CHAP 24


 Kimy était tellement fatiguée de son week-end, qu'elle partit se coucher ; je lui emboîtai le pas car le mien avait été tout aussi éreintant. Mais nous ne prîmes pas la même direction. Chacune rejoignît la caravane de sa moitié, et ce fut en me faisant un clin d'œil empli de sous-entendus qu'elle me dit :

— Passe une bonne nuit...

Les enfants dormaient lorsque j'entrai et comme à son habitude, Dolan avait pris la couchette de son frère. N'osant pas le porter moi-même, je partis chercher Gino qui, toujours aussi délicatement, le déplaça sans le réveiller.

Puis avant qu'il ne ressorte, il me dit :

— Je vais rester encore un peu avec les gars. Fais comme chez toi, n'hésite pas !

Puis, fronçant les sourcils, il ajouta :

— Et te couche pas trop tard. Tu as école demain !

— Alors ne rentre pas trop tard, renchéris-je, parce que je ne dormirai pas tant que tu ne seras pas là !

— Ça marche !

Pendant qu'il m'embrassait, j'eus ce réflexe, pourtant devenu inutile, de me raidir et de surveiller mon cœur qui ne s'affolait résolument plus comme avant. Alors, je me détendis et pus enfin apprécier ce moment, en toute sérénité. Un grand changement s'était opéré, j'avais libéré la bête qui malmenait mon corps et elle me laissait enfin tranquille, je commençais vraiment à le réaliser...

Alors que je m'apprêtais à m'allonger, mon regard fut attiré par un MP3 qui était posé sur une étagère. Il ne pouvait appartenir qu'à Gino et, parce qu'il avait regardé dans le mien sans mon accord, je fis de même, sans aucune gêne.

Mais quand je l'allumai, ce que j'y découvris me fit un choc car le fond d'écran était une photo de lui et d'une fille, belle, vraiment très belle et souriante. Leur pose était sans équivoque. Gino la tenait dans ses bras, mais pas de la façon dont on tient une simple amie. C'était bien plus fort et cela me dérangea.

Je poursuivis mon exploration en me dirigeant directement dans le dossier des photos.

Toute sa famille s'y trouvait, même son père. J'étais certaine de ne pas me tromper car la ressemblance était frappante.

Après avoir passé en revue ses amis, la vierge noire, et des photos de paysages des différents endroits qu'il avait parcourus, apparurent d'autres photos où tous les deux s'embrassaient ou bien chahutaient. D'après ce que je pouvais voir, leur complicité paraissait bien réelle. Ils avaient l'air heureux et insouciants.

Je payais mon indiscrétion. Mes yeux s'humidifièrent à la vue de ces images car elles me renvoyaient une vérité dont je n'avais pas pleinement pris conscience. Il avait eu une vie avant notre rencontre, tout comme moi, mais il m'était très difficile de l'imaginer avec une autre histoire que la nôtre. Pourtant, elle avait existé, la preuve était dans ma main, je ne pouvais plus en faire abstraction et le sentiment d'être responsable de la fin de leur idylle monta en moi car une fois de plus, j'étais celle qui avait tout foutu en l'air.

Je ne pensais même plus que Gino avait sa part de responsabilité, c'était moi, et moi seule qui avais tout détruit. Je ne valais guère mieux qu'Hélicia. Je me trouvais aussi pitoyable qu'elle...

Ce fut dans cet état que Gino me trouva. Les yeux rougis d'avoir versé trop de larmes, en plein désarroi face à une cruelle vérité et prise d'un atroce sentiment de dégoût à mon égard. Il comprit l'origine du problème en voyant ce que mes mains tenaient et soupira en s'approchant.

— Il me faut un ordinateur pour les supprimer. Le seul que j'ai à ma disposition est dans la maison et je n'ai pas encore eu l'occasion de l'avoir seul. Y'a toujours trop de monde autour et c'est vrai aussi que je n'y pense pas tout le temps...

Je remuais la tête de gauche à droite à l'énoncé de ses paroles. Il interprétait mal mon état.

— Tu n'as pas à les enlever, lui dis-je avec un sanglot dans la voix.

Gino fut surpris par ma remarque.

— Je viens juste de comprendre de quoi je suis responsable, ajoutai-je résolue. Tu es venu pour annoncer ton mariage à ta famille et au lieu de ça, tu y as renoncé... à cause de moi...

S'asseyant doucement sur la couchette, tout près de moi, il me prit des mains le MP3 et me dit avec une douceur que je ne lui connaissais pas :

— Tu n'y es pour rien. S'il y a un responsable dans tout ça, c'est moi. T'as fais une comparaison entre ta relation avec Amin et la nôtre, tu te rappelles, c'était le jour où je t'avais annoncé mon départ ?

Je confirmai d'un signe de la tête.

— J'ai fais pareil avant de me décider à parler à Réanne. J'ai comparé la relation que j'avais avec elle et celle que j'ai avec toi. Pour faire court, notre rencontre m'a fait comprendre ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. Continuer avec elle aurait été une erreur. Tu comprends ?

— Mais sur les photos, vous avez l'air si heureux ! Et en plus, elle est vraiment très belle ! Regarde-moi, je n'ai rien à voir avec elle !

— C'est vrai qu'elle est très belle, mais ce n'est que de l'apparence, exactement comme les photos. En vérité, je n'étais pas si bien avec elle. Peut-être qu'un jour je t'expliquerai la raison de mon engagement envers elle, et tu comprendras alors pourquoi aujourd'hui j'ai tout arrêté. Fais-moi plaisir maintenant, arrête de te prendre la tête sur des choses qui ne te concernent pas.

— Çà me concerne, je suis impliquée. Si je ne t'avais pas rencontré, tu serais toujours avec elle.

— T'as rien compris à ce que je viens de te dire ? Ce n'est pas ta faute. Écoute, avant toi, je l'avais déjà trompée, et plusieurs fois. J'en suis pas fier, mais si je l'ai fait c'est parce que je ne trouvais pas ce que je cherchais avec elle. Aller avec d'autres filles, c'est quelque chose que je n'envisage plus parce qu'avec toi, c'est différent. Je n'en éprouve plus le besoin. La raison est simple, Réanne, je ne l'aimais pas ! C'est plus clair maintenant ?

— Oui.

— Faut que tu dormes, demain tu te lèves tôt, et moi aussi.

— Pourquoi ?

— Parce que je vous emmène au collège !

— J'ai une faveur à te demander avant.

— Je t'écoute.

— Arrête de t'en prendre à Amin, s'il te plaît.

— Pourquoi tu me parles de lui ? Réanne c'était déjà beaucoup pour ce soir, alors n'en rajoute pas !

— On est parti à bien se parler Gino, ne gâche pas tout, d'accord ?

Il soupira, mais me laissa continuer.

— Il n'est pas ton rival. Je l'aime beaucoup, mais ça s'arrête là. Je ne veux pas qu'il y ait des conflits entre vous deux.

— S'il reste dans son coin, il n'y aura pas de problème !

— Faut que tu voies plus loin Gino. Il est l'ami de ton cousin, si vous partez en guerre tous les deux, Daven sera obligé de prendre parti. Je ne pense pas que tu voudrais savoir vers qui il se tournerait si cela arrivait. Réfléchis à ça, je te le demande !

Gino ne dit rien, il se déshabilla et s'allongea. En éteignant la lumière, il conclut en ronchonnant.

— On verra demain. Faut dormir maintenant !

Alors qu'à mon tour je m'allongeai, il me prit dans ses bras me procurant un puissant réconfort quant à mes doutes. Le meilleur remède à dire vrai. Et ce fut avec la chaîne de Raoul, qui ornait mon cou depuis le matin même, et la médaille bien enfouie dans ma main, que je m'endormis, apaisée.

...

Le lendemain matin, Kimy avait une mine affreuse. Elle n'avait pas assez dormi, ou peut-être pas du tout. Elle chercha tous les prétextes pour ne pas aller en cours.

— Franchement, dit-elle à Guito les mains sur les hanches, tu crois pas que y'a mieux à faire que nous forcer à aller dans un endroit qu'on déteste par-dessus tout ? On pourrait relayer Nelli. Comme ça quand elle va rentrer, elle pourra s'occuper de la grand-mère et se reposer pendant que nous on se charge du reste !

Mais Guito loin d'être dupe, n'entra pas dans son jeu. Désignant Kimy, il s'adressa à Gino sur un ton qui n'attendait aucune contestation :

— Fous-moi ça à l'école et t'attends que les grilles soient bien fermées avant de repartir !

Lorsque la grille s'était refermée derrière nous, Kimy, de colère, mit un coup de pied dedans et se fit sermonner par le surveillant.

— Vivement que j'aie dix-huit ans, s'était-elle écriée. J'en ai marre qu'on m'oblige à faire des choses que j'ai pas envie de faire !

Puis regardant le bâtiment qui allait nous garder prisonnières toute la journée, elle cracha par terre et pesta :

— Plus ça va, plus j'le déteste ce bahut de merde ! Il est trop clean, trop parfait. On se croirait dans un musée. Il me correspond pas du tout !

Kimy le détaillait. Elle n'était décidément pas dans un bon jour. Le manque de sommeil la rendait maussade et cela dura jusqu'à la mi-journée, après la pause déjeuner.

— Je m'ennuie. Y'a rien à faire ici, maugréa-t-elle. Les profs, c'est des cons ; les élèves, des vrais zombis ; la bouffe de ce midi, ben elle était dégueulasse...

— Euh, pas plus que celle d'hier soir, relevai-je.

— C'est vrai, t'as raison. Mais au moins, on n'était pas en territoire ennemi !

Puis, prise d'une nostalgie soudaine, elle ajouta en soupirant :

— Il me manque notre Cayenne...

— Allez, courage. Encore trois heures de cours et on rentre chez nous ! lui dis-je pour la motiver, mais sans grande conviction.

C'était pourtant une journée de cours comme une autre, mais il était vrai que nous commencions sérieusement à nous en lasser car ce qui nous attendait de l'autre côté des grilles était, il fallait bien le dire, beaucoup plus attrayant, passionnant et vibrant...


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