Chapitre 11
Taehyung n'eut pas le temps de formuler la moindre blague salace – ou même d'y songer – que déjà Jungkook le plaquait contre le mur sans douceur. L'auteur grogna de douleur quand l'arrière de son crâne heurta la paroi.
« Écoute-moi bien, espère de crétin pervers ! J'en ai marre de toi, tu comprends ? Tes remarques à la con, tu peux te les garder, et tes insinuations à mon sujet, tu te les fourres là où je pense ! Je te maîtrise d'un bras, alors essaie pas de plaisanter avec moi, je te casse en deux sans effort si j'en ai envie ! Maintenant on va retourner en rayon, l'air de rien, et t'agiras avec moi comme avec n'importe qui. Tu vas arrêter de m'appeler Kookie, de me faire tes remarques débiles, et tu vas juste sourire aux clients.
— Et s'il y a pas de clients ?
— Bah tu souriras au mur, mais tu me casses pas les couilles.
— Y a plein d'autres choses que je préfèrerais faire avec, effectivement... aïe ! »
Taehyung fut interrompu quand le libraire l'écarta du mur pour le plaquer de nouveau contre, d'une manière plus brutale encore qu'à leur arrivée.
« C'est bon, j'ai compris, t'as pas d'humour, grommela Taehyung. Pas la peine de me torturer...
— En fait, ton cerveau, c'est comme un appareil défectueux : faut taper dessus pour que ça fonctionne, sourit Jungkook en le relâchant.
— Ouais... plus on me tape, mieux ça rentre, opina Taehyung en rajustant son t-shirt.
— T'as vraiment envie que je te frappe, c'est ça ?
— Ça compte, les fessées ? »
Dépassé par une situation qu'il ne contrôlait pas, Jungkook réagit d'une façon qui le surprit lui-même : il éclata de rire. Taehyung non plus n'y comprit rien, puisqu'il écarquilla les yeux avant de les plisser de manière attendrie. Les traits de Jungkook lui avaient toujours paru durs et tendus du fait de son agacement constant, mais... quand il souriait et riait, il semblait si innocent, si agréable.
Taehyung pourrait tout mettre en œuvre dans le seul espoir de le voir encore glousser de cette manière. Et la musique de son rire – car à ses oreilles, il s'agissait d'une mélodie comparable aux plus belles compositions –, elle l'envoûtait à la manière d'un sortilège.
« T'es vraiment trop con, j'en peux plus ! s'esclaffa Jungkook. Je sais même pas si je ris parce que ça me désespère ou parce que j'ai fini par trouver ça réellement drôle ! »
Son fou rire s'acheva quelques instants plus tard avec deux larmes au coin de son regard charbonneux. Taehyung ne put retenir un gloussement amusé.
« T'es adorable quand tu ris, ça fait du bien de te voir te dérider, affirma-t-il avec son plus éclatant sourire.
— J't'emmerde, boucle-la, » rétorqua Jungkook sans réprimer son propre sourire.
Et Taehyung se tut, incapable de répliquer quand l'ordre lui était donné d'une manière aussi attendrissante. Jungkook essuya les larmes qui bordaient ses prunelles, et il poussa un soupir avant de retrouver son sérieux.
« Bref, j'ai envie de passer une matinée moins agaçante que l'après-midi de samedi. M'adresse juste pas la parole et ça ira.
— C'est trop me demander...
— Pourquoi tu t'accroches à ce point ?
— Je sais pas... tu me fascines... et j'adore ta répartie !
— J'ai de la répartie, moi ?
— Si tu savais...
— T'es plutôt doué, toi aussi.
— Ouais, on me le dit souvent, approuva Taehyung avec un rictus prétentieux.
— Mais t'es plus chiant que doué.
— Ouais, tu me le dis souvent... »
Jungkook roula des yeux dans un soupir las et quitta la réserve, Taehyung sur les talons. L'un regagna son bureau, l'autre sa table, mais ça n'empêcha pas Taehyung de continuer de jeter de réguliers regards au libraire qui ne l'avait pas remarqué, de nouveau concentré sur son travail.
Reparti à sa mise en rayon, Jungkook n'accorda pas la moindre attention à son aîné qui se détourna enfin de lui lorsque des clients arrivèrent et qu'il ouvrit le dialogue. Le cadet pour sa part, ravi de s'occuper en toute tranquillité, se sentit plus efficace que jamais. Il courait presque entre les étagères, à son aise comme un poisson dans l'eau. Il connaissait chaque recoin de cet endroit, et les couleurs pétantes des couvertures et des tranches, pensées pour attirer les enfants, lui donnaient l'impression d'un arc-en-ciel de joie de vivre. Une chanson entraînante tournait en boucle dans son esprit, et il travailla avec en tête ce rythme imaginaire.
À partir de cet instant, impossible pour Taehyung de le lâcher des yeux plus d'une minute. Il lui semblait observer une chorégraphie dont il se figurait sans mal la musique, calquant les mouvements du libraire sur un air qu'il avait entendu la veille et qui lui avait plu. Il ne retint pas son sourire, le cœur léger de voir Jungkook s'amuser autant dans son métier. Rêveur, il n'en négligea pas pour autant les potentiels clients qui passaient à l'étage qu'il arrêtait pour leur présenter ses livres – sans oublier d'accorder quelques selfies à ses fans venus en apprenant sa dédicace.
En fin de matinée, alors que Jungkook quittait la réserve après y avoir rangé les caisses désormais vides, il fut interpelé par l'auteur.
« Je vais devoir m'en aller, on peut ranger maintenant, si t'as rien d'autre à faire ? demanda Taehyung.
— Ouais, bien sûr, opina Jungkook qui se sentait beaucoup plus calme qu'à son arrivée. Y a pas eu grand monde, t'as quand même réussi à vendre quelques livres ?
— Une petite cinquantaine, oui.
— Une cinquantaine, t'es sérieux ? Mais... y a vraiment eu cinquante personnes dans le rayon, ce matin ?
— Je saurais pas te dire, répondit l'autre en haussant les épaules, mais y a une dame qui est repartie avec quatre livres différents, pour ses petits-enfants, et ça a pas été la seule à m'en prendre plusieurs.
— Bah putain, tu vends vraiment bien...
— Ça partira sûrement mieux cet après-midi.
— T'as une autre dédicace ?
— Ouais, à treize heures, dans une librairie à une demi-heure d'ici. Y a toujours un monde fou, même en semaine.
— Ça va te faire une longue journée...
— Et ça va être comme ça pendant une semaine, puis une semaine supplémentaire, mais dans tout le pays, pas juste à Séoul.
— Ça te fait voyager, songea Jungkook en attrapant une pile de livres pour la remettre en rayon où il avait aménagé une petite place.
— C'est fatigant, et je me sens vite seul, les soirs, à l'hôtel.
— Ton illustrateur vient pas avec toi ?
— Jimin ? Non, il illustre mes albums jeunesse, mais il bosse juste pour moi, pour le plaisir et parce qu'il sait pas résister quand je le supplie, mais il a un boulot à côté, il peut pas se prendre deux semaines pour faire une balade dans le pays, » expliqua Taehyung en saisissant une pile supplémentaire pour la tendre au libraire.
Jungkook lui adressa un remerciement et, une fois les livres rangés, il retira les décorations de la table qu'il plia, et l'auteur s'occupa de la nappe en silence.
« Merci, je vais rapporter ça derrière, t'embête pas, déclara Jungkook.
— J'y tiens. »
Jungkook tourna son regard vers lui pour le toiser un court instant avant d'opiner pour l'y autoriser. Taehyung lui sourit en réponse, ravi, et se chargea des décorations pendant que son cadet attrapait la large table d'une seule main. Ils se rendirent dans la petite réserve où Jungkook désigna une étagère du menton.
« C'est là qu'on met tous les trucs qui vont sur la table, indiqua-t-il, pose-les là, ça ira très bien. »
L'autre s'exécuta pendant que Jungkook s'occupait de glisser la table dans un coin prévu à cet effet. Lorsque tout fut rangé, Taehyung se planta devant le libraire, qui recula d'un pas par réflexe. Son aîné n'y prêta pas attention, il s'inclina.
« Merci pour ton accueil et pour cette matinée de dédicace, je suis honoré d'avoir pu passer quelques heures ici, c'est un endroit toujours aussi agréable.
— Oh... euh, c-c'est normal, balbutia Jungkook qui ne s'attendait pas à ça. Merci à toi de nous avoir fait l'honneur de ta présence. »
Taehyung se redressa, lui sourit, ravi, et le salua. Jungkook lui rendit son salut, après quoi tous les deux se séparèrent : l'auteur quitta l'établissement tandis que son cadet se dirigeait au vestiaire pour se changer. Soulagé que sa matinée ne se soit pas avérée si catastrophique qu'il l'avait d'abord imaginé, il s'en alla d'un pas léger.
Ce fut sans compter sur la silhouette qu'il reconnut dès lors qu'il franchit la porte de la librairie.
« Tae ? Qu'est-ce que t'attends, ici ? s'enquit-il en le rejoignant – la curiosité, un bien grand défaut.
— Oh, Kookie ! Mon chauffeur devait venir me chercher à midi, mais je viens de raccrocher : il sera en retard, il arrivera pas avant la demie.
— Arrête de m'appeler Kookie, grommela l'autre.
— Mais, euh, bouda Taehyung avec une moue exagérément mignonne.
— Et c'est quoi, le souci ? T'as dit que ta prochaine libraire était à une demi-heure d'ici et que t'y avais rendez-vous à une heure. Tu seras à l'heure.
— J'aime arriver avec au moins cinq minutes d'avance, pour que tout soit prêt à l'heure, et puis ton calcul est juste, mais je mange quand, moi ?
— Bah ils te fileront bien des trucs à grignoter, non ?
— Namjoon-ah est le seul libraire du coin à fournir toujours des biscuits et des bonbons à ceux qui viennent en dédicace. Et quand bien même : c'est beaucoup trop léger pour un repas...
— T'as encore vingt-cinq minutes devant toi, va t'acheter un truc à manger, y a un café un peu plus loin quand on remonte la rue. »
Il se trouvait sur le chemin pour rentrer chez lui, il en savait quelque chose. Taehyung baissa les yeux et se frotta la nuque d'un air embarrassé.
« Tout ce que j'ai sur moi, c'est mon portable, mes clés et mes papiers d'identité. J'apporte pas mon portefeuille quand je sais que j'aurai pas à m'en servir.
— Tu comptais manger quoi, du coup ?
— Toute ma journée est réglée par mes éditeurs, mon chauffeur devait m'amener un panier-repas, mais à cause de son retard, il a pas pu passer le prendre.
— Ah merde... »
Taehyung haussa les épaules dans un soupir résigné. Tant pis, il sauterait un repas – ça ne le tuerait pas, après tout. Il réclamerait de l'eau aux libraires qu'il rencontrerait cet après-midi, ça lui remplirait l'estomac.
« Allez viens, soupira Jungkook, je vais te l'offrir, ton déjeuner.
— Hein ?
— T'es sourd ? se moqua-t-il.
— Non, je... j'ai pas besoin que tu me paies ça, ça ira. Désolé, je voulais pas donner l'impression de me plaindre, bégaya Taehyung d'un air coupable.
— Mais c'est pas ça, j'ai juste pas envie de rentrer chez moi en sachant que je t'ai laissé affamé sur ce trottoir. Allez, viens. De toute façon, ça coûte pas cher dans ce café, c'est rien du tout.
— Je suis désolé, je peux pas accepter.
— Considère ça comme un cadeau de réconciliation, sourit Jungkook en lui indiquant d'un geste de la tête de le suivre.
— Réconciliation ? Alors... tu ne me détestes plus ?
— Plus autant qu'avant, disons, le corrigea-t-il. T'es devenu supportable.
— Et qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
— Je sais pas... ma bonne humeur combinée à ton silence ce matin.
— Ah... donc c'est parce que j'ai fermé ma gueule que tu m'apprécies, en conclut Taehyung qui marchait à ses côtés.
— Exactement. T'es plutôt sympa quand tu la boucles.
— Parce que je t'appelle pas Kookie ?
— T'as envie que je t'abandonne, toi. »
Taehyung gloussa et Jungkook ne parvint pas à retenir un rictus amusé.
« Enfin un petit sourire ! se réjouit aussitôt son aîné.
— Va savoir pourquoi j'ai du mal à sourire quand t'es dans les parages.
— Je te taquine juste, c'est pas méchant.
— Quand je te disais que t'étais plus sympa quand tu la fermais... »
Taehyung voulut répliquer avant de se raviser : Jungkook avait perdu son sourire, et son air sévère avait remplacé sa mine soulagée. Constatant donc qu'il mettait en colère celui qui témoignait d'un geste généreux envers lui, le jeune auteur préféra garder le silence.
À peine deux minutes plus tard, les deux garçons arrivaient au café mentionné par Jungkook, qui proposait des plats à emporter. Quand son cadet lui demanda ce qu'il désirait, Taehyung réfléchit un instant avant de choisir ce qu'il y avait de moins cher : un sachet de deux onigiris au thon et un de trois mochis à la pâte de haricots rouges. Jungkook s'acquitta de la somme réclamée par la vendeuse et ils quittèrent l'établissement.
« Merci, merci beaucoup, déclara Taehyung en ouvrant l'emballage de son repas. C'est vraiment super gentil de ta part, heureusement que je suis tombé sur toi !
— Ouais, ouais. Bon, je peux te laisser retourner seul devant la librairie, ça devrait pas poser de souci.
— Oui, ça ira sans problème, opina Taehyung, on a marché tout droit pendant environ cinq minutes, je devrais m'y retrouver, et au pire, j'ai mon portable.
— Bon, bah bonne journée, du coup.
— Merci beaucoup, bonne journée à toi aussi, salut, Kookie ! »
Et il fila avant même que Jungkook ait le temps de lui écraser son satané onigiri à la figure pour avoir encore osé l'affubler de ce stupide surnom.
Jungkook, avant de se rendre dans sa salle de sport habituelle, passa chez lui : il avait besoin d'un lait à la banane...
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