Chapitre 23

« T'es incroyable, j'avais jamais rencontré quelqu'un qui avait osé tenter deux cursus à la fois, remarqua Yoongi en s'enfonçant avec timidité dans le siège arrière de la voiture de Jimin.

— Je m'étais dit que je pouvais toujours essayer, et si ça se passait mal, il suffirait que je poursuive dans la voie que je préférais. Faut essayer, tout simplement, sinon on saura jamais si on en est capable ou non.

— J'ai même pas pu terminer le lycée, murmura Yoongi d'un ton peiné.

— Et t'aurais voulu le terminer ?

— Bien sûr, surtout après tous les efforts que j'avais fournis. J'étais chaque semestre parmi les meilleurs de ma classe.

— Alors t'aurais sans doute eu aucun mal à faire encore mieux que moi.

— Je pense pas non plus, j'ai jamais eu la note maximale en maths.

— Et moi je l'ai jamais eue en anglais. C'est pas la mort.

— Merci, Jimin...

— Hein ?

— Merci... d'essayer de m'encourager, souffla Yoongi en tournant les yeux sur l'extérieur pour éviter d'affronter son regard. On m'avait encore jamais dit que... e-enfin... que j'aurais eu une chance. Mes parents m'ont soutenu, mais ils ont été tellement déçus qu'on a jamais reparlé de mes études. J'aurais aimé qu'ils me disent, juste une fois, que je les rendais fiers... mais bon, peu importe, s'interrompit-il de crainte de s'attirer la pitié. J'ai bien fait, finalement, parce que sinon, j'aurais jamais rencontré Namjoon !

— Tu l'as rencontré comment, d'ailleurs ?

— Un forum de fans de fantasy. On parlait beaucoup ensemble, surtout de livres. Et puis un jour, il m'a dit qu'il avait hérité de la librairie de son père, et il m'a proposé de m'occuper de la littérature, qui comprenait le rayon fantasy et SF. On s'était déjà rencontrés une ou deux fois, dans un café calme, et j'avais confiance en lui. Il m'a fait visiter la librairie, et j'ai signé le jour même. J'avais le pressentiment que je me sentirais bien ici, et ça s'est confirmé. Même si parfois c'est encore difficile de vivre comme ça, je suis heureux.

— T'as un parcours dingue, sourit Jimin attendri. J'admire les gens qui ont le courage de braver leurs peurs et se relever de ce qu'ils considèrent comme un échec. C'est cool que t'aies trouvé quelque chose qui te plaît et qui, en plus, t'incite à sortir un peu. »

Yoongi esquissa un sourire et le véhicule s'arrêta. Jimin était arrivé devant l'immeuble au rez-de-chaussée duquel il vivait. L'aîné se surprit à avoir trouvé le trajet un peu trop court, discuter avec Jimin lui plaisait beaucoup. La conversation était fluide, naturelle.

Jimin sortit de la voiture, imité par Yoongi.

« C'est gentil, affirma-t-il, mais j'ai encore beaucoup d'efforts à faire avant de... de m'en sortir.

— Des efforts qui ont payé aujourd'hui, hyung.

— Mouais, si tu le dis.

— Sois fier de toi, hyung. Et... je voulais te remercier d'avoir passé une partie de ces cinq minutes à apprécier notre spectacle. Je suis heureux que ça t'ait plu. »

Jimin attrapa son sac de sport qu'il avait posé sur le siège passager et, les joues rosies par l'embarras, il se mordit la lèvre inférieure tandis qu'il en retirait son porte-clés. Yoongi, qui n'était pas convaincu d'avoir bien saisi ce qu'il voulait dire, le regarda avec les sourcils froncés. Jimin n'allait quand même pas...

« Tiens, je te l'offre, déclara Jimin en lui tendant le petit objet. Frodo était insignifiant, à première vue, mais il a franchi de nombreux obstacles pour sauver le monde. Le truc, c'est qu'il les a pas franchis seul. Je sais que toi aussi, avec un peu de soutien, tu réussiras. Je crois en toi, hyung. »

Yoongi écarquilla les yeux à ces mots, la bouche entrouverte sous l'effet de la surprise. Il garda le silence plusieurs longues secondes avant de bredouiller : « T-Tu... tu veux... tu veux m'offrir ton porte-clés ? Mais pourquoi ?

— Je viens de te l'expliquer, non ? S'il te plaît, prends-le, je suis heureux de te l'offrir. Je... je connais personne qui soit passionné par le Seigneur des Anneaux au point de braver une phobie pour un festival. Mes élèves m'ont suivi pour me soutenir, mais aucun d'eux n'apprécie particulièrement la fantasy. Je... quand je t'ai dit que je voulais apprendre à te connaître, j'étais sincère. Je suis tellement heureux d'avoir rencontré quelqu'un comme toi... »

Jimin s'arrêta là, conscient que lui avouer qu'il lui plaisait risquait de l'effrayer. Yoongi lui apparaissait comme quelqu'un avec qui il lui faudrait absolument avancer en douceur. Il souhaitait plus que tout le protéger.

« Non, Jimin, je... ce porte-clés t'appartient, il est vraiment beau en plus, et... t-tu peux pas me l'offrir !

— Je me le suis acheté ce matin, tu sais. C'est pas un accessoire auquel je tiens tant que ça. S'il te plaît, accepte ce cadeau, deviens mon ami. »

Le porte-clés toujours tendu, Jimin adressa un sourire encourageant à Yoongi qui, trop timide pour refuser plus longtemps, accepta le présent. Il remercia à plusieurs reprises son cadet, s'inclina devant lui et prit enfin, avec la plus grande délicatesse, l'œil de Sauron.

« Je te suis tellement reconnaissant, souffla-t-il avec émotion, c'est... c'est tellement gentil. Mille mercis pour... pour tout. Je te dois beaucoup. Ce midi, sans toi, je... j-je sais pas ce qui me serait arrivé. »

Il avait déjà terminé plus d'une fois à l'hôpital à cause d'une crise similaire, et il en ressortait toujours anéanti...

« Si j'ai pu rendre ta journée un peu meilleure, alors ça en valait la peine. Passe une bonne soirée, hyung, et repose-toi bien.

— Merci, passe une bonne soirée toi aussi, à bientôt. »

Ce dernier mot illumina le regard de Jimin, ravi à l'idée de revoir au plus vite son nouvel ami.

« À bientôt. »

Ce murmure à peine prononcé, Jimin s'inclina dans un geste précipité qui témoignait de son embarras, et il se hâta de remonter en voiture pour filer. Une fois seul, Yoongi serra son porte-clés contre son cœur, paupières closes, et poussa un soupir. Un sourire attendrissant s'étendit sur ses lèvres, et sans perdre une minute, il rentra chez lui. Ses chaussures retirées, il entra dans sa chambre et se plaça face à son étagère à figurines. Avec une délicatesse presque craintive, il posa le porte-clés au centre de sa collection, là où il serait le plus mis en valeur par les statuettes qui l'entouraient sans le dissimuler.

Lorsqu'il se recula pour admirer le résultat, il en sentit son cœur palpiter de bonheur. Il se demanda s'il se serait autant réjoui s'il avait réussi à acheter la figurine qu'il désirait. Les mots de Jimin ainsi que son présent le remplissaient d'une fierté et d'une joie qu'il n'expliquait pas. Certes, il n'avait pas atteint son objectif, mais... il était parvenu à aller au festival puis à s'arrêter regarder un spectacle ! Il avait même rencontré Jimin, discuté avec lui et appris à le connaître, avant de rentrer en voiture avec lui !

Et tout ce qu'il avait appris de Jimin le faisait rêver. Un garçon qui se révélait non seulement magnifique, mais aussi sportif, brillant, et par-dessus tout passionné par la fantasy. L'homme idéal !

À cette pensée qu'il ne contrôla pas, Yoongi rougit, et son cœur bondit contre sa cage thoracique. Impossible de nier, Jimin débordait de qualités, et jusqu'à présent Yoongi ne lui avait trouvé aucun défaut.

Et tout à coup, Yoongi se rappela. Il se rappela son ex, leur tendre première fois, ses mains sur son corps, ses baisers dans son cou, son sexe en lui, et leurs soupirs en chœur. Un relent aigre lui donna l'impression qu'il s'apprêtait à vomir. Les prunelles brillantes d'émotions qu'il ne souhaitait pas lâcher, il songea d'abord à prendre une douche avant de changer d'avis : il attrapa son ordinateur, s'allongea dans son lit et le plaça devant lui afin de choisir un film capable de le distraire assez longtemps pour que ses soucis ne reviennent plus à la charge.

Malgré tout, une part de lui continuait de se réjouir d'avoir reçu ce porte-clés.

~~~

Le cœur alourdi par ses tourments, les jambes par sa marche incessante, Jungkook ignorait le monde dans l'espoir que pour une fois le malheur l'ignore. Il vadrouillait dans Séoul, et ça faisait environ deux heures qu'il errait dans des quartiers qui lui étaient inconnus. Ses plantes de pied le brûlaient, une douleur fulgurante les traversait chaque fois qu'il les posait sur le trottoir.

Mais on ne le regardait pas. On ne le jugeait pas. On le méprisait au plus haut point. Entouré de solitude, l'univers l'isolait pour souligner son désespoir. Jungkook écoutait sa musique pour ne pas écouter ses pensées.

Il revenait parfois à lui lors de brefs éclairs de lucidité, et quand il songea que la balade avait assez duré, qu'il avait vidé toutes ses larmes, il découvrit que la nuit tombait peu à peu. Un regard à son portable lui permit de constater deux choses : d'une part, il était dix-neuf heures passées, et d'autre part, il avait presque épuisé sa batterie. Il ne lui restait que neuf pour cent.

Ses yeux s'arrondirent. Neuf ! Mais il avait besoin de son GPS pour rentrer chez lui ! Il avait besoin de son application ! Une fois connecté à internet, jamais son smartphone ne tiendrait plus de vingt minutes, surtout s'il le gardait allumé pour suivre son trajet ! Quel idiot d'avoir voulu écouter de la musique tout l'après-midi !

Neuf pour cent, comment revenir avec neuf pour cent ? Il n'avait pas les moyens de se payer un taxi, surtout pas alors qu'il se trouvait si loin de chez lui ! Quant aux lignes de bus qui passaient par là, il n'en connaissait aucune !

S'il n'avait pas déjà pleuré toutes les larmes de son corps, il aurait sans doute craqué.

Jungkook décida de téléphoner à Hoseok. C'était le seul de ses contacts qui avait obtenu son permis. Le jeune homme donc sélectionna le numéro et lança l'appel. Les sonneries se succédèrent, en vain. Tout à coup paniqué, Jungkook retenta... en vain de nouveau.

« Non, non, non, hyung, pitié ! »

Troisième essai, troisième déception.

« Merde, fait chier... »

Plus que huit pour cent de batterie.

Dépité, épuisé, désorienté, Jungkook s'assit. Il avait rejoint un banc près d'un petit espace vert. Quelques arbres, une pelouse parsemée de marguerites, et un lampadaire qui venait de s'allumer. La route toute proche laissait entendre des vrombissements de moteur chaque fois que le feu passait au vert.

Jungkook se recroquevilla : il plia les jambes et entoura ses genoux de ses bras cachés par ses éternelles manches trop longues. Il y posa le front et sentit de nouveau sa détresse l'envahir au point de lui arracher un sanglot.

Il s'était rarement trouvé si mal et démuni ces derniers mois, mais quand ça arrivait, il savait qu'il pouvait compter sur Yoongi. Son ami le rassurait, lui préparait un bon dîner et restait dormir avec lui. Or, le réceptionnaire lui avait indiqué avoir vécu une journée difficile, et le connaissant, ça ne pouvait signifier qu'une chose : sa journée s'était révélée au moins aussi merdique que la sienne. Même avec trente-neuf de fièvre et une grippe monstrueuse, Yoongi ne qualifiait pas une journée de « difficile », il lui en fallait beaucoup plus.

De fait, il ne souhaitait pas le déranger avec ses problèmes.

Il songea à leurs conversations, à ces fois où il l'avait consolé, ou bien ces fois où il l'avait taquiné pour le faire sourire... puis une phrase en particulier lui revint tout à coup en tête, et il se précipita sur son smartphone pour retrouver le message qu'il cherchait, et dès qu'il mit la main dessus, une vague de soulagement le réchauffa.

Le numéro de Taehyung.

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