Chapitre 22

Lorsque Yoongi se réveilla, il lui sembla sortir d'une journée entière de sommeil. Il avait dormi comme un loir, et s'il ne se rappelait pas son rêve, il se rappelait au moins qu'il l'avait trouvé merveilleux. De bonne humeur, il s'assit sur son lit, s'étira puis ouvrit les paupières.

Tout lui revint.

La pièce n'était éclairée que par la lampe de bureau, réglée sur une lumière tamisée. Yoongi repéra néanmoins immédiatement la petite masse tassée contre la porte et recroquevillée sur elle-même. Jimin. Jimin qui l'avait secouru, et qui avait passé son temps à le surveiller pendant son sommeil, s'assurant que personne n'entre sans qu'il en soit prévenu, de sorte qu'aucun intrus ne cherche à approcher son protégé.

Yoongi se sentit tout à coup ému de la bonté de ce garçon qu'il connaissait à peine, et il tira son portable de sa poche en silence. Dix-huit heures trente. Le festival s'était achevé une demi-heure plus tôt. Le jeune homme pourtant n'osa pas réveiller son cadet : Jimin dormait de manière si paisible, et le léger sourire qui s'étirait sur ses lèvres lui donnait un air innocent qui faisait chavirer le cœur de son aîné.

Après un ultime regard à Jimin, Yoongi se concentra de nouveau sur son smartphone : il enleva le mode avion et découvrit que Jungkook avait essayé de l'appeler dans l'après-midi, sans doute après son rendez-vous. Il s'en voulut de n'avoir pas pu décrocher.

Yoongi – Désolé, la journée a été vraiment difficile, je viens juste de me réveiller. Je t'expliquerai demain. Tu vas bien, toi ?

Le jeune homme profita ensuite de sa batterie pleine pour surfer un peu sur internet, de sorte qu'il sursauta lorsqu'une voix ensommeillée retentit.

« Hyung ? Il est quelle heure ? Ça va mieux ?

— Il est dix-huit heures quarante, indiqua Yoongi, et ça va beaucoup mieux, merci. Et... et toi, ça va ?

— Ouais, ça va. J'ai un peu dormi aussi, et puis j'avais mes écouteurs et mon portable, j'ai pu rattraper toutes les vidéos que je voulais regarder depuis des semaines.

— Je... Jimin, je suis sincèrement désolé de t'avoir fait perdre autant de temps, souffla Yoongi en se recroquevillant sans s'en rendre compte. Après ta prestation, t'aurais sans doute voulu profiter du festival, mais t'es resté ici pendant des heures. Je m'en veux, et... je peux te rembourser ta place, ça me ferait plaisir de...

— Hyung, stop, » l'arrêta Jimin qui lisait sans mal la détresse et la peine dans son regard.

Il se releva et reprit sa place sur la chaise près du lit de son ami.

« Taemin est quelqu'un en qui j'ai toute confiance, je sais qu'il aurait pu surveiller la porte pour que personne n'entre. Sauf que je tenais à rester avec toi. J'ai jamais eu de phobie, mais je peux comprendre à quel point ça doit être difficile, à quel point venir a dû te demander un courage monstre. Et... je pouvais juste pas te laisser seul. J'ai bien compris que même si je t'avais promis que Taemin te protègerait, il fallait quelqu'un pour rester à ton chevet et... je crois que d'une certaine manière, je suis heureux et honoré d'avoir eu ce privilège.

« Je te l'ai dit, on a beaucoup en commun, à commencer par notre passion pour la fantasy et le Seigneur des Anneaux. Et... si vraiment tu tiens à me remercier, t'embête pas à me rembourser mon billet ; accorde-moi juste une chance d'apprendre à te connaître. Tu vas peut-être me trouver trop honnête, mais ton caractère me plaît beaucoup, et je te trouve vraiment mignon.

— J-Je... hein ? »

Yoongi dut admettre qu'il ne s'y attendait pas. Il se savait plutôt attirant, mais il n'aurait jamais imaginé que quelqu'un comme Jimin s'intéresserait à lui.

« J'aimerais simplement qu'on puisse se retrouver un autre jour, où tu veux et quand tu veux, pour discuter.

— Mais... je comprends pas, balbutia Yoongi.

— Qu'est-ce que tu comprends pas ?

— Pourquoi moi ?

— Parce que... enfin... tu me plais, marmonna Jimin qui ne parvint pas à soutenir son regard interrogateur et préféra baisser les yeux. Et Taehyung m'a dit que les mecs t'intéressaient. Alors... je sais que c'est peut-être un peu brutal, surtout un peu tôt, mais je voudrais que tu me laisses une chance... de t'intéresser.

— Mais comment... je veux dire... comment je peux t'intéresser ?

— Bah pourquoi pas ?

— Je fais pas de sport, et toi c'est ta passion.

— J'ai plein d'autres passions, répliqua Jimin dans un haussement d'épaules.

— T'as gagné les championnats du monde de taekwondo, et moi j'ai jamais rien gagné.

— Je me moque de ton palmarès, c'est pas ça qui me plaît chez quelqu'un.

— J'ai arrêté les études à dix-sept ans, juste avant de passer mon diplôme de lycée, je l'ai jamais obtenu.

— Hyung... si je te plais pas, t'as pas à te chercher des excuses, je pourrais aussi très bien le comprendre, » affirma-t-il.

Yoongi se sentit paniquer quand il entendit dans la voix de son cadet cette peine qu'il avait provoquée sans le vouloir. Il lâcha aussitôt son portable pour agiter les mains devant lui.

« Non, non, t'as mal compris ! Je... j'ai juste peur que tu t'ennuies avec moi, je sais pas tenir une conversation, marmonna-t-il d'un ton honteux. Toi... t'as fait et connu plein de choses, t'es incroyable, et... et moi j'ai du mal à sortir de chez moi depuis bientôt dix ans...

— Pourquoi te rabaisser ? J'ai bien vu que t'étais timide, et je sais que ce qui te ronge est là depuis longtemps.

— Je t'admire beaucoup, Jimin, et... t'es trop bien pour t'intéresser à quelqu'un comme moi. »

Même s'il s'en tint à de simples murmures, Yoongi jura que l'écho de ces mots se répercutait dans tout son corps jusqu'à fissurer son cœur. Il se sentit humilié d'avoir avoué le fond de sa pensée, et il se mordit la lèvre pour empêcher ses émotions de hurler. Il avait baissé les yeux, bouleversé, et sa joie s'était évanouie.

Beaucoup de gens avaient tenté de le soutenir depuis dix ans, mais... il n'avait pas guéri. Il ne fournissait sans doute pas encore assez d'efforts, et il s'en voulait chaque jour. Ses parents l'avaient aidé en dépit de la déception qu'il représentait, et il n'arrivait toujours pas à affronter une misérable foule à un festival.

« Hyung... tu penses quand même pas vraiment ça de toi, hein ? »

Yoongi ne répondit pas.

« Moi, je te connais pas, mais je peux déjà affirmer que t'es un des mecs les plus courageux et déterminés que je connaisse.

— Merci...

— Je te laisse réfléchir à tout ce que je t'ai dit aujourd'hui, déclara Jimin pour conclure. Le festival est terminé, les organisateurs sont en train de tout ranger. T'es venu comment ?

— À pied.

— Je peux te ramener ? Je suis en voiture.

— Euh... je sais pas trop...

— Tu pourras monter à l'arrière, si c'est ce qui t'inquiète. »

Yoongi réfléchit quelques instants supplémentaires avant d'accepter dans un acquiescement timide. Jimin paraissait y tenir, et avec ce qu'il avait déclaré plus tôt, son aîné songea qu'il lui devait bien ça.

Jimin répondit d'un sourire, attrapa son sac de sport, et une fois certains de ne rien oublier, les deux garçons quittèrent le bureau après en avoir éteint l'unique lampe allumée. Il ne restait plus que deux médecins dans le poste de secours, chacun prévenu que Yoongi et Jimin se trouvaient à côté et sortiraient sans doute en soirée. Après un rapide salut et des remerciements, le cadet enjoignit son ami à le suivre, et ils partirent. Les exposants s'affairaient encore à ranger leur marchandise et aider au nettoyage des locaux, mais les allées étaient vides et dégagées, si bien que Yoongi n'éprouva pas la moindre anxiété à rejoindre la sortie, au plus grand soulagement de Jimin.

« Dis-moi, hyung, ça fait longtemps que tu bosses à la librairie ?

— J'avais vingt-et-un ans, opina Yoongi.

— Et... t'as combien aujourd'hui ? Je me souviens juste que t'es plus vieux que moi, mais pas de combien...

— J'ai vingt-sept ans. J'ai connu les débuts de Taehyung, je m'occupais encore du rayon littérature quand il a fait chez nous ses premières dédicaces... du coup j'ai été étonné de jamais te croiser.

— Ça me met vraiment trop mal à l'aise, les dédicaces, je pourrais pas faire ce qu'il fait, sourit Jimin avec une mine embarrassée. Mais pourquoi avoir laissé le rayon à Jungkook ? Ça te plaisait pas ?

— Les jours où il y avait beaucoup de monde, j'étais souvent en réserve, soupira Yoongi en laissant ses épaules s'affaisser sous le poids des souvenirs. Je supportais mal, mais c'était rare qu'on ait une trop grosse affluence. Et puis... peu à peu, j'ai commencé à ne plus supporter que qui que ce soit m'effleure. Je sais même pas vraiment pourquoi ça s'est déclenché à cette époque, c'était beaucoup moins prononcé avant. Mais... je ne pouvais plus rester en rayon.

« Par chance, la librairie gagnait en popularité, et ça faisait quelques semaines que Namjoon-ah songeait à embaucher un réceptionnaire – avant, c'était les libraires qui géraient ça dès qu'ils avaient du temps libre. Alors j'ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai parlé. Je lui ai demandé si je pouvais prendre ce poste. Je voulais absolument rester dans la librairie, mais le rayon, ce n'était plus possible. Ça m'a brisé le cœur de voir mon rayon repris par un autre. C'était soit ça, soit il me virait.

— Hyung... je suis désolé.

— Y a pas à l'être. Je m'y suis fait. Au début, ça a pas été facile, mais maintenant ça va.

— Et... excuse ma curiosité, te sens pas obligé de répondre, mais... c'est pas difficile de t'y rendre, au boulot ? Marcher dans la rue, ça te gêne pas ?

— Je dois être présent au moment de l'arrivée des cartons, alors j'arrive à sept heures du matin tous les jours, précisa Yoongi. Y a jamais grand monde dehors, à cette heure, alors ça va. Et puis l'après-midi, je sais quel trajet emprunter pour éviter d'être trop entouré. »

Jimin opina. Les deux garçons venaient d'atteindre sa voiture dont il ouvrit la portière arrière à son aîné, qui le remercia et monta après une courte hésitation. Le cadet quant à lui grimpa à l'avant et démarra. Une fois que Yoongi lui eut indiqué son adresse, Jimin reprit : « Tu dois voir passer un sacré paquet de bouquins, tous les jours, non ?

— Oh ça oui, approuva Yoongi, c'est vraiment génial. Tout me semble intéressant, si je m'écoutais, je dépenserais tous mes salaires pour agrandir encore et encore ma pile à lire.

— Pareil ! Je peux jamais me retenir quand j'entre dans une librairie ! rit Jimin en jetant un regard à son ami à travers le rétroviseur. J'adore les livres depuis que je suis petit !

— T'as toujours voulu enseigner le taekwondo ? s'enquit à son tour l'aîné.

— Oula non, moi je voulais devenir un grand physicien et changer le monde.

— Et pourquoi t'as changé d'avis ? Les études t'intéressaient pas ?

— Les études ? Au contraire, j'adorais ça : j'ai obtenu les diplômes de maths et de physique. Mais le taekwondo me plaisait davantage, alors une fois mes diplômes en poche, y a deux ans, j'ai choisi de me lancer et d'ouvrir mon club.

— C'est pas au moins cinq ans d'études supérieures chacun, les diplômes de maths et de physique ?

— Si, pourquoi ? demanda Jimin.

— T'as pas vingt-quatre ans ?

— Si, mais j'ai passé les deux en même temps, pas l'un après l'autre.

— T'as... t'as suivi le cursus de maths en parallèle de celui de physique... et t'as réussi les examens ? s'étonna Yoongi.

— Ouais, et du premier coup, j'y croyais pas ! se réjouit Jimin.

— Et... tu l'as gagné quand, déjà, le Championnat du monde de taekwondo ?

— Quand j'étais en première année, y a six ans.

— Alors en fait... t'es un génie, c'est ça ? »

Pour lui qui n'avait même pas décroché son diplôme de fin de lycée, c'était humiliant de découvrir tout ce que Jimin avait déjà accompli à un si jeune âge... Ce dernier justement écarquilla les yeux à ces mots et, après un court silence, il éclata de rire.

« Moi ? Un génie ? Mon dieu non, sûrement pas ! Je suis assidu et travailleur, mais je suis pas un génie, ça a rien à voir. »

Impossible de nier : en l'espace de quelques heures seulement, Yoongi avait développé pour son cadet une admiration sans bornes. Jamais il n'aurait imaginé rencontrer quelqu'un d'aussi talentueux, humble et sympathique.




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J'adore le personnage de Jimin. :3

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