Prologue

Perdus dans la campagne, deux enfants chahutaient dans le lit d'une petite rivière du nom d'Abraysie. Celso, le plus grand, entraînait sa petite sœur, Lili, dans une partie de jeux d'eau, aux règles si particulières, qu'eux seuls pouvaient les comprendre.

Deux femmes, assises sur une serviette, les pieds trempant dans l'eau fraîche, discutaient et riaient tout en les surveillant et en ne manquant pas de les rappeler à l'ordre de temps en temps car pas loin d'elles, deux hommes étendus sur l'herbe, ronflaient allègrement.

— Ils vont bientôt faire plus de bruit que les enfants, dit la plus jeune des femmes, alors qu'elle lançait un regard navré vers les silhouettes.

— Et comme d'habitude, ils vont vouloir nous faire croire qu'on invente juste pour les contrarier, renchérit la seconde.

— Mauvaise foi ! s'exclamèrent-elles en chœur avant d'éclater de rire.

La plus jeune se leva et rejoignit les enfants qui la voyant approcher l'encouragèrent avec un peu trop d'empressement à son goût :

— Oui, maman, viens avec nous, lui lancèrent-ils en se rapprochant d'elle.

Mais elle les stoppa dans leur élan :

— Je vous préviens, INTERDICTION DE M'ARROSER !!!

— Sinon quoi ? demanda son fils.

Elle fit mine de réfléchir un court instant, puis d'un ton neutre répondit :

— Sinon, je vous noie.

— Pfft, t'es même pas drôle, bougonna Celso, un brin déçu.

L'eau étant fraîche, la mère eut besoin de temps pour s'habituer à la température, mais elle finit par rejoindre ses enfants qui s'impatientaient à l'attendre.

Non loin de là, sur un chemin de terre qui longeait un champ, deux hommes, chacun assis sur une moto à l'arrêt, scrutaient avec attention les alentours.

L'un d'eux posa un pied à terre, doucement, puis l'autre, sans faire le moindre bruit et tout en tendant droit devant lui une arbalète prête à servir, visa les arbres du bosquet se trouvant face à lui. Concentré, il tendit l'arme, puis attendit le moment opportun pour lâcher la corde. Dans un sifflement le carreau fila à vive allure, mais alors qu'il atteignait le bosquet, une imposante forme surgit en s'élançant haut dans le ciel. Elle fut si rapide, qu'elle ne laissa pas le temps au tireur de réarmer et plongea sur lui en tournant sur elle-même, telle une toupie, afin de prendre encore plus de vitesse. La forme fondit sur les deux hommes et les percuta l'un après l'autre, les projetant à plusieurs mètres de là.

Le tireur se releva rapidement, empoigna l'arbalète qui était attachée à son poignet, la réarma et avant de tirer à nouveau sur l'ennemi, hurla à son fils :

— OCCUPE TOI DE L'AUTRE, JE ME CHARGE DE CELUI-LÀ !!!

Ce dernier, déjà sur ses jambes, releva sa moto, l'enfourcha et démarra sans perdre un instant.

Le tireur se concentra et visa la forme qui esquiva l'attaque sans mal et fut sur lui avant qu'il ne puisse réagir. Ne pouvant plus se battre, il subit les assauts incessants de son ennemi et sut qu'il vivait ses derniers instants.

Son ultime souffle fût accompagné du cri du vainqueur, un cri d'une telle puissance, qu'il se propagea à plusieurs kilomètres à la ronde, atteignant tout d'abord l'homme à la moto, qui comprit que dorénavant, il ne pouvait plus que compter sur lui-même. Ce cri tira brutalement de leur sommeil, les deux hommes allongés sur l'herbe, qui se mirent sur leur garde et glaça le sang des femmes et du garçon qui se figèrent d'effroi. Quant à la petite Lili, la peur s'inscrivit sur son visage. Une peur qu'elle n'arriva pas à analyser, mais qui instinctivement, la poussait à se sauver car elle la prévint d'un danger imminent.

Alors, sans plus réfléchir et guidée par un instinct de survie, elle sortit de l'eau et courut le plus rapidement qu'elle le put pour s'éloigner de ce danger invisible mais qu'elle savait pourtant inévitable.

Dans sa course effrénée, elle n'entendit pas les cris désespérés des membres de sa famille qui lui hurlaient de revenir tout comme elle n'entendit pas la moto qui s'approchait à grande vitesse d'elle. Son seul but, à cet instant, était de fuir. Rien d'autre n'était plus important que cela.

Quand elle fut arrachée au sol, la peur mêlée à la surprise lui coupèrent le souffle et raide comme une statue, elle vit le chemin défiler sous elle. Le danger l'avait rattrapée, et elle ne pouvait plus rien faire pour lui échapper...

La moto filait à vive allure en direction de la route départementale qu'elle ne réussit pas à atteindre. Un choc violent la coucha sur le sol. À cette vitesse, elle fit des tonneaux et finit sa course dans l'Abraysie. Le conducteur glissa sur plusieurs mètres et vint s'écraser contre l'un des poteaux qui clôturaient le champ. La petite fille fut projetée, atterrit violemment sur le sol et roula sur elle-même avant de s'immobiliser.

À demi consciente, elle sentit quelque chose lui toucher le bras, puis elle entendit une voix, lointaine d'abord, puis si proche qu'elle réalisa qu'elle était dans sa tête.

— "Lili... Lili", appelait la voix, avec dans l'intonation comme une sorte d'inquiétude.

Difficilement, elle ouvrit les paupières. Deux yeux sombres et sévères la fixaient et il lui fallut quelques instants pour voir qui était penché sur elle, quand subitement elle le reconnut !

Elle avait souvent rêvé de lui et il se trouvait là, juste face à elle. Comment cela pouvait-il être possible ? Comment une image, une voix, sorties tout droit de son imagination pouvaient-elles être aussi réelles ?

La fascination fut rapidement remplacée par la terreur quand l'Aigle se cabra brutalement au dessus d'elle en poussant un effroyable cri de douleur. Bien qu'étourdi, l'homme s'était relevé, avec difficulté, il s'était doucement approché d'eux. De toutes ses forces, il avait enfoncé profondément un couteau dans le dos de la créature.

Malgré la terrible souffrance, l'Aigle se retourna face à son agresseur qui recula devant son regard féroce. Il ne lui fallut que deux coups d'ailes pour atteindre sa cible et pas moins de temps pour le mettre à terre.

Un combat acharné s'ensuivit alors entre l'homme et l'animal et pendant un court instant, on ne put dire qui de l'un ou de l'autre avait le dessus ; un court instant pendant lequel le couteau planté dans le corps de l'Aigle se détacha et tomba sur le sol, près de Lili...

La petite fille se releva et le ramassa.

La lutte était féroce, sans répit. L'homme n'avait plus le dessus et subissait à son tour les assauts de la bête qui lui lacérait le corps à coups de bec et de serres.

Quand les parents arrivèrent sur les lieux, ils découvrirent atterrés, la scène la plus sanglante de leur existence. Un massacre se passait là, juste devant eux et ils ne bougèrent pas, figés par cette vision d'horreur. Le père réalisa que sa fille aussi assistait à cette tuerie, il se précipita sur elle et la mit à l'abri dans ses bras.

— Ne regarde pas Lili, ne regarde pas, lui dit-il rassurant.

— Il faut qu'il meure papa, se contenta-t-elle de répondre, indifférente.

Cette indifférence aurait dû le mettre en garde, mais dans le chaos du moment, il ne l'entendit même pas. La petite fille quitta ses bras pour ceux de sa mère.

Les grands-parents et Celso arrivèrent sur les lieux, détournant l'attention des parents juste quelques secondes pendant lesquelles la mère, à la demande de sa fille, la posa sur le sol ; quelques secondes pendant lesquelles, une voiture prit le chemin, en direction du drame, interrompant l'Aigle dans sa sinistre besogne, l'obligeant à prendre son envol afin de ne pas être vu par ses occupants.

La voiture approchait et le grand-père prit la parole :

— Vous me laisserez parler. Je ne veux entendre aucune de vos voix, c'est bien compris ?

Les adultes acquiescèrent d'un signe de tête car ils étaient conscients qu'ils traversaient l'instant le plus grave jamais vécu jusque là.

Alors que le bruit du moteur se faisait plus précis à mesure qu'il se rapprochait, personne ne vit Lili foncer sur l'homme à terre. D'un coup d'œil rapide, elle constata qu'il était salement amoché. Il n'y avait pas de doute, l'oiseau avait bien travaillé, mais il n'avait pas fini... Elle repéra sur le cou une entaille d'où le sang s'écoulait doucement et leva le couteau qu'elle n'avait pas lâché durant tout ce temps.

La mère fut la première à réagir et fut sur sa fille avant qu'elle n'achève son geste. Le cœur battant à tout rompre et bien qu'elle sentit la pression de la main de sa mère sur la sienne, elle poursuivit, imperturbable, ce qu'elle avait en tête. De toutes ses forces, elle enfonça entièrement le couteau dans la jugulaire de l'homme. Sa mère, qui n'avait pas anticipé la force de sa fille, ne put la contrer et l'accompagna jusqu'au bout dans son geste brutal.

L'homme succomba sous le regard satisfait de la petite fille. Un sourire mauvais avait pris place sur ce visage d'ange alors qu'elle sentait l'odeur de la mort s'imprégner en elle.

— Mais qu'est-ce que t'as fait Lili, hurla la mère complètement affolée.

Le père prit sa fille dans les bras.

— Tu n'avais pas à faire ça. Tu n'étais pas obligée de le faire, lui dit-il des sanglots dans la voix.

Dans la gravité du moment, personne ne vit que la voiture avait fait demi-tour et qu'elle reprenait rapidement le chemin en sens inverse, mais tous savaient que plus rien ne serait jamais comme avant...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top