CHAP 28


Avant que les garçons ne s'en aillent, nous nous étions isolés, tout comme Daven et Kimy. Un petit moment de calme et d'intimité mais qui n'enlevait en rien l'envie de vengeance de ma meilleure amie. Elle continuait son petit manège, et, apparemment, Daven ne se doutait toujours de rien.

J'étais toujours dans l'ignorance de ce qu'elle leur mijotait. Si je ne la connaissais pas aussi bien mais surtout, si je ne savais pas qu'elle avait une idée en tête, moi-même, je n'y aurais vu que du feu.

Je ne pus m'empêcher de tenter de convaincre Gino une dernière fois de changer d'avis :

— Ne pars pas...

— J'aime beaucoup quand tu me supplies, me nargua-t-il.

— Non mais sérieusement, ça se fait pas de partir comme ça à cette heure-ci, alors qu'on devait passer toute la soirée ensemble ! En plus, votre escapade, c'est pas clair. Ça me rassure pas de te savoir embarquer dans une embrouille à la Daven.

— Si tu voulais de la tranquillité, il fallait te mettre avec un "Charles-Antoine" et pas avec un manouche, Princesse !

Il avait presque ri en disant cela.

— Et pendant mon absence, reprit-il soudain plus sérieux, interdiction de franchir le portail !

Je n'insistai plus et le laissai rejoindre ses cousins qui s'éloignaient vers les voitures.

Lorsqu'il arriva à hauteur de Daven, j'écoutai attentivement ce que ce dernier lui dit :

— Le camion est à l'endroit prévu, dit Daven. Je vais chercher Amin et Younes et on y va !

— Laisse-les rentrer chez eux. On n'a pas besoin d'eux ! intervint sèchement Gino.

— J'ai toujours fait mes coups avec eux, et j'ai confiance en eux ! lui répondit fermement son cousin. Ils viennent, c'est tout.

— D'accord, mais là t'es pas tout seul, on est là. Donc, on peut se passer d'eux !

— On t'a jamais dit qu'il ne fallait pas mêler les affaires de cœur au business ! Ça fait pas du tout bon ménage !

— Pourquoi tu dis ça ?

— Ouais, ouais, tu sais très bien pourquoi ! En plus, je vois pas pourquoi tu t'inquiètes. Elle t'a dans la peau. Elle est complètement love de toi.

Gino s'énerva. Il n'aimait pas parler de sentiments entre garçons.

— Ferme-là Daven, ça t'évitera de dire des conneries.

— Si, si, je te jure qu'elle est raide dingue de toi ! Je le sais parce que d'une, ça se voit, et de deux je la connais très bien. Alors fie-toi à ce que je te dis et arrête de flipper ! Ça n'a rien à voir, mais tu l'as pas trouvée bizarre Lili, ce soir ?

— Non, pourquoi ?

— J'sais pas... Kimy était trop anormalement normale. Elle m'a pas fait de scène, alors que je la laisse en plan et ça, ça lui ressemble pas ! Je te le dis cousin, c'est pas normal.

Puis, d'un air soupçonneux, il ajouta :

— Faut pas qu'on traîne. Plus vite on sera partis, plus vite on sera revenus. Je les sens pas les filles...

Alors que Daven se dirigeait vers la maison, Gino grimpa dans la voiture de Lindo dont le moteur tournait déjà. Kimy, avec une pointe d'agacement dans la voix murmura les dents serrées :

— Mais c'est quand qu'ils se tirent ?

Daven ressortit accompagné des deux frères, de deux autres cousins et de Fati qui s'empressa de nous rejoindre. La voiture de Lindo s'éloigna, suivit de celle de Youness dans laquelle s'était installé le reste de la bande.

Kimy, qui agitait sa main en direction des voitures, dit, dans un demi-sourire :

— Amusez-vous bien...

Puis, elle nous agrippa le bras et nous entraîna avec elle :

— Bon, maintenant à nous de nous amuser un peu !

N'en pouvant plus de tous ces mystères, je voulus en savoir plus :

— Tu vas nous dire à la fin c'est quoi ton plan ?

— Mais oui, vous allez comprendre tout de suite ! nous dit-elle alors que nous arrivions près du garage.

Elle nous devança et le contourna puis se dirigea, sans aucune hésitation, vers un monceau de feuilles mortes qu'elle éparpilla avec énergie. Elle se recula et nous laissa contempler sa découverte.

Perplexe, je lui demandai :

— Et qu'est-ce que tu veux qu'on fasse de ça ?

Son œil pétillant de malice, elle me répondit :

— T'as pas une idée ?

— Mais on va se faire tuer si on touche à ça !

— Ça m'est égal. Ils avaient qu'à pas nous laisser seules ce soir !

Ébahie par ce qu'elle nous proposait et par le culot, qui à ce moment-là, ne lui faisait pas défaut, j'insistai sur un point :

— Tu te rends bien compte que si on fait ce à quoi tu penses, on signe notre arrêt de mort !

— Ouais ! affirma-t-elle.

Elle était fière de sa trouvaille et je compris que je n'arriverais pas à la convaincre de changer d'avis. Mais en avais-je vraiment l'envie ? Pour être tout à fait honnête, je commençais à adhérer à son idée. Je me baissai pour dégager le pack de bières des garçons, car c'était de cela qu'il s'agissait, et levant la tête en direction de mes deux amies, je leur dis :

— Sans pitié ?

— Sans pitié ! répondirent-elles à l'unisson.

Je déchirai sans peine, le carton ramolli par l'humidité des feuilles mortes et en sortis trois petites bouteilles que je leur tendis. Elles les prirent dans leurs mains et les examinèrent avec attention pendant que je me relevais avec la mienne.

Nos regards complices et enjoués se croisèrent. Kimy sortit solennellement un briquet de la poche de sa veste et entreprit de décapsuler l'objet précieux qu'elle tenait avec tant de sérieux.

Mais son geste maladroit dérapa.

— C'est plus dur que je le pensais, dit-elle en réitérant le mouvement. Ça avait l'air facile quand je les ai regardés faire. Tiens, essaie toi ! me dit-elle en me tendant le briquet, alors que son deuxième essai avait échoué aussi pitoyablement que le précédent.

— Tu l'as eu où ce briquet ? lui demandai-je.

— Oh, il traînait sur la table.

M'attelant à mon tour à la tâche, je réussis sans aucune difficulté, et ouvris aussi celles de mes amies.

— À la vôtre, gadjies ! nous dit-elle en cognant sa bouteille contre les nôtres. Et on la boit cul sec, interdiction de se dégonfler !

Si les premières bouteilles furent facilement et rapidement avalées, pour les suivantes, en revanche, ce fut plus difficile. Nous commencions à sérieusement peiner mais nous ne voulions pas abandonner si vite.

— Je sais pas comment ils font pour boire ça, les gars. C'est même pas bon !

Je ne pouvais qu'approuver, mais j'ajoutai :

— Heureusement que t'aimes pas, parce que leur réserve, elle aurait pas fait long feu...

— Ça vous tourne la tête à vous ? se renseigna-t-elle, au bout d'un moment.

— Oui, un peu, reconnut Fati. Et toi, me demanda-t-elle.

— Non, j'ai pas l'impression.

Pendant que le liquide amer s'écoulait dans nos corps, tout comme les minutes dans le temps, nous discutions de choses et d'autres, quand Fati nous fit une révélation : elle avait fait une rencontre...

— La première fois qu'on s'est vus, c'était au run. J'ai perdu Amin pendant qu'on semait les Nuggets. Je savais pas trop où aller, je courais au hasard et j'ai aperçu une allée entre deux entrepôts. J'ai foncé pour me mettre à l'abri, sauf que j'ai buté dans quelque chose et je me suis pris la gamelle du siècle. Ça m'a coupé le souffle.

— C'était lui et il t'a relevée je suis sûre, devinai-je.

— Exactement. C'est son pied qui m'a fait tomber. Je l'avais pas vu tellement il faisait sombre. Enfin bref, on est restés ensemble jusqu'à ce que le calme soit revenu dans notre coin puis on est sortis de notre cachette et on est partis chacun de notre côté.

— Tu nous l'as pas dit quand on était au Donuts ! remarqua Kimy.

— Parce que y'avait rien à dire. C'est quelques jours plus tard que je l'ai revu, à Rosalen. Je faisais des courses pour ma mère dans le centre commercial quand on s'est rentrés dedans. Pour s'excuser de m'avoir "malmenée" une deuxième fois, il m'a payé un verre dans un bar et on a discuté. On s'est échangés nos numéros de portable, il m'a téléphoné deux jours plus tard pour me donner rendez-vous, toujours à Rosalen et voilà, on a fini par sortir ensemble. Ça fait pas loin d'un mois maintenant...

— C'est fou que tu nous le dises que maintenant ! lança Kimy, légèrement vexée. Et c'est quoi son p'tit nom ?

— Ne le prends pas mal Kimy, mais tant que je ne suis pas sûre à cent pour cent de sa sincérité je préfère attendre avant de vous en dire plus. Y'à quand même un truc que je vais vous dire, dit-elle après un court temps de réflexion, il a pas vraiment le même âge que nous... Il est un peu plus vieux...

— De combien ? la pressai-je, curieuse.

— Il a vingt-cinq ans...

— Waouh, la vache !!! cracha Kimy. Mais ça fait presque dix ans de plus !

— Pas la peine de vous dire que mes frères ne savent rien et qu'il ne faut pas qu'ils sachent !

— Évidemment. Mais tu es quand même suicidaire, toi.

— Pas plus que vous ce soir, renchérit-elle en riant.

— Tu marques un point. D'ailleurs, faut fêter ça ! dis-je en me dirigeant sur les genoux jusqu'au pack de bière.

— Fêter quoi ? demanda Kimy.

— Notre dernière soirée ensemble, parce que dans pas longtemps, on sera toutes les trois mortes !

Je leur jetai à chacune d'elles une bouteille, sans m'oublier bien sûr et, toujours sur les genoux, je repris ma place.

Kimy s'affala sur les feuilles mortes. Elle regarda les arbres au-dessus de nous, qu'un léger faisceau de lumière provenant du garage éclairait faiblement.

— Tu te rends compte Lili, dit-elle très sérieusement, si tu restes avec Gino et moi avec Daven et ben, en plus de faire partie de mes meilleures amies, d'être comme des sœurs, on sera cousines !

— Ouais, j'avais pas vu ça comme ça. Tu crois que tu vas réussir à me supporter ?

En riant, elle me répondit :

— Sans problème, vu que j'arrive à supporter Daven.

Fati voulut jeter sa bouteille vide près des autres que nous avions mises en tas, mais elle ne prit pas la bonne direction, elle tomba dans le tapis de feuilles mortes, juste à côté du carton de bières, en faisant un drôle de bruit. Fati nous regarda, surprise, puis intriguée, elle se leva, avec difficulté, et balaya très maladroitement du revers de sa main l'endroit où la bouteille avait atterri.

— Oh ! fit-elle étonnée. Venez voir les filles !

Elle s'était mise à genoux devant sa découverte et nous fîmes de même.

— Les enfoirés, murmura Kimy consternée. Ils avaient tout prévu. Euh, vous en avez déjà bu, vous, d'un truc comme ça ?

— Non, jamais ! dit Fati.

— Pareil, renchéris-je.

— Chiche qu'on essaye ?

— Ok ! C'est parti !

Elle dévissa le bouchon de la bouteille de whisky avec tant de facilité que je ne pus m'empêcher de le lui faire remarquer :

— On dirait que t'as fait ça toute ta vie !

— T'es bête toi ! me répondit-elle en riant de bon cœur. C'est juste que c'est plus facile que le décapsulage de bouteille avec un briquet.

Elle en but une gorgée qu'elle recracha aussitôt, en s'époumonant dans le même temps.

— Pouah, c'est infect, ça brûle la gorge. Comment ils font pour avaler ça ?

Elle me la tendit en faisant une moue dégoûtée.

— Tiens, à toi ! Essaye de faire mieux que moi ! m'encouragea-t-elle.

Mon essai, tout comme celui de mon amie, ne restera pas gravé dans les annales et celui de Fati encore moins car elle ne pouvait plus rien avaler. Mais Kimy et moi ne nous avouâmes pas vaincues pour autant et à force de ténacité, nous parvînmes à vider la moitié de la bouteille.


...




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