CHAP 9
Mon sommeil fut si lourd que je n'entendis pas le réveil du premier coup. Je mis plus d'une demi-heure à émerger, découragée par ce qui m'attendait sur le stade de foot. Mais je n'avais pas le choix, je devais m'y rendre et courir à en perdre la raison.
Il faisait encore nuit, vu l'heure matinale. Les écouteurs, reliés à mon téléphone portable spécial musique, en place, je commençai mon footing. Jump fut plus raisonnable. Il s'allongea sur la pelouse et prit son mal en patience car je courus plus longtemps que le matin précédent. J'avais fait une promesse difficile à tenir mais qui en valait tellement la peine que je ne comptais pas les efforts à fournir.
Il était à peine une heure et demie de l'après-midi quand Gino se gara devant chez moi. Je me levai de la marche de l'entrée qui me servait de siège et avançai vers la voiture. Daven en sortit et me fit un signe pour m'expliquer qu'il allait chercher Kimy. Je m'installai aux côtés de Gino, qui voyant son pull toujours sur mes épaules, me fit un sourire à tomber à la renverse.
— Je t'ai ramené ton pull ! lui dis-je en souriant.
— J'ai vu ! me répondit-il sur le même ton.
Il ajouta ironique :
— On va peut être pas la refaire à chaque fois cette scène ! Dis-le carrément si tu veux le garder !
— Non, c'est juste que j'ai oublié qu'il était sur mes épaules hier soir. Il n'était pas dans mon champ de vision et je l'ai zappé !
— T'as zappé, ça oui, mais pas parce qu'il n'était pas dans ton champ de vision !
Je le regardai, l'air interrogatif, ne voyant pas où il voulait en venir.
— T'as zappé parce que t'étais trop troublée pour t'en rappeler !
Je sentis que mes joues chauffaient. Gino me prit dans ses bras et me dit :
— N'aie pas honte, c'est naturel !
Des questions m'envahirent la tête. Je voulais savoir ce que j'avais bien pu faire de si terrible, quand nous nous embrassions mais je n'arrivais plus à parler. Je tentai une diversion, pour retrouver ma voix :
— T'es arrivé tôt ! T'avais dit que tu viendrais en début d'après-midi !
— Parce que pour toi, on n'est pas en début d'après-midi ?
— Ben, c'est plutôt le début du début de l'après-midi !
Gino me regarda interdit puis, émit un sifflement :
— C'est profond ce que tu viens de dire là !
Les deux tourtereaux arrivèrent et nous partîmes, mais pas dans la direction prévue. Kimy demanda :
— On va où ?
— On va se promener ! lui répondit Daven.
— Où ça ? insista-t-elle.
— Mais arrête de poser des questions, tu verras bien !
Nous étions sortis de Mesmina et nous nous dirigions vers Rosalen. Les rues défilaient devant nos yeux et rongée par la curiosité, j'insistais à mon tour :
— Bon, dites-nous où on va ! C'est agaçant de pas savoir !
Daven répondit avec un air désespéré :
— Ouais, c'est surtout agaçant de vous faire une surprise ! Un vrai plaisir. Vous êtes pires que des gamines !
Gino finit par se garer devant la patinoire et Kimy hurla de joie.
— Alors, ça vous plaît ? demanda Daven content de lui.
Kimy se frotta les mains :
— Ben oui, que ça nous plaît, hein Lili !
Je ne pouvais qu'acquiescer. La patinoire et le bowling étaient les seules distractions accessibles le dimanche, les autres étant toutes fermées ce jour-là. Le prix étant très abordable, nous y étions allés souvent l'hiver précédent avec Falco, qui n'était alors pas encore en "vacances forcées". Et les deux frères à la patinoire, avec leurs cousins et amis, ça valait vraiment le détour. Entre crises de rire, insultes qui visaient "les gadjos", bagarres, courses poursuites sur la glace, il fallait vraiment le voir pour le croire.
Elle ne fonctionnait que du milieu de l'automne jusqu'au début du printemps et au vu du nombre de voitures déjà garées sur le parking, les garçons n'étaient pas les seuls à avoir eu envie de glisse...
L'après-midi passa bien trop vite et sur le chemin du retour je repensais à ce que Gino m'avait dit, les mots qu'il avait employés, les gestes si prévenants mais pourtant si naturels, qu'il avait eus envers moi, sa voix et toujours ses regards si intenses, si perturbants... Il ne me fuyait pas, malgré ce qu'il avait vu, malgré ce qu'il savait de moi, et je m'en voulais de ne pas réussir à lui rendre ce qu'il me donnait car comme d'habitude, je savais prendre, mais étant perpétuellement à surveiller les réactions de mon corps, le retour était plutôt faible, voir insignifiant.
Gino ne se plaignait pas. Il patientait, se contentant du peu que je lui accordais et cela me peinait car il méritait plus, et mieux. J'étais pleinement consciente que si notre relation n'évoluait pas, il finirait par se lasser et me quitter.
Aux yeux des autres, nous formions un couple tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, au même titre que Daven et Kimy. Ce n'était qu'une apparence car concrètement, rien n'était encore consolidé. Les bases de notre couple étaient très fragiles parce que Gino ne pouvait pas s'appuyer sur moi. Il lui était impossible d'appréhender mes réactions car elles étaient toujours imprévisibles. Il avançait à l'aveugle, en espérant que je le suive et de cela, il n'en n'était pas sûr du tout.
Je l'avais compris à la patinoire. Gino avait guetté mes moindres faits et gestes, surveillé les gens autour de nous, avait pris garde de ne pas trop me toucher, juste me tenir la main pour faire des tours ensembles... Il ne s'était tenu ni trop loin, ni trop près. J'étais la seule à m'en être aperçue.
Comme j'étais la seule à avoir aperçu Hélicia ! Installée dans un coin sombre de la cafétéria de la patinoire, elle nous avait observés avant de disparaître totalement.
Comme le soir précédent, Daven et Kimy s'isolèrent pour se dire au revoir devant l'entrée de sa maison, et nous, devant la mienne. Ce fut l'occasion de discuter, ce que nous n'avions pas eu le temps de faire à la patinoire.
L'atmosphère était détendue, parce que j'étais détendue. Je m'étais physiquement dépensée le matin, mais aussi l'après-midi et mon corps vide de toute énergie ne réagissait pas au contact de Gino. Alors j'en profitai pour me coller à lui et goûtai au plaisir charnel sans aucune crainte, exactement comme une personne "normale" le ferait.
— Pas de panique ? hasarda quand même Gino.
Mes yeux brillants de bonheur lui répondirent bien avant moi.
— Tu peux me dire ce que tu faisais ce matin sur le stade ?
— Comment ça ?
— Ce matin, apparemment de très bonne heure, tu faisais le tour du stade. Pourquoi ?
— Euh, pour me défouler. Ça m'aide à ne pas faire de crise quand je te vois après.
Autant lui dire la vérité quand je le pouvais. Mais je lus clairement dans ses yeux qu'il ne s'attendait pas à cette réponse.
— Tu fais ça à chaque fois ?
— Oui, quand je sais à l'avance qu'on va se voir, parce que je veux vraiment que nous deux, ça fonctionne.
— Visiblement, ça marche ton truc !
— Aujourd'hui, oui, mais hier... En parlant de ça, tu peux me dire ce que j'ai fait hier soir ?
— C'est peut-être pas une bonne idée !
J'avalai ma salive, soudainement prise d'angoisse.
— C'est gênant de ne pas savoir !
— Je pense que tu serais encore plus gênée si tu savais !
Je baissai la tête, honteuse. Il me releva le menton de sa main et me força à le regarder.
— Je te le dirai, mais un peu plus tard, quand on sera que tous les deux.
— Mais on est que tous les deux !
— On verra ça mercredi, ok ?
— Ben, je pense que j'ai pas le choix !
— Exact !
Il ne me laissa pas le loisir de discuter, il m'embrassa, un bref baiser, puis il rejoignit la voiture.
— Gino ?
— Quoi ?
— Ton pull !
— Garde-le au chaud, jusqu'à mercredi !
Rejoint par Daven, ils grimpèrent tous les deux dans l'auto et disparurent de ma vue. Kimy me cria :
— À demain ! Bonne nuit !
— Toi aussi !
...
Les deux jours qui suivirent furent pour moi l'occasion de faire une mise au point sur le début de ma relation avec Gino. Analyser le plus précisément les évènements auxquels je réagissais, afin d'essayer de comprendre et d'anticiper mes réactions, pour pouvoir les contrer, si nécessaire.
J'avais déjà compris une chose essentielle. Pourquoi avec Amin, tout s'était si bien passé, si ce n'était l'erreur qu'il avait commise avec Hélicia, alors qu'avec Gino, rien n'allait de soi ?
La raison première était très simple, je n'avais pas été franchement amoureuse d'Amin, mais de Gino je l'étais, indiscutablement. Ajouter à cela que l'approche n'avait pas été la même. Amin, je le connaissais déjà avant. Sa voix, ses manières, sa personnalité, son rire, ses colères, son odeur... Même ses mains sur moi ne me perturbaient pas car bien avant d'être avec lui, les occasions d'avoir été proches n'avaient pas manquées. Nous étions toujours ensemble et les petites bagarres amicales, les moments de complicité dans la cour du collège où tous les cinq, lorsque le temps le permettait, sur la parcelle de pelouse que nous nous étions appropriés, nous nous allongions les uns près des autres, et ce, sans aucune préférence. Le nombre de fois où j'avais été au contact d'Amin était du même ordre qu'avec Daven. Avec lui, tout avait été si simple et naturel que lors de notre premier baiser, je n'avais pas été du tout emportée par mes émotions. Avec lui, j'avais tout géré sans difficulté et j'étais restée très sage...
Mais avec Gino, c'était tout l'inverse. Il m'était tombé dessus sans crier gare. Dès le premier regard, j'avais perdu mes moyens. Sans le vouloir, il avait déclenché des émotions que je ne connaissais pas et donc que je ne maîtrisais pas. L'attirance du début s'était rapidement transformée en un sentiment tout nouveau qui m'avait complètement chamboulée. Si rien ne se passait comme avec Amin c'était parce que je n'avais pas pu m'y préparer. Tout avait été bien trop vite. La crise, survenue le soir de la grande fête, était la conséquence directe de ce chamboulement. Le problème était que je n'avais aucune solution pour calmer ce trop plein d'émotions. Me dépenser physiquement ne pouvait être que provisoire car c'était trop contraignant, pas suffisamment efficace et surtout pas pratique du tout. Quant à espacer nos rendez-vous, je n'y pensais même plus. Si être près de lui me perturbait, ne pas le voir était bien pire encore.
Il fallait que je m'habitue à lui. Que j'apprivoise cet inconnu qu'était l'amour, peut-être alors, nous pourrions pleinement profiter l'un de l'autre et avoir ce à quoi j'aspirais : une relation normale...
Le plus terrible dans tout cela, était le futur. Je ne pouvais expliquer pourquoi, mais je ne voyais pas Gino sortir de ma vie. Cela pouvait paraître prétentieux de ma part, mais j'avais cette sensation qu'entre lui et moi ce serait "à la vie, à la mort !". S'il s'avérait que cette éventualité devienne un jour une réalité, alors se poseraient bien d'autres problèmes, comme lui révéler ce que j'étais et la vie très incertaine qui en découlerait, ou les enfants que nous aurions, mais aussi et surtout, il me faudrait lui révéler l'existence des Sanguinaires !
Le seul avenir que je pouvais lui offrir était aussi noir que la couleur des plumes de Raoul et il ne le méritait pas.
Il fallait se rendre à l'évidence, avec moi, des moments simples et heureux, il y en aurait très peu. Qui voudrait d'une existence pareille ?
Si moi je n'avais pas le choix, je ne forcerais jamais quiconque à pénétrer dans mes ténèbres, quitte à finir ma vie seule...
...
Gino vint me chercher en tout début d'après midi, et cela me surprit car il était prévu que nous nous retrouvions plus tard chez Daven. Je m'engouffrai dans la camionnette et fus accueillie par son sourire à fossettes qui me faisait tant fondre. Tout naturellement, il se pencha vers moi pour m'embrasser. J'eus un moment d'hésitation, pour finalement consentir à ce baiser.
— Ne refais plus ça ! me dit-il d'un ton ferme mais en gardant son sourire.
— Faire quoi ? lui demandai-je perplexe.
— Hésiter.
— Désolée !
Alors qu'il s'apprêtait à démarrer, je lui dis :
— On n'attend pas Kimy ?
— Non, me répondit-il, comme si c'était évident.
— On va pas la laisser aller jusque chez Daven à pied ?
— Eh ! Je suis pas son mec à Kimy. Si elle a besoin d'aller quelque part, elle voit ça avec lui ! argua-t-il en démarrant la camionnette.
Devant l'intonation ferme de sa voix, j'ajoutai en murmurant :
— Je disais ça, parce que vu que c'est le même trajet, c'est un peu ridicule de pas la prendre, c'est tout. Mais bon, je dis ça moi mais je dis rien...
— C'est pas le même trajet !
— Ah ! On va pas chez Daven ?
— Non, on a autre chose à faire !
— Et on va faire quoi ?
— Passer du temps ensemble !
Je me raidis.
— Euh, que tous les deux ?
— Oui, chérie ! affirma t-il moqueur.
Je réagis aussi sec :
— On peut pas faire ça !
— Quoi ?
— C'est pas une bonne idée !
— Ça y est, elle panique !
— J'ai pas couru ce matin, j'étais en cours, j'ai pas pu...
— Ok ! Je te ramène chez toi alors !
Il pila d'un coup sec et entreprit de faire demi-tour.
— Mais c'est du chantage ! protestai-je.
— Ouais !
Je plongeai sur le frein à main et le tirai vers moi. La secousse de l'arrêt brutal nous fit faire un bond en avant et Gino, surpris, lâcha la pédale d'embrayage faisant caler la camionnette. Puis, comme s'il avait gagné notre petit duel, je capitulai :
— C'est bon... va pour tous les deux !
Ce fut avec un agaçant sourire victorieux qu'il redémarra la camionnette.
— Mais c'est pas honnête ! lâchai-je en faisant une moue de mauvaise perdante.
— C'est parce que j'suis pas honnête !
— Et on va où ?
— Sur le terrain de foot, juste au cas où t'aies un besoin urgent de courir !
Je ne relevai pas. Il était plus fort que moi à ce jeu là.
Une fois de plus, le temps passa trop vite. Notre conversation était banale, et cela me convenait parfaitement. Éviter tout dérapage, était ma priorité. Pourtant, j'avais l'impression que cela ne passionnait pas Gino. Je me décidai à prendre quelques risques et lui demandai :
— Qui t'a dit que j'étais sur le terrain de foot, l'autre matin ?
— Lindo !
— Et qu'est-ce qu'il y faisait à cette heure là ?
— Je crois qu'il rentrait de boîte ! me répondit-il en baillant.
Je continuai dans la foulée et lui posai la question qui me taraudait depuis un moment :
— Tu peux me dire ce que j'ai fait la dernière fois qu'on s'est... embrassé ?
— Tu y tiens vraiment ? s'enquit-il.
— Franchement, oui et non. Je veux savoir, et en même temps... j'ai peur de ce que tu vas m'apprendre.
Gino prit sa respiration et posa ses yeux sur moi.
— Disons que tu as été un peu entreprenante.
Je pâlis, n'étant plus très sûre de vouloir entendre la suite. Il s'en aperçut et me prit la main en ajoutant :
— Que ce soit clair, c'était pas pour me déplaire, loin de là, mais c'était pas le bon endroit, ni le bon moment.
Horrifiée par ce que j'entendais, je lui dis d'une petite voix :
— C'était à ce point là ?
— Ben, tu n'étais pas toi-même...
— Comment ça ?
— Tes yeux. J'avais l'impression que ce n'était pas toi qui me regardais. Tu étais comme possédée.
— Ah bon !
— Oui, je pouvais te parler, te secouer, te menacer, y'avait rien à faire, tu m'entendais pas et tu me voyais pas...
"C'est parce que j'étais partie loin..." songeai-je.
— Tu veux continuer ?
J'opinai de la tête. Gino se frotta les mains sur son jean et s'il reprit, ce fut avec moins d'assurance.
— Bon, on va commencer par le garage.
Puis tout en se replaçant, il ajouta, mais plus bas :
— Je pense que c'est le moins dur à expliquer...
Et là, il m'inquiéta :
— En fait, tu m'as sauté dessus !
— Je t'ai fait mal ? lui demandai-je très embêtée.
— Je ne crois pas. Enfin, j'en sais rien du tout. Donc, tu m'as sauté dessus et après, tu m'as collé au mur. Bon, je te passe les détails sur ce qu'on faisait, je pense que tu comprends...
Je ne pouvais pas ne pas comprendre...
— ... Le truc, c'est que tu ne t'arrêtais plus et que n'importe qui aurait pu nous surprendre et comme je n'arrivais pas à te faire entendre raison, je t'ai fait croire que j'allais chercher mon oncle et tu t'es calmée direct.
— "Bon, jusque là, y'a pas trop de dégâts !" pensai-je. Continue, s'il te plaît, ajoutai-je très sérieusement. Dis-moi ce que j'ai fait après.
Re-frottage de mains, repositionnement dans le siège et petit coup d'œil fuyant dans ma direction.
— C'est là que tu as été un peu entreprenante...
Le début ressemblait sensiblement au précédent. Sauf que Gino était de plus en plus mal à l'aise et qu'il me transmettait son stress.
La suite devint vraiment gênante et pas que pour moi. Plus Gino racontait, et plus il s'embrouillait dans le déroulement de la scène. Et plus il s'embrouillait, plus il s'énervait.
Je stoppai son supplice. Il m'en avait dit suffisamment pour que je puisse me faire une idée bien précise sur ce qu'avait pu être mon comportement ce jour là. Et ce n'était pas glorieux du tout car là encore, j'avais reproduit exactement les images torrides qui m'avaient envahi le cerveau.
Gino jugea utile d'en ajouter une couche, et bien épaisse celle-là :
— Bref, si je t'ai arrêtée dans ton élan, c'est parce que j'ai vu le moment où... t'allais t'en prendre à ma ceinture !
— GINO ! m'offusquai-je !
— Ah ben t'as voulu tout savoir, au moins, maintenant tu sais ! me dit-il sur un ton empli d'excuses.
J'avais besoin d'un énorme bol d'air. Je sortis précipitamment de la camionnette et m'étalai brutalement sur le sol comme une crêpe.
La tête de Gino apparut dans l'encadrement de la portière restée ouverte et il s'écria :
— Eh, t'es pas dans une auto ! La marche, elle sert pas qu'aux manouches ! C'est bon aussi pour toi, espèce de gadjie, va !
Je me relevai péniblement avec une folle envie de lui tordre le cou.
Puis subitement je me mis à pleurer comme une madeleine. Gino, surpris par ma réaction, fut près de moi en un bond. Il ne me posa pas de question et me prit dans ses bras. Il s'adossa à la camionnette, et nous restâmes un long moment dans cette position. Par précaution, j'éloignai mon nez de son torse afin de ne pas être emportée par son odeur car à la vue de ma fragilité mentale du moment c'était courir le risque de partir en vrille et je ne le souhaitais évidemment pas.
Ce qu'il m'avait révélé était très embarrassant, mais le plus surprenant était ces images qui se glissaient dans ma tête et qui prenaient possession de mon corps. Les seules fois où de tels faits s'étaient produits avaient toujours été en corrélation avec les animaux, et plus précisément, avec la souffrance qu'ils ressentaient. Mais là, il n'y avait ni l'un, ni l'autre et je ne l'expliquais pas. J'étais complètement déstabilisée !
J'avais trop besoin de Raoul. Lui seul pouvait m'expliquer ce qui n'allait pas chez moi. J'étais pratiquement certaine que le simple fait d'avoir débloqué mon cœur, lors de mon dernier entraînement à Abraysie, n'était pas étranger à ma conduite peu conventionnelle.
Il devenait urgent que je le retrouve, sinon je ne donnais pas cher de ma santé mentale, ni de ma relation avec Gino.
Sans le regarder, je lui dis avec des sanglots dans la voix :
— J'y arrive pas. Je t'ai fait une promesse que je ne peux pas tenir. J'ai vu trop gros. Je suis désolée...
Il soupira puis me dit :
— La promesse était d'essayer, pas d'y arriver et c'est ce que tu fais, non ?
— Joue pas avec les mots. Le but c'est quand même d'y arriver et, j'y arrive pas !
— Moi, je trouve que tu te débrouilles pas si mal.
— Mais je foire tout et tout le temps ! Je peux pas t'imposer de vivre comme ça. Je sais que ça va pas durer...
Je pensais à la transformation, la dernière étape de mon initiation, celle qui me délivrerait de tous mes maux et me permettrait d'avoir enfin une vie normale...
— ... Mais en attendant que ce jour là arrive, je ne peux pas t'obliger à subir mes coups de folie.
— De quoi tu parles ?
— Écoute, je vais te dire quelque chose qui ne va pas forcément te plaire. Je te demande de ne pas te fâcher, s'il te plaît, d'accord ?
Il accepta d'un signe de tête et j'enchaînai :
— Quand j'étais avec Amin...
Son visage se ferma radicalement.
— Je savais que ça ne te plairait pas, lui dis-je confuse, mais laisse-moi continuer, tu vas comprendre. Ce n'est pas une comparaison entre lui et toi que je fais, mais entre la relation que j'ai eue avec lui et la nôtre.
Il ne répondit pas et je repris :
— Durant tout le temps où nous étions ensemble, pas une seule fois je n'ai mal agi, pas une seule fois je n'ai été prise de panique comme je le suis avec toi. Pas une seule fois, je n'ai eu peur de le décevoir comme j'ai peur de te décevoir. Je me posais pas de question. Tout était clair dans ma tête. J'étais avec lui et c'était tout. Les jours où je ne le voyais pas, c'était pas grave parce que je savais que je le verrai plus tard. Quand j'ai découvert qu'il était sorti avec une autre, je n'ai pas réagi exagérément, au contraire, j'ai tout arrêté sans faire d'histoire. Aujourd'hui, je peux dire que je lui ai pardonné et que je ne lui en tiens plus rigueur. Pourtant, cela m'a fait beaucoup de mal.
Je fis une pause, et en regardant Gino, je lui avouai ce que je ressentais vraiment :
— Ce que j'essaie de te dire, enfin là où je veux en venir... C'est que je sais pourquoi c'est si différent entre lui et toi.
Je le savais en partie seulement car pour le reste, ce serait Raoul qui éclairerait mes lanternes...
— Si j'avais été trahie par Daven, je n'aurais pas réagi différemment. Je pense que si avec Amin c'était si simple alors qu'avec toi c'est si compliqué c'est que les sentiments ne sont pas du tout les mêmes...
Le petit sourire en coin qu'il eut à l'énoncé de mes derniers mots était très révélateur. Il attendait depuis longtemps que je me confie à lui sur des choses qui m'étaient très personnelles, comme ma mère, ou mon frère. Je commençais par lui, c'était déjà un bon début...
Je me sentis soulagée d'un énorme poids. J'avais réussi à lui parler de ce que j'avais, en partie, sur le cœur et j'eus l'impression que si je prenais mon élan pour m'élancer vers le ciel, je partirais très haut pour atterrir encore plus loin !
— Tu vois que t'y arrives finalement ! me dit-il avec son si beau sourire à fossettes.
Puis, redevenant sérieux, il me prit une mèche de cheveux qu'il fit tourner entre ses doigts.
— Si je t'ai amenée ici, c'est parce que j'avais quelque chose à te dire.
Il lâcha la mèche et détourna son regard vers les gradins du stade, face à nous.
— Je vais partir !
Mon cœur, qui s'était pourtant tenu tranquille jusque là, se mit à tambouriner violemment.
— Partir... pour tout le temps ? lançai-je subitement inquiète.
Il me sourit et reprit la mèche de cheveux :
— Arrête de paniquer, me sermonna-t-il gentiment. C'est juste pour quelques jours !
— Fallait le dire tout de suite ! le repris-je, en portant ma main au cœur. Combien de jours ?
— Je pars demain, avec Lindo, et j'espère être revenu dimanche.
— Pourquoi tu t'en vas ?
— Une affaire à régler. Je peux plus repousser, il faut vraiment que j'y aille. J'ai pas le choix !
— Une affaire de quel genre ?
— Du genre qui ne te concerne pas, Princesse !
— C'est pas à cause de moi que tu as repoussé ton départ ?
— Là, tu es un peu trop curieuse !
— Tu m'appelleras quand même ?
— Je t'appellerai.
Une idée me vint alors. Et si moi aussi je partais ce week-end ! Autant profiter de son absence pour voir Raoul et peut-être aurait-il une solution qui nous permettrait, à Gino et à moi, de vivre notre relation en toute sérénité. Tout serait tellement plus simple...
Convaincre mon père ne serait pas difficile, mais il y avait un hic, et pas n'importe lequel ! Kimy serait avec moi. Sans le vouloir, elle me compliquait sérieusement la tâche ! Mais repenser à la joie qu'elle avait exprimée lorsque je lui avais annoncé qu'elle ferait partie du prochain voyage, me fit réaliser que je ne pouvais pas l'en priver. Elle attendait ce moment depuis bien trop longtemps déjà et je la savais pressée d'y être...
Tant pis, je composerai avec elle, il le faudra bien !
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