Chapitre 17
Comme tous les mardis, Jungkook ne prenait son service qu'à quatorze heures. Ce matin-là donc, profitant de tout le temps dont il bénéficiait, il se rendit à la salle de sport de son quartier. C'était un endroit avec beaucoup d'espace que Jungkook affectionnait depuis la première fois qu'il y avait mis les pieds. À l'époque, il s'inquiétait des regards qu'on poserait sur lui, sur sa main, son bras, et son corps bien trop maigre. Or, il s'était très vite rendu compte... que tout le monde s'en foutait. On ne lui accordait pas le moindre intérêt, on ne le jugeait pas. Aucune œillade scrutatrice, aucun commentaire, aucune question. Il se sentait ici plus libre que partout ailleurs.
Malgré tout et de peur d'en choquer certains, le jeune homme se trouvait plus à l'aise avec un t-shirt oversize dont les manches dissimulaient jusqu'à son coude, et des gants de musculation qui protégeaient en même temps qu'ils cachaient ses mains et ses poignets. Il n'en dépassait que ses deux dernières phalanges, ce qui dévoilait certes ses doigts abîmés, mais parce qu'on ne lui prêtait jamais attention, c'était un détail que personne ne lui avait fait remarquer... à l'exception de Taehyun.
Taehyun, c'était un autre adhérent de la salle, arrivé quelques mois auparavant. Il avait vu en Jungkook un véritable modèle qu'il avait dès lors voulu imiter. Plus jeune que lui de quelques années, il l'avait approché avec timidité pour lui demander s'ils pourraient devenir partenaires d'entraînement, et Jungkook avait été si étonné de cette proposition qu'il n'avait pas tout de suite répondu. Taehyun s'était alors expliqué, mais ça n'avait pas aidé Jungkook à comprendre pourquoi, parmi tous les hommes si bien bâtis, c'était lui que le garçon admirait.
Pourtant, même s'il n'avait pas compris, il avait accepté.
Chacun avait vite appris les habitudes de l'autre, de sorte qu'ils savaient que trois soirs par semaine, ils pouvaient se retrouver pour accomplir ensemble une longue séance de musculation suivie de cardio. Et après une quinzaine de jours, alors qu'ils s'entendaient de mieux en mieux, la question était tombée : Taehyun venait juste de remarquer sa main et avait demandé à Jungkook si ça ne le gênait pas pour le sport.
Jungkook avait répondu que non, Taehyun avait souri en lâchant un « tant mieux » qui avait mis fin à la conversation, et il n'en avait plus jamais reparlé. Il avait sans doute compris qu'il valait mieux ne pas en attendre plus : si son aîné désirait lui en parler, il lui en parlerait.
Soulagé par sa réaction, Jungkook s'était senti plus léger. Depuis, il venait chaque fois qu'il éprouvait le besoin de se détendre, et chaque fois ça fonctionnait. Ça demeurait moins réconfortant que les étreintes de Yoongi, mais au moins il pouvait s'y rendre quand il le voulait – la salle en effet ouvrait très tôt et fermait tard.
Ce matin-là, donc, il travailla ses muscles seul. Les pensées occupées par toutes les consignes données par les médecins, il s'assura de ne pas forcer sur ses bras. En revanche, dès lors qu'il s'agissait des jambes, il s'acharnait, utilisant toute la rage que renfermait son cœur pour soulever plus lourd que jamais.
Épuisé, il rentra chez lui après une bonne douche et s'installa sur son lit pour lire jusqu'à l'heure du déjeuner. D'un regard, il vérifia qu'il n'avait aucun message, et comme d'habitude sa boîte de réception s'avéra vide.
Ça ne l'étonnait pas : son répertoire ne comptait que peu de contacts. Ses parents, Namjoon, Yoongi, et Hoseok. Le reste se composait que de numéros professionnels : son propriétaire, sa banque, le cabinet médical, etc.
En début d'après-midi, il quitta son confortable matelas pour filer à la librairie. Yoongi avait fini son service une heure avant le début du sien, ce qui incita le jeune homme à se charger de son réassort avant de se rendre en réserve. Il y découvrit deux caisses qui lui étaient destinées, et seulement une pour Jieun. Surpris, il jeta un regard circulaire, songeant que d'autres patientaient peut-être déjà vers le monte-charge... mais non.
Curieux et avec l'espoir que sa collègue se soit enfin mise au travail, il décida de lui passer une petite visite pour lui demander des explications. Jungkook la trouva dans son rayon, presque en train de courir pour terminer de ranger les derniers livres de sa caisse. Elle paraissait essoufflée mais déterminée ; Jungkook ne l'avait jamais vue ainsi.
« T'as pas besoin de taper un sprint pour tout mettre en rayon, t'es au courant ? se moqua Jungkook avec douceur en la rejoignant.
— Oh, Jungkook, s'étonna-t-elle en l'apercevant – elle ne l'avait pas remarqué. T'as besoin de quelque chose ? Je suis à jour dans mes caisses, tu sais, t'as pas besoin de...
— Je sais, je sais, rassure-toi, je viens pas pour ça. Je voulais juste savoir... enfin... il se passe quelque chose ? Je sais que t'avais dit que tu ferais des efforts, mais là... c'est radical.
— O-Oui, opina Jieun pendant qu'elle rangeait ses livres, je t'avais dit que je ferais de mon mieux.
— T'as plus qu'une caisse après ça, tu peux ralentir le rythme.
— Tu rêves, lâcha Jieun dans un rire jaune, après j'ai encore les retours de tout l'étage à gérer, faudra aussi que je m'occupe de contacter les clients qui sont pas venus chercher leurs commandes, et puis j'ai appris hier qu'un auteur du coin allait sortir un bouquin bientôt, faudrait que je le contacte pour lui proposer de passer ici en dédicace, il est déjà venu l'année dernière et je pense que ça lui fera plaisir qu'on pense à lui. Ensuite je mettrai le site à jour, j'ai des tas d'idées pour rendre la présentation plus aérée et agréable, mais ça me prendra au moins deux heures, je le ferai peut-être chez moi. Après, faudra que j'appelle un des fournisseurs pour demander à changer notre mot de passe pour leur plateforme de suivi des colis : je ne le trouve plus et Yoongi m'a dit qu'on avait trois ou quatre cartons manquants y a trois jours. Après encore, je...
— Stop, tu me donnes mal à la tête, la coupa Jungkook. Pourquoi tu demandes pas d'aide ?
— Bah... c'est toi qui m'as dit que c'était insupportable, bredouilla sa collègue.
— Oui, qu'on se coltine toujours ta mise en rayon, c'est insupportable, mais appeler les clients pour leurs commandes, ça nous concerne tous.
— Mais... enfin... je sais que vous préférez quand c'est moi qui téléphone aux clients. »
Jungkook en resta coi. Effectivement, ça ne lui plaisait pas beaucoup de contacter quiconque, simple question de timidité. Yeonjun était arrivé à peine quelques mois plus tôt, si bien qu'il se sentait toujours embarrassé de passer un appel. Quant à Hoseok, pour sa part il n'éprouvait aucune difficulté particulière à téléphoner ou répondre à un client, mais il n'aimait pas ça, même s'il s'en chargeait volontiers quand Jieun le lui demandait.
« Peu importe, c'est notre boulot aussi, répliqua Jungkook.
— T'as déjà contacté les fournisseurs pour un changement de mot de passe ? Tu sais, au moins, comment accéder à leur plateforme de suivi ?
— Non, mais apprends-moi.
— T'en fais pas, je gère, t'embête pas avec ça, lui sourit Jieun avec douceur.
— T'es vraiment sûre ?
— Ça fait deux semaines et j'arrive à m'en sortir, tu vois bien.
— Bon... si tu le dis... »
Elle opina, l'air confiante, et il n'osa pas s'opposer à elle une fois de plus. Douée d'un adorable visage de poupée, Jieun, dès lors qu'elle était heureuse, rayonnait. Sa silhouette maigrelette et ses habits toujours soignés – à l'image de l'élégant petit chemisier qu'elle portait ce jour-là – la faisaient ressembler à une star. Sa longue chevelure brune cascadait jusqu'à sa taille, et en dépit de tous les mouvements qu'impliquait son travail, Jungkook ne se souvenait pas l'avoir vue une seule fois décoiffée.
Elle était jeune, belle, intelligente et plus que quiconque passionnée. En dépit des heures qu'il passait souvent à lire, Jungkook était convaincu que sa collègue avait dévoré bien plus de romans que lui. Elle pouvait conseiller n'importe qui : amoureux de littérature, de thriller, de science-fiction, de développement personnel, etc.
Au retour dans son rayon, Jungkook profita de traverser le premier étage pour jeter un œil à l'espace café. L'endroit, véritable petit coin zen, était occupé par une étudiante qui feuilletait un livre d'histoire et un garçon d'une douzaine d'années qui avait pris le dernier manga sorti. Parce qu'ils s'étaient assis sur des poufs installés côte à côte, Jungkook imagina qu'ils se connaissaient – sans doute des frères et sœurs. Sur la table basse devant eux se trouvait un thé encore fumant et un chocolat chaud à moitié entamé.
Regarder les gens flâner et se plaire dans la librairie, ça ravissait toujours Jungkook qui éprouvait le sentiment de communiquer sa passion pour les livres à travers la seule organisation stricte mais élégante de ses étagères. Son amour pour les romans émanait de ses gondoles originales.
Satisfait, l'employé retourna d'un pas serein auprès de ses bouquins adorés.
Jungkook s'attela ce soir-là au rangement, puisque c'était lui qui s'occupait de la fermeture avec Namjoon. Les clients par chance, bien éduqués, s'avéraient respectueux. Même les rayons de Jieun demeuraient bien entretenus à la fin de la journée. Seuls quelques ouvrages dépassaient par-ci par-là, et parfois quelqu'un se trompait en replaçant celui feuilleté quelques instants plus tôt. Plus souvent, ce qu'il fllait vérifier, c'était les gondoles, ou bien les livres en facing : quand un client prenait le dernier, il fallait le remplacer par un autre.
Jungkook détestait voir un trou apparaître sur une étagère ou, pire, sur une gondole. Maniaque comme il l'était, chaque fois qu'il traversait son rayon, il y jetait un œil, de sorte que du matin au soir, il restait toujours aussi bien tenu.
Ça le rendait excessivement fier...
Une fois le magasin en ordre, Jungkook et Namjoon montèrent au vestiaire. Le cadet retira son veston tandis que son patron, qui ne le portait que lorsqu'il quittait son bureau, attrapait pour sa part une bouteille d'eau dont il vida d'un trait le quart. Jungkook, une canette de soda à la main, s'apprêtait quelques instants plus tard à saluer son aîné quand ce dernier le devança.
« Du coca ? Pas du lait à la banane ? s'étonna-t-il d'un ton taquin.
— Je ne bois pas que ça, rétorqua Jungkook, et si j'en buvais, je risquerais de m'endormir sur le chemin du retour.
— Oh, d'ailleurs, j'y pense : Taehyung-ah m'a envoyé un message pas plus tard que ce matin pour me demander de te souhaiter une agréable semaine. Il espère que vous pourrez discuter et devenir amis. Oh... bah t'as changé d'avis ?
— J'ai besoin d'un lait à la banane, finalement, grommela Jungkook qui venait de replacer sa boisson dans son sac pour en sortir une briquette jaune.
— Ah, il t'énerve ?
— Tu me connais bien, toi, ricana-t-il avec amertume.
— Oui, et je connais aussi Taehyung. Il est pas facile à vivre, quand il s'y met.
— Enfin quelqu'un qui me comprend !
— J'ai pas non plus dit qu'il était insupportable... ni même que toi t'étais facile à vivre.
— Pardon ?
— T'es le gamin le plus grincheux que j'aie rencontré, révéla Namjoon avec un rictus.
— Ça, c'est parce que t'oublies toujours des tas de trucs et que si tu fais pas au moins dix erreurs par jour, tu meurs.
— Quand je disais que t'étais un vrai râleur. Hoseok, lui, il reste pas coincé sur mes erreurs : il rit un bon coup, il m'aide à les réparer puis il passe à autre chose. Toi tu te focalises dessus et tu rumines. T'es grincheux, mais ça te va bien, c'est mignon.
— Mais... je suis pas mignon ! s'indigna le libraire.
— C'est encore plus mignon que tu le dis avec cette petite moue boudeuse ! »
Jungkook grommela en plantant sa petite paille dans la fente prévue à cet effet, et il commença à aspirer sa boisson favorite, la seule capable de le détendre. Namjoon le toisa d'un œil amusé et finit par lui faire signe de le suivre. Ils quittèrent tous les deux l'établissement, et la journée s'acheva ainsi pour Jungkook.
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