CHAP 8
Mes journées avaient repris un rythme normal avec des réveils difficiles, des trajets en bus monotones, des heures de cours interminables... Les seuls moments où je leur trouvais un intérêt étaient ceux durant lesquels j'échangeais des SMS avec Gino dans la journée et le soir, des appels téléphoniques.
À chaque fois que mon portable sonnait, mon cœur s'emballait et mes mains étaient prises de tremblements. Mais quand il restait silencieux, je m'inquiétais et passais mon temps à vérifier qu'il ne s'était pas éteint.
Bien que Gino me manquait, j'appréhendais de le revoir car je ne savais pas comment mon corps allait réagir. La coupure d'une semaine aura-t-elle été bénéfique ? Aura-t-elle été trop longue ? Serons nous obligés de tout reprendre à zéro ?
Le doute était bien présent et je me rongeais les sangs quant à l'issue incertaine de nos retrouvailles.
J'enviais Kimy, pour qui tout allait bien dans le meilleur des mondes. Elle broyait du rose à longueur de temps et papillonnait autour de nous en nous donnant l'illusion que son centre de gravité avait disparu. Elle flottait dans sa bulle, nous abandonnant, Fati et moi, à notre triste sort de collégiennes.
J'enviais aussi son insouciance, cette relation facile qu'elle entretenait avec Daven, car eux, ils étaient déjà un couple. Ils renvoyaient l'image d'un "nous" solide, d'un "nous" qui ne faisait qu'un, et je ne pouvais pas en dire autant de Gino et moi qui nous connaissions à peine.
Mon incapacité à gérer efficacement mes émotions nous compliquait la tâche, j'en étais plus que consciente. Pourtant, lorsque je repensais au long moment d'intimité que nous avions eu dans la maison, après la crise, et lors de notre échange, un peu musclé, derrière le garage, je ne pouvais pas ne pas y croire un peu.
Kimy m'avait questionnée sur ma nuit avec Gino, dès le lundi matin. Elle avait voulu tout savoir, jusqu'aux détails "croustillants". La pauvre, elle avait été bien frustrée. Je n'étais pas décidée à en parler, c'était trop nouveau pour moi, et bien trop précieux pour déjà avoir envie de partager quoi que se soit. Je n'étais pas prête pour cela.
Elle ne me jeta pas la pierre pour autant car elle avait compris. J'avais quand même eu droit au récit de sa nuit mouvementée avec Daven.
— Elle a été horriblement horrible ! m'avait-elle dit. Quand t'es partie, il a attendu un bon moment, et comme tu ne revenais pas, il est sorti voir ce que tu faisais. Il t'a vue dans la cuisine avec Gino par la fenêtre, et là, il s'est dit que t'étais pas prête de revenir parce que t'étais sûrement en train de régler "l'affaire urgente" dont, à ce qu'il dit, tu avais parlé en sortant de la caravane. Donc il a pris ta place. Quand tu nous as réveillés, ça lui a déclenché un mal de tête, c'est là que la galère a commencé, pour lui, comme pour moi. Il a vomi presque tout le reste de la nuit. Et le matin, il a eu la dalle ! En même temps, c'est normal, il avait vraiment plus rien dans l'estomac. Alors, comme tout le monde dormait encore, il est sorti pour casser la croûte. Pour ne pas vous réveiller, toi et Gino, il a pris tout ce qu'il pouvait et il est revenu dans la caravane. Il s'est empiffré comme un fou, pour tout revomir...
— Et ben, elle a été romantique votre nuit ! avais-je relevé. Et pourquoi tu t'es retrouvée dans la couchette de Daven ?
— Passe une nuit avec lui quand il dégueule toutes les cinq minutes... Franchement, le bruit et l'odeur, c'était une monstruosité. Ça m'a saoulée, alors j'ai changé de couchette et ouvert la fenêtre. Quitte à choisir entre l'odeur et avoir froid, j'ai préféré me les geler !
— Ben ma pauvre ! V'là le tue-l'amour le Daven !
— C'est rien de le dire. Il faut le vivre pour le croire ! J'peux t'dire qu'il était tout péteux quand on s'est réveillés. Il m'a promis au moins quinze fois de suite qu'il ne boirait plus !
Finalement, si j'analysais nos nuits à toutes les deux, la mienne avait mal commencé, mais s'était très bien terminée, et celle de Kimy avait bien démarré, mais très mal fini...
Comme moi avec Gino, elle n'avait pas revu Daven de la semaine, alors ce fut avec un air rempli de sous-entendus que le vendredi elle me demanda :
— Alors, prête pour demain ?
— Honnêtement, j'ai un peu peur...
— Pourquoi ? Vous avez été en contact toute la semaine, y'a pas de raison que ça ne se passe pas bien !
— Je sais, mais c'était au téléphone ! Je ne l'ai pas revu depuis dimanche et ça fait déjà cinq jours ! Tu te rends compte que je le vois demain et que demain, ben c'est déjà demain ! lui dis-je anxieuse.
— Oui, là, je suis d'accord avec toi, demain, c'est demain, ça, y'a pas de doute !
— Eh ! Te fous pas de moi ! Je veux dire que demain, c'est dans un jour seulement...
Puis, la regardant droit dans les yeux, je lui fis un aveu :
— Je suis morte de trouille Kimy...
Elle tenta de me rassurer :
— Mais non, ça se passera bien, il n'y a pas de raison ! Tu te prends trop la tête. Laisse faire les choses, et arrête d'angoisser !
— Facile à dire...
Elle ne pouvait pas imaginer à quel point je voulais qu'elle ait raison. J'étais différente d'elle, et par conséquent, je ne pouvais concevoir le futur aussi simplement, à mon grand désespoir !
...
Ce fut avec la boule au ventre que je me réveillai. J'avais très mal dormi, tourmentée à l'approche du jour J. Pour me faciliter la tâche, j'avais pris les devants en avertissant Gino, par SMS, des peurs qui me tenaillaient. Je ne voulais pas le décevoir, ni qu'il se fasse d'illusions sur nos retrouvailles et, comme Kimy, il m'avait répondu que tout se passerait bien. Ben voyons, à croire qu'ils s'étaient donnés le mot !
Loin d'être rassurée, j'enfilai mon survêtement, mis les écouteurs de mon téléphone portable spécial musique, et sans faire de bruit, descendis les escaliers. Suivie de Jump, je sortis de la maison. Rien de tel qu'un bon footing pour m'éclaircir les idées. Mais ce que je voulais surtout, c'était épuiser mon corps, le vider de son énergie, afin d'être la plus sereine possible devant Gino.
Le stade de foot était grand, presque autant que le terrain où je m'entraînais avec Raoul. Pleine de courage, je courus jusqu'à l'épuisement, et lorsque la volonté m'abandonnait, je regardais les photos que j'avais prises de Gino. Elles n'étaient pas formidables car trop sombres, en plus, il dormait, m'empêchant de voir ses beaux yeux. Mais cela me suffisait pour repartir dans une course que je voulais toujours plus éreintante.
Au bout de deux heures, j'abandonnai. N'ayant plus de force pour courir, je rentrai chez moi. Jump n'était pas plus brillant. Il me suivait de loin, la langue pendante et malgré mes encouragements, il avait vraiment du mal à mettre une patte devant l'autre. Je lui lançai :
— Hé ! Jump ! Voilà ce que ça donne de jouer dans la cour des grands ! Tu ne peux pas me battre, ni même m'égaler, rappelle t'en pour la prochaine fois !
J'eus la nette impression qu'il m'avait comprise, car il releva la tête et passa devant moi, avec un air hautain. Je ris de bon cœur et le suivis jusqu'à la maison.
Après un passage plus que nécessaire sous la douche et un petit déjeuner mérité, je remontai dans ma chambre afin de m'habiller, et là, ce fût très rapide. Je pris des vêtements dans lesquels je savais que je serais à l'aise. Un jean, un pull col roulé, puis je posai mon cadeau d'anniversaire des Dhoms sur mon lit pour être sûre de ne pas l'oublier en partant, pas question d'affronter encore le froid, comme la fois dernière !
À côté de la veste, je mis le pull de Gino, lavé et repassé. Lui rendre n'était pas pour me plaire, mais il n'y avait plus son odeur dessus et c'était elle qui me manquait !
Pour passer le temps, je m'avançai dans mes devoirs. Bien que je ne fusse pas du tout encline à travailler efficacement, ma concentration était loin d'être au maximum de sa capacité, je réussis pourtant à tout faire.
Pendant le déjeuner, je ne parlai pas et je ne vis même pas ce que j'avalai. Mon esprit était occupé à imaginer différents scénarios de retrouvailles. Scénarios qui s'avéraient catastrophiques, car je n'arrivais pas à envisager de fin heureuse.
— Tu sors aujourd'hui ? me demanda mon père.
Il me fallut quelques secondes pour revenir au repas et comprendre que c'était à moi qu'il s'adressait.
— Oui !
— Tu vas faire quoi ?
— Je vais chez Daven !
— Et tu rentres à quelle heure ?
— Je sais pas. On va sûrement dîner chez eux avec Kimy.
— Et c'est son père qui vous ramène ?
— En principe !
— Si tu ne rentres pas, tu me préviens, d'accord ?
— Comme d'hab, papa !
Le repas terminé, je récupérai les affaires que j'avais disposées sur mon lit pour les emmener chez Daven, et vérifiai que j'avais bien mon portable et mon MP3 dans la poche de ma veste. Je pouvais enfin rejoindre Kimy chez elle. Il était temps, je commençais sérieusement à étouffer chez moi. Je fis une petite caresse à Jump pour lui signifier mon départ, qui interrompit son profond sommeil. Il n'avait pas récupéré des efforts fournis pendant la balade du matin. Il ne releva pas la tête, juste les yeux, qu'il referma aussi vite. J'étais sûre qu'il n'embêterait pas mon père durant mon absence, il était bien trop fatigué !
...
Kimy sortait de chez elle en même temps que je franchissais le seuil de ma maison. Elle me fit des grands gestes pour me prévenir qu'elle était là. Comme si je pouvais la louper !!! Pendant qu'elle me rejoignait, je mis le pull de Gino sur mes épaules, par-dessus ma veste, et nouais les manches autour de mon cou, pour le maintenir bien en place. Une demi-heure de marche nous attendait, et j'en étais contente, car un petit surplus d'efforts ne pouvait que servir ma cause. J'espérais vraiment que toute l'énergie que j'avais réussie à évacuer le matin même me permettrait d'avoir des réactions somme toutes normale et de passer un moment sans souci avec Gino.
Plus nous nous rapprochions, plus mon cœur battait fort, cela n'était pas rassurant. Pour me donner du courage, je pris la main de Kimy et la serrai très fort. Surprise, elle tourna la tête vers moi et dut voir mon angoisse sur mon visage. Sans un mot, elle répondit à mon appel silencieux en serrant à son tour ma main.
Nous marchâmes ainsi jusqu'au portail où Kimy s'arrêta pour me faire face. Elle me prit les deux poignets et les balança doucement :
— Allez, respire un bon coup, détends-toi et tout ira bien, me dit-elle en joignant le geste à la parole.
Je m'exécutai, plus pour lui faire plaisir que parce que j'y croyais.
D'un œil qu'elle voulut expert, elle m'examina et ajouta :
— Voilà, ça devrait suffire. Allez, un peu de courage, on y va !
Nous franchîmes le portail, côte à côte, d'un pas décidé pour l'une, beaucoup moins pour l'autre...
Le va-et-vient allait bon train chez Daven. Les enfants couraient, criaient, chahutaient, partageaient des jeux qu'eux seuls pouvaient comprendre. Quant aux adultes, ils vaquaient chacun à leurs occupations. Certaines femmes nettoyaient leurs caravanes, d'autres rangeaient leurs courses. Des hommes coupaient du bois ou, en mécaniciens avertis, avaient les mains noires de cambouis pour les avoir aventurées dans les entrailles d'une voiture.
Le terrain des Dhoms avait pris l'allure d'un campement où chacun faisait sa vie suivant les envies et les besoins du moment.
Nos pas nous emmenèrent vers la maison, car au dehors, les garçons n'étaient pas visibles. Kimy pénétra à l'intérieur en premier, et pour être sûre que je ne me défile pas, me reprit la main et m'entraîna dans son sillage.
L'intérieur était réaménagé comme avant la fête. Chaque meuble avait retrouvé sa place. Nellita et Zéline, étaient assises dans la cuisine, accoudées sur la table devant un café. La grand-mère était aux côtés de sa fille, et deux jeunes adolescentes, qui devaient approximativement être du même âge que nous, les accompagnaient. L'une avait des yeux et un regard qui me rappelaient ceux de Gino.
Nellita nous accueillit chaleureusement, comme à son habitude, et nous invita à les rejoindre. Tout en approchant de la table, je jetai des coups d'œil rapides dans le reste de la pièce et vis des hommes installés à la table de la salle à manger, et d'autres assis sur la banquette, occupés à regarder la télévision. Mais pas de Gino à l'horizon. Déçue et rassurée en même temps, je contournai la table de cuisine et embrassai tour à tour les femmes présentes pour les saluer. Quand je fus proche de Zéline, je me sentis ridiculement petite. Elle m'impressionnait en tant que mère de Gino mais aussi parce que son regard scrutateur se posait souvent sur moi et me mettait mal à l'aise.
Nellita nous présenta les jeunes filles. La plus âgée se prénommait Jeany et la plus jeune, Livie. C'était cette dernière qui ressemblait le plus à son frère. Puis elle s'enquit sur la semaine que nous avions passée et je laissai lâchement Kimy entretenir la conversation que je n'arrivais pas à suivre. J'étais constamment sur le qui-vive, à surveiller la porte d'entrée et un rien me faisait tourner la tête vers celle-ci, entraînant sans retenue mon cœur dans une folle danse incontrôlable.
Quand, enfin, Kimy se lança et demanda où étaient les garçons :
— Ils sont partis faire une course, ils devraient pas tarder, répondit Nellita.
Et elle ajouta, à mon attention :
— On t'entend pas aujourd'hui, Lili, t'es malade ?
Le plus naturellement possible, je lui sortis une excuse qui me paraissait plausible et qui n'était pas très loin de la réalité.
— Non, plutôt fatiguée !
Le bruit grandissant d'un scooter relança mon cœur dans sa danse endiablée. Le deux roues s'arrêta entre la fenêtre de la cuisine et la porte d'entrée. Au travers de la première, je crus voir la moitié d'un cuir noir, trop vite pour réellement être sûre que c'était celui que portait Gino, le reste étant caché par l'encadrement. La poignée de la porte d'entrée bougea une première fois, puis s'immobilisa. Retenant mon souffle, je la fixai au point que ma vue se brouilla. La porte s'ouvrit enfin, laissant apparaître Daven chargé d'un pack de sa boisson favorite. Kimy, loin d'être ravie lui lança :
— C'était pour ça les courses ?
La surprise se lut sur le visage visé par la remarque.
— T'es déjà là, toi ? Je te manque à ce point ? lui répondit-il sur un ton moqueur.
Elle croisa ses bras sur sa poitrine :
— Ben apparemment, ce n'est pas ton cas. T'as l'air de très bien te passer de moi ! lui rétorqua-t-elle pleine de reproches, en fixant ce qu'il portait.
Nellita se mêla à la conversation en la soutenant :
— Tu crois peut-être pas que tu vas nous faire ce coup là tous les week-ends, non ? Ça t'a plu d'être malade pendant toute une nuit ?
Daven posa son chargement sur le plan de travail de la cuisine et, sur la défensive, tenta de se justifier.
— Eh ! C'est quoi cette révolte féminine ? C'est pas pour moi, qu'est-ce que vous imaginez ? C'est pour le tas de fainéants là-bas ! dit-il en désignant d'un signe de tête les hommes qui étaient dans la même pièce que nous.
Une grosse voix dans le fond se fit entendre :
— Eh, c'est qui que tu traites de fainéant ?
— Toi et lui, lui, lui, lui et aussi lui ! dit-il en les désignant tour à tour du doigt. D'ailleurs, pour me dédommager d'avoir fait le larbin, je m'en prends une !
Il se servit et glissa une bouteille dans sa poche, puis relevant les épaules, il continua :
— Vous pouvez aussi vous servir, Mesdâââmes ! C'est pour tous ceux qu'en voudront. Ça va peut-être vous étonner, mais je sais partager !
Puis, de sorte que les hommes au fond de la salle n'entendent pas, il ajouta :
— Surtout quand c'est pas à moi...
Posant un regard malicieux sur sa belle, il lui demanda :
— C'est bon, ça te convient juste une pour toute la soirée, t'es rassurée ?
— Zéro, c'est pas mal aussi ! lui répondit-elle sans le regarder.
— Elle est jamais contente celle-là. Pfft, c'est déprimant...
Alors qu'il s'éloignait du plan de travail, il revint sur ses pas et dit :
— Faut quand même que j'en prenne une pour le cousin, il était avec moi !
Et pendant qu'il replongeait sa main dans le carton, la grosse voix se manifesta de nouveau :
— Te gêne pas, prends tout tant que tu y es !
— Me tentez pas les gars, me tentez pas... prévint-il en sortant de la maison.
La mère de Gino regarda Kimy et, souriante, s'adressa à elle :
— Et c'est que le début ! T'es pas au bout de tes peines...
Mon cœur se réactiva quand ses yeux dévièrent sur moi.
La porte d'entrée se rouvrit, me faisant sursauter. Daven y passa la tête et nous lança :
— Ben vous venez, ou vous comptez passer la journée assises à commérer ?
Nous sortîmes de la maison, et Daven nous entraîna derrière le garage, au fond du terrain où se trouvaient déjà quelques garçons, réunis autour d'un poste radio et... d'un pack de bière.
— Ben oui, comme ça, ils viennent pas nous surveiller toutes les cinq minutes et on a la paix !
La musique qui sortait du poste ne laissait aucun doute quant à celui qui l'avait choisie. Il s'agissait du chanteur de rap, Seth Gueko (1), l'idole de Daven. Il avait tous ses albums et ne ratait jamais une occasion de l'écouter, ni de nous en faire profiter...
Gino était là, vêtu de son cuir noir, il était assis sur un rondin de bois. Son regard moqueur me fixait, et mon cœur, qui s'était fait un peu oublier, se rappela à mon bon souvenir.
À ses côtés, deux garçons l'entouraient, ce qui m'empêchait de me mettre près de lui. Du coup, je ne savais pas comment réagir. Raide comme un piquet, je ne bougeai pas et j'essayai de réfléchir sur ce qu'il fallait que je fasse. Je regardai Kimy et Daven qui s'étaient déjà assis à même le sol et me sentis soudain très bête. J'avais besoin d'aide quant à l'attitude à adopter et il fallait que je réagisse vite, avant de me ridiculiser complètement.
Ce fut Gino qui me sortit de l'impasse en s'adressant à un des deux garçons proches de lui :
— Lindo, soit galant pour une fois, laisse ta place à Lili !
L'intéressé, surpris, me dévisagea puis se tournant vers Gino, comprit soudain pourquoi c'était lui qui avait le devoir de galanterie. De bonne grâce, il se leva et m'invita à prendre sa place.
— 'pêche-toi ! Elle est encore chaude ! me précisa-t-il.
Passant devant lui, je le remerciai et obtempérai. Les yeux rieurs de Daven se régalaient, il n'était pas très difficile d'imaginer ce qu'il pensait. Mon manque d'initiative l'amusait, cela ne faisait aucun doute, car pour une fois ce n'était pas lui qui était en difficulté.
Je jetai un rapide coup d'œil en coin à Gino. Nos regards se rencontrèrent et, mal à l'aise, je reportai le mien sur mes chaussures. Je souris devant le ridicule de la situation et n'osai plus le regarder. Il me demanda, presque en murmurant pour que personne ne prenne part à notre conversation :
— T'as passé une bonne semaine ?
Fixant toujours le sol, je lui répondis de sorte qu'il comprenne mon sous-entendu :
— Elle a juste été un peu trop longue...
Je relevai la tête, pour vérifier qu'il avait saisi ce que je voulais dire, son sourire entendu me rassura.
Rebaissant la tête, je vis les manches de son pull qui se balançaient dans le vide. Je l'avais complètement oublié et réalisai soudain que j'avais peut-être trouvé la raison des regards inquisiteurs de Zéline.
Contente de pouvoir prendre la parole, je lui dis :
— Je t'ai ramené ton pull !
— J'ai vu !
Le silence qui s'installa entre nous deux m'embarrassait. Je doutais. Et si, malgré tous les efforts que j'avais faits le matin, je n'arrivais pas à canaliser mes émotions ? Comment pourrais-je espérer avoir une relation normale ?
Raoul croyait en moi, mais mon manque d'assurance en cet instant précis, me fit penser qu'il ne serait pas très fier de son élève. Que pouvais-je bien y faire ? Je ne connaissais pas de solution miracle à part celle de me battre contre moi-même, encore et toujours, jusqu'à ce que la transformation me libère.
Je soupirai, découragée par mes sombres réflexions. Gino l'entendit et me proposa d'aller faire un tour. J'opinai de la tête, sans pour autant être convaincue que cela changerait quelque chose à mon état d'esprit.
Il interpella Daven :
— Passe-moi les clefs de ton scooter !
— Pour quoi faire ?
— J'ai un truc à faire, il me faut ton scooter !
— Ben j't'emmène si tu veux !
— C'est gentil de ta part cousin, mais je préfère quand même la compagnie de Lili !
Daven se releva subitement. Il ne prêtait jamais son scooter et je me demandai si Gino parviendrait à réussir cet exploit.
— Attends ! Ça se prête pas comme ça un scooter ! C'est précieux, ça peut casser si on n'en prend pas soin ! Et d'abord, pourquoi tu prends pas ton camion ?
— Parce qu'il est coincé, j'peux pas le sortir !
— Et ta voiture ?
— Pareil.
— Ah ! Ben c'est dommage, mais j'peux rien faire pour toi !
Gino ne lâcha pas prise pour autant :
— Arrête de faire ton radin. Passe-moi les clefs !
— Mais certainement pas ! Déjà, y'a pas si longtemps, quelqu'un dont je ne citerai pas le nom...
Il n'avait pas besoin, il avait dirigé son regard dans ma direction et me dévisageait exagérément...
— ... A bien failli me le démolir, alors c'est hors d'question qu'il bouge de là !
Lindo nous sortit de ce mauvais pas, en lançant les clefs de sa voiture à Gino et nous pûmes enfin partir.
— Et on va où ? demandai-je en bouclant ma ceinture de sécurité.
— Je sais pas encore, t'as une idée ? Tu connais mieux le coin que moi !
— Attends, je réfléchis !
Je n'avais pas d'argent et sans argent, il n'y avait pas grand-chose à faire dans les environs. Je lui proposais d'aller sur les bords de la rivière.
— T'as pas autre chose, comme idée ? Un endroit un peu plus chaud ?
Instinctivement, je m'étais raidie en entendant sa dernière phrase. Inquiète, je lui demandai :
— Euh, tu penses à quoi ?
Il arrêta brutalement la voiture sur le chemin et se tourna vers moi.
— Pas à ce que tu penses en tout cas !
À cause de mon manque d'assurance et de mon attirance envers lui, j'avais une fâcheuse tendance à mal interpréter ses paroles. Je percevais des sous-entendus là où il n'y en avait pas. Cela commençait sérieusement à l'agacer.
— Écoute Lili, j'ai compris ce que tu m'as expliqué et aussi ce dont tu as peur. Mais si on ne passe pas un peu de temps ensemble, on n'avancera pas !
— C'est que, la dernière fois...
Je n'arrivais pas à parler de notre échange, c'était trop délicat et délirant.
— La dernière fois, il n'y avait que nous deux. C'est pour ça que je pensais plus à un bar ou à un endroit où il y a des jeunes, bref, où il y a du monde !
— Le kebab, si tu veux, tentai-je pitoyablement.
— Va pour le kebab, on l'a pas encore fait celui-là ! dit-il en se détendant un peu.
Il appuya sur la pédale d'accélération et nous repartîmes dans un crissement de pneu.
...
Assis l'un en face de l'autre, accoudés à la table devant nos boissons, je constatai que je pouvais soutenir son regard sans que mon cœur ne défaille. Finalement, mes efforts n'allaient peut-être pas être vains ! Reprenant confiance en moi je lui demandai de but en blanc :
— Et toi, ta semaine, elle a été comment ?
Son sourire enjôleur me fit fondre. En moi-même, je pensai :
"Non, Lili, ne craque pas ! Reprends-toi ! Ne gâche pas tout !"
— Comme toi, longue, me répondit-il d'un air songeur.
— Et qu'est-ce que t'as fait ?
Il m'expliqua en trois mots ce qu'il avait fait avec Daven et les autres, comme aider à remettre la maison en ordre, faire de la mécanique, des courses pour sa mère et tous les matins et soirs, déposer et récupérer son petit frère, Dolan et ses deux plus jeunes sœurs, Livie, que j'avais déjà rencontrés, et Lauria qui partageait sa caravane, dans la seule école qui accueillait les enfants des gens du voyage à Rosalen.
— Et toi ?
— Collège tous les jours, rien de bien passionnant !
— On n'est pas obligés de se voir que le week-end. Si tu trouves ça trop long, on peut aussi se voir en semaine !
— Tu parles pour moi ou pour toi ? lui demandai-je avec un sourire en coin.
— Sûrement pour nous deux !
— Oui, sûrement !
Je savais qu'il ne me répondrait pas franchement, mais nous inclure tous les deux était une façon subtile de détourner la réponse, ce que j'appréciai à sa juste valeur.
— Et c'est quoi cette histoire avec le scooter ?
Je trouvais agaçant que Gino ait une si bonne mémoire. Il avait l'art et la manière de rebondir sur les détails qui s'avéraient être révélateurs de ma condition si particulière. En cela, il ressemblait beaucoup à son oncle. Ils avaient tous les deux l'esprit vif et une analyse assez pointue pour déceler ce que je m'évertuais à dissimuler. Si ces deux là venaient un jour à comprendre qu'il leur suffisait de s'allier pour me démasquer, ils deviendraient à coup sûr, une menace pour mon secret car je n'aurais pas la force de les affronter tous les deux réunis. Il me restait à prier pour que cette idée ne leur vienne jamais...
Je me lançai donc dans une explication, qui j'espérais, le satisferait :
— Oh, rien. J'ai failli me prendre le portail avec, c'est tout !
— C'est que tu sais pas conduire ?
— Bien sûr que si je sais conduire ! C'était plutôt de l'inattention de ma part...
— Donc, si je résume, t'es frileuse ; tu n'as pas peur de te battre avec des mecs, mais tu paniques lorsque je suis près de toi, ce qui peut t'amener à faire ce que tu appelles des crises ; tu passes presque autant de temps chez les Dhoms que dans ta propre famille ; tu n'aimes pas parler de toi... Jusque là, je ne me trompe pas ?
Il n'avait pas mentionné mon comportement déplorable lors de notre échange et je ne savais pas si c'était volontaire. Je ne répondis pas et attendis qu'il reprenne.
— Et pour finir, tu sais pas conduire un engin aussi simple qu'un scooter !
— Eh, je sais conduire !!! le repris-je.
— Là où j'ai du mal à te suivre, continua-t-il sans tenir compte de ma remarque, c'est lorsqu'on est que tous les deux, il n'y a pas de juste milieu. Soit tu es très loin, soit tu es très proche !
C'était trop beau pour que j'y échappe !
— Écoute, Gino. Je t'ai pas pris en traître, je t'ai prévenu ! J'suis un véritable cadeau empoisonné !
— Je pense plutôt que tu te sous-estimes, que tu manques de confiance en toi.
— C'est vrai, mais ça restera comme ça.
Il réfléchit un court instant avant de reprendre :
— Comment tu vois notre relation dans le futur ? me demanda-t-il, soudain très sérieux.
— Compliquée !
— C'est ce que tu veux ?
— Non, bien sûr que non ! m'écriai-je.
— Alors dis-moi, comment la voudrais-tu cette relation ?
— Simplement normale, ça me suffirait...
— Et qu'est-ce que tu ressens pour moi ?
Je baissai les yeux. Il n'était pas question que je lui dévoile, ne serait-ce qu'un petit peu, mes sentiments pour lui, ce serait risquer de réduire à néant tous les efforts que j'avais fournis le matin même, pour avoir un moment comme celui que nous passions tous les deux. À nouveau, je ne répondis pas.
Il s'adossa au mur derrière lui et dit dépité :
— T'as raison sur un point...
— Sur quoi ?
— Nous deux, ça va être compliqué !
— C'est ce que je t'ai dit tout à l'heure !
— Ça va être compliqué, parce que tu veux que ce soit compliqué !
— Non ! C'est pas vrai.
— Alors, arrête de te prendre la tête. Vis l'instant présent, sans penser à la suite...
Cela paraissait si simple exposé de cette façon qu'il réussissait presque à m'en convaincre. L'envie d'y croire survint et se transforma en un infime espoir qui me donna un regain de volonté.
— Je vais essayer, lui répondis-je sincèrement.
— Promis ?
— Seulement si à ton tour tu promets aussi.
— Promettre quoi ? me dit-il avec un sourire en coin.
— Que tu te fâcheras pas si je foire.
Bien que l'accord fut conclu, je n'étais pas entièrement sereine car je savais déjà qui de nous deux le romprait en premier.
...
La journée puis le repas se passèrent sans encombre. Kimy, Daven, Gino et moi avions mangé sur la petite table du salon devant la télévision tandis que Guito, Nellita, Zéline et les enfants, dînaient sur la grande table de la salle à manger. Tous les autres membres de la famille de Daven restaient dans leur caravane respective pour les repas.
J'appréciais vraiment ce moment à quatre. Cependant, même si le cœur n'y était pas, je décidai de rentrer chez moi. La fatigue se faisant ressentir et sachant qu'un footing intense m'attendait le lendemain matin, je voulais me coucher tôt et être en forme pour cette activité qui allait devenir mon rituel avant de voir Gino. Un rituel contraignant, mais obligatoire, et sans lequel, je l'avais compris, je ne pourrais profiter d'instants aussi simples et faciles que ceux que j'avais eus avec lui pendant cette journée. Et j'en voulais d'autres ! J'en voulais beaucoup d'autres...
Les garçons nous raccompagnèrent avec la voiture de Gino qui était enfin "libérée" et chacune, nous pûmes profiter d'un dernier moment d'intimité avec notre homme respectif.
Ce fut pour Gino l'occasion de m'embrasser. Un baiser long, langoureux et bon, mais qui réactiva mon cœur... Ce félon de cœur, qui ne pouvait s'empêcher de me trahir en me mettant une fois de plus à l'épreuve !
Je ne voulais pas me séparer de lui et je pris le risque de ne pas nous interrompre. Je resserrai mon étreinte sur lui. Son odeur me heurta violemment, libérant mon esprit devenu subitement libertin. Je nous voyais, à moitié nus, des ombres de flammes ondulaient sur nos corps. Je passais ma main dans ses cheveux tout en lui embrassant le cou puis, ma bouche descendit, descendit, descendit, le long de son torse...
Je l'entendais murmurer mon prénom, doucement, amoureusement puis plus fort, beaucoup trop fort !
Qu'est-ce qu'il lui prenait de hurler comme cela ?
Des mains me prirent par les épaules et me secouèrent :
— LILI, LILI ! Eh, tu fais quoi là ? Ça va pas la tête ?
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Comment ça, qu'est-ce qu'il y a ? Tu le fais exprès ?
Revenant petit à petit dans la réalité, je compris que j'avais encore mal agi, mais je ne savais pas ce que j'avais fait exactement. Par contre, je me souvenais très bien de ce qui s'était passé dans ma tête ! Il fallait que je reprenne mes esprits. Mes mains tremblaient, et si je ne reprenais pas rapidement le contrôle de mon corps, il serait bientôt trop tard !
Je m'éloignai de Gino afin de me calmer et de reprendre une respiration normale.
Inquiet, il me demanda :
— Ça va ?
— Vaut mieux que je rentre !
— Tu rentreras quand je serai sûr que tu vas bien ! me dit-il en faisant un pas vers moi.
— Ça va ! Je vais dormir, demain ça ira mieux. T'inquiète pas, j'ai l'habitude !
— Tu vas pas faire de crise ?
— Je pense pas. Enfin, j'espère pas !
— Ok !
Il fit un pas en arrière, prêt à partir. Je le rappelai :
— Gino ?
— Quoi ?
— T'es pas fâché ?
— T'inquiète, j'm'en remettrai !
— T'es sûr ?
— Oui Lili, j'en suis sûr !
Il fit demi-tour pour rejoindre la voiture et je dus me résoudre à le laisser partir mais pas sans le rappeler une toute dernière fois :
— Gino ?
Il se retourna en me souriant, comme s'il s'y attendait :
— Quoi ?
— À demain !
— À demain, Princesse !
— Bonne nuit !
— Oui Lili, bonne nuit ! me répondit-il en me faisant un signe pour me dire au revoir.
Je rentrai et me couchai, complètement éreintée par cette journée riche en émotions, sans même écouter de musique. Je n'en avais pas eu besoin...
(1) Son qui m'a inspiré ce passage ^^
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