Chapitre 13

Jungkook avait enchaîné huit heures de sommeil. La veille, à la salle de sport, il n'avait pas éprouvé la moindre douleur au coude ni à l'avant-bras pendant sa série de curl concentré, et juste avant qu'il se couche, sa mère lui avait envoyé un message qui l'avait poussé à l'appeler pour prendre des nouvelles. En bref, s'il avait imaginé sa soirée comme un désastre, tout s'était bien terminé malgré tout. Il se réveillait ce matin prêt à affronter sa journée.

Parce qu'il commençait à onze heures néanmoins, il profita de son lit, assis les jambes sous sa couette, un bon livre entre les mains. Il ne s'habilla que lorsqu'il y fut contraint : un jean et un t-shirt noir à manches longues, par-dessus lequel il passerait un gilet avant de s'en aller.

Peu enclin à déjeuner vers dix heures, il se contenta de grignoter et mit dans son sac un plat dont il se régalerait en début d'après-midi, à sa pause – parce qu'il travaillait jusqu'à dix-neuf heures, Namjoon lui accordait trente minutes qu'il pouvait prendre à l'heure de son choix.

Une fois prêt, donc, à affronter cette nouvelle journée à la librairie, Jungkook attrapa son sac et fila. Il arriva à peine une dizaine de minutes plus tard et se hâta de commencer son service pour aller en rayon soutenir ses collègues : au rez-de-chaussée, Hoseok s'occupait de renseigner un client, son téléphone en main parce qu'il répondait en même temps à un autre. Jungkook, affublé de son veston blanc qui portait le logo du magasin, le rejoignit pour aider à sa place une femme qui cherchait un livre bien précis qu'elle ne trouvait pas. Hoseok adressa un regard reconnaissant à son cadet.

« Venez, sourit Jungkook à la dame âgée qu'il ne comptait pas brusquer, on va aller chercher votre livre. C'était quel titre qu'il vous fallait ?

— Ma petite-fille m'a donné ça, » déclara-t-elle d'une voix de gorge en lui tendant un papier.

Le libraire le prit et regagna son bureau. La femme le suivit d'une démarche mal assurée, de sorte que Jungkook craignit qu'elle ne s'écroule devant lui. Il vérifia d'un regard qu'elle se portait bien et ouvrit le papier. Une écriture délicate y avait inscrit les trois mots « Amande, Sohn Wonpyung ». Un sourire s'étira sur les lèvres de Jungkook qui releva les yeux sur la dame face à lui :

« Oui, normalement on l'a en rayon, affirma-t-il, par contre c'est en jeunesse, au second étage. Je vais vérifier qu'il figure encore dans nos stocks et si c'est le cas, j'irai vous le chercher.

— C'est très aimable de votre part, jeune homme, » répondit sa cliente avec un visage bienveillant.

Jungkook lança une recherche sur sa plateforme habituelle, qui lui indiquait pour chaque livre les stocks en magasin. Ils possédaient bel et bien deux exemplaires du roman souhaité, qu'il se souvenait avoir lui-même mis en rayon pas plus tard que jeudi, lors de la dédicace de Taehyung. Jungkook profita de se trouver à son bureau pour attraper son téléphone et l'enfoncer dans la poche de son veston, puis il quitta sa chaise afin de filer en jeunesse. Il y dénicha sans peine le livre demandé et retourna au rez-de-chaussée le donner à la vieille dame qui s'en réjouit. Elle le remercia à plusieurs reprises avant de gagner la caisse, ravie de son achat.

Cette seule personne avait réussi à illuminer la journée du jeune libraire qui, après avoir répondu à un nouveau client, se rendit en réserve. Yoongi y œuvrait à sa place habituelle. Les deux se saluèrent, après quoi Jungkook jeta un regard curieux aux caisses destinées à Jieun – Yoongi les laissait, une fois pleines, dans un monte-charge qui les apportait à l'étage.

« Y a que deux caisses de jeunesse ? s'étonna-t-il. On reçoit pas grand-chose en ce moment, si ?

— Oula si, ricana Yoongi, pas plus tard qu'hier, Jieun s'est bouffé deux caisses d'OP et trois de réassort.

— Ah, ok.

— Pourquoi ?

— Jeudi, quand je suis allé en réserve chercher la table pour Taehyung, y avait que deux caisses : une que t'avais réceptionnée le matin même, et une qui datait de la veille.

— Et ?

— Si Jieun a pas trois jours de retard, et cinq caisses à mettre en rayon, c'est un exploit, rétorqua Jungkook.

— Bah demande-lui, mais moi j'ai pas ralenti le rythme. En plus, avec toutes les ventes que Taehyung a générées samedi dernier, elle a eu un réassort monstre. On a commencé à recevoir les colis hier, et je peux t'assurer que ça pique. Elle a bien dû se bouffer au moins quatre cents fiches. »

Raison pour laquelle Jungkook ne supportait pas les réassorts interminables : le logiciel affichait une par une la fiche de chaque article passé en caisse la veille, et le travail du libraire consistait à vérifier les ventes puis juger s'il devait ou non le recommander. Une fiche demandait rarement plus d'une dizaine de secondes de réflexion, mais ça ennuyait plus que tout Jungkook qui n'aimait pas demeurer assis, à appuyer sur les mêmes touches pendant vingt minutes.

Dans un acquiescement vague, Jungkook retourna à son bureau avec les quelques livres que son aîné avait réceptionnés pour lui. Il s'attela bien malgré lui à son réassort, après quoi il mit ses bouquins en rayon – activité qui le détendit.

Une fois tout ça fait, à peine une heure était passée, si bien qu'il songea qu'avec les sept qui lui restaient ce jour-là, il pourrait s'occuper à un peu de ménage. Namjoon en effet nettoyait tous les matins les allées de la librairie avant son ouverture : équipé d'une machine qu'il lui suffisait de pousser devant lui, ça lui prenait une vingtaine de minutes, et le parquet demeurait en parfait état. Les libraires en revanche vidaient eux-mêmes leur poubelle et se chargeaient également du reste du magasin dès que nécessaire. Ainsi, parce qu'il avait repéré quelques toiles au sommet de certaines gondoles la veille, Jungkook décida de s'équiper d'un plumeau et de s'y attaquer.

La journée lui parut longue : il enchaînait les activités qui lui permettaient avant tout de ne pas attendre à son bureau à rien faire, mais rien ne lui semblait passionnant. Il s'attela à réagencer une de ses gondoles, il vérifia le top ventes d'une immense plateforme de vente en ligne, et il nettoya ses étagères et ses tables, après quoi il s'octroya une demi-heure de pause bien méritée : une bouteille de lait à la banane, de quoi grignoter pour tenir jusqu'au dîner, et un bon livre.

Ça le détendit environ vingt minutes, car lorsqu'il retourna en rayon...

« Oh pitié non, grommela-t-il en repérant Taehyung traîner vers la littérature, pourquoi moi ? »

Vêtu d'une chemise rentrée dans un pantalon en toile, le tout assorti à des chaussures en cuir élégantes et quelques bracelets dont Jungkook ne voulait pas même connaître la valeur, Taehyung feuilletait avec intérêt un petit roman. Son regard foncé était focalisé sur l'ouvrage, et parce qu'il avait baissé la tête, ses cheveux retombaient en pagaille sur son front. Malgré tout, Jungkook pouvait voir depuis le bas de l'escalier (non, il n'avait toujours pas bougé) que le jeune auteur portait quelques légères touches de maquillage. Il était apprêté comme s'il devait se rendre à une cérémonie.

Jungkook hésita, peu enclin à approcher Taehyung, mais fut contraint de regagner son bureau : un client l'y attendait. L'homme s'enquit de la disponibilité d'un roman, que Jungkook finit par lui commander. À peine fut-il parti que Taehyung, qui avait entendu la conversation, le rejoignit.

Avec ce sourire que Jungkook ne supportait pas.

Le libraire se calma en songeant que lors de leur dernière rencontre, il s'était avéré plus agréable. Sans doute était-il devenu moins stupide, peut-être avait-il compris que c'en était trop.

« Coucou mon Kookie ! »

Jungkook allait le buter.

« Tu veux quoi ? râla-t-il – sa journée l'avait rendu maussade, de sorte que tout l'exaspérait très vite.

— Je passais faire un petit coucou.

— D'acc, eh bah passe, rétorqua le libraire en lui faisant signe de partir.

— Je me demandais si ça te dirait, un restau, répondit Taehyung sans prêter attention à son humeur massacrante. Je viens de sortir de dédicace et je suis mort, j'aimerais passer un moment agréable en ta compagnie, et rembourser ce que tu m'as offert l'autre jour.

— T'inquiète c'est pas nécessaire.

— Oui mais j'y tiens.

— Moi pas du tout.

— Pourquoi ?

— Tu te poses vraiment la question... ?

— Mais ce surnom me rend soft.

— Moi il me rend fou. Laisse-moi, j'ai du travail.

— Je pars la semaine prochaine de Séoul, tenta Taehyung en s'accoudant à son bureau.

— Noël arrive en avance, cette année. »

L'auteur gloussa, et Jungkook s'étonna, lorsqu'il quitta son écran d'ordinateur des yeux, de lire dans son regard de l'amusement et une profonde bienveillance.

« J'ai vraiment envie de passer la soirée avec toi, Jungkook. Malgré ton air bougon, t'as l'air de quelqu'un de vraiment gentil. Je voudrais qu'on devienne amis. Laisse-moi t'inviter au restaurant, s'il te plaît. »

Jungkook fit la moue, pourtant quelque chose en Taehyung lui donnait envie d'accepter. Sa voix, peut-être, elle l'avait heurté dès leur rencontre, ou bien son visage peut-être, dont Jungkook devait reconnaître qu'il était magnifique – ses traits harmonieux lui apportaient un charme auquel peu résistaient. Ce garçon avait beau l'agacer, il fallait admettre qu'outre ce surnom et ces avances un peu trop directes, Jungkook le trouvait sympathique. Les clients l'adoraient, tout comme Namjoon, Jieun, Hoseok et Yoongi, qui louaient tous sa bonté.

Devant la mine sincère de l'écrivain, Jungkook baissa les armes en dépit de sa méfiance.

« Bon, c'est d'accord. Je finis dans une demi-heure, tu peux m'attendre ici.

— Oh chouette, merci beaucoup ! Ça va être trop bien ! Je t'attendrai à dix-neuf heures devant la librairie !

— Ouais, ouais, se renfrogna son cadet. Maintenant laisse-moi, j'ai du boulot.

— Tu pourrais au moins me le demander gentiment, soupira Taehyung.

— Non. Laisse-moi.

— C'est bien parce que t'es mignon...

— Je suis pas mignon ! » lança Jungkook à l'autre qui s'éloignait déjà et lui tournait le dos.

Il jurerait que Taehyung arborait un insupportable rictus vainqueur, et le libraire s'en voulut aussitôt d'avoir accepté son invitation. Il ne rêvait à présent plus que d'une chose : la lui faire bouffer. Comment cet idiot avait-il pu oser !

Jungkook passa sa dernière demi-heure de travail à ruminer sa colère. Il se concentra comme jamais pour s'assurer de ne pas la déverser sur un client qui, lorsqu'il lui indiqua que le livre qu'il cherchait n'était disponible que sur commande, ordonna avec froideur « bah commandez-le-moi » sans la moindre formule de politesse. Heureusement que le jeune homme pouvait se vanter d'un self-control à toute épreuve, sinon quoi son misérable client aurait terminé la tête encastrée dans l'ordinateur.

Même avec un seul bras valide, il en serait capable.

Une fois l'heure venue, Jungkook manqua d'aller supplier Namjoon pour des heures supplémentaires, à la place de quoi il se rendit au vestiaire, quitta son veston et récupéra son gilet qu'il enfila. Les manches lui recouvraient les mains, comme à l'accoutumée, et il sortit à reculons du magasin.

Les lampadaires éclairaient déjà la rue que le soleil couchant avait désertée. D'ici une vingtaine de minutes à peine, la nuit envahirait tout à fait la ville. Jungkook tourna la tête et découvrit Taehyung sur le trottoir, les yeux rivés sur le ciel crépusculaire teinté de délicates couleurs pastel. Comme il voudrait lui poser un lapin... mais la lueur soucieuse dans le regard de l'auteur le convainquit d'approcher. Il paraissait presque mélancolique.

« Bonsoir, déclara Jungkook plus pour s'annoncer que dans le réel but de souhaiter une bonne soirée à son aîné qu'il tira de ses songes ainsi.

— Oh, Kookie... salut ! Ta journée s'est bien passée, du coup ?

— Non.

— Ah... alors on va essayer de faire en sorte qu'elle se finisse bien. Viens, j'ai réservé un truc qui a l'air super ! On va passer un moment génial, je te jure ! »

Jungkook se demanda s'il pouvait encore s'enfuir en courant sans que Taehyung le remarque.

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