Chapitre 143

Jungkook et Taehyung rentrèrent plusieurs heures après, alors que les parents du jeune homme ne tarderaient plus à revenir du travail. Ils devaient préparé ensemble de quoi dîner après avoir envoyé un message à la mère de Jungkook qui leur avait avoué n'avoir rien cuisiné. Circonspect devant la vacuité des placards de la famille Jeon, Taehyung lança un regard perplexe à son compagnon qui, comprenant ses interrogations, gloussa.

« À ton avis, je les tiens de qui, mes recettes sans sauce et sans épices ?

— T'es sérieux ?

— Du riz, de la viande, et parfois des légumes. Le repas le moins cher qui existe.

— Et c'est comme ça depuis...

— Depuis l'accident, souffla Jungkook sans oser le regarder. Oui. »

Jungkook sentit sa gorge se nouer : manger sans cesse la même chose ne le gênait pas, mais il savait à quel point ses parents vivaient parfois mal ce confort qui leur avait été arraché quinze ans plus tôt. Dans un soupir de dépit, il attrapa de la main droite une boîte de plastique contenant du riz : ils achetaient des paquets de dix kilos, pour économiser, puis les séparaient dans des Tupperwares afin de ne pas s'encombrer d'un énorme sac.

La main de son aîné se posa sur la sienne.

« Kookie, range-moi ça. C'est très gentil à tes parents de m'inviter à passer du temps chez eux, alors je compte bien les inviter pour ma part à dîner au restaurant.

— Hein ?

— Ce soir, on va tous dîner ensemble dehors, ça te va ?

— M-Mais... je sais pas si mes parents vont accepter, c'est... c'est embarrassant, tu comprends ?

— Je vois pas en quoi, y a pas de raison. Je suis pas embarrassé d'être invité à dormir ici, moi.

— C'est pas pareil.

— Si, un point c'est tout. Et puis je veux me faire bien voir de mes beaux-parents, tu comprends.

— Hyung...

— Je file te chercher ton lait à la banane.

— Y en a pas ici, se lamenta Jungkook d'une voix plaintive.

— J'en ai prix un pack dans un sac que j'ai laissé dans la voiture. Tu m'en voudras pas, mon amour.

— Wow... alors c'est ça, de trouver le petit ami idéal ?

— Exactement. T'as vu, je fais attention à mon amoureux, hein ?

— Va chercher mon lait à la banane, je... enlève-moi tout de suite ce sourire débile de tes lèvres, Kim Taehyung ! »

Son copain ne cacha pas son hilarité alors qu'il quittait la pièce. Or, à peine deux pas plus tard, il entendit la porte d'entrée s'ouvrir. Jungkook se hâta donc de le rejoindre, et quand il vit son père arriver, il bondit presque dans ses bras.

« Papa, comment tu vas !

— Jungkook-ah, très bien et toi ? Fais attention, je voudrais pas que tu te fasses mal.

— Je vais très bien, t'en fais pas. Je n'ai même plus besoin de prendre de cachets contre la douleur deux fois par jour. Je me remets vite.

— J'en suis vraiment très heureux, si tu savais... »

Son père, soucieux malgré tout, l'enlaça avec délicatesse. Il s'agissait d'un homme juste un peu plus grand que Jungkook, à la carrure sculptée par un travail physique harassant, mais dont le visage n'avait pas perdu sa douceur. Ses yeux bruns brillaient d'affection dès lors qu'ils étaient posés sur Jungkook, à qui il ressemblait beaucoup.

Puis monsieur Jeon s'aperçut de la présence de Taehyung qui, discret, était resté en retrait pour laisser le père et le fils se retrouver.

« Je suis le père de Jungkook, se présenta-t-il en s'inclinant. Enchanté de te rencontrer.

— Kim Taehyung, enchanté aussi.

— C'est mon petit ami, ajouta Jungkook avec un sourire fier, on est ensemble depuis peu et j'habite chez lui pendant ma convalescence.

— Oh... et ça va, Jungkook ne te mène pas trop la vie dure ? s'inquiéta monsieur Jeon avec une pointe de malice.

— Papa !

— J'aime son caractère, s'esclaffa Taehyung, mais rassurez-vous, c'est quelqu'un de très agréable à vivre.

— Bah encore heureux, je suis un ange ! protesta le libraire avec un regard assassin aux deux autres.

— Ils vont être longs, ces trois jours, soupira son père. Bref, vous avez préparé à manger, les garçons ?

— En fait, hésita l'écrivain, j'espérais pouvoir vous inviter à dîner ce soir, histoire de passer un moment tous ensemble à l'extérieur.

— Oh, vraiment ? Tu es sûr ? Nous pouvons tout à fait rester ici, tu sais, tu n'as pas à te sentir obligé de...

— Pas le moins du monde, au contraire ça me fait simplement plaisir de vous inviter.

— Dans ce cas, c'est très gentil, on accepte. »

Jungkook sourit, touché de la proposition de son compagnon, de qui il prit la main pour le remercier en silence. Un peu plus tard, alors que tous trois discutaient autour d'une tasse de thé, la porte s'ouvrit. Le libraire se leva, plus stressé qu'à l'arrivée de son père : sa mère avait toujours rêvé d'une belle-fille douce et agréable, de petits-enfants qu'elle pourrait materner de temps en temps, etc. Même si elle ne reprocherait jamais à Jungkook sa relation, elle risquait d'en être déçue.

Madame Jeon entra dans le salon, et aussitôt ses yeux se posèrent sur son Jungkook, debout, qui lui lançait un regard soucieux mais heureux – il lui semblait ne l'avoir plus retrouvé depuis si longtemps !

« Jungkook-ah, souffla-t-elle d'une voix émue.

— Bonsoir, maman. Tu...

— Mon bébé, oh mon dieu ! »

Elle se jeta à son cou sans réussir à contenir ses larmes. Voir son fils le bras de nouveau dans le plâtre remontait en elle de douloureux souvenirs en même temps que ça soulageait son âme d'une angoisse qu'elle portait depuis que Jungkook lui avait expliqué la nécessité de cette opération qu'il ne comptait pas s'offrir.

Et le voilà à présent sur la voie de la guérison !

Taehyung la détailla, cette femme plus petite que son enfant, avec ses cheveux d'un noir d'encre qu'elle avait attaché en un chignon sévère pour qu'ils ne la gênent pas au travail. Elle avait revêtu des habits plus confortables qu'à la mode, et ses yeux brillants de larmes étaient soulignés par des cernes qui serrèrent le cœur de l'écrivain. Combien de temps encore la famille s'épuiserait-elle ? Réussirait-elle à rembourser ses dettes avant de sombrer ?

« Maman, tu m'étouffes, râla Jungkook qui pourtant avait enroulé un bras autour de sa taille fine pour la garder contre lui.

— Je t'aime, je t'aime tellement, je suis si heureuse de savoir que tu vas bien, mon ange... »

Il n'osa pas répondre, il profita juste de l'étreinte de sa mère.

Quelques instants plus tard, ses larmes taries, madame Jeon s'écarta de son fils et adressa un sourire aux deux autres. Son époux le lui rendit, et Taehyung lui offrit un respectueux signe de tête. Jungkook prit son courage à deux mains et, avant que madame Jeon ne prononce le moindre mot, il le lui présenta.

« Maman, je te présente Kim Taehyung, c'est mon petit ami. On sort ensemble depuis peu.

— Oh mon dieu ! »

L'air choqué qu'arbora sa mère blessa Jungkook, qui recula vers son petit ami dans un geste instinctif. Ce dernier, le visage neutre, se leva pour attraper la main de celui qu'il aimait.

« Écoute, maman, je...

— Kim Taehyung, le mannequin et écrivain à succès ? lâcha madame Jeon. Je me disais bien que votre visage m'était familier ! Mon dieu, et moi qui n'ait rien à me mettre, quelle honte ! Si j'avais su que mon bébé nous présenterait son copain aujourd'hui ! Et pour le dîner ! On n'a rien pour le dîner ! Je suis désolée, les amis de Jungkook étaient habitués, ils savaient qu'en venant ici, ils...

— Stop, la coupa Jungkook. Maman, du calme. Je... oui, c'est bien l'écrivain, on s'est rencontrés pendant une de ses dédicaces. Mais... tu sais, il s'en fiche que tu sois pas particulièrement présentable ou qu'il n'y ait pas grand-chose dans les placards. Il a bien choisi de sortir avec moi alors que j'étais dans la même situation. »

Il finit sa phrase d'une petite voix embarrassée, et Taehyung enroula un bras autour de ses épaules dans un geste de réconfort. Jungkook n'avait pas tort : entre ses hauts informes et ses placards remplis de riz et de thé, l'auteur avait eu le temps de s'habituer au point que ça ne le choquait plus.

« Et puis ce soir, peu importent les placards, intervint monsieur Jeon pour apaiser l'ambiance, puisque ce charmant garçon nous invite au restaurant.

— Mais chéri, on ne peut pas...

— S'il vous plaît, permettez-moi de vous inviter, intervint Taehyung. Je serais très honoré de passer une soirée au restaurant avec les parents de Jungkook, et je sais tous les sacrifices que vous acceptez de faire dans l'espoir de lui offrir une vie meilleure. Je vous en prie, laissez-moi vous offrir quelque chose à mon tour.

— Alors maintenant tu m'appelles Jungkook ? murmura son cadet trop bas pour que ses parents l'entendent.

— Je peux aussi t'appeler Kookie devant tes parents, si tu préfères. Je pense que ce sera pas moi le plus gêné de nous deux.

— J't'emmerde.

— Moi aussi je t'aime.

— Bon, alors... j'imagine que si vraiment ça vous tient à cœur... on peut accepter.

— Tutoyez-moi, sourit Taehyung devant le respect trop prononcé dont madame Jeon faisait preuve envers lui. Je suis juste le petit ami de votre fils.

— Ah, mais c'est compliqué, protesta-t-elle, vous... enfin tu es une célébrité !

— Je suis un peu connu, sans plus. Maintenant que je ne fais plus de mannequinat, j'ai beaucoup perdu en popularité. Mais peu importe, et si nous allions au restaurant ? Est-ce qu'il y a un endroit qui vous plaît plus qu'un autre ? »

La famille au complet échangea un regard lumineux, et Jungkook se recroquevilla contre son compagnon en se mordant la lèvre inférieure.

« En fait... y a un endroit où on mangeait parfois, avant tout ça... je crois que le restaurant existe toujours, non ?

— Je passe devant tous les jours en allant au travail, approuva le père de famille. Il n'a pas changé.

— On peut y aller ? supplia Jungkook avec un regard de chien battu à son copain. S'il te plaît ! »

Taehyung approuva dans un rire attendri qui rendit son cadet fier de son petit manège, et le visage de madame Jeon s'illumina.

« Oh, si on sort, je dois m'habiller mieux ! Je file, je n'en ai que pour dix minutes, le temps de me changer et de me maquiller un peu ! »

Tous l'attendirent en discutant, et elle revint plus vite que prévu, un joli trait d'eye-liner soulignant ses prunelles sombres, habillée désormais d'une longue robe noire qui, bien que très simple, mettait en valeur sa taille fine. Le vêtement, comme tous ceux de sa penderie, cachait sa jambe amputée, et Jungkook se trouva peiné de constater qu'elle ne se sentait toujours pas prête à montrer cette partie d'elle. Pour autant, parce que lui-même cachait sa main dès que l'occasion se présentait, il la comprenait mieux que quiconque.

C'était le seul moyen d'éviter les regards parfois curieux, parfois hostiles.

« T'es magnifique, maman, la complimenta-t-il donc, comme d'habitude.

— Merci mon ange ! »

Ils quittèrent la demeure ; le restaurant se situait à une dizaine de minutes à pied, mais les parents de Jungkook remarquèrent une voiture au design inhabituel près de chez eux.

« Taehyung-ssi, c'est ta voiture ? balbutia monsieur Jeon.

— Oh... oui, c'est elle.

— Elle est incroyable !

— Vous voudrez la conduire un peu ? C'est un sacré bijou.

— Non, non, s'il arrivait quoi que ce soit... non, c'est trop risqué !

— Alors vous pourrez monter et je conduirai.

— Ça en revanche, je ne dis pas non ! »

Amusé de l'enthousiasme presque naïf de son père, Jungkook serra la main de son compagnon qui lui adressa un regard complice, et peu après ils se trouvaient face à une charmante devanture qui laissait voir un restaurant simple mais convivial. Une borne permettait de commander sans passer par le comptoir, et en dépit d'une petite salle, l'endroit ne s'avérait pas encore complet.

La famille ne mangeait ici que très rarement, à l'occasion d'un évènement particulier ou bien quand il leur restait quelques wons à la fin de l'année. Jungkook se sentit ému de revenir après tout ce temps, et un frisson remonta le long de son dos. Comme il était heureux !

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