CHAP 25


Assise entre Zéline et Kimy dans la camionnette conduite par Nellita, j'écoutais, enthousiaste, le déroulement de la soirée à venir car elle s'annonçait très prometteuse. Nous allions changer d'année et j'allais enfin pouvoir participer à une fête, sans crainte qu'une crise ne survienne, ou bien que mes émotions ne s'approprient mon corps, bref, j'allais en profiter comme n'importe quelle autre jeune fille.

Depuis ma transformation et la petite discorde que Gino et moi avions eue au sujet des photos, tout allait pour le mieux. Je flottais dans un ciel où aucun nuage ne ternissait l'horizon et j'en savourais chaque instant. Je ne m'étais pas sentie aussi bien depuis tellement longtemps, avant ma rencontre avec l'Aigle à dire vrai, que j'avais oublié combien une vie avec des moments simples et heureux pouvait être belle.

La persévérance dans les entraînements, les souffrances endurées durant les crises, mes peurs, mes doutes, les émotions et les images qui prenaient possession de mon corps et de mon esprit, la violence incontrôlable qui parfois ressortait de moi, sans que je ne puisse l'empêcher, j'avais tout laissé derrière moi. Cela ne faisait plus partie de mon quotidien et les journées, je les vivais à fond, comme si je voulais rattraper le temps perdu, comme si j'avais peur que tout ne m'échappe à nouveau...

Alors, à cette soirée, je comptais bien prouver au monde entier que plus rien ni personne ne se mettrait entre moi et une vie simple et heureuse. Dorénavant, moi seule étais aux commandes de ma barque, et je la dirigeais comme bon me semblait.

Il y eut quand même un moment pénible : le réveillon de Noël. Comme chaque année, nous l'avions passé en reclus chez nous, mon père et moi. Cette fête étant surtout pour nous synonyme de tristesse. Elle avait pour seul but de nous rappeler que nous n'étions plus que deux autour de la table. Mon frère réveillonnait dans sa belle-famille, excuse toute trouvée pour ne pas avoir à supporter ma présence. Mon père en avait été peiné autant qu'il avait espéré sa venue.

Nellita avait pourtant essayé de casser cette monotonie en nous proposant de rester avec eux pour le repas de Noël, mais mon père avait refusé, il préférait être chez lui. Bien qu'il ne m'ait pas forcé à rester avec lui, je n'avais pu me résoudre à le laisser seul ce soir là. Etre triste à deux était toujours mieux que d'être triste tout seul. Mais parce que, en ce jour si particulier, Gino m'avait terriblement manqué, ce fut pour moi, le pire Noël jamais vécu auparavant.

Le seul moment où nous avions souri fut celui de l'échange des cadeaux. Un pour lui, un pour moi, histoire de marquer le coup. Emballage de la même boutique ; bleu pour lui, rose pour moi ; même forme, même poids. Bref, nous nous étions offert le même parfum, homme pour lui, femme pour moi ! L'originalité nous avait gravement fait défaut d'autant plus que ne sachant pas quoi prendre à mon frère, je l'avais pris en double et que mon père ne sachant pas plus quoi lui offrir lui avait pris le même que le mien, version homme, donc, le même que je lui avais offert. Mon frère se retrouvait avec deux fois le même cadeau !

— Heureusement qu'il n'est pas là pour voir ça ! avais-je lancé un brin sarcastique. Il aurait eu de quoi se vexer.

— Il prendra le tien et je vais lui trouver autre chose, il ne vient que dans deux jours, ça va me laisser le temps !

Je n'avais pas relevé, mais j'étais presque sûre qu'il lui faudrait plus de deux jours pour venir. Cela n'avait pas loupé, alors que nous allions fêter la Nouvelle Année, il n'avait toujours pas réapparu. Depuis, mon cadeau attendait sur le meuble de l'entrée avec celui de mon père, qu'il avait remplacé...

En me couchant ce soir là, je n'avais pu retenir des larmes d'amertume. Mon père m'avait fait de la peine à attendre un appel de mon frère qu'il n'avait pas reçu. Bien que j'en voulais à celui-ci, ce qui m'avait été vraiment insupportable, fut d'admettre qu'il me manquait à moi aussi. Malgré tous mes efforts pour ne pas penser à lui, nos moments d'avant avaient une fâcheuse tendance à ressurgir dans des moments tels que les fêtes de famille. Il n'y avait bien que chez les Dhoms où je n'y pensais pas...

Je n'avais même pas répondu à l'appel de Gino. Qu'aurais-je bien pu lui dire concernant mon si déprimant réveillon ? Rien, il n'y avait rien à en dire...

Heureusement, le lendemain avait été à l'opposé du jour précédent : animé, bruyant, joyeux... parce que chez les Dhoms. Mon moral était revenu ainsi que celui de mon père, je l'avais même surpris à éclater de rire plusieurs fois. Il n'était plus l'homme si triste de la veille et cela faisait plaisir à voir.

Quand arriva l'échange de cadeaux, Gino et moi nous étions isolés dans sa caravane. Je l'avais laissé ouvrir le sien en premier. Le bruit de mon cœur était largement monté en puissance tellement j'appréhendais ce moment et c'était les yeux grands ouverts que je l'avais examiné déchirer l'emballage puis en découvrir le contenu : une gourmette en or avec gravé dessus, son prénom en lettres capitales puis le mien, de l'autre côté de la plaque, avec des lettres minuscules écrites en italique.

Quand étaient apparues les fossettes à la commissure de ses lèvres, un grand soupir de soulagement m'avait échappé, bien malgré moi, révélant l'inquiétude que je m'étais efforcée de lui cacher.

— Eh, relax, c'est pas un examen que tu passes, alors détends-toi ! m'avait-il reproché gentiment. Aide moi, s'il te plaît.

Je lui avais attaché sa gourmette au poignet, m'y reprenant à trois reprises à cause de mes mains moites. Jamais je n'aurais imaginé que lui offrir un cadeau pouvait être si difficile.

Quand mon supplice fut enfin fini, il avait approuvé d'un signe de tête puis m'avait remerciée d'un baiser. À son tour, il m'avait tendu une petite boîte qui s'ouvrait sur le dessus. À l'intérieur se trouvait une chaîne pourvue d'une médaille sur laquelle était gravé un hérisson et un mot : "Libertad".

— C'est la vie telle que je la vois, telle que je la veux, avait-il ajouté dans un demi-sourire.

— Je ne sais pas quoi dire, c'est vraiment magnifique.

— Donne, je te la mets !

Il avait passé la chaîne autour de mon cou en soulevant mes cheveux qui le gênaient, ce qui m'avait provoqué un frisson très agréable. Mais il ne l'avait pas remarqué car il avait découvert la chaîne de Raoul.

— Je savais pas que tu en avais déjà une ? Je l'ai jamais vue !

— C'est parce que... tu as eu la même idée que mon père...

Son air déçu m'avait culpabilisée. Si j'avais eu la présence d'esprit de la lui montrer dès mon retour d'Abraysie, je ne l'aurais pas vexé.

J'avais tenté une diversion.

— On dit que les grands esprits se rencontrent... ça se vérifie aujourd'hui.

Il n'avait pas relevé mais en revanche, il avait inspecté la médaille méticuleusement, en plissant les yeux.

— Elle a vécu, avait-il constaté songeur.

— Oui, à une époque lointaine, elle a appartenu à mon arrière-grand-père et avant lui, à sa mère.

Il avait sifflé d'étonnement.

— Ne la perds pas ! C'est plutôt rare de nos jours de posséder un objet comme celui-là. C'est quoi la gravure dessus ?

— Un aigle !

— C'est l'emblème de ta famille, m'avait-il demandé sur le ton de la plaisanterie.

— On peut dire ça...

Il n'imaginait pas que c'était bien plus qu'un emblème ; que l'Aigle représentait ce que j'étais...

J'avais pris la médaille qu'il venait de m'offrir entre mon pouce et mon index et l'avais tendue vers lui.

— Peut-être qu'un jour, un de nos arrière-petits-enfants portera celle-là ?

J'avais voulu plaisanter, mais Gino, très sérieusement m'avait prise dans ses bras et m'avait répondu.

— Je préférerais que tu l'emportes avec toi, mais bon, on n'en est pas encore là. On a le temps de voir venir.

— Oui... t'as raison !

Tous les deux, nous étions à l'opposé. Lui, si réaliste, les pieds sur terre mais libre dans sa tête et moi, si idéaliste, la tête dans les nuages mais prisonnière de ce que j'étais...

Quand nous étions revenus dans la maison, nous avions eu la surprise de recevoir un cadeau de la part de Daven, une première à un Noël ! Il n'avait rien trouvé de mieux que de nous offrir des places pour le concert de son idole : Seth Gueko.

— Comme ça, je suis sûr de pas y aller tout seul ! avait-il ajouté, pour se justifier.

Ne voulant pas gâcher son plaisir, je m'étais retenue de lui demander comment il avait payé les places mais j'avais eu la réponse quand Gino avait lâché d'un air surpris :

— T'en as tiré un bon prix du poste !

— Il a fallu que je vende un peu de ferraille pour rajouter au bout, mais oui cousin, je me suis fait un bon billet dessus !

Voilà à quoi avait servi l'autoradio qu'il avait dérobé dans la voiture, le soir du run. Je m'étais abstenue de tout commentaire, me contentant de lever les yeux au ciel en soupirant. Daven était décidément une cause perdue...


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