Chapitre 105
Yoongi sortait tout juste de la librairie quand il tira son portable de la poche de son jean et vérifia ses notifications. Pas un SMS. Il se mordit l'intérieur de la joue dans l'espoir que la douleur lui permette d'oublier son chagrin. Il mourait d'envie d'envoyer un message à Jimin pour lui demander s'il allait bien. Il suffirait d'un « oui, ça va super » pour qu'à son tour il sente le poids de sa détresse s'alléger. Il ne désirait qu'une chose, le bonheur de celui qu'il chérissait, et l'imaginer triste lui brisait le cœur.
Il ne devait pas craquer, il ne devait pas retourner auprès de lui. Il blesserait davantage Jimin en agissant ainsi.
Le réceptionnaire rangea son smartphone dans son sac, se passa une main dans le cou pour en gratter la base dans un réflexe dont il ne se rendait même pas compte, et se dirigea d'un pas morne jusque chez Taehyung. Voir Jungkook lui apporterait un peu de réconfort, et il était soulagé de songer que l'écrivain et lui devaient se porter bien mieux que les semaines qui avaient précédé : le plus jeune avait accepté ses propres sentiments, quant à Taehyung, il avait retrouvé celui qu'il aimait et ne vivait plus seul. Jimin aussi devait se réjouir pour eux – Taehyung l'avait-il tenu au courant comme Jungkook l'avait fait avec lui ? Sans doute.
Il sonna à l'interphone, monta les escaliers de secours – il ne supportait pas l'ascenseur, surtout sans Jungkook – et parvint devant la porte de Taehyung qui lui ouvrit. Il l'accueillit le sourire aux lèvres, si bien que Yoongi à son tour sentit un sourire poindre sur les siennes.
« Bonjour, hyung, comment tu vas !
— Bien, et toi, Tae ?
— Toujours bien en ce moment ! Entre vite, il fait frais ici ! »
Yoongi s'était à peine rendu compte des températures, tout à ses pensées. Il s'avança, retira ses chaussures, et son visage s'illumina quand il aperçut Jungkook qui arrivait. Il se redressa, se pressa de le rejoindre, et les deux amis échangèrent une longue étreinte. Comme ces bras autour de lui lui manquaient les matins, dans sa réserve ! Sans cette petite dose quotidienne d'affection que son libraire râleur pouvait lui offrir, il se sentait esseulé.
« Comment tu te sens, Kook ? s'enquit-il lorsqu'ils s'écartèrent.
— Beaucoup mieux : ce matin, je n'avais plus de fièvre, comme le médecin l'avait prévu ! Tae l'a contacté, et il a affirmé que si je me sentais mieux, ça signifiait que tout était rentré dans l'ordre.
— Donc tu peux rentrer chez toi ? »
Yoongi surprit un regard embarrassé de son cadet pour l'écrivain, qui esquissa un rictus.
« Je vais rester encore un peu ici, déclara Jungkook. Hyung a proposé et... je me sens bien, avec lui.
— Je lui ai dit que je l'aimais, ça l'a convaincu, ajouta Taehyung sans le moindre tact.
— La délicatesse peut-être ? râla son cadet.
— Connais pas.
— J'en étais sûr, gloussa Yoongi. Alors vous êtes ensemble, ou pas ?
— Non, Jungkook sait pas dire « je t'aime », il a besoin d'un peu de temps pour apprendre. Ça tombe bien, je suis patient. »
Le libraire adressa à son hôte un regard las.
« Oh, je comprends. Donc y a des sentiments, mais rien de très officiel, encore.
— Se rouler une pelle, ça compte ? demanda l'auteur.
— Taehyung ! intervint Jungkook, outré.
— Bah quoi ? C'est pas vrai, peut-être ?
— Je le savais déjà, répliqua Yoongi. Kook me dit tout.
— Il t'a dit qu'il m'a laissé m'occuper seul de mon érection ce matin ?
— Euh... non, pas ça.
— Donc il ne te dit pas tout.
— C'est pas plus mal, en fait... »
Jungkook, à côté d'eux, pouffa, avant de prendre la main de son meilleur ami.
« On revient tout juste de courses, déclara-t-il, Tae et moi on a acheté des petits trucs pour grignoter, je sais que t'as toujours un peu faim quand tu sors du travail.
— J'ai pas très faim en ce moment, soupira Yoongi dans un haussement d'épaules. Une tisane suffira, c'est très gentil.
— T'es vraiment sûr ?
— Oui.
— T'as mangé quoi à midi ?
— Je ne sais plus.
— Hyung...
— J'ai pris un yaourt sucré et une pomme.
— Et ce matin ?
— J'ai jamais faim le matin, souffla Yoongi.
— Et hier soir ? »
Il se noyait dans ses larmes, impossible d'avaler quoi que ce soit.
« Tu te rends compte qu'en vingt-quatre heures, t'as consommé moins de trois cents calories ? s'alarma Jungkook d'une voix étranglée.
— Je suis désolé. »
Et d'un geste qui témoignait de son anxiété, le réceptionnaire se gratta de manière distraite la base du cou sans oser croiser le regard de ses cadets. Jungkook prit sa main libre et l'entraîna vers le salon.
« Tae et moi, on a acheté des biscuits à l'avoine pour aller avec la tisane, et y a aussi des fruits, et des fruits secs. Prends-en, s'il te plaît, c'est bon pour la santé et ça me ferait vraiment plaisir que tu manges. Tu vas encore tomber malade, sinon.
— Je suis désolé, répéta Yoongi honteux.
— T'excuse pas. T'avais juste pas la tête à manger, c'est rien. Mais ça ira vite mieux, t'en fais pas. »
La table était dressée de manière simple mais élégante. Plusieurs plats contenaient divers aliments, depuis la corbeille de fruits frais jusqu'aux bols remplis de raisins secs, de cacahuètes, ou de biscuits riches en divers nutriments essentiels. Trois tasses encore vides avaient été placées de manière à ce que chacun sache où s'installer : deux se trouvaient côte à côte, face à une troisième.
« Allez-y, je vais chercher la tisane. »
Jungkook et Yoongi s'installèrent à côté l'un de l'autre, et une fois que Taehyung eut servi tout le monde, il invita leur aîné à commencer. Yoongi attrapa un biscuit qu'il grignota en répondant aux quelques questions que lui posait le benjamin sur la librairie. L'écrivain parla de son salon de la semaine suivante auquel il avait fini par convier Jungkook, qui s'impatientait à l'idée de rencontrer nombre d'auteurs dont il avait déjà lu certains romans, et Yoongi se sentit de mieux en mieux à mesure que le temps passait. Jusque-là éreinté par sa journée, il se voyait remonter la pente.
Le fait de manger y contribuait probablement, mais Jungkook comptait pour beaucoup.
Quatre biscuits, une banane et trois poignées de fruits secs plus tard, Yoongi paraissait bien moins fatigué qu'à son arrivée. Il s'était régalé, pour le plus grand bonheur de Jungkook qui se réjouissait qu'il prenne part de manière enthousiaste à la conversation chaque fois qu'il intervenait.
Peu à peu, des rires s'élevèrent, chacun contait de vieilles anecdotes de son travail. Depuis les rencontres particulières de Taehyung à divers salons du livre jusqu'aux demandes les plus farfelues des clients de Jungkook, Yoongi avait senti toute sa morosité s'effacer.
« Tu te souviens de cette sortie énorme ? s'exclama Yoongi. Merde, j'ai oublié quel bouquin c'était, mais on en avait reçu au moins cent cinquante ! T'en avais foutu partout : la tête de gondole, le rayon, au-dessus des étagères basses, et y en avait trois piles sur ta table en littérature !
— Oh, oui, se rappela Jungkook, c'était épique ! Je te jure, Taehyung-ah, j'avais mis des bouquins partout, et ça me faisait tellement rire que j'ai appelé Yoongi en réserve pour qu'il vienne voir mon œuvre ! Il est sorti et a regardé la littérature avec des yeux ronds ! Il trouvait ça carrément oppressant, c'était drôle !
— Y avait le visage d'un homme en gros plan sur le bouquin, j'avais l'impression d'être cerné, observé, et en plus quand je passais devant j'avais l'impression qu'ils me suivaient du regard...
— Ce jour-là, continua Jungkook, c'était moi qui m'occupais de l'ouverture. Quand les premiers clients sont entrés, j'étais à mon bureau, fier de mon travail, et puis une dame est venue me voir. Bah tu devineras pas ce qu'elle cherchait...
— Non, tu déconnes ? s'étonna Taehyung.
— Je te jure, elle m'a demandé le bouquin qui était absolument partout. Ça m'a rendu fou. Et même pas vingt minutes plus tard, nouvelle petite vieille qui vient chercher son bouquin et le trouve pas.
— Autant te dire que je l'air regardé bizarrement quand je l'ai vu entrer en furie dans la réserve et clamer qu'il avait absolument besoin d'un lait à la banane et d'un néon en forme de flèche, pouffa Yoongi.
— Hyung m'a suivi en rayon pendant que je râlais, pour voir de lui-même comment on pouvait sérieusement rater tous ces bouquins. On a ensuite commencé à parler d'autre chose, et là... y a une dame qui est arrivée... et elle m'a demandé si on avait ce putain de bouquin.
— Et tu t'es énervé ? demanda Taehyung avec un rictus malicieux.
— J'ai éclaté de rire, répondit Yoongi à la place de son meilleur ami, alors ça l'a fait rire aussi. La dame a pas compris, jusqu'à ce qu'on lui montre les bouquins. Une matinée incroyable, vraiment...
— Je te jure, y a des clients cons, parfois, mais ce jour-là, c'était le comble, soupira Jungkook en dépit de son large sourire. Sur le coup, j'étais désespéré. Même une flèche lumineuse géante aurait pas réussi à attirer leur attention sur ce foutu livre. Ils voulaient pas chercher, ils voulaient que je cherche à leur place. Je te jure, j'ai cru que ça me rendrait dingue. Genre dès que le client entre, y a un point rouge qui se dessine sur mon front et bim ! Ils foncent sur moi sans voir ce qui les entoure ! »
Taehyung riait et Yoongi, un sourire au visage, observait son cadet décrire d'un ton outré son quotidien à la librairie.
« Le pire, continuait Jungkook, c'est ceux qui viennent avec une liste de livres longue comme mon bras et qui osent venir directement vers moi et me lâcher avec un grand sourire débile que « je vais pas chercher, je vais vous demander, ça ira plus vite ». Bah non ! Cherche, espèce d'emmerdeur ! Ils ont cru que j'avais que ça à foutre de passer une demi-heure à chercher leurs bouquins ! Quand je les vois galérer, je viens donner un coup de main, c'est normal, mais à Noël dernier, une jeune femme voulait que je lui trouve douze romans alors qu'il y avait du monde qui attendait pour des renseignements. Elle s'est pas rendue compte qu'elle cassait les couilles alors que tous les livres qu'elle a demandés, ils étaient en rayon, bien rangés dans l'ordre. Elle les aurait trouvés toute seule, mais non, zéro autonomie. Putain, c'est à se demander comment elle se débrouille dans sa vie de tous les jours sans moi pour l'assister...
— Ou alors tu lui plaisais, gloussa Taehyung dont le regard brillait d'amusement.
— C'est quoi le rapport ? demanda Jungkook avec une moue râleuse.
— Elle voulait être avec toi, elle voulait que tu la remarques.
— Oh bah ça, pour la remarquer, je l'ai remarquée ! Une vraie emmerdeuse !
— T'es pas non plus le gars le plus sympa du monde, rit Yoongi, surtout vu comme tu parles des clients.
— Oh pitié, ça aurait insupporté n'importe qui.
— Tu te plains tout le temps, rit Yoongi à son tour, t'es jamais... »
Il fut coupé quand on sonna à l'interphone. Jungkook tourna un regard surpris vers l'écrivain qui fronça les sourcils.
« T'attendais quelqu'un ? lui demanda-t-il.
— Bah non, juste Yoongi-hyung. Je vais aller voir, c'est peut-être un colis, ou juste une erreur. »
Yoongi sembla se ratatiner sur sa chaise, et en lui jetant un bref coup d'œil, Jungkook pria pour qu'il ne s'agisse pas de celui qui était si récemment devenu son ex. Ils entendirent Taehyung décrocher le combiné, mais du fait de la distance et de la porte à peine entrebâillée de la pièce, ils ne saisirent pas sa courte conversation. Il regagna la cuisine, l'air sombre.
« Hyung, c'était qui ? » demanda Jungkook.
L'auteur dirigea son attention sur Yoongi qui pâlit.
« C'est Jimin. Il est vraiment pas bien, je pouvais pas le rembarrer : je lui ai ouvert, il va arriver. On ira discuter au salon, reste avec Jungkook à la chambre, d'accord ? Je lui demanderai de pas y entrer. »
Le réceptionnaire sentit son cœur se serrer ; il acquiesça en silence, la gorge nouée.
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Aspect essentiel du travail de libraire que je souhaitais mettre en avant dans ce chapitre : chaque fois qu'un client nous contrarie, même un tout petit peu, on va tout raconter aux collègues. XD
C'était le livre Le suppléant, du Prince Harry. J'en avais foutu en tête de gondole, en rayon, et partout au-dessus d'une étagère, à hauteur d'yeux. Dès que t'entrais dans la librairie, y avait une trentaine de Harry qui te fixaient... et les clients les trouvaient pas. Mes collègues ont vu les bouquins, eux, en revanche, et d'un air dubitatif ils m'ont sorti « euh... tu sais, Manon, je trouve que c'est quand même un peu oppressant, là ». Et moi, dépitée : « pff, t'inquiète pas, ça dérange pas les clients, ils les voient pas »
Bref, j'ai besoin d'un chocolat chaud.
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