CHAP 17


Nellita me massa pendant près d'une heure. Elle passa ses mains sur toutes les parties de mon corps qui avaient tant souffert. Consciencieusement et avec toute la douceur dont elle était capable, elle réussit à soulager mes muscles qui s'étaient figés pendant la paralysie, puis crispés pendant les assauts de la crise. Certes, ce n'était pas aussi efficace que les bienfaits de Raoul, mais son savoir-faire ne lui fit pas défaut. Je me sentis réellement mieux quand elle eut fini. Mais cela ne suffit pas à ôter les sombres pensées qui envahissaient mon esprit. Gino n'était pas encore revenu, ce qui n'aidait pas à me rassurer. Guito avait-il tant à lui dire pour que leur discussion dure si longtemps ?

Quand Nellita quitta la caravane pour aller se coucher, je pris la décision de rentrer chez moi. Il ne me restait qu'une semaine avant la transformation, une seule semaine pour me remettre intérieurement des séquelles de la crise. Je ne savais pas si Raoul jugerait cela suffisant pour tenter la transformation, mais je devais mettre toutes les chances de mon côté. Retarder l'échéance n'était pas envisageable car cela voulait dire revivre une seconde fois l'équivalent de ces dernières semaines et donc, à coup sûr, perdre Gino définitivement. Je prenais sa colère comme une mise en garde de ce qu'il était capable de supporter. Il était clair qu'il était arrivé au bout de ses limites et honnêtement, moi aussi.

Malgré le froid pénétrant de la nuit, je quittai décidée la caravane de Daven.

Je n'étais pas arrivée au portail quand Gino me rattrapa :

— Tu vas où ? me demanda-t-il inquiet.

— Chez moi, lui répondis-je la voix tremblante.

— Est-ce qu'une fois dans ta vie, tu vas faire face à la réalité au lieu de la fuir tout le temps ? dit-il déconcerté.

Je ne répondis pas. À quoi cela me servirait-il de prétexter une excuse qui de toute façon ne serait pas crédible à ses yeux ?

- Écoute, reprit-il, je ne vais pas me mettre à genoux pour que tu acceptes de rester ce soir. Mais j'ai vraiment besoin de toi, là, tout de suite, maintenant ! Alors, s'il te plaît, ne pars pas...

Il me prenait par les sentiments, le seul moyen efficace pour casser ce qui me restait de volonté et il le savait parfaitement bien.

Je n'eus pas besoin de temps pour réfléchir, car l'envie de me jeter dans ses bras était déjà présente. Alors je lui proposai un marché :

— Je reste, si tu ne me poses aucune question !

Le sourire qu'il afficha me transperça. Il était simplement heureux et soulagé.

— D'accord, me dit-il en me tendant la main.

Je la pris et il m'entraîna avec lui mais pas vers la caravane de Daven, il se dirigea vers la sienne...

Il m'invita à entrer, ce que je fis le cœur battant. Je pénétrai chez lui, dans son univers intime et parce que c'était la première fois, les larmes envahirent mes yeux car je compris que Gino ne partirait jamais. Par ce simple fait, il me montrait qu'il n'avait pas peur de moi, de ce que j'étais, et qu'il était là. À cet instant, une évidence s'imposa à moi. Je ne suivrais pas la voix de la raison, je n'en avais pas la force car c'était bien trop dur.

Je retrouvai son odeur, celle qui m'avait si fortement perturbée le jour de notre rencontre et qui me perturbait encore, mais dont je ne pouvais définitivement plus me passer.

— Viens, je vais te montrer quelque chose, dit-il en poussant très doucement la porte coulissante qui séparait un coin couchette du reste de la caravane.

Je m'approchai et je vis une petite fille qui dormait à poings fermés. Elle était installée sur la couchette du haut.

— C'est Lauria, ma petite sœur, murmura-t-il attendri. Et là, ajouta-t-il en désignant celle du bas, devrait normalement y avoir mon petit frère.

— Il est où ?

— Oh, pas très loin.

Il se dirigea vers une autre porte coulissante, qu'il glissa tout aussi doucement que la première et me laissa regarder.

— Je te présente Dolan !

— Ils sont beaux, dis-je admirative et un brin envieuse. J'espère que tu mesures la chance que tu as d'avoir une si belle famille.

— J'en suis conscient, ils sont ce que j'ai de plus cher au monde, ils sont ma vie.

Le prenant délicatement, il le porta jusqu'à l'autre couchette en râlant gentiment :

— J'arrive pas à lui faire comprendre qu'il a un lit à lui. Il faut toujours qu'il vienne squatter le mien !

Je souris lorsqu'il prononça ces paroles. Imaginer un petit homme faire tourner en bourrique Gino m'attendrissait. Je découvrais une partie de lui que je ne connaissais pas. Il était aussi un grand frère et tenait ce rôle très sérieusement.

Il le posa sans le réveiller, le couvrit puis ferma la porte, sans faire de bruit.

— Tu veux boire quelque chose ? me proposa-t-il poliment.

Je refusai, mon estomac était encore bien rempli du festin que nous avions partagé peu de temps auparavant.

— Je peux plus rien avaler, m'excusai-je.

Un silence gênant s'installa inévitablement. Il n'y avait pas d'endroit où nous asseoir autre que son lit, et tous les deux, nous nous regardions comme de parfaits imbéciles.

Je rompis le silence.

— Tu me proposes de dormir là ? lui demandai-je malicieusement.

— En tout bien tout honneur, évidemment ! lança-t-il en levant les mains.

— Évidemment ! répondis-je, en ayant une impression de déjà vu.

— On peut regarder un film si tu veux ?

— Va pour un film ! acceptai-je volontiers.

La suite fut pour moi une nouveauté. Le décor, les odeurs et être allongée sur un lit avec lui à regarder un film, était tout simplement agréable. Le répit de l'après crise me permettait d'apprécier un moment qui n'aurait jamais pu exister en d'autres circonstances. C'était divin et je ne l'appréciais pas seulement, je le savourais...

Cet instant intime était propice aux confidences et l'envie de tout lui dévoiler me tarauda à plusieurs reprises. Un rien aurait pu me faire rompre la promesse faite à Raoul qui était de garder notre secret et ce, jusqu'à la mort. Mais Gino, comme convenu à l'avance, ne me posa aucune question. Il se contenta de me serrer fort contre lui en regardant le film alors que moi, je n'avais d'yeux que pour lui, et je l'examinais avec attention.

Je m'étais endormie sans m'en rendre compte, enveloppée d'un bien être presque aussi fort que lorsque Raoul sondait mon corps.

Partie aux pays des rêves, mon esprit se laissait aller à quelques fantaisies dont lui seul avait le secret. Et je me retrouvai alors dans un sublime ciel bleu, sans un nuage à l'horizon, à voler aux côtés de mon Aigle.

Pas un bruit ne venait troubler cet instant d'intense plénitude. Je pouvais sentir la douce caresse du vent glisser sur moi. Ce vent me portait et me faisait planer haut dans le ciel, et découvrir une vue incroyable. Je suivais Raoul qui se mouvait avec grâce dans cette immensité, son corps se fondant dans le soleil. Je respirais les odeurs, ressentais les courants chauds et froids, je planais dans un silence absolu...

Quand mon Aigle ne fut plus qu'un point noir, loin devant moi, je voulus le rattraper mais n'y parvins pas. Je faisais du surplace alors que j'agitais mes ailes de toutes mes forces. Mon cœur s'emballa. J'avais peur, je ne comprenais plus rien. Puis, je m'aperçus que des ailes, je n'en avais pas, c'était mes bras qui s'agitaient. Je voulus crier pour prévenir Raoul, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Puis vint la chute, brutale et rapide. Elle m'entraîna vers le vide, toujours plus vite. Il n'y avait plus de ciel bleu, à la place, des nuages gris noirs m'entouraient. Je ne sus pas ce qu'il y avait en dessous d'eux car un cognement répétitif me sortit de mon cauchemar, fort heureusement...

Le cognement réitéra, il provenait de la fenêtre. Gino dormait, alors je l'ouvris en essayant de ne pas faire de bruit. C'était Daven qui, quand il me vit, éclata de rire et dans le même temps réveilla Gino.

— On peut dire qu'il a pas perdu de temps le cousin ! réussit-il à prononcer, entre deux éclats de rire.

De mauvaise humeur, je refermai la fenêtre.

— Désolée, m'excusai-je. Il connaît pas la discrétion...

— Qu'est-ce qu'il voulait ?

— Je sais pas. Je lui ai fermé la fenêtre au nez !

— Ça devait pas être bien important, dit-il en baillant.

Je me rallongeai et se tournant vers moi Gino me prit dans ses bras. Je me rendormis blottie contre lui afin de profiter de son odeur et de la chaleur que son corps dégageait.

...

Au petit matin, une présence me réveilla. Dolan, une peluche dans les bras, me dévisageait.

— Salut toi, lui dis-je gentiment.

Sa réponse, qui n'en n'était pas une fut sans détour :

— T'es qui ?

Je voulus rire, mais Gino dormant toujours, je mis mon index sur mes lèvres afin de lui faire comprendre de ne pas faire trop de bruit. Je le rejoignis et fermai la porte coulissante.

— T'as faim ? lui demandai-je.

Méfiant, il acquiesça quand même et nous partîmes vers la maison afin de nous restaurer.

Dans la cuisine, je commençai par préparer le petit-déjeuner de Dolan. Il ne prononça pas un mot et se contenta de faire des gestes pour me diriger et des hochements de tête pour approuver ou non. Puis, lorsque tous les deux nous fûmes attablés, il me reparla enfin :

— T'es qui ?

— Je m'appelle Lili !

— T'es la nouvelle femme de mon frère ?

Embarrassée par sa question, je déviai :

— T'es plutôt direct toi ! Bois ton lait, il va être froid !

La ressemblance avec son frère était frappante, c'était le même, mais en plus jeune.

Guito et Nellita entrèrent dans la cuisine. Cette dernière s'empressa de venir aux nouvelles :

— Comment tu te sens nénette ? me demanda-t-elle soucieuse.

— Mieux, merci.

— T'as dormi un peu ?

La petite voix de Dolan se fit entendre :

— Elle a dormi avec mon frère, je les ai vus !

Sa réflexion fit sourire Guito autant qu'elle surprit Nellita.

— Et bien, on va tout savoir, lança-t-elle en s'adressant à son neveu.

Puis je sentis les yeux de Guito posés sur moi.

— Tu viendras me voir quand t'auras fini, me dit-il sur un ton ferme.

— J'ai fini, dis-je en me levant.

Après avoir débarrassé, je le suivis jusque dans sa caravane. Assis face à face, il s'enquit de mon état puis dévia sur Gino.

— Tu ne m'en veux pas de lui avoir parlé ?

— Non, pas du tout.

— Je pense que c'était ce qu'il y avait de mieux pour vous deux. Il a quand même annulé son mariage, chose qu'il n'aurait jamais faite s'il ne pensait pas que vous deux, c'est du sérieux. Mais n'en parlons plus !

Il posa sur la table un torchon à carreaux blancs et bleus. Le blanc dominait, laissant apparaître une importante tâche orange. Je le reconnus, la mère de Fati s'en était servie pour l'enrouler autour de mon doigt blessé et la tache était mon sang, mais d'une couleur inhabituelle, il aurait dû être beaucoup plus sombre.

Je palis en comprenant que j'allais avoir droit à une deuxième séance d'interrogatoire et je la pressentis plus poussée et intensive que celle de la veille avec Gino.

— Pourquoi tu me montres ça ? lui demandai-je en me mettant sur la défensive.

— C'est avec ça que la mère de Fati t'a entouré le doigt !

— Et alors ?

— Mets ton nez dessus et respire !

Une odeur forte, tenace, et indescriptible s'en dégageait. Mais pourquoi diable avait-il fallu que je me blesse ? La crise suffisait amplement à me mettre dans une position inconfortable, je n'avais vraiment pas besoin de plus. Je regrettai amèrement d'avoir cédé face à Gino, j'aurais dû partir tant qu'il en était encore temps. Je n'aurais pas eu à affronter Guito et sa perspicacité déroutante et dérangeante.

— J'ai rien à dire là dessus, lâchai-je fermement.

— Le contraire m'aurait étonné !

Il sortit de la poche de sa veste une sorte de boule blanche qu'il balança sur la table.

— Et ça, tu reconnais ?

— Non !

Je mentais bien sûr. J'avais même une idée très précise de ce que c'était.

— C'est le pansement que Nelli a fait pendant que tu dormais. Même couleur, même odeur, mais là encore, tu n'as rien à dire là-dessus.

— Non !

Il s'adossa au dossier de la banquette et me fixa étrangement. Le visage fermé à toutes émotions qui pourraient me trahir, je me fis violence pour ne pas me lever et fuir son regard scrutateur. Seule ma jambe qui tremblait d'agacement et que je ne pouvais retenir, prouvait que je ne maîtrisais pas la situation.

— Et le mouton qu'on égorge dans le garage, qu'on laisse se vider de son sang, continua-t-il sans pitié.

— STOP !!! m'écriai-je en me prenant la tête entre les mains. Arrête ça tout de suite Guito !

— Ah, enfin quelque chose qui te parle !!! lança-t-il victorieux.

— Pourquoi tu fais ça, lui demandai-je piteusement.

— Parce que je veux bien couvrir tes arrières pour protéger ta relation avec mon neveu, mais je voudrais savoir pourquoi je le fais ! Ça fait plusieurs années que je marche en aveugle, aujourd'hui, j'exige de connaître la vérité !

Murée dans un profond silence, je ne dis mot, mais à l'intérieur de mon être, c'était un brasier infernal qui me malmenait. Je luttai de toutes mes forces pour me contenir.

— Tu sais Lili, il se pourrait qu'un jour tu aies besoin de moi mais que je ne sois pas là pour toi.

— Je sais...

— Réfléchis bien à ce que je viens de te dire, et agis avant qu'il ne soit trop tard, avant que tu ne te retrouves toute seule. Je ne te laisse plus d'autre option !

Les yeux baissés, je fixai mon doigt caché sous la table. Mon esprit était envahi par un flot de questions que j'aurai à poser à Raoul, lorsque je le reverrai.

Marchant pour rejoindre la caravane de Gino, je réfléchissais à ma confrontation avec mon père de cœur. Comment allais-je pouvoir me sortir de cette impasse ? Il n'était pas homme à abandonner et de cela j'étais bien consciente. Mon seul espoir était une fois de plus Raoul, car lui seul était en mesure de me trouver une échappatoire à ces questions embarrassantes.

Il me restait moins d'une semaine avant de le voir et j'espérais que Guito ne reviendrait pas à la charge trop vite.

Mais il y avait autre chose qui m'angoissait plus que mon face-à-face avec mon père de cœur. Le cauchemar que j'avais fait me revenait en mémoire et avec lui, un événement sans commune mesure avec ce que j'avais déjà vécu. Le jour J approchait à grands pas...

Dans moins d'une semaine ce serait l'ultime étape, je toucherais du doigt l'inconnu...

Dans moins d'une semaine, j'allais tenter la transformation...

Et de cela, j'étais réellement inquiète...


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