Chapitre 31

Lorsque Jungkook se réveilla au matin du mercredi 27 avril, il cligna des paupières en bâillant. Un coup d'œil autour de lui lui rappela qu'il se trouvait chez Yoongi, sur un yo étendu sur le sol à la va-vite, afin de veiller sur son aîné toute la nuit. En effet, alors que le plus jeune terminait à peine de remplir un bol de son fameux bouillon, il avait vu son meilleur ami se lever et courir à la salle de bains.

Il s'était bouché les oreilles pendant que le pauvre rendait de nouveau le maigre contenu de son estomac.

De peur donc que la situation s'aggrave, Jungkook était resté à son chevet et avait réussi à le nourrir un peu malgré tout. Tremblant et les yeux rougis par les larmes versées par réflexe aux toilettes, Yoongi était reparti dans son lit une fois son bol entamé. Il n'avait pas trouvé le courage d'avaler plus, sans compter que sa gorge le brûlait. Jungkook lui avait donné de quoi lui éviter de nouveaux vomissements et, après avoir nettoyé la salle de bains ainsi que la vaisselle, il avait sorti le yo de l'armoire et l'avait placé dans la chambre de son aîné, à l'endroit où il dormait toujours quand il passait la nuit chez lui.

Une chance, c'était Jieun qui se chargeait de l'ouverture, le mercredi. Jungkook, lui, ne commençait sa journée qu'à dix heures. Un coup d'œil à son portable lui indiqua qu'il était bientôt sept heures du matin. Namjoon ne serait pas surpris de ne pas voir son réceptionnaire arriver, il connaissait bien Yoongi, lui aussi. Le libraire donc quitta son lit de fortune qu'il rangea où il l'avait trouvé, et il prépara pour le petit déjeuner de son ami un peu de riz blanc avec quelques morceaux de viande, et un bol de bouillon de la veille qu'il avait mis au réfrigérateur. Complet, mais pas lourd.

Yoongi ouvrit les paupières au moment où Jungkook retournait à sa lecture.

« Kook-ah... t'as dormi ici ? marmonna-t-il.

— Je me suis inquiété, je sais à quel point vomir te met mal, j'avais pas envie que tu passes une mauvaise nuit. Je t'ai aussi préparé ton petit déjeuner : la même chose que d'habitude.

— T'es un ange, qu'est-ce que je ferais sans toi... ?

— Bah le petit déjeuner, du coup. »

Yoongi leva les yeux au ciel sans retenir son rire. Les prunelles de Jungkook s'illuminèrent.

« T'as l'air d'avoir repris des couleurs, remarqua-t-il. Tu te sens mieux ?

— Ouais : je sens que je pourrai pas avaler grand-chose aujourd'hui, mais à part ça, tout va bien. C'est grâce à toi, merci d'être venu et de t'être occupé de tout.

— C'est normal, hyung. Allez, viens manger un peu, t'en as besoin si tu veux guérir plus vite. »

Yoongi opina et quitta enfin sa couverture qu'il n'avait pas lâchée la veille. Si Jungkook avait bien appris une chose en le côtoyant, c'était que lorsqu'il n'avait plus froid, ça signifiait qu'il ne tarderait plus à se rétablir, si bien qu'il se réjouit de le voir gagner la table à laquelle il patientait déjà.

« Tu penses venir, du coup, au dîner de Taehyung ? demanda Jungkook.

— Ouais, sans problème : je mangerai pas beaucoup, mais je serai remis sur pieds dès aujourd'hui, donc aucun souci. Je t'abandonnerai pas avec le méchant Taehyung, le taquina-t-il.

— Te moque pas !

— Tu perds ton humour dès qu'il s'agit de lui. Qu'est-ce qui se passe, t'as peur de tomber amoureux ? continua-t-il avec le même ton malicieux.

— Non mais tu t'entends parler ? Tu dois encore avoir de la fièvre.

— Mais dis-moi, pourquoi t'acceptes presque jamais un dîner quand on te le propose alors que t'as accepté l'invitation du garçon que tu prétends haïr ?

— On va parler littérature, c'est tout, grommela Jungkook d'un ton boudeur.

— Ouais, bien sûr. De littérature... »

Son ton laissait peu de doutes quant à ses pensées, et le cadet soupira : « J'ai besoin d'un lait à la banane... »

Yoongi s'esclaffa.

« Porte du frigo, tu sais où les trouver. »

Jungkook esquissa un sourire à ces mots : Yoongi avait toujours plusieurs briquettes de son nectar favori chez lui, dont une partie au réfrigérateur, pour les cas où il souhaitait le boire bien froid. Le jeune libraire donc s'empara d'une briquette dont il perça l'opercule à l'aide de sa paille après avoir ouvert les ailettes de carton sur le côté de l'emballage. Yoongi le toisa avec un regard affectueux : avec ses lèvres qui formaient un petit rond et ses joues rebondies, il ressemblait à un enfant.

Ou un lapin...

« Je veux pas rater ce dîner, reprit Yoongi d'un ton serein, ça fait longtemps que j'ai pas pris plus de dix minutes pour parler à Taehyung, et peut-être que j'ai aussi envie de revoir Jimin.

— Oh, Jimin, le taquina Jungkook avec un ton espiègle.

— Oui, Jimin.

— Jimin...

— Lui-même.

— Jimin...

— Tu te crois drôle ?

— Moi non, mais ton visage contrit et tout rouge, lui, il est marrant ! gloussa Jungkook.

— Rigole pas ! »

Son cadet s'esclaffa, si bien que Yoongi finit par grommeler avec un air boudeur. Il n'osa même pas relever les yeux de son riz qu'il remua sans sembler décider à y toucher. Il sursauta quand Jungkook, qui avait approché de manière discrète, lui enlaça les épaules et appuya sa joue contre la sienne.

« Heureusement que tu viendras, de toute façon j'ai accepté que quand Taehyung m'a dit que Nam et toi viendriez.

— Mais oui, bien sûr...

— Il t'a demandé quand ?

— Lundi soir, pourquoi ?

— Nam aussi. Mais moi, il m'a demandé hier matin.

— Tu crois qu'il savait que tu refuserais, sinon ?

— Je pense.

— Quoi qu'il en soit, j'ai hâte d'y être. Tu verras, l'appartement de Taehyung, il est dingue ! se réjouit Yoongi.

— Ah bon ? Il est grand ?

— T'as même pas idée... Et Tae a vraiment du goût pour la déco : c'est chic mais sobre, et c'est chaleureux, on s'y sent vraiment bien. Je suis sûr que t'apprécieras.

— Je verrai bien.

— Kook... je sais qu'il t'a pas fait bonne impression, mais je t'assure qu'il est pas comme tu l'imagines. D'accord, il porte parfois des habits de luxe, il vit dans un appartement de folie et il a une voiture ultra classe, même. Mais à côté de ça... c'est pas quelqu'un qui va se croire supérieur à toi pour ça. Quand tu verras son appartement... garde à l'esprit que tu peux pas le juger sur l'endroit où il vit – surtout qu'il y vit peu, il est souvent en déplacement.

— J'ai jamais supporté les gens aussi exubérants. Et tout ce luxe... c'est agaçant.

— Tu sais, je... »

Yoongi s'arrêta là et se pinça les lèvres, la moue hésitante.

« De quoi ? demanda Jungkook.

— Non, rien, oublie. Tu repasses chez toi avant d'aller bosser ?

— Ouais, faudra que je me change, et puis j'en profiterai pour recharger un peu mon téléphone, la batterie est presque vide, et dimanche m'a laissé un arrière-goût assez désagréable. »

S'être retrouvé seul dans Séoul, incapable de rentrer par ses propres moyens, et devoir appeler Taehyung en le suppliant... c'était à ça que l'avait contraint sa batterie à plat.

Et même s'il prétendait le contraire, Jungkook était rassuré d'avoir compris qu'il pouvait compter sur cet auteur agaçant.

~~~

Une fois sa journée de travail derrière lui, Jungkook se rendit à la salle de sport, bien décidé à conserver une forme olympique en dépit de son bras capricieux. Il s'entraîna de manière plus acharnée encore qu'à l'accoutumée, comme si ça pouvait le guérir, comme si, en percevant ses efforts, sa blessure pouvait tout à coup choisir de lui accorder un peu de répit. Il poussait sur ses jambes, il surchargeait les appareils, et il accélérait sa vitesse de course sur le tapis, ses écouteurs dans les oreilles pour se donner du courage avec une chanson aussi brutale que le traitement qu'il s'infligeait.

« Hyung... ? »

Alors qu'il profitait de quelques courtes secondes de pause, Jungkook leva les yeux dans un sursaut pour découvrir Taehyun posté près de lui – il ne l'avait même pas remarqué. Le libraire retira un écouteur avec un air interrogateur.

« Tu vas bien ? s'inquiéta son cadet. T'as l'air... différent.

— Différent ?

— Je suis arrivé y a dix minutes mais j'ai pas osé t'interrompre.

— Pourquoi ?

— T'as l'air... tellement en colère...

— Hein ? s'étonna Jungkook.

— Regarde-toi dans la glace : quand tu cours, t'as une expression si déterminée qu'on dirait que t'es prêt à buter quelqu'un, et quand t'étais sur la presse, c'était pareil. Ton bras te fait mal ? Tu vas bien ?

— Oui, ça va, y a aucun problème.

— Alors qu'est-ce qui se passe ? »

Jungkook ne sut pas quoi répondre. Qu'est-ce qui lui arrivait ? Lui aussi l'ignorait. Peut-être s'agissait-il du fait qu'il se motivait en pensant à ce foutu bras qui lui pourrissait la vie. Il avait pris sans s'en apercevoir une expression différente de celle qu'il arborait d'habitude au moment de l'effort.

« Tout va bien, lui assura-t-il donc. T'inquiète pas.

— D'acc...

— On s'entraîne ensemble ? proposa l'aîné dans l'espoir de changer de sujet.

— Ouais, carrément ! Ça doit bien faire une semaine que j'ai pas fait de cardio ! »

Et tout à coup, Jungkook fut plus détendu, presque soulagé de ne pas rester isolé jusqu'à la fin de sa séance. Il éprouvait le sentiment que quelque chose d'âcre lui remontait dans la gorge, une colère qu'il n'arrivait pas à évacuer et qu'il se contentait de refouler. Il la refoula encore ce soir-là. Il se montrait souvent ennuyé et grognon, mais il se laissait rarement gagné par la fureur. Il savait emmagasiner.

En rentrant chez lui, il se sentit... seul. Après un soupir pour éliminer sa frustration, il alluma son ordinateur et s'intéressa aux offres d'emploi pour personnes en situation de handicap. Il espérait trouver au plus vite quelque chose qui lui permettrait de ne pas s'imposer à la librairie une fois son bras hors d'usage. Toutefois, rien de ce qu'il repérait ne correspondait à ce qu'il souhaitait ni aux études qu'il avait suivies.

Dépité, le jeune homme abandonna ses recherches et une larme.

Il réessaierait demain.

Jungkook attrapa son téléphone et se recroquevilla sur son lit, son oreiller tout contre lui comme une présence qui le réconfortait un peu. Les réseaux sociaux lui firent oublier ses peines, et il s'informa sur les parutions à venir. Un sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'il imagina Namjoon vérifier dix fois ses bons de commande pour s'assurer qu'il n'avait pas commandé trop d'exemplaires de chaque roman.

Comme il lui manquerait, comme ils lui manqueraient tous. Même Jieun lui manquerait, d'autant plus maintenant qu'elle avait décidé de mettre le pied à l'étrier et de prendre une cadence plus affirmée. Il avait obtenu le métier idéal, celui qu'il pouvait exercer en dépit d'un bras qu'il cachait sans cesse...

Incapable de supporter ses propres pensées une minute de plus, Jungkook téléphona à ses parents, eux qui parvenaient toujours à le réconforter et le pousser à donner le meilleur de lui-même.

Pour eux, il n'abandonnerait jamais. Hors de question qu'il s'abaisse à ça, même s'il en souffrait, tant que ses parents ne seraient pas enfin sortis de ces décennies infernales passées endettés. Il tiendrait. Il tiendrait. Aussi longtemps qu'il vivrait, il tiendrait.

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