Chapitre 135
Yoongi s'était affalé contre Jimin presque une demi-heure plus tôt. Ce dernier, le cœur battant, priait pour qu'il ne se réveille pas avant qu'il ait pu le replacer correctement. Il gardait les instructions de Jungkook en tête, et son portable se trouvait juste à côté de lui en cas d'urgence.
Comme il espérait n'avoir pas à s'en servir...
Immobile depuis quelques minutes, Yoongi se mit peu à peu à respirer de façon plus profonde, plus calme. Jimin se mordit la lèvre inférieure, plus anxieux encore qu'à l'approche d'une compétition. Il prit une longue inspiration pour se donner du courage et, après avoir visualisé tout ce qu'il devait faire, il se lança.
En dépit de son incapacité à bouger le buste, il posa une main sur son épaule et, priant pour que l'épais plaid dans lequel il était enroulé l'empêche de percevoir son toucher, il repoussa Yoongi aussi lentement et délicatement que possible, millimètre après millimètre. Il retenait sa respiration, stressé au point que son corps bouillonnait, et il arrêtait son mouvement à intervalle régulier afin que son compagnon ne le sente pas. Enfin il parvint à son but !
Yoongi ouvrit les yeux dans un grognement dérangé, et Jimin, paniqué, bondit de côté.
« Hum... Jimin-ah ?
— O-Oui ? Ça va ? Tu t'es endormi. »
Yoongi se frotta les paupières en bâillant, sortant son seul poing de sa couverture bien chaude.
« J'ai cru que... j'ai senti... quelque chose, là, sur mon épaule... »
Jimin ignorait quoi répondre. Il déglutit dans un haussement d'épaules, et Yoongi fronça les sourcils alors qu'il remettait peu à peu en place les pièces du puzzle. Un tremblement le prit et il sauta tout à coup du lit en se débarrassant de sa couverture.
« Jimin ! Qu'est-ce qui s'est passé !
— Hyung, du calme, c'est pas ce que tu crois !
— Tu m'as touché !
— Non, non, enfin... dans ton sommeil t'as posé la tête sur mon épaule, je voulais juste...
— Tu sais que je supporte pas qu'on me touche ! P-Pendant mon sommeil, en plus, je pouvais même pas... j'étais... j-je... »
Le corps secoué de frissons, le regard hagard, terrifié, Yoongi enroula les bras autour de son torse dans un geste défensif en rentrant la tête dans les épaules. Jimin, songeant qu'il valait mieux qu'il garde ses distances pour éviter d'aggraver la situation, tendit son smartphone.
« Je te jure que j'ai rien fait, c'est même Jungkook qui m'a conseillé de faire ça. »
À la mention de son meilleur ami, la surprise s'ajouta à la panique qui s'immisçait en Yoongi. Il jeta un coup d'œil méfiant au portable de son copain. Il savait, pourtant, qu'il pouvait se fier à Jimin, mais... imaginer qu'il avait posé la main sur lui dans son sommeil l'écœurait !
Comprenant que Yoongi n'oserait pas approcher, Jimin jura que son cœur se serrait, mais parce que son compagnon passait avant tout, il abandonna son téléphone à l'autre bout du matelas et, d'un regard, il promit à Yoongi qu'il ne bougerait pas. Le réceptionnaire, tremblant, le souffle court, prit l'appareil et lut la conversation qui s'y affichait.
Il se sentit trahi par Jungkook, qui avait révélé le moment où il était le plus vulnérable, le plus à même d'être manipulé sans risque. Yoongi recula par réflexe, heurta sa précieuse commode où il rangeait ses objets à l'effigie de sa saga favorite, et s'y accrocha après y avoir posé le portable de Jimin. Il tenta de calmer sa respiration, mais une chaleur qu'il connaissait bien s'emparait de lui.
« Hyung, t'as besoin que j'appelle les secours ? Yoongi ? »
L'appelé ne répondit pas : d'un pas chancelant mais pressé, il quitta la pièce pour se réfugier à la salle de bains. Il s'agenouilla aussitôt devant la cuvette des toilettes dans lesquelles il rendit le contenu de son estomac.
Son meilleur ami et son copain... Des larmes perlaient au coin de ses yeux qu'il essuya d'un geste. Alors même qu'il transpirait, il éprouva peu à peu l'impression de mourir de froid, et il tremblait déjà depuis plusieurs longues secondes quand il entendit qu'on arrivait derrière lui. Horrifié à l'idée que Jimin essaie de poser une main sur lui pour l'aider, il voulut s'écarter des toilettes... mais au dernier moment il changea d'avis, lorsque son compagnon mit avec précaution un plaid sur ses épaules.
« Je vais te chercher un verre d'eau, hyung, bouge pas.
— Je voulais pas que tu me touches, murmura-t-il – puis il toussota, un goût infâme dans la bouche.
— Je suis désolé, mais je savais pas quoi faire.
— Tu savais que je voulais pas.
— J'aurais dû te laisser dormir contre moi ? »
Yoongi ne répondit pas : de nouveau les larmes lui montaient aux yeux, et pas dues à ses vomissements cette fois. Il se sentait juste minable, et tout ça l'épuisait.
« Ça va aller, tenta Jimin, j'ai envoyé un message à Jungkook, il va t'appeler, ça te fera du bien.
— Je veux pas qu'on m'appelle, qu'on veille sur moi ! craqua Yoongi. Je voudrais être enfin un garçon normal !
— C'est normal d'avoir besoin de temps, tu...
— Dix ans, Jimin ! Ça fait dix ans ! Dix ans et je peux toujours pas assister à un festival ! Dix ans et je peux pas toucher quelqu'un ! Dix ans et regarde dans quel état je me mets juste parce que tu m'as touché l'épaule pendant mon sommeil ! »
Ces mots lui tirèrent un nouveau frisson de dégoût. S'il avait été éveillé, peut-être l'aurait-il mieux vécu, mais découvrir que Jimin avait attendu qu'il soit profondément endormi pour le toucher... Yoongi ne se sentait plus capable de se reposer à ses côtés, et ça le détruisait : il avait confiance en son copain, alors pourquoi ne s'imaginait-il même plus somnoler auprès de lui ? Il lui semblait que maintenant que Jimin savait dans quel moment il était le plus faible, il en profiterait à sa guise... pourtant il était convaincu qu'il ne lui infligerait jamais ça !
La peur ne cherchait pas de cohérence, elle se contentait de dévaster toute certitude pour les remplacer par des doutes pernicieux et des interrogations injustifiées.
« Un mois et t'as accepté de sortir avec moi, trois mois et tu m'as pris les mains, répliqua Jimin d'une voix émue. Hyung, qu'est-ce que tu racontes ? Tu progresses à vitesse grand V, c'est normal de pas réussir à suivre au bout d'un moment, mais ça va venir, faut juste être un peu patient. Tu te rends compte de tout ce que t'as accompli depuis qu'on s'est rencontrés ? C'est super précieux pour moi, chaque fois que je te prends les mains, je me sens unique, et quand je me dis que j'ai la chance d'être ton copain... ça vaut tout l'or du monde. Moi je t'aime, je t'admire.
— Je me déteste.
— Alors je t'aimerai pour deux.
— Jimin, j'en peux plus d'être moi-même... c'est épuisant.
— T'es juste fatigué parce que t'es malade. Si t'es sûr de ne plus vomir, tu devrais aller te coucher.
— Non, je peux pas, je... enfin...
— Je vais m'en aller quand Jungkook appellera, tu pourras dormir tranquille. »
Jimin se mordit la lèvre, ses propres mots lui tirèrent une larme que Yoongi, toujours penché sur sa cuvette, ne remarqua pas. Le pauvre garçon se sentait si impuissant, si incapable d'aider son aîné, que ça lui brisait le cœur. Tout ce qu'il désirait, c'était passer des moments tranquilles avec lui, et le voilà qui, d'un simple geste qui se voulait innocent, anéantissait toute la confiance de Yoongi.
L'esprit empli de questions et les yeux de larmes qu'il refusa de laisser couler, il repartit à la chambre. Ce fut ce moment que choisit le libraire pour téléphoner, alors qu'il venait de lire le message de Jimin qui le suppliait d'appeler Yoongi pour discuter et le rassurer. Jimin apporta à son aîné son smartphone, et quand il le vit porter l'appareil à son oreille, il retourna rassembler ses affaires puis s'en alla.
Il savait que Yoongi avait agi sous l'effet de la panique, il savait qu'en plus sa maladie et sa fatigue rajoutaient à sa fragilité... mais se rendre compte que Yoongi pouvait ne pas le croire quand il lui affirmait l'avoir à peine effleuré pour l'aider à se replacer, ça lui brisait le cœur.
Peut-être, finalement, qu'il faisait plus souffrir Yoongi qu'autre chose, lui rappelant sans le vouloir à chacune de leurs rencontres son incapacité à le toucher.
Yoongi mit le haut-parleur en entendant sa porte d'entrée se refermer.
« Hyung ? Tu m'entends ?
— Allô, Kook-ah ?
— Mon dieu merci il est vivant ! Tout va bien ?
— Non, ça va pas du tout, craqua Yoongi une fois de plus.
— Respire profondément, s'il te plaît, tenta Jungkook d'une voix soucieuse, tu...
— Comment t'as pu lui dire ça !
— Hein ?
— Tu lui as dit quand il pouvait me toucher, il m'a montré votre conversation !
— En te réveillant contre lui, t'aurais paniqué, s'il s'était juste écarté brusquement il t'aurait réveillé, et en le sentant contre toi t'aurais paniqué aussi. On voulait te ménager.
— Mais si la prochaine fois que je m'endormais, il en profitait pour...
— T'as pas intérêt à finir cette phrase, le coupa son meilleur ami d'un ton tranchant. Je sais à quel point t'as confiance en Jimin, je sais que c'est un garçon bien, et il est hors de question, tu m'entends, que tu commences à douter de lui de cette façon. Tu te fais du mal pour rien, reprit-il dans un soupir après un court silence, je sais à quel point tu tiens à lui, je sais qu'il ne te toucherait jamais. T'as lu notre conversation, certes, mais t'as vu, au moins, comme il était flippé à l'idée que tu te mettes à paniquer ?
— Tout ça je le sais aussi, mais... il aurait pu se passer n'importe quoi...
— Vraiment ? T'arrives à imaginer Jimin te caresser la cuisse puis l'entrejambe pendant ton sommeil ? T'arrives à l'imaginer parsemer ta mâchoire de baisers ?
— Arrête, ordonna Yoongi qui sentait ses nausées revenir en force.
— Un mec pourrait faire ça, oui. Mais pas Jimin.
— J'ai peur, Jungkook... J'ai le cœur qui palpite, ça fait mal.
— Ça va aller. Essaie de respirer plus tranquillement. Jimin est toujours ici ?
— Non, il est parti.
— Donc plus aucune raison de t'inquiéter. T'es seul chez toi, tout va bien. T'es dans ta chambre ?
— Je suis aux toilettes, je... je me sentais pas bien.
— Tu peux aller dans ton lit ?
— Vaut mieux que je reste penché au-dessus de la cuvette pour l'instant. Jimin a laissé un verre d'eau pas loin, mais je me sens même pas capable de boire...
— Je suis vraiment désolé, dans tous les cas ça aurait fini de la même manière et... j'espérais juste que Jimin réussisse à te replacer sans que tu te réveilles.
— Ça va déjà un peu mieux. J'imagine que t'as pas tort. Dans tous les cas, j'aurai réagi pareil. Même en l'ayant à peine senti dans mon sommeil, j'ai... je l'ai pratiquement chassé de chez moi, implicitement traité d'agresseur... Je m'en veux, mais c'est plus fort que moi, se lamenta-t-il en plaquant les mains sur son visage mouillé de ses larmes.
— Et Jimin le sait très bien, il t'en voudra pas d'avoir mal réagi, il s'en veut sans doute plus qu'il ne t'en veut.
— Je devrais m'excuser.
— Tu devrais avant tout lui dire que tu vas mieux, il doit être mort d'inquiétude.
— T'as raison... »
Yoongi renifla, utilisa du papier toilette pour sécher ses larmes et, sans quitter le plaid qui lui couvrait les épaules, il reprit son portable en main pour envoyer un SMS à son petit ami.
Yoongi – Je me sens mieux. Je suis vraiment désolé pour ma réaction, j'ai eu si peur que j'ai refusé de voir que t'avais fait ça pour mon bien. Pardonne-moi, s'il te plaît.
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