CHAP 29


Au bout d'un certain moment, toutes les trois, nous partîmes dans l'ivresse. Nos conversations n'avaient plus aucun sens, pas plus que nos agissements ou même nos fous rires exagérés. Nous nous étions réfugiées dans un monde où la raison et la logique n'avaient pas de place. Seules comptaient les absurdités énormes et innovantes, sorties tout droit de nos cerveaux grisés par l'alcool, pour peu qu'elles soient drôles et nous fassent nous tordre de rire.

Le froid et l'humidité qui avaient imprégné nos vêtements ne nous dérangeaient absolument pas car là où nous étions parties, rien ne pouvait plus nous atteindre.

Chacune dans son univers, nous errions dans les méandres de nos esprits. Je ne savais pas où elles se trouvaient, je les avais perdues alors que je m'engageais sur un chemin que moi seule était autorisée à prendre, celui de ma vie d'Aigle noir.

Je virevoltais au travers des nuages, au gré du vent, sans destination précise. Mon seul objectif était de trouver Raoul afin de nous adonner à notre distraction favorite, celle de voler ensemble.

Je ne mis pas longtemps à le trouver. Loin devant moi, j'aperçus un point noir qui semblait en mouvement. J'accélérais le battement de mes ailes afin de me rapprocher, quand je vis que deux hommes le suivaient. Chose tout à fait curieuse, ils courraient derrière lui, alors que nous étions en plein ciel ! Cela était complètement irréel et impossible.

Quand enfin je m'approchais suffisamment près pour comprendre ce qui se passait, un des deux hommes attrapa l'arc qu'il portait en bandoulière puis tira une flèche en direction de mon Aigle.

L'homme le rata et la flèche se perdit dans le ciel. Mais ce n'était que partie remise, car le deuxième, lui aussi armé d'un arc, s'apprêtait à tirer et avant même que sa flèche ne parte, un courant d'air glacial me parcourut le dos. Le sifflement qu'émit la flèche en entamant sa course folle, me fit lâcher un cri de terreur. Elle atteignit sa cible, sans mal, et alla se planter dans l'aile de Raoul. Celui-ci chuta aussitôt et telle une toupie qui tourne inlassablement sur elle-même, il s'enfonça dans les nuages jusqu'à ce qu'il soit complètement hors de ma vue.

Ne m'occupant plus des hommes, je le suivis en me dirigeant vers l'endroit où je l'avais perdu de vue en hurlant son nom. Ma voix se perdit dans l'immensité du ciel et malgré ma ténacité à vouloir le retrouver, mes recherches restèrent vaines.

Je murmurais son nom en pleurant de désespoir, où pouvait-il bien être ?

— Lili ?

Ouvrant les yeux, je cherchai qui pouvait bien m'appeler mais ne voyant pas clair, je les refermai et me remis à la recherche de Raoul. Pourtant, il n'y avait plus rien. Le ciel avait tout bonnement disparu.

— Lili, tu m'entends ?

Alors qu'une main me touchait le visage pendant qu'une autre me secouait légèrement, je refis une tentative et rouvris les yeux. J'aperçus une silhouette, trouble toutefois.

— Ils ont tué Raoul... dis-je en pleurant.

— Mais non, personne n'a tué personne. Il faut que tu m'aides, tiens-toi à moi, je vais te relever !

Je ne comprenais plus rien du tout. J'avais pourtant bien vu des hommes qui le pourchassaient, comme je l'avais bien vu chuter lorsque la flèche l'avait atteint...

— Je suis où ? demandai-je pour tenter d'y voir plus clair.

— Derrière le garage !

— Ça y est, elle émerge la tienne ?

Les deux voix associées au mot "garage" me firent l'effet d'un véritable électrochoc. Tout me revint en mémoire. Paniquée, je voulus me relever. Gino m'aida et une fois debout face à lui, je vis son regard sévère. Celui de Daven n'était pas plus conciliant, ils n'étaient pas ravis du spectacle que nous leur offrions. Je pris une profonde inspiration avant de me lancer dans une explication qui, je l'espérai fortement, atténuerait un peu leur colère :

— Avant de vous fâcher, laissez-moi vous expliquer.

— Je te conseille de bien choisir tes mots Lili, me dit Daven menaçant, parce que là je vois pas comment tu vas pouvoir rattraper le coup. Mais vas-y, essaie de vous sauver...

Devant son intransigeance, j'avalai ma salive, la partie allait être dure. Afin de paraître crédible, je redressai la tête et affirmai sans la moindre hésitation :

— C'est pas nous !

Daven fronça légèrement les sourcils mais ne dit mot, m'obligeant à argumenter la pitoyable explication dans laquelle je m'étais lancée.

— C'était déjà comme ça quand on est arrivées. C'est pas de notre faute, c'est pas nous !

— Je devrais te filmer et te remontrer les conneries que tu sors quand t'auras dessaoulé. C'est minable !

À ces paroles, je me redressai d'un coup et voulus le contredire, mais d'un geste de la main, Gino, que j'agrippais toujours, m'en empêcha.

— T'enfonce pas plus Lili, me dit-il sévèrement. T'es même pas convaincante.

— Fous-moi ça au lit, c'est là qu'elle sera le mieux ! lâcha son cousin.

Son pied butta sur quelque chose. Il se baissa, dégagea les feuilles mortes et ramassa une brique de jus d'orange.

— Ça, par contre, elles y ont pas touché !

— On l'a pas vue ! lançai-je surprise de la trouvaille, avant de me mordre la lèvre de m'être trahie si facilement.

Je croisai le regard assassin de Daven et me maudis intérieurement de mon manque de discernement.

Il se pencha et mit des petites claques à Fati qui gémit mais sans ouvrir les yeux.

— Eh ben... Elle s'en tient une bonne aussi celle-là ! J'imagine même pas la tête qu'ils vont faire les deux frangins quand ils vont voir dans l'état qu'elle est leur sœur. Franchement les filles, vous avez éclaté notre réserve !!! Ça vous est pas venu à l'esprit que c'était enfreindre toutes les lois que de faire ça ? C'est minimum perpète que vous allez prendre !

— Je vais la coucher, dit Gino à son cousin, comme si j'étais d'un coup devenue une petite fille, t'as besoin d'un coup de main pour Kimy ?

— Mais non, ça va aller, je vais te la réveiller, tu vas voir ça va être vite fait. Elle veut faire le bonhomme, et bien je vais te la réveiller comme on réveille un bonhomme ! En tout cas, une fois de plus j'avais raison, elles préparaient un coup tordu, je l'avais senti. Les laisser toutes les trois ensemble, c'était pas une bonne idée du tout...

Alors que nous nous éloignions, Daven se mit au travail et s'enquit de réveiller ma pauvre Kimy à "sa façon".

— ALLEZ, DEBOUT ALCOOLIQUE !

Je me retournai pour les voir, je m'inquiétai pour elle.

— C'est par là pour toi, dit Gino en me faisant faire un rapide demi-tour.

Résultat, je perdis le trop peu d'équilibre que j'avais et je lui échappai des mains pour m'écraser brutalement sur le sol. Mon manque de réflexe m'étonna, pourtant je n'avais pas l'impression d'être ivre, juste un peu lente dans mes gestes, peut-être...

Il me remit sur pieds, en m'ordonnant d'avancer. Je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil dans la direction de Daven et Kimy. D'après ce que je pus voir, il avait réussi à la relever mais elle ne tenait pas debout, elle le supplia de la laisser allongée.

— Tout tourne autour de moi... j'ai mon estomac qui va beuguer !

Elle ne lui laissa pas le temps de réagir car elle vomit tout sur le champ.

— AH NON KIMY, PAS MES BASKETS !!!

— Je t'ai dit que j'avais envie...

Gino me força à regarder devant moi et me dirigea vers sa caravane.

Je ne marchais définitivement pas droit. J'avais beau me concentrer sur chaque pas que je faisais, il n'y avait rien à faire. Le sol se dérobait inexorablement lorsque mon pied se posait dessus et sans l'aide de Gino, je ne serais pas allée bien loin.

Nous avions avancé de plusieurs mètres quand la voiture de Younes entra sur le terrain et vint se garer près de nous.

— Qu'est-ce qu'elle a ? s'enquit Amin.

— On a sifflé votre réserve, lançai-je très fière de moi. A pu rien du tout que vous z'avez, naaada !

— Elle plaisante là ? paniqua Younes qui nous avait rejoints.

— Je préférerais, mais non. Et encore, elle, dit-il en me désignant, elle tient à peu près debout, c'est pas le cas de tout le monde.

— Ouais, je les ai couchées ! attestai-je.

Puis, en me mélangeant les pieds, le poids mort que j'étais échappa aux bras de mon porteur et je m'étalai de tout mon long. Alors qu'il se penchait pour, encore, me relever, Younes et Amin détalèrent comme des lapins en direction du garage. Je m'agrippai du mieux que je pus car j'avais une étrange impression mais pas désagréable, d'être happée par une force invisible. Quand nos regards se croisèrent, je me rendis compte de son inquiétude qui me fit prendre conscience que j'avais vraiment mal agi. Je lui dis honteusement :

— J'suis minable. Tu me détestes ? Tu vas me laisser tomber, hein ?

— Arrête de dire n'importe quoi.

— Je comprendrais parce que je le mérite !

— Debout ! m'ordonna-t-il. Tu vas dormir et ça ira mieux demain.

Mais lorsque je m'agrippai à ses vêtements pour me remettre sur mes jambes, je fus percutée de plein fouet par son odeur. Elle s'introduisit en moi et réveilla des émotions longtemps endormies. Je fermai les yeux, pour mieux m'en imprégner puis, lorsque je les rouvris, je sus ce que j'attendais de lui. Je l'avais déjà envisagé le matin même, mais sa petite escapade suivie de mon envie de vengeance me l'avait fait oublier. Je le dévisageai, m'arrêtant sur chaque détail de ce si beau visage. Je ne me lassais pas de lui...

— J'ai envie, lui dis-je tacitement.

— De vomir ? On va se dépêcher alors...

Impassible, il me remonta jusqu'à lui, de sorte que je me maintienne bien en position verticale. Nos visages, face à face, se touchaient presque et je sentais son souffle chaud descendre jusque dans mon cou. Tous mes sens étaient en éveil, je ne me contrôlais plus.

— Non, pas de vomir. Je veux qu'on mette la caravane au cul de l'auto !

Alors, dans un élan que je voulus imprévisible pour lui, je l'embrassai avec fougue, lui maintenant la tête entre mes mains afin qu'il ne se dérobe pas, tout comme le sol sous mes pieds. Plus j'avançais et plus il reculait ; plus il reculait et plus je m'accrochais à lui. Quoique Gino fasse, je ne le lâchais pas.

— Lili, arrête ça tout de suite ! lâcha-t-il complètement exaspéré.

Mais je continuai parce que je ne voulais pas que cela s'arrête. J'en voulais plus, et tout de suite...

Un bruit sourd résonna fortement à mes oreilles et je m'aperçus que Gino ne reculait plus. Une caravane l'avait stoppé et coincé entre elle et moi, mon apollon ne pouvait plus s'échapper.

— Pris au piège ! lui susurrai-je à l'oreille tout en la lui mordillant.

— Oui, me répondit-il d'un air bizarre. Sauf que tu viens de m'encastrer dans la caravane de mon oncle...

— Et alors, on s'en fout !

— Euh, c'est qu'il est dedans...

...


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