tout en rayon à l'heure et sans aide, maintenant. Mais je comprends pas : c'est une mauvaise chose ?

— Elle est sur les nerfs en ce moment, pire que toi : elle est stressée non-stop à l'idée de pas avoir le temps de finir. Rien que la semaine dernière, elle a fait au moins une dizaine d'heures supplémentaires sans demander à ce qu'elles lui soient payées.

— Hein ? Je comprends pas, pourtant je la vois suivre les mêmes horaires que d'habitude...

— Oui, mais comme elle n'a plus le temps de tout faire ici, elle s'occupe du site de la librairie directement chez elle, quand elle rentre du boulot. Kook, je m'inquiète beaucoup pour elle, tu sais ce qui lui prend ? »

Alors que tout lui revenait en même temps que grandissait en lui une dévorante culpabilité, Jungkook baissa la tête, honteux.

« Je crois que je sais, marmonna-t-il. Je... j-je suis désolé.

— Comment ça ?

— Il y a quelques semaines, après la venue de Taehyung, j'étais vraiment énervé, et... j'ai dit à Jieun que j'en avais marre de mettre ses caisses en rayon pendant qu'elle discutait avec toi ou qu'elle réorganisait le site juste parce qu'elle le trouvait pas assez joli.

— Et t'avais pas assez de temps pour l'aider ?

— Si, mais elle, elle vient jamais m'aider, j'en avais marre...

— Elle gère un étage entier alors que tu ne gères que la moitié d'un, et elle s'occupe en plus du site. Tu te rends compte qu'elle s'est vue confier un travail qu'il lui était impossible d'accomplir seule ? Kook... mais pourquoi t'as fait ça ?

— Je suis désolé, juste... en ce moment... c'est pas facile et... j-je crois que... j'avais besoin de tout lâcher... je suis désolé. »

Il se mordit la lèvre inférieure alors que son regard se chargeait de larmes. Il se sentait minable, et découvrir que Jieun se donnait tant de mal et s'épuisait à cause de lui, découvrir qu'elle subissait un stress monstre par sa faute... Il s'en voulait, et tout ce qui lui arrivait ces temps-ci lui jaillit au visage.

« Je suis vraiment un libraire minable, » souffla-t-il avant de s'en aller dans un mouvement trop vif pour que Hoseok parvienne à l'arrêter.

Jungkook redescendit dans son rayon et s'assit derrière son ordinateur. Bientôt incapable de porter le moindre bouquin de la main gauche, il s'avérait en plus un très mauvais collègue. Comment avait-il pu ne pas s'apercevoir que Jieun assumait deux fois plus de responsabilités que lui. Et dès qu'il avait un peu de temps libre, égoïste qu'il était, il préférait nettoyer ses gondoles ou s'occuper de ses retours plutôt que de s'assurer que Jieun ne croulait pas sous les livres à ranger.

Humilié par ses propres défauts, Jungkook hésita et, de peur d'avoir à expliquer son état à Yoongi, il essaya de se calmer seul. Une chance, les larmes n'avaient pas coulé, et il lui suffit de se passer la manche sur les yeux pour les effacer. Il inspira et décida de se changer les esprits en réarrangeant une gondole pour oublier ses tracas et réfléchir à la meilleure manière de présenter ses excuses à sa collègue.

Après une bonne vingtaine de minutes, il termina sa tâche et poussa un soupir résigné. Jieun se trouvait sans doute dans son rayon, mieux valait qu'il aille s'expliquer avec elle tout de suite. Il se dépêcha donc de gagner l'étage de la jeunesse et sentit son cœur se déchirer en découvrant son aînée, une quinzaine d'albums en main, se hâter de tout ranger au plus vite. À son bureau attendaient au total quatre caisses pleines.

Jungkook prit son courage à deux mains et se planta près d'elle qui, en l'entendant arriver, se tourna.

« Oh, Jungkook, bonjour. Comment tu vas ? »

L'anxiété se lisait sur son visage comme dans un livre.

« Je suis désolé pour ce que j'ai dit, j'ai eu tort, admit Jungkook d'une voix faible. Je m'étais pas rendu compte de tout le boulot que t'avais, j'aurais dû t'aider au lieu de t'enfoncer. Pardonne-moi, s'il te plaît, je ferai de mon mieux pour te soutenir, à l'avenir. »

Jieun le toisa, perplexe, et hocha la tête de gauche à droite.

« Non, répliqua-t-elle, c'est toi qui avais raison. Si je me dépêche, je suis capable de gérer toutes mes mises en rayon et mes retours dans la journée. Je m'éparpillais trop à vouloir m'occuper du site internet pendant mon temps de travail alors que c'était pas mon job.

— Tu peux pas dire ça, t'es un pilier de cette librairie, et c'est pas pour rien. T'étais déjà super efficace, t'avais pas besoin d'en faire plus.

— T'es gentil, Jungkook, mais maintenant que je n'ai plus à vous demander d'aide, à Hoseok et toi, je me sens moins dépendante, et ça me fait du bien aussi. J'aimais pas l'idée d'être un boulet à traîner. Je veux pouvoir gérer mon rayon seule.

— T'es pas obligée, on...

— Je vais bien, Jungkook, j'ai pas besoin d'aide, mais merci pour ton soutien, ça me fait plaisir. Je veux continuer de faire de mon mieux. J'accepte tes excuses. »

De peur de la froisser s'il insistait, Jungkook acquiesça avant de s'incliner devant elle en guise de marque de respect, et il quitta l'étage. Il retourna à ses romans avec une petite mine, et il s'attela à son réassort avec un manque d'enthousiasme qu'il ne chercha pas à dissimuler. Son travail terminé, il se rendit en réserve. Yoongi venait de s'en aller, si bien que le libraire se contenta de prendre les caisses de livres qu'il lui fallait ranger.

Tout l'après-midi, il se sentit coupable sans savoir comment réparer son erreur.

~~~

Jungkook ferma la librairie ce soir-là et, une fois sorti, il ne se sentit pas le cœur de rentrer s'enfermer chez lui tout de suite. Il avait besoin d'air, besoin d'espace pour que puissent s'échapper de son esprit toutes ses pensées négatives. Il en accumulait tant en ce moment qu'il lui semblait qu'elles formaient autour de lui un étau étouffant.

L'opération, le sacrifice de ses parents, sa réflexion à Jieun, et Taehyung qui, il le découvrit, lui avait encore envoyé un message. Il n'en pouvait plus...

Taehyung – Salut, Kookie, j'espère que tu vas bien et que t'as passé une bonne journée ! :3

Jungkook – Tu peux pas te passer de moi, en fait, c'est ça ?

Il rangea son portable dans un geste agacé et s'en alla en direction du parc le plus proche. Bientôt, il sentit l'appareil vibrer dans sa poche. Il l'en tira non sans un soupir.

Taehyung – Faut croire.

Jungkook – T'as pas envie d'envoyer un message à Jimin, Yoongi, ou Namjoon ?

Taehyung – Non, pas spécialement. Je préfère parler avec toi.

Jungkook – Parce que c'est plus drôle de m'embêter plutôt que de les embêter, c'est ça ?

Taehyung – Tout à fait ! ^^

Taehyung – Et puis aussi parce que j'ai vraiment passé une bonne soirée hier, à discuter, et comme je m'ennuyais, j'y ai repensé, et du coup je me suis dit « tiens, pourquoi ne pas envoyer un petit SMS à mon Kookie préféré ? »

Jungkook – Et tu t'es pas dit que ton « Kookie préféré » (continue d'utiliser ce surnom et tu vas souffrir) aimerait peut-être qu'en gage de reconnaissance, tu le laisses tranquille ?

Taehyung – Non, ça m'a pas effleuré l'esprit.

Jungkook – T'as pas compris le message, c'est ça ? -_- Taehyung – Le message ?

Jungkook – Laisse-moi tranquille. La soirée d'hier, c'était sympa, mais j'ai pas envie de devenir ton pote, on est clairement pas du même monde toi et moi.

Taehyung – Pardon ? Mais qu'est-ce que t'en sais ?

Jungkook – Je le sais, crois-moi. Ça saute aux yeux, même.

Taehyung – Ça saute pas aux miens, en tout cas, tu peux m'éclairer ?

Jungkook – Laisse tomber. Bonne soirée, hyung.

Taehyung – Il se passe quelque chose dont tu veux pas parler ?

Jungkook – Exactement, donc je vais continuer de pas en parler.

Et sur ces mots d'une dureté dont il témoignait en de rares occasions, Jungkook rangea son portable dans sa poche. Merde, mais qu'est-ce qu'il avait, cet abruti d'auteur, à désirer discuter sans arrêt ! Pourquoi ne le laissait-il pas tranquille ! Pourquoi le destin aussi, il s'acharnait au lieu de lui permettre de vivre enfin en paix !

Cette fois-ci, les larmes ne s'arrêtèrent pas au bord de son regard : il craqua. Le visage dissimulé par l'obscurité nocturne, il s'abandonnait à son chagrin. Peut-être qu'il en avait besoin, finalement, de tout décharger de plus belle au lieu de ravaler ses sanglots.

Il détestait céder à la tristesse, mais parfois, impossible de résister sans en payer le prix. Plus il la retenait, plus elle l'étouffait. Ils ne demandaient qu'à s'exprimer pour lui.

Son téléphone vibra à plusieurs reprises dans sa poche, mais il refusa de jeter le moindre coup d'œil aux messages de son aîné. Quand allait-il le lâcher, bon sang !

Puis sa sonnerie retentit, et ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Jungkook, sans hésiter plus longtemps, décrocha et apporta son smartphone à son oreille, prêt à incendier Taehyung. Or, ce dernier prit la parole avant lui avec une fermeté qui glaça le libraire.

« Je te préviens tout de suite : t'as pas intérêt à défouler ta frustration sur moi, Jungkook. Maintenant sois honnête : qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi hier j'ai passé la soirée avec un mec ultra cool et intéressant alors que là je tombe sur un p'tit con sur le point de péter un câble ? »

Jungkook l'écouta, la lèvre inférieure tremblante. Un silence suivit, que Taehyung coupa de nouveau, cette fois sur un ton beaucoup plus doux.

« Sois honnête, Kookie. »

Plutôt que de répondre – car il ne comptait pas expliquer son mal-être à son aîné –, le jeune homme fondit en larmes, le corps secoué de bruyants sanglots. À l'autre bout du fil, Taehyung ne prononça pas un mot, touché d'entendre son cadet dévoiler ainsi ses faiblesses.

« T'es chez toi ? s'enquit-il ensuite avec douceur.

— N-Non.

— Tu veux que je te rejoigne ? On pourra marcher, ou bien je pourrai te reconduire chez toi, c'est comme tu veux. »

Jungkook renifla de plus belle. Sa culpabilité déjà dévorante grandit encore : Taehyung témoignait d'une infinie gentillesse alors qu'il l'avait repoussé avec une violence folle et avait même failli lui hurler dessus mille choses infâmes...

Pourquoi se montrait-il si horrible avec les personnes qui l'entouraient ?

« Je suis désolé, souffla-t-il la gorge serrée.

— T'as dû avoir une sacrée journée pour craquer comme ça, t'es pardonné. Mais ça répond pas à ma question : tu veux que je te rejoigne ? »

Jungkook ne réfléchit pas.

« Oui, s'il te plaît...

— T'es où ?

— À cinq minutes à pied de la librairie. Je m'apprêtais à aller à Yongsan Park quand j'ai vu ton message.

— J'arrive à la librairie d'ici dix minutes. »

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