CHAP 21
Un tintamarre accompagné d'un florilège de mots grossiers provenant de la salle de bains me réveillèrent en sursaut. Mon père s'était fait mal et tout le village venait d'en être informé. Renseignements pris auprès de l'intéressé, il s'avérait qu'il s'était seulement cogné. Le seul point positif de sa mésaventure était qu'il m'avait réveillée de bonne heure ; je ne perdis pas un instant et me préparai pour aller voir Raoul. J'avais dans l'idée d'avancer l'heure de notre départ car il me tardait de revoir Gino. Il me fallait vérifier mon comportement quand je serai proche de lui. Serai-je enfin sage à son contact ? La transformation sera-t-elle aussi bénéfique que l'affirme Raoul ? Je brûlais d'envie de connaître la réponse...
La surprise fut exquise quand mon père me proposa de partir en fin de matinée. Motif invoqué : il lui manquait des outils pour avancer dans ses travaux et il se trouvait coincé. N'étant pas homme à tourner en rond, il s'excusa auprès de moi pour le changement de programme qu'il m'imposait. Mais, le hasard faisant bien les choses, je ne trouvai rien à y redire, bien au contraire. Cela m'évitait de chercher un prétexte pour avancer notre départ.
Il avait besoin d'un peu de temps pour ranger le désordre que les travaux du week-end avaient occasionné et pour faire la liste des outils et matériaux qui lui manquaient pour notre prochain séjour. Jump sur mes talons, je filai voir Raoul.
Sur le chemin, je téléphonai à Gino pour le prévenir que je rentrais plus tôt. Le son de sa voix me fit du bien et enleva mes craintes. Quand je l'avais rejoint dans sa caravane, après ma discussion avec Guito, je lui avais demandé un dernier effort.
— Donne-moi encore une semaine, c'est important pour moi.
Il m'avait pris dans ses bras en soupirant et nous étions restés ainsi pendant plusieurs minutes, sans nous dire un mot. Ce fut quand j'avais quitté la caravane pour rentrer chez moi, qu'il m'avait retenue par le bras pour me poser un ultimatum :
— C'est la dernière fois, Lili. Je ne continuerai pas de cette façon. Nous deux, on est ensemble, ou on ne l'est pas !
Je n'avais pas répondu, mais j'avais bien reçu le message et lui avais fait un signe de la tête. Il me laissait une dernière chance, et jamais je ne l'aurais laissée passer. Heureusement pour moi, la transformation avait réussi !
— J'ai hâte que tu reviennes, me dit-il, parce que tu me manques...
— Justement, je rentre plus tôt ! lui répondis-je sur un air enjoué.
— Arrive vite alors...
— On sera là dans le début de l'après-midi. Ça te va ?
— Je ferai avec.
Avant qu'il ne raccroche, je ne pus m'empêcher d'ajouter :
— Tu me manques aussi, je t'aime...
Le blanc qui s'installa me fit peur. Avais-je été encore un peu trop entreprenante ?
— Gino, t'es toujours là ?
— Oui...
— Pourquoi tu parles plus, j'ai dit quelque chose de mal ? m'inquiétai-je subitement.
— Non, au contraire, mais évite de me dire des trucs comme ça...
— Pourquoi ?
— Parce que ça me donne une furieuse envie de te rejoindre dans ton bled perdu, et tout de suite...
Rassurée, je lui répondis :
— Même pas cap !
— À ce que j'ai compris, t'es pas très loin, donc c'est faisable !
— Ouais, c'est vrai, mais t'oublies mon père ! J'suis pas sûre que ça lui plaise beaucoup !
— En parlant de lui, il faudrait que tu penses à me le présenter !
— Oui, pourquoi pas. On verra ça un peu plus tard !
— Pourquoi attendre ? Il va bien falloir que je le rencontre un jour où l'autre !
— Chaque chose en son temps. D'abord nous et ensuite on verra.
— Ok, on se voit tout à l'heure...
— Oui.
La conversation dura encore quelques instants puis Gino dut raccrocher. Daven l'attendait, et Daven n'aimait pas attendre...
Raoul aussi attendait, comme à son habitude, dans notre terrain.
— Salut Raoul !
Sa voix résonna dans ma tête :
— Bonjour Lili ! Bien dormi ?
— Oui, comme un loir !
— Ton père t'a montré la boîte ?
— Oui. Il m'a dit que tu me la donnais.
— Avec la photo, ce sont les seuls souvenirs de ma vie d'homme que je peux te transmettre, me dit-il nostalgique.
Émue, je le remerciai et lui demandai des précisions sur la photo.
— Qu'est-ce qu'il a eu ton œil ?
— Je me le suis crevé alors que je n'étais qu'un enfant !
— Comment ça s'est passé ?
— C'était pendant une partie de chasse. J'accompagnais mon père, afin de lui faire rater toutes ses cibles, lorsqu'une branche avec des épines m'a fouetté l'œil.
— Tu as du beaucoup souffrir ?
— J'étais très jeune lorsque c'est arrivé, je n'en ai pas gardé un souvenir très précis. Par contre, je me rappelle très bien les douleurs atroces des crises et de ma première transformation. Ma mère appelait ça "le mal joli" !
— Pourquoi ?
— Elle comparait les crises avec ses accouchements. Elle disait d'eux "C'est le mal joli, on en rit quand c'est fini !".
— J'aime bien cette expression, et elle est tellement vraie !
Puis redevenant sérieux, il ajouta :
— Tu hérites de la médaille aussi. Prends la, en guise de récompense, pour être parvenue là où tu en es ! Je te préviens tout de suite, elle n'a pas grande valeur, sinon celle d'être sentimentale. Ce n'est pas de la camelote non plus. La chaîne et la médaille sont en or, mais elles sont surtout symboliques.
— Toi aussi tu l'as portée ? lui demandai-je par curiosité.
— Oui, et ma mère avant moi. Si tu regardes bien la photo, je la porte autour de mon cou.
— Ah bon ? J'ai pas vu. Est-ce que je peux la porter aussi ?
— Je te l'ai dit, elle est à toi. Tu en fais ce que tu veux !
— Alors, avant de partir, j'irai la chercher. Et papa m'a dit que tu m'expliquerais pour les graines !
— Ne les perds surtout pas. Cela te servira lorsque tu enfanteras. Tout le temps de la grossesse, tu ne pourras pas te transformer, tu perdrais l'enfant. Tu seras donc à nouveau exposée aux crises. Ce sont les graines d'une plante extrêmement rare qu'on ne trouve pas en France et elles seules ont le pouvoir de calmer les crises et de les rendre supportables.
— Mais pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ? J'aurais pu éviter tant de souffrances !!!
— Parce que souffrir fait partie de notre condition. Il faut impérativement y être habitué. Mais lorsqu'une femme enfante, elle est plus faible et les douleurs ressenties lors des crises sont décuplées. Elles sont beaucoup plus violentes et en plus elles se répercutent sur le fœtus qui ne le supporterait pas. Ces graines sont la seule solution pour mener une grossesse à son terme.
— Ça me fait peur ce que tu me dis là...
— Je t'en reparlerai plus tard, quand tu auras parfaitement assimilé les effets dus à la transformation.
Il s'intéressa ensuite à la nouvelle perception de mes sens.
— Comment te sens-tu ?
— Bien !
— Tu n'as pas de vertige, ni l'impression d'avoir constamment un brouhaha dans la tête ?
— Non !
— Bien, alors tout va bien chez toi ! Dans quelques temps tu n'y prêteras plus attention. Tu te serviras de tes sens exactement comme tu le faisais avant. Mais il est possible que tu ressentes quand même quelques gênes. Il ne faudra pas t'en inquiéter. Il faut laisser ton corps s'habituer et assimiler ces nouveautés !
— Je ne ferai plus de crises maintenant ?
— Non, sauf si tu n'arrives pas à te transformer en temps voulu. C'est ton corps qui te le réclamera. L'énergie que tu dépenses pendant la métamorphose est si importante, qu'elle empêche les crises. Mais seulement pendant quelques semaines. Par contre, rien ne t'empêche de te transformer autant de fois que tu le veux. Mais pour l'instant, je te déconseille très fortement de le faire seule. C'est encore trop tôt.
— Ne t'inquiète pas. Je n'ai pas du tout envie de me jeter du toit d'un immeuble pour faire quelques loopings. Je ne suis pas suicidaire !
— Il faut aussi que tu continues à éviter tout ce qui est en rapport avec la vitesse, cela fait partie des choses qui activent le processus de transformation.
— D'accord, je pense que j'ai tout enregistré !
— Et pour Guito, ajouta-t-il, dis-lui que c'est une nouvelle maladie qui n'est connue d'aucun médecin. Pour le reste, tu improviseras. En espérant qu'il s'en contente et qu'il ne cherche pas plus loin. Bizarrement, j'en doute fort !
Je trouvai l'idée excellente en plus d'être très pratique. Elle me permettrait d'éluder les questions embarrassantes en feignant l'ignorance. Mais, comme Raoul, je doutais que cela suffise à le tenir éloigné de mon secret.
Je l'informai du changement de programme. Je ne viendrais pas le voir l'après-midi et lui en expliquai la raison, celle donnée par mon père...
— Ce n'est pas grave. Tu as fais un énorme travail. Tu peux t'en retourner chez toi l'esprit tranquille, et profiter de ton Gino sans aucune crainte ! Me dit-il avec un air moqueur.
— Mais, je ne t'ai pas menti. Papa tient vraiment à rentrer tout à l'heure, insistai-je.
— Je le sais bien. Mais ne me prends pas pour un imbécile, la raison invoquée par ton père t'arrange bien !!!
Le sourire qui s'inscrivit sur mon visage m'évita de lui répondre et lorsque nos regards se croisèrent, il affirma beau joueur :
— C'est bien ce que je pensais !
Je laissais Jump jouer avec lui. Ce petit divertissement, avant de reprendre la route, lui fit du bien. Les voir se chamailler me plaisait toujours autant, un vrai délice. Tout comme le vol de Raoul, que je pouvais voir de derrière la vitre de la voiture, à chaque départ d'Abraysie. Ce précieux cadeau qu'il m'offrait et que je ramenais avec moi, blotti dans un coin de ma tête, à Mesmina.
Durant le trajet du retour, j'envoyai un message à Gino pour lui dire que j'arrivais. En lisant sa réponse, un sourire se dessina sur mes lèvres.
Redevenant soudain sérieuse, je demandai à mon père :
— Euh, est-ce qu'on pourrait passer à la maison avant que tu me déposes chez les Dhoms ?
— Oui, Pourquoi ?
— Parce que Kimy me dit qu'on dort là-bas ! C'est pour prendre des affaires de rechange et mes cours pour demain...
— Ok ! Je vais venir avec toi. Je voudrais voir Guito.
— Bonne idée ! Ça lui fera plaisir, approuvai-je.
Puis, je me souvenais des paroles de Raoul, sur la vérité. J'allais devoir mentir souvent aux personnes que j'aimais par obligation. Mais rien, absolument rien, sauf peut-être la boule dans mon ventre, ne m'obligeait à mentir à mon père.
— Papa ?
— Oui.
— En fait c'est pas Kimy qui me propose de dormir chez Daven.
— C'est le garçon à la camionnette ?
— Oui.
— Raison de plus pour que je voie Guito ! dit-il en souriant.
Mon sourire aussi réapparut lorsque je relus le texto de Gino : "Oublie pas ton oreiller".
Nous allions être ensemble jusqu'au lendemain matin, dans les meilleures circonstances envisageables. Je ne pouvais espérer une fin de weekend meilleure que celle qui se profilait à l'horizon...
...
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