Chapitre 123
Jungkook, hébété, demeura coi. Il refusait de croire ce qu'il venait d'entendre, et il n'était pas convaincu d'avoir bien compris. Taehyung, terrifié, reprit :
« Je te jure que je l'ai fait pour ton bien, je voulais jamais te le dire, et je pensais pas non plus qu'on se reverrait, surtout pas qu'on sortirait ensemble. Sauf que... ça s'est pas du tout passé comme prévu, et maintenant... je refuse de continuer de te mentir. Je te devais la vérité. Je t'en prie, dis quelque chose...
— Hyung, je... je peux pas.
— Hein ? »
Taehyung s'écarta de lui. Jungkook, l'air hagard, se mit à trembler. Il paraissait songer à de lointains souvenirs, perdu dans ses pensées.
« Je peux pas, répéta-t-il, je... je peux pas te rembourser, j'ai pas l'argent, je... m-mes dettes, je peux pas. Hyung, comment je vais faire ? Je n'ai déjà plus rien, je vais pas réussir à tout gérer je... mais je peux payer les courses, d'accord ? Et... j-je trouverai, mais pas maintenant, là je peux pas, j'ai pas, je... »
Et tandis qu'il débitait des phrases dépourvues de sens, tétanisé à l'idée que son compagnon risquait de lui réclamer l'argent versé pour ses soins – et quelle somme colossale ! –, Jungkook laissa plusieurs larmes lui échapper, jusqu'à ce qu'elles tracent un sillon le long de ses joues. Il frissonnait de manière convulsive, et Taehyung prit son visage en coupe, alarmé par son état.
« Kookie, stop, stop ! Il est hors de question que tu me rembourses le moindre won ! Je te l'ai dit, t'étais supposé ignorer ça, je te l'ai dit juste parce que je voulais être honnête avec toi, pas pour que tu croies me devoir quoi que ce soit. J'ai donné cet argent pour toi, et donner, c'est donner. J'attends pas de toi que tu me le rembourses, je veux pas de ton argent, je veux juste que ton bras guérisse pour te voir heureux. Alors si tu veux me rembourser, si vraiment t'y tiens, sois juste heureux, ce serait la preuve que j'ai bien fait de t'offrir ça. S'il te plaît, Jungkook, te mets pas dans cet état-là, arrête, tu te fais du mal.
— Mais hyung, je... c'est ton argent, pleura-t-il, je peux pas le prendre, je... si j'avais su, j'aurais refusé !
— C'est justement pour ça qu'on voulait pas que tu saches. Et moi ça m'allait : ça m'a coûté qu'une infime partie de ce que je possède, ta mutuelle en a remboursé une bonne partie, je t'assure que...
— Je sais combien ça a coûté ! Je sais qu'elle remboursait pas grand-chose ! Hyung, pourquoi ? Je peux pas, je... j'ai encore les dettes de mes parents et... j'y arriverai pas ! Mais je paierai les courses, et... e-et tout ce que je peux, je... »
Il fut coupé quand son compagnon fondit sur ses lèvres, et il ne lutta pas, lui-même plongé dans un besoin désespéré de sentir son amour le submerger. Ils s'écartèrent après de longues secondes, mais ils n'échangèrent pas un regard : Jungkook enfonça le visage dans son cou pour en humer le doux parfum et passa le bras autour de sa taille pour le serrer contre lui. Taehyung plaça la main dans sa chevelure pour le garder ainsi, et profitant de ce qu'il avait l'oreille près de sa bouche, il murmura :
« Je t'aime, mon Kookie, mon amour, je t'en prie écoute ce que j'ai à dire.
— Mais hyung, j-je peux pas...
— L'argent que tu donnes chaque mois à tes parents, est-ce que tu leur demanderas de te le rendre ?
— Bien sûr que non, sois pas stupide.
— Et pourquoi ?
— Parce que c'est mes parents, je dois les aider, je veux pas les laisser dans leur misère.
— Parce que tu les aimes, Jungkook, tu les aides parce que tu les aimes, et que t'as pas envie de les voir souffrir. Moi c'est pareil. J'attends rien en retour, je veux juste aider mon amoureux.
— Mais si on se sépare ? Je vais devoir...
— Tu devras rien du tout, le coupa Taehyung. Je suis heureux de t'aider à te sentir mieux, c'est tout ce qui compte. Je veux pas que t'aies l'impression de me devoir quoi que ce soit. Merde, te prends pas la tête pour ça, tu me dois rien, guéris et je serai comblé.
— Je peux pas accepter ça, c'est trop, c'est trop...
— Je t'en prie... »
Taehyung l'incita à s'écarter de lui, prit son visage mouillé en coupe et planta son regard dans le sien.
« Jeon Jungkook, écoute-moi bien : tu ne me dois rien. Compris ? Je voulais que tu ne saches jamais ce que j'avais fait, parce que je pensais que ça te mettrait en colère, et je te le répète, mais maintenant qu'on est ensemble, j'ai envie d'être sincère avec toi, c'est juste pour ça que je te l'ai dit, parce que j'estime que tu mérites pas un mec qui te cachera des trucs. Mais c'est rien d'important. Considère que c'est aussi important que si je t'avais payé un coca. Je le fais, tu râles un peu, et hop on oublie.
— J'y arriverai pas, je pourrai pas oublier.
— Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour que t'acceptes juste mon geste sans te sentir coupable ?
— Je veux te rembourser, hyung, je peux pas... juste accepter que tu me donnes autant d'argent. On se connaît depuis quoi ? Quatre mois. Je... je t'ai dit, je ferai les courses, et... et quand tu rentreras, le dîner sera prêt, et l'appartement lavé, et puis je...
— Stop ! Non, non... je... »
Il soupira en relâchant son copain pour se passer une main sur le visage.
« Jungkook, c'est pas du tout ce que je veux. Je te rappelle que si t'es ici, c'est pour que ta convalescence se passe le mieux possible et que justement t'évites les efforts. Le but, c'est que ton bras guérisse vite et dans les meilleures conditions. Je t'interdis le moindre effort, tu risquerais de rouvrir la cicatrice à son avant-bras, ou bien de te faire mal inutilement. Les médecins t'ont interdit d'être trop actif, surtout les premières semaines. Je m'occupe de tout, contente-toi de guérir. »
Il comprit à la moue de son petit ami qu'il n'était pas convaincu, et de peur de l'entendre répliquer, il se pencha, cette fois avec douceur, pour l'embrasser de façon chaste. Jungkook le laissa agir, et les baisers se multiplièrent, aussi délicats contre leurs lèvres qu'une brise estivale. Dès que l'un s'apprêtait à reculer, l'autre appuyait de nouveau la bouche contre la sienne, et Taehyung s'assura qu'il ne coulait plus une larme du regard de son bien-aimé.
Ils s'écartèrent un long moment plus tard, et Taehyung descendit des cuisses musclées de son cadet pour replonger sous la couverture. Il toisa Jungkook, qui pour sa part resta assis.
« Kookie, allonge-toi, viens dans mes bras s'il te plaît. »
Le libraire semblait songeur. Il tourna la tête vers son copain après quelques secondes puis lui obéit sans un mot. Il se lova contre lui, poussa un soupir tremblant, et Taehyung lui demanda comment il se sentait.
« Lourd d'une nouvelle dette, souffla Jungkook, et t'auras beau dire ce que tu veux, ça n'y changera rien. Je supportais déjà mal que tu m'offres toujours tout quand on sortait, mais là... c'est juste trop. Je peux pas accepter.
— Seokjin a tout de suite accepté quand j'ai proposé ça, mais lui aussi savait que t'aimerais pas que ce soit moi qui ai tout payé. Mais il disait vrai, c'était devenu le seul moyen pour sauver ton bras. Je suis désolé que tu le vives aussi mal, mais je pouvais pas te regarder sombrer alors que je pouvais y faire quelque chose. J'ai... tu sais bien que j'ai déjà vu quelqu'un mourir sans que j'arrive à l'en empêcher, et... quand t'as dit à quel point ça te bouffait, les choses qui avaient pu te venir à l'esprit... je pouvais pas te laisser dans ta merde. Je savais que je pouvais aider quelqu'un, alors j'ai pas hésité, même si pour ça j'ai dû être un peu malhonnête. Je regrette pas.
— Je supporte pas les dettes, c'est déjà tellement difficile tous les jours... Tu sais bien que j'aurais refusé si tu m'avais proposé de financer mon opération, alors pourquoi l'avoir fait malgré tout ?
— Je te l'ai dit : j'ai pas pu empêcher ma mère de faire une connerie... mais je pouvais t'en empêcher. Et crois-moi que ta vie vaut bien plus que la maigre somme qu'a coûtée ton opération.
— J'aurais pas fait de connerie.
— T'en es sûr ?
— Hum... pas dans l'immédiat, en tout cas.
— Mais une fois les dettes de tes parents remboursées et ton boulot à la librairie perdu ?
— Je sais pas.
— Et c'est déjà une réponse qui me convainc que j'ai bien fait d'agir.
— Tu voulais faire une bonne action, en fait, en mémoire... enfin, en sa mémoire.
— Peut-être. Et peut-être aussi que je voulais juste aider, répondit Taehyung. Chaque année, je donne beaucoup à des œuvres caritatives, et cette fois, j'avais envie d'aider une personne en particulier. Comme ça, je suis bien sûr que mon argent a servi, et que pas un won n'a été gâché.
— Je vois...
— Je t'aime. M'en veux pas d'avoir agi dans ton dos.
— T'inquiète. »
Or, le ton de Jungkook trahissait son état : il restait perturbé d'avoir appris une telle nouvelle, et Taehyung s'en inquiétait. Ainsi, ce dernier passa les mains sous le t-shirt de son cadet, dans son dos, afin de le lui caresser pour l'apaiser. L'astuce fonctionna : il sentit les muscles du jeune homme se détendre, et Jungkook se recroquevilla contre lui, se repaissant de sa chaleur corporelle autant que de son odeur réconfortante. Il ferma les paupières, et Taehyung poursuivit ses gestes en lui murmurant de tendres paroles.
De longues minutes plus tard, les joues sèches, Jungkook s'endormit, mais son aîné ne parvint pas à en faire autant, obnubilé par la réaction de son compagnon. Jungkook était obsédé par ce que ses parents devaient, capable de paniquer à la seule mention d'une dette supplémentaire alors que Taehyung lui assurait ne rien lui réclamer. Ça ne pouvait pas continuer de cette manière, tout ça le rongeait, le détruisait, et l'auteur refusait d'assister à ce désastre sans agir, mais que faire ? Jungkook se braquerait si Taehyung lui proposait son soutien financier pour rembourser l'emprunt de sa famille, mais... que faire d'autre pour le soulager enfin ?
Taehyung savait que son petit ami n'avait jamais eu le droit à la tranquillité, sans cesse obligé de compter le moindre won, et il comprit, abattu, que même une fois ses dettes payées, Jungkook ne parviendrait pas tout de suite à adopter un train de vie normal. Les cicatrices de ses blessures demeureraient : il continuerait sans doute des mois à économiser de peur qu'un nouveau coup dur ne l'atteigne, il resterait frileux à l'idée de dépenser ne serait-ce qu'une infime somme... et Taehyung se sentit écœuré que ce garçon formidable ne profite jamais de son existence alors qu'il se sacrifiait depuis des années pour ses parents.
Taehyung repensa aux garçons qu'il avait aimés, à ceux qui étaient entrés dans sa vie et qu'il en avait fait sortir très vite. Pour la plupart, il s'agissait de mannequins, comme lui à l'époque. Des hommes magnifiques, en apparence affectueux et sincères, mais qui s'étaient révélés plus intéressés et hypocrites qu'autre chose. Taehyung en avait souffert au point de ne plus s'offrir que des relations d'un soir avec de parfaits inconnus trouvés en boîte. On avait tant malmené son cœur qu'il avait décidé de ne plus le donner à quiconque, de peur qu'on le malmène encore. Il n'attendait plus rien de l'amour, il vivait reclus chez lui... et puis il avait choisi, pour s'aérer l'esprit, de dédicacer son dernier roman dans la librairie qui l'avait vu grandir. Il avait rencontré Jungkook.
Il n'était pas comme les autres – oh ça non, pas du tout ! Ses ex tenaient tant à son portefeuille qu'ils veillaient à ne jamais le blesser, pareils à de véritables escortes. Dans le monde du paraître, quoi d'étonnant à trouver de faux cœurs ? Jungkook en revanche s'était montré honnête – un peu trop, peut-être – dès le début, il n'avait pas cherché à se déguiser, à jouer un rôle pour s'attirer ses faveurs. Au contraire, il avait essayé de le rejeter à plus d'une reprise.
Et le voilà qui dormait dans ses bras, les voilà épris l'un de l'autre, plus épanouis que jamais.
Un jour, Taehyung se le promit, Jungkook et lui seraient sincèrement heureux.
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